Ma lointaine aïeule Par un temps de demoiselle,
Sur la frêle caravelle,
Mon aïeule maternelle,
Pour l’autre côté de l’Eau,
Prit la mer à Saint-Malo.
Son chapelet dans sa poche,
Quelques sous dans la sacoche,
Elle arrivait, par le coche,
Sans parure et sans bijou,
D’un petit bourg de l’Anjou.
Devant l’autel de la Vierge,
Ayant fait brûler le cierge
Que la Chandeleur asperge,
Sans que le coeur lui manquât,
La terrienne s’embarqua.
Femme de par Dieu voulue,
Par le Roy première élue,
Au couchant, elle salue
Ce lointain mystérieux,
Qui n’est plus terre ni cieux.
Et tandis que son oeil plonge
Dans l’azur vague, elle songe
Au bon ami de Saintonge,
Qui, depuis un siècle, attend
La blonde qu’il aime tant.
De la patrie angevine,
Où la menthe et l’aubépine
Embaument val et colline,
La promise emporte un brin
De l’amoureux romarin.
Par un temps de demoiselle,
Un matin dans la chapelle,
Sous le poêle de dentelle,
Au balustre des époux,
On vit le couple à genoux.
Depuis cent et cent années,
Sur la tige des lignées,
Aux branches nouvelles nées,
Fleurit, comme au premier jour,
Fleur de France, fleur d’amour.
Ô mon coeur, jamais n’oublie
Le cher lien qui te lie,
Par-dessus la mer jolie,
Aux bons pays, aux doux lieux,
D’où sont venus les Aïeux.
il y a 9 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
Mère glorieuse Viens entre les bras de ta mère,
Viens, tes beaux grands yeux dans les siens,
À son épaule, à ta manière,
Nouer tes doigts de rose. Viens!
Viens! Que ta bouche sur sa bouche
Dépose un baiser triomphant:
Que l’âme de ta mère touche
À ta divine âme d’enfant.
Son coeur est glorieux d’entendre
Ton coeur de française, ton coeur,
Dans une poitrine si tendre,
Battre d’un rythme aussi vainqueur.
Son corps frémit de fibre en fibre,
Et vibre, à chaque battement,
Comme à la moindre touche, vibre
Un harmonieux instrument.
Prophétesse de ton aurore,
Ta mère sait ce qu’elle sent,
Dans le bruissement sonore,
Dans l’allégresse de ton sang.
Coeur de son coeur, tu lui fais croire
À la richesse du Seigneur
Qui lui donne une telle gloire,
Et lui promet un tel bonheur.
Coeur de son coeur, que ta pensée,
Radieuse, vibre toujours,
Idéalement cadencée,
À l’unisson de ses amours.
Accomplis tout ce que réclame
La noblesse de tes aïeux,
Pour être, ici-bas, grande dame,
Et, grande sainte, dans les cieux.
il y a 9 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
Notre terre Terre, dont les âpres rivages
Et les promontoires géants
Refoulent les vagues sauvages
Que soulèvent deux océans ;
Terre qui, chaque avril, émerges,
Toute radieuse, à travers
La cendre de tes forêts vierges
Et la neige de tes hivers ;
Terre richement variée
De verdure et de floraisons,
Que le Seigneur a mariée
Au Soleil des quatre saisons ;
Reine des terres boréales,
Qui, sans mesure, donnes l’or,
L’or et l’argent des céréales,
Sans épuiser son grand trésor ;
Terre qui, d’un prime amour veuve,
N’a cessé de donner le sein
Au peuple, qui de toute épreuve,
Échappa toujours, sauf et sain ;
Terre de la persévérance,
Terre de la fidélité,
Vivace comme l’espérance,
Sereine comme un ciel d’été ;
Terre dont la race évolue
En nombre, en verdeur, en beauté,
Notre Terre, je te salue,
Avec amour, avec fierté !
il y a 9 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
Patrie intime Je veux vivre seul avec toi
Les jours de la vie âpre et douce,
Dans l'assurance de la Foi,
Jusqu'à la suprême secousse.
Je me suis fait une raison
De me plier à la mesure
Du petit cercle d'horizon
Qu'un coin de ciel natal azure.
Mon rêve n'ai jamais quitté
Le cloître obscur de la demeure
Où, dans le devoir, j'ai goûté
Toute la paix intérieure.
Et mon amour le plus pieux,
Et ma fête la plus fleurie,
Est d'avoir toujours sous les yeux
Le visage de ma patrie.
Patrie intime de ma foi,
Dans une immuable assurance,
Je veux vivre encore avec toi,
Jusqu'au soir de mon espérance.
il y a 9 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
Québec Comme un factionnaire immobile au port d’arme,
Dans ces murs où l’on croit ouïr se prolonger
Le grave écho lointain d’un qui vive d’alarme,
À ses gloires Québec semble encore songer.
L’humble paix pastorale a replié son aile
Sur l’âpre terre où gît le sombre camp des morts :
Du bugle ensanglanté, la plaine solennelle
N’entend plus retentir les tragiques accords.
Au flanc de la redoute, aux poternes ouvertes,
Aux créneaux de la tour, aux brèches des remparts,
La mousse dont l’avril a teint les franges vertes,
Suspend ses verts pavois et ses verts étendards.
Au port ne viendront plus mouiller les caravelles.
Qu’importe ? contre toute espérance, on attend.
On attend qu’on nous fasse assavoir des nouvelles
Des bourgs d’où sont venus les purs Français d’antan.
Hanté du souvenir qui le tient en tristesse,
De par delà les mers, du lointain, de là-bas.
L’ancien logis qu’enchante une immortelle hôtesse,
De jours en jours attend quelqu’un qui ne vient pas.
Souventes fois, la nuit, comme aux jours des grands sièges,
Vibrent d’étranges sons de cors et de tambours :
Et, souvent, l’on a cru voir de pompeux cortèges
Défiler, radieux, sous l’ombre des faubourgs.
Une garde fantôme, une ronde macabre,
Passe, marchant à pas sonore et régulier,
Et l’on entend tinter des cliquetis de sabre
Sur les marches de bois du gothique escalier.
Ô Québec, reste fier, reste haut sur la rampe
Que dore le passé. Pour nous hausser le coeur,
Pour brandir fièrement les couleurs de ta hampe,
Sois-tu toujours debout, soit-tu toujours vainqueur !
Tant que les doux rivaux du divin Crémazie,
Inclinés sous le vol d’un lyrisme idéal,
Invoquant à genoux la sainte poésie,
Chanteront à plein coeur l’hymne national :
Tant que le pur accent d’une langue immortelle
Vibrera dans l’ancien parler pur de chez nous ;
Tant qu’un rayon d’amour luira dans la prunelle
De la Canadienne aux clairs jolis yeux doux !
À plein ciel, sur les toits, sur les places publiques,
Les hivers succédant aux hivers, neigeront.
Les châsses où la France a serti ses reliques
Sous leur rouille de gloire oncques ne périront.
Aujourd’hui le coeur s’ouvre, et tout revit. Sur l’onde
Dansent les rayons d’or du clair soleil pascal.
Le roc s’ouvre. Qui vive ?… Il faut que l’on réponde,
Sans peur, à haute voix : Frontenac et Laval.
il y a 9 mois
P
Paol Keineg
@paolKeineg
Hommes liges des talus en transe Il pleut sur les coqs de bruyère
Il pleut sur les constellations de bouleaux blancs
Il pleut sur les charrues matinales barbouillées de terre glaise
Il pleut sur le pain chaud au sortir des fours visités d'un gros feu tranquille
Il pleut sur le poitrail des chevaux rubiconds
Il pleut à verse sur la pelouse des toits lacustres baignés de merles et de bouvreuils
Il pleut sur les femmes obstinées à emplir les églises par l'entonnoir des porches
Il pleut sur les planchers d'aiguilles de sapin sur l'escalier des mousses remuées
de salamandres
Il pleut sur le lac tranquille des âmes simples
Il pleut sur les hommes lourds et muets
Je m'éveille
Et je m'assois sur les talus limpides
Et je m'installe sur la fesse des montagnes de laine
Et je compte
Et je compte
Las de l'exil
J'approche de la table, le banc
Et à la clarté des couteaux
Je laisse plonger en moi les racines du pain
lus loin que les matins de globules rouges
Plus loin que le sang caillé des bruyères où rament les éperviers
Plus loin que les lièvres blancs et gris et que les cheminées qui reprennent haleine
Plus loin que les courts matins d'hiver qui voient passer dans l'œil des enfants la caresse
des étangs sauvages
Plus loin que les chevaux qui hennissent rouge au cœur des patries effilochées
Plus loin que la végétation des colères inextricables qui lancent leurs lianes parmi
les hommes en démolition
Plus loin que les migraines veloutées qui grattent et qui mordent
Plus loin que les aurores boréales brûlées de banquises à la rencontre des pays de rosée
Plus loin que les destins limés à ras de rotule
Plus loin que la braise flambante de l'œil
LE SILENCE
Le champ clos du silence
La fermentation du silence
Qui butte contre les vitres
Hommes je vous parle d'un temps qui nous appartenait plus
Mais d'un temps artésien qui sourd au moindre coup de pioche
Je vous parle du temps où l'on bâtissait les forêts
Du temps où chaque fleur recevait des hommes le sel du langage
Du temps où cette terre était hantée d'un peuple solennel
C'était du temps où l'homme était un frère pour l'homme
Où les hommes se disaient bonjour du haut de leurs collines
Où les hommes chaque matin saluaient le lait de la pluie
J'ai compté
La rose du ciel vert
Les nasillements d'hirondelles à ras de cheminée
Les impulsions d'aubes feuillues chez les hommes qui naissent à eux-mêmes
La dépossession d'une patrie entière
Et au bout de l'océan
Les cocons de nuit
La course droite des sangliers
La plainte des moissons moisies tramées d'insectes vidés
Au bout de l'océan
Les campagnes fugueuses et les villages en quinconce débordant du fatras des moissons
Au bout de l'océan
Le poil humide des chevaux de cristal
Le corail des lavoirs et des sources
Les chiens roux lisses de sommeil
Au bout de l'océan
La machine des bocages explosifs
Les gradins de l'aurore parmi les arbres craquants
Au bout de l'océan
Le rire des sauterelles
Le maquis des congres et des lamproies
La connaissance ininterrompue de la mort
Au bout de l'océan
L'établissement des hommes lucides
Inventant une patrie délibérée
Dressant sur les promontoires des villes de pierre des animaux de chair
Au bout de l'océan
Les reflets battus d'oiseaux rares
Le sifflement de la vapeur dans les poumons et les poignets tendus
Au bout de l'océan
La confusion des paroles et des gestes
La Visitation d'étranges bêtes brûlantes agitées de soubresauts
La Visitation massive de boules de feu
JE TE CRIE PAYS
Pour tes éblouissements d'yeux dardés
Pour tes contrebandes de chaleurs farouches
Tes généalogies engluées
Tes granits poreux et glacés
Je te crie pays
Pour tes fouillis de luzerne à fleur de peau
Tes pur-sang purulents qui verdoient de sulfure
Tes murs d'écurie écrasés par le coups de pied des chevaux
Pour vous tous qui êtes moi
Ou plus encore
Vous tous qui êtes plus que moi
Et je vous entends tourbillonner dans la dérive des silences giclés
ET JE CRIE
Suicides mauves
Derrière les persiennes clauses
Enfants rachitiques que l'on repousse du bout du pied
Hommes qui traversez la vie comme on traverse un long tuyau humide
Paysans coagulés tronc à tronc conduisant de la voix les ruées des troupeaux
Soleils que l'on dirige à bout portant contre le cœur des chevaux
J'ai vu mourir dans la nuit blonde
Les enfants couleur de nacre et les filles brunes surgies du lait
J'ai vu tomber par touffes l'ardoise des toits inertes
J'ai vu proliférer les marécages aux lèvres des collines
Il faisait un temps de flammes vertes
Un temps de poussière d'acier
Un temps d'yeux germés
Et j'ai vu sous les portières du Ponant
S'effriter les enfants pâles et dilatés
Lourds héritages de fatigue
D'espoirs séquestrés
De forêts en gestation
Chroniques blettes de chanteurs vibrant dans la lumière des branches
Pays de paille grise
Pays d'humidité redoublant de violence
Pays d'attente et d'éboulis
Je contemple ce pays bâti de côtes et de criques
Cerné de climats douceâtres
Traqué de tourbes révolues
Outrepassé de tumeurs pâles et de pustules
Où il n'y a pas de place pour le paysan seigneur des terres immobiles
Pour le prolétaire en usine combattant les négoces et les engrenages féroces
Soudain nous prend en route
Le mal taillé en coin
Le mal qui vrille et qui taraude
Le mal qui fore et qui perfore
Le mal qui force chaque pore
Le mal mèche de tarière
Le mal douleur de vilebrequin
LE MAL DU PAYS NATAL
Mes frères, mes frères
Hommes brûlants plantés d'épines
Hommes tranchants à l'écoute des séismographes
Hommes de mon pays et d'ailleurs
Buvez aux geysers de l'humanité
Appareillez pour de grands hommes lourds de justice
Rassemblez vos propos acérés depuis la pulsation des estuaires
Jusqu'aux profondeurs de l'étable
Hommes simples assis dans votre étable fermée
Hommes empêtrés de tabous et d'interdits
Je vous entends pourtant crépiter dans les flammes dévorantes de l'esprit
Hommes liges des talus en transe et des villages abandonnés
Hommes brodés urinant le long des fossés
Hommes de vieilles candeurs célébrant des divinités aux joues roses et fanées
Et vous aussi, hommes des villes collectionneurs de meubles et d'ustensiles
Hommes émaciés pourrissant sur la muqueuse des villes étrangères
Vous partagez nos démangeaisons de liberté
Hommes puissants disputant la sérénité de l'orgue et des esplanades
Hommes croustillants héritiers de toutes lèpres et de toutes famines
Hommes trop humiliés les poings fermés de fureur
Terrés dans le tanin de vos chairs meurtries
Il n'y a pas de passé en Bretagne
Seulement un imperceptible mouvement des lèvres
Au détour de petites phrases anodines et friables
Seulement un présent de grossières en justice
Un avenir barré de violence et de poussière
Il n'y a pas de passé en mon pays
Sinon un bourdonnement d'hommes réfractaires
Je revois les genêts sur l'urine sèche
Les manoirs de quartz entourés de haies
Mais je ne peux m'asseoir longtemps dans l'herbe
Les déportations massives continuent
Nous avons chaud à nos fleuves
Nous avons chaud à nos relents d'alcool
Nous sommes un peuple hauts fourneaux
Un peuple coulé d'aubépine
Nous ne capitulons pas
Je m'arrête près des herses et des rouleaux
Je mâche mes premières pousses de liberté
J'ouvre l'éventail des champs labourés
Et notre peuple accompli soudain des révolutions étincelantes à la face du monde
Un peuple vaincu s'exerce au maniement des marées montantes
Je les vois qui s'assemblent tous sur les places
Bûcherons de l'aube arrimés aux cotres du soleil
Défricheurs herbus et ruminants jetant les grappins dans un passé interdit
Ecoliers ternes et appliqués établissant soudain des relations de cause à effet
Ouvriers analogues s'éveillant avec lenteur au creux des faubourgs crispés
Grappes de femmes lourdes enracinées dans la douleur des hommes
Ouvriers en grève exigeant droit de regard et de pression sur les tubulures du pays
Colleurs d'affiches, vendeurs de journaux, distributeurs de tracts, porteurs de pancartes
Etudiants insolents et nerveux se dérobant avec véhémence
Aux haleines fétides, aux visages craquelés
Ecoliers rieurs éprouvant du pied le fragile équilibre de l'eau et du feu
Syndicalistes vingt fois licenciés aux gestes robustes d'hommes mesurant l'éternité
Paysans matraqués à bas de leur tracteur qui le soir sortent les livres précieux sur la table
Vous êtes la Bretagne qui vient au feu
Vous êtes la Bretagne qui s'ouvre aux vents du monde
Aujourd'hui je vous le dis
Nous allons procéder à des glissements de terrain
Il y aura des sursauts de lumière dans le brouillard des solitudes
Et l'angle des fenêtres écumera de fougères
Alors, nous nous installerons dans l'odeur des charpentes et le soulèvement des toitures
Pour des émeutes de tendresse
Aujourd'hui je vous le dis
Un peuple nouveau émerge lentement qui se ménage des moissons exemplaires
Un peuple nouveau se dégage des siècles gluants
Ce pays chloroformé
Ce pays bruissant d'espoirs clandestins
Rouvre les yeux sur les banlieues surmarines
Que naissent en moi les pluies câlines
Pour humecter les campagnes polychromes
Que saignent les fougères fripées pour le plaisir des hommes qui tâtonnent
Qu'éclatent les bouches captives de mon peuple enfanteur d'hirondelles
Que se redressent les maisons arrachées à la matrice des frondaisons liquides
Que s'éveille mon peuple aux quatre coins du monde matinal.
il y a 9 mois
Rainer Maria Rilke
@rainerMariaRilke
Comme tel qui parle de sa mère Comme tel qui parle de sa mère
lui ressemble en parlant,
ce pays ardent se désaltère
en se souvenant infiniment.
Tant que les épaules des collines
rentrent sous le geste commençant
de ce pur espace qui les rend
à l'étonnement des origines.
il y a 9 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
La patrie Viens, ne marche pas seul dans un jaloux sentier,
Mais suis les grands chemins que l'humanité foule ;
Les hommes ne sont forts, bons et justes, qu'en foule
Ils s'achèvent ensemble, aucun d'eux n'est entier.
Malgré toi tous les morts t'ont fait leur héritier ;
La patrie a jeté le plus fier dans son moule,
Et son nom fait toujours monter comme une houle
De la poitrine aux yeux l'enthousiasme altier !
Viens, il passe au'forum'un immense zéphyre ;
Viens, l'héroïsme épars dans l'air qu'on y respire
Secoue utilement les moroses langueurs.
Laisse à travers ton luth souffler le vent des âmes,
Et tes vers flotteront comme des oriflammes
Et comme des tambours sonneront dans les cœurs.
il y a 9 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Le chemin de crève-coeur Un seul coeur ? Impossible
Si c’est par lui qu’on souffre et que l’on est heureux.
On dit : coeur douloureux,
Coeur torturé, coeur en lambeaux –
Puis : joyeux et léger comme un oiseau des Iles,
Un coeur si grand, si lourd, si gros
Qu’il n’y a plus de place
Pour rien d’autre que lui dans notre corps humain.
Puis évadé, baigné d’une grâce divine ?
Un coeur si plein
De tout le sang du monde et ne gardant la trace
Que d’une cicatrice fine qui s’efface ?
Impossible ! Il me faut plusieurs coeurs.
Le même ne peut pas oublier dans la joie
Tout ce qu’il a connu de détresse une fois
– Une fois ou plusieurs, chaque fois pour toujours –
Mon coeur se souviendrait qu’il fut un coeur trop lourd
Et ne serait jamais un coeur neuf, sans patrie,
Sans bagage à porter de vie en vie.
il y a 9 mois
T
Tahar Bekri
@taharBekri
Liban, ma Rose Noire Ils redoublent de férocité
Et crient aux cèdres
Nous sommes les seigneurs de la guerre
Nous fermons la mer le ciel et la terre
Et pissons sur vos prières
Nous mangeons les collines et les montagnes
Nous détournons les fleuves
Volons les lacs les plateaux et les arbres
De chiffres sans nom
Nous remplissons vos cimetières
Nous sommes les nouveaux aigles
Nous aimons les ruines et les décombres
Le sang des chevaux éventrés
Les larmes des murs
Les enfants sous les pierres
Nous sommes les bâtisseurs de vos cauchemars
Coupeurs de routes
Coupeurs de ponts
Démolisseurs d’aéroports
Brûleurs de vos réserves
La farine est notre ennemie
Votre pain poudre pour notre canonnière
Nous mettons l’air à genoux
Le vent à feu et à sang
Nous sommes les ravageurs de centrales hydrauliques
L’eau c’est pour laver vos morts
Nous sommes la nuit de votre détresse
Destructeurs de centrales électriques
Amis des chauves-souris
La cécité guide nos cœurs
Assoiffés de vos linceuls sans cercueils
Nous sommes les rois de la lumière
Nous tuerons la lune s’il le faut
Pour disperser vos cendres
Dans les trous de notre mémoire
Nous prierons Dieu pour ouvrir son Enfer
Croix et croissant pour nourrir nos brasiers
Et nous ferons de vos frontières nos pissotières
La bannière étoilée est notre chandelier
Dans le ciel déchiré par nos mâchoires.
il y a 9 mois
T
Tahar Bekri
@taharBekri
Pays mêlé, Martinique Et l'île retenait son trou au diable
Ses arbres à pain ses larmes
Ses bananiers ses cannes à sucre ses flancs
Ce flamboyant comme amant sur braise
Pour consoler la pluie à verse soudaine
Dans les bras du fleuve si rutilants
L'acajou égrenait les siècles marrons
Et le soleil ivre dédiait à la mer
Ses chaînes ses blessures ses victoires
La tête si lourde d'ombrages
Les merles dans les manguiers perdaient
Patience Le volcan disait aux cimes
Brumeuses Soyez colères noires
Ou amoureuses mères-courage.
il y a 9 mois
T
Thibault Desbordes
@thibaultDesbordes
Les pierres saillantes (III) Oh happy day
Et les couchées nocturnes
Sont remplies d’infections
Environnantes
Et mes amiantes
Sont momifiées.
Oh happy sun
Sous dégorgeoir
N’est qu’un long couloir
Et pour un havre
Jouissons-cadavres
Oh caporal,
Allons aux cathédrales
Et la France vaincra
Maréchal, vous voilà
Bien fatigué
De cette fin de l’été !
il y a 9 mois
T
Thomas Chaline
@thomasChaline
Dans le poulailler urbain Dans le poulailler urbain
Le français râle et hurle pour rien
Il insulte et frappe son prochain
Le français ne comprend rien
Il est nerveux et a perdu
Les valeurs humaines répandues
Jadis par les religions et les bons saints
Le français a perdu la main
Alors il s’étouffe et il s’enserre
Dans sa routine, il désespère
Il ne prend plus le temps pour lui
Le français, peu à peu, se détruit
il y a 9 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Vieux de la vieille Par l’ennui chassé de ma chambre,
J’errais le long du boulevard :
IL faisait un temps de décembre,
Vent froid, fine pluie et brouillard ;
Et là je vis, spectacle étrange,
Échappés du sombre séjour,
Sous la bruine et dans la fange,
Passer des spectres en plein jour.
Pourtant c’est la nuit que les ombres,
Par un clair de lune allemand,
Dans les vieilles tours en décombres,
Reviennent ordinairement ;
C’est la nuit que les Elfes sortent
Avec leur robe humide au bord,
Et sous les nénuphars emportent
Leur valseur de fatigue mort ;
C’est la nuit qu’a lieu la revue
Dans la ballade de Zedlitz,
Où l’Empereur, ombre entrevue,
Compte les ombres d’Austerlitz.
Mais des spectres près du Gymnase,
A deux pas des Variétés,
Sans brume ou linceul qui les gaze,
Des spectres mouillés et crottés !
Avec ses dents jaunes de tartre,
Son crâne de mousse verdi,
A Paris, boulevard Montmartre,
Mob se montrant en plein midi !
La chose vaut qu’on la regarde :
Trois fantômes de vieux grognards,
En uniformes de l’ex-garde,
Avec deux ombres de hussards !
On eût dit la lithographie
Où, dessinés par un rayon,
Les morts, que Raffet déifie,
Passent, criant : Napoléon !
Ce n’était pas les morts qu’éveille
Le son du nocturne tambour,
Mais bien quelques vieux de la vieille
Qui célébraient le grand retour.
Depuis la suprême bataille,
L’un a maigri, l’autre a grossi ;
L’habit jadis fait à leur taille,
Est trop grand ou trop rétréci.
Nobles lambeaux, défroque épique,
Saints haillons, qu’étoile une croix,
Dans leur ridicule héroïque
Plus beaux que des manteaux de rois !
Un plumet énervé palpite
Sur leur kolbach fauve et pelé ;
Près des trous de balle, la mite
A rongé leur dolman criblé ;
Leur culotte de peau trop large
Fait mille plis sur leur fémur ;
Leur sabre rouillé, lourde charge,
Creuse le sol et bat le mur ;
Ou bien un embonpoint grotesque,
Avec grand’peine boutonné,
Fait un poussah, dont on rit presque,
Du vieux héros tout chevronné.
Ne les raillez pas, camarade ;
Saluez plutôt chapeau bas
Ces Achilles d’une Iliade
Qu’Homère n’inventerait pas.
Respectez leur tête chenue !
Sur leur front par vingt cieux bronzé,
La cicatrice continue
Le sillon que l’âge a creusé.
Leur peau, bizarrement noircie,
Dit l’Égypte aux soleils brûlants ;
Et les neiges de la Russie
Poudrent encor leurs cheveux blancs.
Si leurs mains tremblent, c’est sans doute
Du froid de la Bérésina ;
Et s’ils boitent, c’est que la route
Est longue du Caire à Wilna ;
S’ils sont perclus, c’est qu’à la guerre
Les drapeaux étaient leurs seuls draps ;
Et si leur manche ne va guère,
C’est qu’un boulet a pris leur bras.
Ne nous moquons pas de ces hommes
Qu’en riant le gamin poursuit ;
Ils furent le jour dont nous sommes
Le soir et peut-être la nuit.
Quand on oublie, ils se souviennent !
Lancier rouge et grenadier bleu,
Au pied de la colonne, ils viennent
Comme à l’autel de leur seul dieu.
Là, fiers de leur longue souffrance,
Reconnaissants des maux subis,
Ils sentent le coeur de la France
Battre sous leurs pauvres habits.
Aussi les pleurs trempent le rire
En voyant ce saint carnaval,
Cette mascarade d’empire
Passer comme un matin de bal ;
Et l’aigle de la grande armée
Dans le ciel qu’emplit son essor,
Du fond d’une gloire enflammée,
Étend sur eux ses ailes d’or !
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Ce siècle avait deux ans Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul, déjà, par maint endroit,
Le front de l’empereur brisait le masque étroit.
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,
Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;
Si débile qu’il fut, ainsi qu’une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre,
C’est moi. —
Je vous dirai peut-être quelque jour
Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d’amour,
Prodigués pour ma vie en naissant condamnée,
M’ont fait deux fois l’enfant de ma mère obstinée,
Ange qui sur trois fils attachés à ses pas
Épandait son amour et ne mesurait pas !
Ô l’amour d’une mère ! amour que nul n’oublie !
Pain merveilleux qu’un Dieu partage et multiplie !
Table toujours servie au paternel foyer !
Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier !
Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse
Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse,
Comment ce haut destin de gloire et de terreur
Qui remuait le monde aux pas de l’empereur,
Dans son souffle orageux m’emportant sans défense,
À tous les vents de l’air fit flotter mon enfance.
Car, lorsque l’aquilon bat ses flots palpitants,
L’océan convulsif tourmente en même temps
Le navire à trois ponts qui tonne avec l’orage,
Et la feuille échappée aux arbres du rivage !
Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé,
J’ai plus d’un souvenir profondément gravé,
Et l’on peut distinguer bien des choses passées
Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées.
Certes, plus d’un vieillard sans flamme et sans cheveux,
Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux,
Pâlirait s’il voyait, comme un gouffre dans l’onde,
Mon âme où ma pensée habite comme un monde,
Tout ce que j’ai souffert, tout ce que j’ai tenté,
Tout ce qui m’a menti comme un fruit avorté,
Mon plus beau temps passé sans espoir qu’il renaisse,
Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse,
Et quoiqu’encore à l’âge où l’avenir sourit,
Le livre de mon cœur à toute page écrit !
Si parfois de mon sein s’envolent mes pensées,
Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ;
S’il me plaît de cacher l’amour et la douleur
Dans le coin d’un roman ironique et railleur ;
Si j’ébranle la scène avec ma fantaisie ;
Si j’entre-choque aux yeux d’une foule choisie
D’autres hommes comme eux, vivant tous à la fois
De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ;
Si ma tête, fournaise où mon esprit s’allume,
Jette le vers d’airain qui bouillonne et qui fume
Dans le rhythme profond, moule mystérieux
D’où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ;
C’est que l’amour, la tombe, et la gloire, et la vie,
L’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie,
Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,
Fait reluire et vibrer mon âme de cristal,
Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore
Mit au centre de tout comme un écho sonore !
D’ailleurs j’ai purement passé les jours mauvais,
Et je sais d’où je viens, si j’ignore où je vais.
L’orage des partis avec son vent de flamme
Sans en altérer l’onde a remué mon âme.
Rien d’immonde en mon cœur, pas de limon impur
Qui n’attendît qu’un vent pour en troubler l’azur !
Après avoir chanté, j’écoute et je contemple,
À l’empereur tombé dressant dans l’ombre un temple,
Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs,
Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ;
Fidèle enfin au sang qu’ont versé dans ma veine
Mon père, vieux soldat, ma mère, vendéenne !
23 juin 1830.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Célébration du 14 juillet dans la forêt Qu’il est joyeux aujourd’hui,
Le chêne aux rameaux sans nombre,
Mystérieux point d’appui
De toute la forêt sombre !
Comme quand nous triomphons,
Il frémit, l’arbre civique ;
Il répand à plis profonds
Sa grande ombre magnifique.
D’où lui vient cette gaîté ?
D’où vient qu’il vibre et se dresse,
Et semble faire à l’été
Une plus fière caresse ?
C’est le quatorze juillet.
À pareil jour, sur la terre
La liberté s’éveillait
Et riait dans le tonnerre.
Peuple, à pareil jour râlait
Le passé, ce noir pirate ;
Paris prenait au collet
La Bastille scélérate.
À pareil jour, un décret
Chassait la nuit de la France,
Et l’infini s’éclairait
Du côté de l’espérance.
Tous les ans, à pareil jour,
Le chêne au Dieu qui nous crée
Envoie un frisson d’amour.
Et rit à l’aube sacrée.
Il se souvient, tout joyeux,
Comme on lui prenait ses branches !
L’âme humaine dans les cieux,
Fière, ouvrait ses ailes blanches.
Car le vieux chêne est gaulois ;
Il hait la nuit et le cloître ;
Il ne sait pas d’autres lois
Que d’être grand et de croître.
Il est grec, il est romain ;
Sa cime monte, âpre et noire,
Au-dessus du genre humain
Dans une lueur de gloire.
Sa feuille, chère aux soldats,
Va, sans peur et sans reproche,
Du front d’Épaminondas
À l’uniforme de Hoche.
Il est le vieillard des bois ;
Il a, richesse de l’âge,
Dans sa racine Autrefois,
Et Demain dans son feuillage.
Les rayons, les vents, les eaux,
Tremblent dans toutes ses fibres ;
Comme il a besoin d’oiseaux,
Il aime les peuples libres.
C’est son jour. Il est content.
C’est l’immense anniversaire.
Paris était haletant,
La lumière était sincère.
Au loin roulait le tambour… —
Jour béni ! jour populaire,
Où l’on vit un chant d’amour
Sortir d’un cri de colère !
Il tressaille, aux vents bercé,
Colosse où dans l’ombre austère
L’avenir et le passé
Mêlent leur double mystère.
Les éclipses, s’il en est,
Ce vieux naïf les ignore.
Il sait que tout ce qui naît,
L’œuf muet, le vent sonore,
Le nid rempli de bonheur,
La fleur sortant des décombres,
Est la parole d’honneur
Que Dieu donne aux vivants sombres.
Il sait, calme et souriant,
Sérénité formidable !
Qu’un peuple est un orient,
Et que l’astre est imperdable.
Il me salue en passant,
L’arbre auguste et centenaire ;
Et dans le bois innocent
Qui chante et que je vénère,
Étalant mille couleurs,
Autour du chêne superbe
Toutes les petites fleurs
Font leur toilette dans l’herbe.
L’aurore aux pavots dormants
Verse sa coupe enchantée ;
Le lys met ses diamants ;
La rose est décolletée.
Par-dessus les thyms fleuris
La violette regarde ;
Un encens sort de l’iris ;
L’œillet semble une cocarde.
Aux chenilles de velours
Le jasmin tend ses aiguières ;
L’arum conte ses amours,
Et la garance ses guerres.
Le moineau franc, gai, taquin,
Dans le houx qui se pavoise,
D’un refrain républicain
Orne sa chanson grivoise.
L’ajonc rit près du chemin ;
Tous les buissons des ravines
Ont leur bouquet à la main ;
L’air est plein de voix divines.
Et ce doux monde charmant,
Heureux sous le ciel prospère,
Épanoui, dit gaîment :
C’est la fête du grand-père.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Guerre civile La foule était tragique et terrible ; on criait :
À mort ! Autour d’un homme altier, point inquiet,
Grave, et qui paraissait lui-même inexorable,
Le peuple se pressait : À mort le misérable !
Et lui, semblait trouver toute simple la mort.
La partie est perdue, on n’est pas le plus fort,
On meurt, soit. Au milieu de la foule accourue,
Les vainqueurs le traînaient de chez lui dans la rue.
— À mort l’homme ! — On l’avait saisi dans son logis ;
Ses vêtements étaient de carnage rougis ;
Cet homme était de ceux qui font l’aveugle guerre
Des rois contre le peuple, et ne distinguent guère
Scévola de Brutus, ni Barbès de Blanqui ;
Il avait tout le jour tué n’importe qui ;
Incapable de craindre, incapable d’absoudre,
Il marchait, laissant voir ses mains noires de poudre ;
Une femme le prit au collet : « À genoux !
C’est un sergent de ville. Il a tiré sur nous !
— C’est vrai, dit l’homme. — À bas ! à mort ! qu’on le fusille !
Dit le peuple. — Ici ! Non ! Plus loin ! À la Bastille !
À l’arsenal ! Allons ! Viens ! Marche ! — Où vous voudrez »,
Dit le prisonnier. Tous, hagards, les rangs serrés,
Chargèrent leurs fusils. « Mort au sergent de ville !
Tuons-le comme un loup ! — Et l’homme dit, tranquille :
— C’est bien, je suis le loup, mais vous êtes les chiens.
— Il nous insulte ! À mort ! » Les pâles citoyens
Croisaient leurs poings crispés sur le captif farouche ;
L’ombre était sur son front et le fiel dans sa bouche ;
Cent voix criaient : « À mort ! À bas ! Plus d’empereur ! »
On voyait dans ses yeux un reste de fureur
Remuer vaguement comme une hydre échouée ;
Il marchait poursuivi par l’énorme huée,
Et, calme, il enjambait, plein d’un superbe ennui,
Des cadavres gisants, peut-être faits par lui.
Le peuple est effrayant lorsqu’il devient tempête ;
L’homme sous plus d’affronts levait plus haut la tête ;
Il était plus que pris, il était envahi.
Dieu ! comme il haïssait ! comme il était haï !
Comme il les eût, vainqueur, fusillés tous ! « Qu’il meure !
Il nous criblait encor de balles tout à l’heure !
À bas cet espion, ce traître, ce maudit !
À mort ! c’est un brigand ! » Soudain on entendit
Une petite voix qui disait : « C’est mon père ! »
Et quelque chose fit l’effet d’une lumière.
Un enfant apparut. Un enfant de six ans.
Ses deux bras se dressaient suppliants, menaçants.
Tous criaient : « Fusillez le mouchard ! Qu’on l’assomme ! »
Et l’enfant se jeta dans les jambes de l’homme,
Et dit, ayant au front le rayon baptismal :
« Père, je ne veux pas qu’on te fasse de mal ! »
Et cet enfant sortait de la même demeure.
Les clameurs grossissaient : « À bas l’homme ! Qu’il meure !
À bas ! finissons-en avec cet assassin !
Mort ! » Au loin le canon répondait au tocsin.
Toute la rue était pleine d’hommes sinistres.
À bas les rois ! À bas les prêtres, les ministres,
Les mouchards ! Tuons tout ! c’est un tas de bandits ! »
Et l’enfant leur cria : « Mais puisque je vous dis
Que c’est mon père ! — Il est joli, dit une femme,
Bel enfant ! » On voyait dans ses yeux bleus une âme ;
Il était tout en pleurs, pâle, point mal vêtu.
Une autre femme dit : « Petit, quel âge as-tu ?
Et l’enfant répondit : — Ne tuez pas mon père ! »
Quelques regards pensifs étaient fixés à terre,
Les poings ne tenaient plus l’homme si durement.
Un de plus furieux, entre tous inclément,
Dit à l’enfant : « Va-t’en ! — Où ? — Chez toi. — Pourquoi faire ?
— Chez ta mère. — Sa mère est morte, dit le père.
— Il n’a donc plus que vous ? — Qu’est-ce que cela fait ? »
Dit le vaincu. Stoïque et calme, il réchauffait
Les deux petites mains dans sa rude poitrine,
Et disait à l’enfant : « Tu sais bien, Catherine ?
— Notre voisine ? — Oui. Va chez elle. — Avec toi ?
— J’irai plus tard. — Sans toi je ne veux pas. — Pourquoi ?
— Parce qu’on te ferait du mal. » Alors le père
Parla tout bas au chef de cette sombre guerre :
« Lâchez-moi le collet. Prenez-moi par la main,
Doucement. Je vais dire à l’enfant : À demain !
Vous me fusillerez au détour de la rue,
Ailleurs, où vous voudrez. — Et, d’une voix bourrue :
— Soit, dit le chef, lâchant le captif à moitié.
Le père dit : — Tu vois. C’est de bonne amitié.
Je me promène avec ces messieurs. Sois bien sage,
Rentre. » Et l’enfant tendit au père son visage,
Et s’en alla content, rassuré, sans effroi.
« Nous sommes à notre aise à présent, tuez-moi,
Dit le père aux vainqueurs ; où voulez-vous que j’aille ? »
Alors, dans cette foule où grondait la bataille,
On entendit passer un immense frisson,
Et le peuple cria : « Rentre dans ta maison ! »
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Les deux îles Dites-moi d’où il est venu, je vous dirai où il est allé.
E. H.
I
Il est deux îles dont un monde
Sépare les deux Océans,
Et qui de loin dominent l’onde,
Comme des têtes de géants.
On devine, en voyant leurs cimes,
Que Dieu les tira des abîmes
Pour un formidable dessein ;
Leur front de coups de foudre fume,
Sur leurs flancs nus la mer écume,
Des volcans grondent dans leur sein.
Ces îles, où le flot se broie
Entre des écueils décharnés,
Sont comme deux vaisseaux de proie,
D’une ancre éternelle enchaînés.
La main qui de ces noirs rivages
Disposa les sites sauvages,
Et d’effroi les voulut couvrir,
Les fit si terribles, peut-être,
Pour que Bonaparte y pût naître,
Et Napoléon y mourir !
« — Là fut son berceau ! — Là sa tombe ! »
Pour les siècles, c’en est assez.
Ces mots, qu’un monde naisse ou tombe,
Ne seront jamais effacés.
Sur ces îles à l’aspect sombre
Viendront, à l’appel de son ombre,
Tous les peuples de l’avenir ;
Les foudres qui frappent leurs crêtes,
Et leurs écueils, et leurs tempêtes,
Ne sont plus que son souvenir !
Loin de nos rives, ébranlées
Par les orages de son sort,
Sur ces deux îles isolées
Dieu mit sa naissance et sa mort ;
Afin qu’il pût venir au monde
Sans qu’une secousse profonde
Annonçât son premier moment ;
Et que sur son lit militaire,
Enfin, sans remuer la terre,
Il pût expirer doucement !
II
Comme il était rêveur au matin de son âge !
Comme il était pensif au terme du voyage !
C’est qu’il avait joui de son rêve insensé ;
Du trône et de la gloire il savait le mensonge ;
Il avait vu de près ce que c’est qu’un tel songe,
Et quel est le néant d’un avenir passé !
Enfant, des visions, dans la Corse, sa mère,
Lui révélaient déjà sa couronne éphémère,
Et l’aigle impérial planant sur son pavois ;
Il entendait d’avance, en sa superbe attente,
L’hymne qu’en toute langue, aux portes de sa tente,
Son peuple universel chantait tout d’une voix :
III
acclamation.
« Gloire à Napoléon ! gloire au maître suprême !
Dieu même a sur son front posé le diadème.
Du Nil au Borysthène il règne triomphant.
Les rois, fils de cent rois, s’inclinent quand il passe,
Et dans Rome il ne voit d’espace
Que pour le trône d’un enfant !
« Pour porter son tonnerre aux villes effrayées,
Ses aigles ont toujours les ailes déployées.
Il régit le conclave, il commande au divan.
Il mêle à ses drapeaux, de sang toujours humides,
Des croissants pris aux Pyramides,
Et la croix d’or du grand Ivan !
« Le mamelouk bronzé, le goth plein de vaillance,
Le polonais, qui porte une flamme à sa lance,
Prêtent leur force aveugle à ses ambitions.
Ils ont son vœu pour loi, pour foi sa renommée.
On voit marcher dans son armée
Tout un peuple de nations !
« Sa main, s’il touche un but où son orgueil aspire,
Fait à quelque soldat l’aumône d’un empire,
Ou fait veiller des rois au seuil de son palais,
Pour qu’il puisse, en quittant les combats ou les fêtes,
Dormir en paix dans ses conquêtes,
Comme un pêcheur sur ses filets !
« Il a bâti si haut son aire impériale,
Qu’il nous semble habiter cette sphère idéale
Où jamais on n’entend un orage éclater !
Ce n’est plus qu’à ses pieds que gronde la tempête ;
Il faudrait, pour frapper sa tête,
Que la foudre pût remonter ! »
IV
La foudre remonta ! — Renversé de son aire,
Il tomba, tout fumant de cent coups de tonnerre.
Les rois punirent leur tyran.
On l’exposa vivant sur un roc solitaire ;
Et le géant captif fut remis par la terre
À la garde de l’océan.
Oh ! comme à Sainte-Hélène il dédaignait sa vie,
Quand le soir il voyait, avec un œil d’envie,
Le soleil fuir sous l’horizon,
Et qu’il s’égarait seul sur le sable des grèves,
Jusqu’à ce qu’un anglais, l’arrachant de ses rêves,
Le ramenât dans sa prison !
Comme avec désespoir ce prince de la guerre
S’entendait accuser par tous ceux qui naguère
Divinisaient son bras vainqueur !
Car des peuples ligués la clameur solennelle
Répondait à la voix implacable, éternelle,
Qui se lamentait dans son cœur !
V
imprécation.
« Honte ! opprobre ! malheur ! anathème ! vengeance !
Que la terre et les cieux frappent d’intelligence !
Enfin nous avons vu le colosse crouler !
Que puissent retomber sur ses jours, sur sa cendre,
Tous les pleurs qu’il a fait répandre,
Tout le sang qu’il a fait couler !
« Qu’à son nom, du Volga, du Tibre, de la Seine,
Des murs de l’Alhambra, des fossés de Vincenne,
De Jaffa, du Kremlin qu’il brûla sans remords,
Des plaines du carnage et des champs de victoire,
Tonne, comme un écho de sa fatale gloire,
La malédiction des morts !
« Qu’il voie autour de lui se presser ses victimes !
Que tout ce peuple, en foule échappé des abîmes,
Innombrable, annonçant les secrets du cercueil,
Mutilé par le fer, sillonné par la foudre,
Heurtant confusément des os noircis de poudre,
Lui fasse un Josaphat de Sainte-Hélène en deuil !
« Qu’il vive pour mourir tous les jours, à toute heure !
Que le fier conquérant baisse les yeux, et pleure !
Sachant sa gloire à peine et riant de ses droits,
Des geôliers ont chargé d’une chaîne glacée
Cette main qui s’était lassée
À courber la tête des rois !
« Il crut que sa fortune, en victoires féconde,
Vaincrait le souvenir du peuple roi du monde ;
Mais Dieu vient, et d’un souffle éteint son noir flambeau,
Et ne laisse au rival de l’éternelle Rome
Que ce qu’il faut de place et de temps à tout homme
Pour se coucher dans le tombeau.
« Ces mers auront sa tombe, et l’oubli la devance.
En vain à Saint-Denis il fit parer d’avance
Un sépulcre de marbre et d’or étincelant ;
Le ciel n’a pas voulu que de royales ombres
Vissent, en revenant pleurer sous ces murs sombres,
Dormir dans leur tombeau son cadavre insolent ! »
VI
Qu’une coupe vidée est amère ! et qu’un rêve,
Commencé dans l’ivresse, avec terreur s’achève !
Jeune, on livre à l’espoir sa crédule raison ;
Mais on frémit plus tard, quand l’âme est assouvie,
Hélas ! et qu’on revoit sa vie
De l’autre bord de l’horizon !
Ainsi, quand vous passez au pied d’un mont sublime,
Longtemps en conquérant vous admirez sa cime,
Et ses pics, que jamais les ans n’humilieront,
Ses forêts, vert manteau qui pend aux rocs sauvages,
Et ces couronnes de nuages
Qui s’amoncellent sur son front !
Montez donc, et tentez ces zones inconnues ! —
Vous croyiez fuir aux cieux… vous vous perdez aux nues !
Le mont change à vos yeux d’aspect et de tableaux ;
C’est un gouffre, obscurci de sapins centenaires,
Où les torrents et les tonnerres
Croisent des éclairs et des flots !
VII
Voilà l’image de la gloire :
D’abord, un prisme éblouissant,
Puis un miroir expiatoire,
Où la pourpre paraît du sang !
Tour à tour puissante, asservie,
Voilà quel double aspect sa vie
Offrit à ses âges divers.
Il faut à son nom deux histoires :
Jeune, il inventait ses victoires ;
Vieux, il méditait ses revers.
En Corse, à Saint-Hélène encore,
Dans les nuits d’hiver, le nocher,
Si quelque orageux météore
Brille au sommet d’un noir rocher,
Croit voir le sombre capitaine,
Projetant son ombre lointaine,
Immobile, croiser ses bras ;
Et dit que, pour dernière fête,
Il vient régner dans la tempête,
Comme il régnait dans les combats !
VIII
S’il perdit un empire, il aura deux patries,
De son seul souvenir illustres et flétries,
L’une aux mers d’Annibal, l’autre aux mers de Vasco ;
Et jamais, de ce siècle attestant la merveille,
On ne prononcera son nom, sans qu’il n’éveille
Aux bouts du monde un double écho !
Telles, quand une bombe ardente, meurtrière,
Décrit dans un ciel noir sa courbe incendiaire,
Se balance au-dessus des murs épouvantés,
Puis, comme un vautour chauve, à la serre cruelle,
Qui frappe en s’abattant la terre de son aile,
Tombe, et fouille à grand bruit le pavé des cités,
Longtemps après sa chute, on voit fumer encore
La bouche du mortier, large, noire et sonore,
D’où monta pour tomber le globe au vol pesant,
Et la place où la bombe, éclatée en mitrailles,
Mourut, en vomissant la mort de ses entrailles,
Et s’éteignit en embrasant !
Juillet 1825.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
L’expiation I
Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
Sombres jours! l’empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
On ne distinguait plus les ailes ni le centre.
Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre
Des chevaux morts; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons à leur poste gelés,
Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs,
Pleuvaient; les grenadiers, surpris d’être tremblants,
Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise.
Il neigeait, il neigeait toujours! La froide bise
Sifflait; sur le verglas, dans des lieux inconnus,
On n’avait pas de pain et l’on allait pieds nus.
Ce n’étaient plus des cœurs vivants, des gens de guerre:
C’était un rêve errant dans la brume, un mystère,
Une procession d’ombres sous le ciel noir.
La solitude vaste, épouvantable à voir,
Partout apparaissait, muette vengeresse.
Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse
Pour cette immense armée un immense linceul.
Et chacun se sentant mourir, on était seul.
– Sortira-t-on jamais de ce funeste empire?
Deux ennemis! le czar, le nord. Le nord est pire.
On jetait les canons pour brûler les affûts.
Qui se couchait, mourait. Groupe morne et confus,
Ils fuyaient; le désert dévorait le cortège.
On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige,
Voir que des régiments s’étaient endormis là.
Ô chutes d’Annibal! lendemains d’Attila!
Fuyards, blessés, mourants, caissons, brancards, civières,
On s’écrasait aux ponts pour passer les rivières,
On s’endormait dix mille, on se réveillait cent.
Ney, que suivait naguère une armée, à présent
S’évadait, disputant sa montre à trois cosaques.
Toutes les nuits, qui vive! alerte, assauts! attaques!
Ces fantômes prenaient leur fusil, et sur eux
Ils voyaient se ruer, effrayants, ténébreux,
Avec des cris pareils aux voix des vautours chauves,
D’horribles escadrons, tourbillons d’hommes fauves.
Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait.
L’empereur était là, debout, qui regardait.
Il était comme un arbre en proie à la cognée.
Sur ce géant, grandeur jusqu’alors épargnée,
Le malheur, bûcheron sinistre, était monté;
Et lui, chêne vivant, par la hache insulté,
Tressaillant sous le spectre aux lugubres revanches,
Il regardait tomber autour de lui ses branches.
Chefs, soldats, tous mouraient. Chacun avait son tour.
Tandis qu’environnant sa tente avec amour,
Voyant son ombre aller et venir sur la toile,
Ceux qui restaient, croyant toujours à son étoile,
Accusaient le destin de lèse-majesté,
Lui se sentit soudain dans l’âme épouvanté.
Stupéfait du désastre et ne sachant que croire,
L’empereur se tourna vers Dieu; l’homme de gloire
Trembla; Napoléon comprit qu’il expiait
Quelque chose peut-être, et, livide, inquiet,
Devant ses légions sur la neige semées:
«Est-ce le châtiment, dit-il. Dieu des armées?»
Alors il s’entendit appeler par son nom
Et quelqu’un qui parlait dans l’ombre lui dit: Non.
II
Waterloo! Waterloo! Waterloo! morne plaine!
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons.
D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France.
Choc sanglant! des héros Dieu trompait l’espérance;
Tu désertais, victoire, et le sort était las.
O Waterloo! je pleure et je m’arrête, hélas!
Car ces derniers soldats de la dernière guerre
Furent grands; ils avaient vaincu toute la terre,
Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
Et leur âme chantait dans les clairons d’airain!
Le soir tombait; la lutte était ardente et noire.
Il avait l’offensive et presque la victoire;
Il tenait Wellington acculé sur un bois.
Sa lunette à la main, il observait parfois
Le centre du combat, point obscur où tressaille
La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
Et parfois l’horizon, sombre comme la mer.
Soudain, joyeux, il dit: Grouchy! – C’était Blücher.
L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme,
La mêlée en hurlant grandit comme une flamme.
La batterie anglaise écrasa nos carrés.
La plaine, où frissonnaient les drapeaux déchirés,
Ne fut plus, dans les cris des mourants qu’on égorge,
Qu’un gouffre flamboyant, rouge comme une forge;
Gouffre où les régiments comme des pans de murs
Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs
Les hauts tambours-majors aux panaches énormes,
Où l’on entrevoyait des blessures difformes!
Carnage affreux! moment fatal! L’homme inquiet
Sentit que la bataille entre ses mains pliait.
Derrière un mamelon la garde était massée.
La garde, espoir suprême et suprême pensée!
«Allons! faites donner la garde!» cria-t-il.
Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil,
Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires,
Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres,
Portant le noir colback ou le casque poli,
Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli,
Comprenant qu’ils allaient mourir dans cette fête,
Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête.
Leur bouche, d’un seul cri, dit: vive l’empereur!
Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur,
Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,
La garde impériale entra dans la fournaise.
Hélas! Napoléon, sur sa garde penché,
Regardait, et, sitôt qu’ils avaient débouché
Sous les sombres canons crachant des jets de soufre,
Voyait, l’un après l’autre, en cet horrible gouffre,
Fondre ces régiments de granit et d’acier
Comme fond une cire au souffle d’un brasier.
Ils allaient, l’arme au bras, front haut, graves, stoïques.
Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques!
Le reste de l’armée hésitait sur leurs corps
Et regardait mourir la garde. – C’est alors
Qu’élevant tout à coup sa voix désespérée,
La Déroute, géante à la face effarée
Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
A de certains moments, spectre fait de fumées,
Se lève grandissante au milieu des armées,
La Déroute apparut au soldat qui s’émeut,
Et, se tordant les bras, cria: Sauve qui peut!
Sauve qui peut! – affront! horreur! – toutes les bouches
Criaient; à travers champs, fous, éperdus, farouches,
Comme si quelque souffle avait passé sur eux.
Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux,
Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles,
Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles,
Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil!
Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient! – En un clin d’œil,
Comme s’envole au vent une paille enflammée,
S’évanouit ce bruit qui fut la grande armée,
Et cette plaine, hélas, où l’on rêve aujourd’hui,
Vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui!
Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre,
Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire,
Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants,
Tremble encor d’avoir vu la fuite des géants!
Napoléon les vit s’écouler comme un fleuve;
Hommes, chevaux, tambours, drapeaux; – et dans l’épreuve
Sentant confusément revenir son remords,
Levant les mains au ciel, il dit: «Mes soldats morts,
Moi vaincu! mon empire est brisé comme verre.
Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère?»
Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon,
Il entendit la voix qui lui répondait: Non!
III
Il croula. Dieu changea la chaîne de l’Europe.
Il est, au fond des mers que la brume enveloppe,
Un roc hideux, débris des antiques volcans.
Le Destin prit des clous, un marteau, des carcans,
Saisit, pâle et vivant, ce voleur du tonnerre,
Et, joyeux, s’en alla sur le pic centenaire
Le clouer, excitant par son rire moqueur
Le vautour Angleterre à lui ronger le coeur.
Évanouissement d’une splendeur immense!
Du soleil qui se lève à la nuit qui commence,
Toujours l’isolement, l’abandon, la prison;
Un soldat rouge au seuil, la mer à l’horizon.
Des rochers nus, des bois affreux, l’ennui, l’espace,
Des voiles s’enfuyant comme l’espoir qui passe,
Toujours le bruit des flots, toujours le bruit des vents!
Adieu, tente de pourpre aux panaches mouvants,
Adieu, le cheval blanc que César éperonne!
Plus de tambours battant aux champs, plus de couronne,
Plus de rois prosternés dans l’ombre avec terreur,
Plus de manteau traînant sur eux, plus d’empereur!
Napoléon était retombé Bonaparte.
Comme un romain blessé par la flèche du parthe,
Saignant, morne, il songeait à Moscou qui brûla.
Un caporal anglais lui disait: halte-là!
Son fils aux mains des rois, sa femme au bras d’un autre!
Plus vil que le pourceau qui dans l’égout se vautre,
Son sénat, qui l’avait adoré, l’insultait.
Au bord des mers, à l’heure où la bise se tait,
Sur les escarpements croulant en noirs décombres,
Il marchait, seul, rêveur, captif des vagues sombres.
Sur les monts, sur les flots, sur les cieux, triste et fier,
L’oeil encore ébloui des batailles d’hier,
Il laissait sa pensée errer à l’aventure.
Grandeur, gloire, ô néant! calme de la nature!
Les aigles qui passaient ne le connaissaient pas.
Les rois, ses guichetiers, avaient pris un compas
Et l’avaient enfermé dans un cercle inflexible.
Il expirait. La mort de plus en plus visible
Se levait dans sa nuit et croissait à ses yeux,
Comme le froid matin d’un jour mystérieux.
Son âme palpitait, déjà presque échappée.
Un jour enfin il mit sur son lit son épée,
Et se coucha près d’elle, et dit: c’est aujourd’hui!
On jeta le manteau de Marengo sur lui.
Ses batailles du Nil, du Danube, du Tibre,
Se penchaient sur son front; il dit: Me voici libre!
Je suis vainqueur! je vois mes aigles accourir! –
Et, comme il retournait sa tête pour mourir,
Il aperçut, un pied dans la maison déserte,
Hudson Lowe guettant par la porte entr’ouverte.
Alors, géant broyé sous le talon des rois,
Il cria: La mesure est comble cette fois!
Seigneur! c’est maintenant fini! Dieu que j’implore,
Vous m’avez châtié! – La voix dit: – Pas encore!
IV
Ô noirs événements, vous fuyez dans la nuit!
L’empereur mort tomba sur l’empire détruit.
Napoléon alla s’endormir sous le saule.
Et les peuples alors, de l’un à l’autre pôle,
Oubliant le tyran, s’éprirent du héros.
Les poètes, marquant au front les rois bourreaux,
Consolèrent, pensifs, cette gloire abattue.
À la colonne veuve on rendit sa statue.
Quand on levait les yeux, on le voyait debout
Au-dessus de Paris, serein, dominant tout,
Seul, le jour dans l’azur et la nuit dans les astres.
Panthéons, on grava son nom sur vos pilastres!
On ne regarda plus qu’un seul côté des temps,
On ne se souvint plus que des jours éclatants
Cet homme étrange avait comme enivré l’histoire
La justice à l’œil froid disparut sous sa gloire;
On ne vit plus qu’Eylau, Ulm, Arcole, Austerlitz;
Comme dans les tombeaux des romains abolis,
On se mit à fouiller dans ces grandes années
Et vous applaudissiez, nations inclinées,
Chaque fois qu’on tirait de ce sol souverain
Ou le consul de marbre ou l’empereur d’airain!
V
Le nom grandit quand l’homme tombe;
Jamais rien de tel n’avait lui.
Calme, il écoutait dans sa tombe
La terre qui parlait de lui.
La terre disait: «La victoire
A suivi cet homme en tous lieux.
Jamais tu n’as vu, sombre histoire,
Un passant plus prodigieux!
» Gloire au maître qui dort sous l’herbe!
Gloire à ce grand audacieux!
Nous l’avons vu gravir, superbe,
Les premiers échelons des cieux!
» Il envoyait, âme acharnée,
Prenant Moscou, prenant Madrid,
Lutter contre la destinée
Tous les rêves de son esprit.
» À chaque instant, rentrant en lice,
Cet homme aux gigantesques pas
Proposait quelque grand caprice
À Dieu, qui n’y consentait pas.
» Il n’était presque plus un homme.
Il disait, grave et rayonnant,
En regardant fixement Rome
C’est moi qui règne maintenant!
» Il voulait, héros et symbole,
Pontife et roi, phare et volcan,
Faire du Louvre un Capitole
Et de Saint-Cloud un Vatican.
» César, il eût dit à Pompée:
‹ Sois fier d’être mon lieutenant!›
On voyait luire son épée
Au fond d’un nuage tonnant.
» Il voulait, dans les frénésies
De ses vastes ambitions,
Faire devant ses fantaisies
Agenouiller les nations,
» Ainsi qu’en une urne profonde,
Mêler races, langues, esprits,
Répandre Paris sur le monde,
Enfermer le monde en Paris!
» Comme Cyrus dans Babylone,
Il voulait sous sa large main
Ne faire du monde qu’un trône
Et qu’un peuple du genre humain,
» Et bâtir, malgré les huées,
Un tel empire sous son nom,
Que Jéhovah dans les nuées
Fût jaloux de Napoléon!»
VI
Enfin, mort triomphant, il vit sa délivrance,
Et l’océan rendit son cercueil à la France.
L’homme, depuis douze ans, sous le dôme doré
Reposait, par l’exil et par la mort sacré.
En paix! – Quand on passait près du monument sombre,
On se le figurait, couronne au front, dans l’ombre,
Dans son manteau semé d’abeilles d’or, muet,
Couché sous cette voûte où rien ne remuait,
Lui, l’homme qui trouvait la terre trop étroite,
Le sceptre en sa main gauche et l’épée en sa droite,
À ses pieds son grand aigle ouvrant l’œil à demi,
Et l’on disait: C’est là qu’est César endormi!
Laissant dans la clarté marcher l’immense ville,
Il dormait; il dormait confiant et tranquille.
VII
Une nuit, – c’est toujours la nuit dans le tombeau, –
Il s’éveilla. Luisant comme un hideux flambeau,
D’étranges visions emplissaient sa paupière;
Des rires éclataient sous son plafond de pierre;
Livide, il se dressa; la vision grandit;
Ô terreur! une voix qu’il reconnut, lui dit:
– Réveille-toi. Moscou, Waterloo, Sainte-Hélène,
L’exil, les rois geôliers, l’Angleterre hautaine
Sur ton lit accoudée à ton dernier moment,
Sire, cela n’est rien. Voici le châtiment:
La voix alors devint âpre, amère, stridente,
Comme le noir sarcasme et l’ironie ardente;
C’était le rire amer mordant un demi-dieu.
– Sire! on t’a retiré de ton Panthéon bleu!
Sire! on t’a descendu de ta haute colonne!
Regarde. Des brigands, dont l’essaim tourbillonne,
D’affreux bohémiens, des vainqueurs de charnier
Te tiennent dans leurs mains et t’ont fait prisonnier.
À ton orteil d’airain leur patte infâme touche.
Ils t’ont pris. Tu mourus, comme un astre se couche,
Napoléon le Grand, empereur; tu renais
Bonaparte, écuyer du cirque Beauharnais.
Te voilà dans leurs rangs, on t’a, l’on te harnache.
Ils t’appellent tout haut grand homme, entre eux, ganache.
Ils traînent, sur Paris qui les voit s’étaler,
Des sabres qu’au besoin ils sauraient avaler.
Aux passants attroupés devant leur habitacle,
Ils disent, entends-les: – Empire à grand spectacle!
Le pape est engagé dans la troupe; c’est bien,
Nous avons mieux; le czar en est mais ce n’est rien,
Le czar n’est qu’un sergent, le pape n’est qu’un bonze
Nous avons avec nous le bonhomme de bronze!
Nous sommes les neveux du grand Napoléon! –
Et Fould, Magnan, Rouher, Parieu caméléon,
Font rage. Ils vont montrant un sénat d’automates.
Ils ont pris de la paille au fond des casemates
Pour empailler ton aigle, ô vainqueur d’Iéna!
Il est là, mort, gisant, lui qui si haut plana,
Et du champ de bataille il tombe au champ de foire.
Sire, de ton vieux trône ils recousent la moire.
Ayant dévalisé la France au coin d’un bois,
Ils ont à leurs haillons du sang, comme tu vois,
Et dans son bénitier Sibour lave leur linge.
Toi, lion, tu les suis; leur maître, c’est le singe.
Ton nom leur sert de lit, Napoléon premier.
On voit sur Austerlitz un peu de leur fumier.
Ta gloire est un gros vin dont leur honte se grise.
Cartouche essaie et met ta redingote grise
On quête des liards dans le petit chapeau
Pour tapis sur la table ils ont mis ton drapeau.
À cette table immonde où le grec devient riche,
Avec le paysan on boit, on joue, on triche;
Tu te mêles, compère, à ce tripot hardi,
Et ta main qui tenait l’étendard de Lodi,
Cette main qui portait la foudre, ô Bonaparte,
Aide à piper les dés et fait sauter la carte.
Ils te forcent à boire avec eux, et Carlier
Pousse amicalement d’un coude familier
Votre majesté, sire, et Piétri dans son antre
Vous tutoie, et Maupas vous tape sur le ventre.
Faussaires, meurtriers, escrocs, forbans, voleurs,
Ils savent qu’ils auront, comme toi, des malheurs
Leur soif en attendant vide la coupe pleine
À ta santé; Poissy trinque avec Sainte-Hélène.
Regarde! bals, sabbats, fêtes matin et soir.
La foule au bruit qu’ils font se culbute pour voir;
Debout sur le tréteau qu’assiège une cohue
Qui rit, bâille, applaudit, tempête, siffle, hue,
Entouré de pasquins agitant leur grelot,
– Commencer par Homère et finir par Callot!
Épopée! épopée! oh! quel dernier chapitre! –
Entre Troplong paillasse et Chaix-d’Est-Ange pitre,
Devant cette baraque, abject et vil bazar
Où Mandrin mal lavé se déguise en César,
Riant, l’affreux bandit, dans sa moustache épaisse,
Toi, spectre impérial, tu bats la grosse caisse! –
L’horrible vision s’éteignit. L’empereur,
Désespéré, poussa dans l’ombre un cri d’horreur,
Baissant les yeux, dressant ses mains épouvantées.
Les Victoires de marbre à la porte sculptées,
Fantômes blancs debout hors du sépulcre obscur,
Se faisaient du doigt signe, et, s’appuyant au mur,
Écoutaient le titan pleurer dans les ténèbres.
Et lui, cria: «Démon aux visions funèbres,
Toi qui me suis partout, que jamais je ne vois,
Qui donc es-tu? – Je suis ton crime», dit la voix.
La tombe alors s’emplit d’une lumière étrange
Semblable à la clarté de Dieu quand il se venge
Pareils aux mots que vit resplendir Balthazar,
Deux mots dans l’ombre écrits flamboyaient sur César;
Bonaparte, tremblant comme un enfant sans mère,
Leva sa face pâle et lut: – Dix huit Brumaire!
25-30 novembre. Jersey.
il y a 9 mois
Voltaire
@voltaire
Les souhaits Il n’est mortel qui ne forme des voeux :
L’un de Voisin convoite la puissance ;
L’autre voudrait engloutir la finance
Qu’accumula le beau-père d’Évreux.
Vers les quinze ans, un mignon de couchette
Demande à Dieu ce visage imposteur,
Minois friand, cuisse ronde et douillette
Du beau de Gesvre, ami du promoteur.
Roy versifie, et veut suivre Pindare ;
Du Bousset chante, et veut passer Lambert.
En de tels voeux mon esprit ne s’égare :
Je ne demande au grand dieu Jupiter
Que l’estomac du marquis de La Fare,
Et les c…ons de monsieur d’Aremberg.
il y a 9 mois
Voltaire
@voltaire
Sur le louvre Monument imparfait de ce siècle vanté
Qui sur tous les beaux-arts a fondé sa mémoire,
Vous verrai-je toujours, en attestant sa gloire,
Faire un juste reproche à sa postérité ?
Faut-il que l’on s’indigne alors qu’on vous admire,
Et que les nations qui veulent nous braver,
Fières de nos défauts, soient en droit de nous dire
Que nous commençons tout, pour ne rien achever ?
Mais, ô nouvel affront ! quelle coupable audace
Vient encore avilir ce chef d’œuvre divin ?
Quel sujet entreprend d’occuper une place
Faite pour admirer les traits du souverain !
Louvre, palais pompeux dont la France s’honore,
Sois digne de Louis, ton maître et ton appui ;
Sors de l’état honteux où l’univers t’abhorre,
Et dans tout ton éclat montre-toi comme lui.
il y a 9 mois
Walt Whitman
@waltWhitman
J’entends chanter l'Amérique J’entends chanter l’Amérique, j’ai dans l’oreille la variété des chants,
Le chant des ouvriers, chacun chante le sien comme il se doit, joyeux fort,
Le charpentier chante le sien cependant qu’il mesure la planche la poutre,
Le maçon chante le sien, il se prépare pour son travail ou il le quitte,
Le marinier chante le sien, le chant de ce qui est à lui dans sa barque, l’homme
de pont sur le pont du steamer chante le sien,
Le cordonnier chante le sien, assis à son établi, le chapelier le sien debout à sa
table,
Le chant du bûcheron, le chant du garçon laboureur qui s’en va dans le matin,
ou au repos le midi ou au coucher du soleil,
La délicieuse chanson de ta mère, la jeune femme à son travail, la jeune fille
qui lave ou bien qui coud,
Chacun chante ce qui lui appartient à lui ou à elle, à personne d’autre,
Le jour ce qui est au jour – la nuit l’équipe de jeunes compagnons, robustes,
amicaux,
Chantent la bouche ouverte leurs puissantes mélodies.
il y a 9 mois
Walt Whitman
@waltWhitman
Ô Capitaine! Mon Capitaine! Ô Capitaine ! mon Capitaine ! fini notre effrayant voyage,
Le bateau a tous écueils franchis, le prix que nous quêtions est gagné,
Proche est le port, j'entends les cloches, tout le monde qui exulte,
En suivant des yeux la ferme carène, l'audacieux et farouche navire ;
Mais ô cœur ! cœur ! cœur !
Oh ! les gouttes rouges qui lentement tombent
Sur le pont où gît mon Capitaine,
Étendu mort et glacé.
Ô Capitaine ! mon Capitaine ! lève-toi et entends les cloches !
Lève-toi – c'est pour toi le drapeau hissé – pour toi le clairon vibrant,
Pour toi bouquets et couronnes enrubannés – pour toi les rives noires de monde,
Toi qu'appelle leur masse mouvante aux faces ardentes tournées vers toi ;
Tiens, Capitaine ! père chéri !
Je passe mon bras sous ta tête !
C'est quelque rêve que sur le pont,
Tu es étendu mort et glacé.
Mon Capitaine ne répond pas, pâles et immobiles sont ses lèvres,
Mon père ne sent pas mon bras, il n'a ni pulsation ni vouloir,
Le bateau sain et sauf est à l'ancre, sa traversée conclue et finie,
De l'effrayant voyage le bateau rentre vainqueur, but gagné ;
Ô rives, Exultez, et sonnez, ô cloches !
Mais moi d'un pas accablé,
Je foule le pont où gît mon Capitaine,
Étendu mort et glacé.
il y a 9 mois
W
William Chapman
@williamChapman
Debout, Canadiens-Français! Nous sommes des fils de guerriers,
Et nos pères, pleins de vaillance,
Vinrent au bord d’un fleuve immense
Planter leurs étendards altiers.
Durant un siècle, sur nos plages
Ces lutteurs au bras redouté
Pour la France et la chrétienté
Déployèrent tous les courages.
Debout, Canadiens-français!
Luttons comme ont lutté nos pères!
Au milieu de races prospères,
Déroulons au vent du Progrès,
Qui souffle à travers les forêts,
Nos vieilles et saintes bannières!
Luttons comme ont lutté nos pères!
Debout, Canadiens-français!
Forts d’une foi que rien n’émeut,
Comme les Croisés, leurs ancêtres,
Ces preux, marins, soldats et prêtres,
Partout répétaient : « Dieu le veut »!
Jusqu’aux glaçons géants du Pôle,
De l’Équateur au Groenland,
Ils dirent, dans leur noble élan,
Les refrains bénis de la Gaule.
Debout, Canadiens-français!
Ils furent grands dans le danger,
Ils furent beaux dans les batailles.
Mais, hélas! la cour de Versailles
Céda leurs bords à l’étranger.
Orgueilleux, malgré la conquête,
Ces hommes au cœur de lion
Sous la bannière d’Albion
Ne courbèrent jamais la tête.
Debout, Canadiens-français!
Fidèles aux maîtres nouveaux,
Et toujours pleins d’ardeurs guerrières,
Pour chasser l’Aigle des frontières,
Nous avons suivi leurs drapeaux.
Des conscrits, altérés de gloire,
Vainquirent un peuple aguerri;
Et le nom de Salaberry
Luit comme un soleil dans l’Histoire.
Debout, Canadiens-français!
Le sang ne rougit plus nos prés;
L’astre du Travail y flamboie,
Et sur tous nos foyers en joie
La Paix répand ses fruits dorés.
L’Espoir de ses rayons inonde
Tous les cœurs et tous les cerveaux.
Demain nous serons les rivaux
Des grands peuples de l’ancien monde.
Debout, Canadiens-français!
il y a 9 mois
Y
Yvan Goll
@yvanGoll
Requiem pour les morts de l’Europe La bataille aux cent têtes, la bataille aux mille noms, la bataille qui dure des jours, des mois, des années, toujours la même bataille tournait, l’haleine fiévreuse, dans le cirque européen.
Buffle aux bosses de feu, elle se vautrait dans le pré des plaines. Forêts dans les cornes, pavots dans le poil hirsute, boue, nuages et mort dans son grand œil étonné.
Dans les fleuves elle semblait se noyer. Se ficher en terre sous les fjords. S’asphyxier dans les marécages.
La bataille en titubant gagna la haute montagne. Les mortiers éructèrent. Des glaciers se fendirent. Des gorges s’ouvrirent à leur hurlement. Les sommets, aiguilles de verre, volèrent en éclats.
Par-dessus le col de minuit, elle franchit le porche du sud. Roula vers la vallée dans les bois de myrtes et les vignes. Du cœur des fuyards elle pressait un vin pétillant et âcre. Elle flairait la chair rose.
Son sabot dur brilla jusqu’au rivage, où l’océan l’attirait. Une citadelle fumante émergea.
Dreadnoughts et croiseurs se balancèrent, une caravane de chevaux de Troie bascula.
Imprévus, des serpents-torpilles fusèrent à travers les vagues. Des navires soudain gémirent et sombrèrent comme des éclairs dans la forêt des coraux.
Chaque heure mouraient mille hommes de plus.
Partout un jeune soldat ensevelissait ses blessures dans la terre, comme s’il avait honte de mourir d’une mort si laide.
Partout un jeune matelot, un cri rouge dans la bouche, embrassait le monde en agonie et s’enfonçait avec lui dans la mort.
Chaque heure éteignait le soleil mille fois et se refroidissait dans les cœurs noirs.
Cependant, très loin, au pays, les sœurs et les fiancées tressaillaient dans leur sommeil et entendaient le corbeau de la mort rôder à leur chevet.
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