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Patrie

115 poésies en cours de vérification
Patrie

Poésies de la collection patrie

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    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Ma lointaine aïeule Par un temps de demoiselle, Sur la frêle caravelle, Mon aïeule maternelle, Pour l’autre côté de l’Eau, Prit la mer à Saint-Malo. Son chapelet dans sa poche, Quelques sous dans la sacoche, Elle arrivait, par le coche, Sans parure et sans bijou, D’un petit bourg de l’Anjou. Devant l’autel de la Vierge, Ayant fait brûler le cierge Que la Chandeleur asperge, Sans que le coeur lui manquât, La terrienne s’embarqua. Femme de par Dieu voulue, Par le Roy première élue, Au couchant, elle salue Ce lointain mystérieux, Qui n’est plus terre ni cieux. Et tandis que son oeil plonge Dans l’azur vague, elle songe Au bon ami de Saintonge, Qui, depuis un siècle, attend La blonde qu’il aime tant. De la patrie angevine, Où la menthe et l’aubépine Embaument val et colline, La promise emporte un brin De l’amoureux romarin. Par un temps de demoiselle, Un matin dans la chapelle, Sous le poêle de dentelle, Au balustre des époux, On vit le couple à genoux. Depuis cent et cent années, Sur la tige des lignées, Aux branches nouvelles nées, Fleurit, comme au premier jour, Fleur de France, fleur d’amour. Ô mon coeur, jamais n’oublie Le cher lien qui te lie, Par-dessus la mer jolie, Aux bons pays, aux doux lieux, D’où sont venus les Aïeux.

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    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Mère glorieuse Viens entre les bras de ta mère, Viens, tes beaux grands yeux dans les siens, À son épaule, à ta manière, Nouer tes doigts de rose. Viens! Viens! Que ta bouche sur sa bouche Dépose un baiser triomphant: Que l’âme de ta mère touche À ta divine âme d’enfant. Son coeur est glorieux d’entendre Ton coeur de française, ton coeur, Dans une poitrine si tendre, Battre d’un rythme aussi vainqueur. Son corps frémit de fibre en fibre, Et vibre, à chaque battement, Comme à la moindre touche, vibre Un harmonieux instrument. Prophétesse de ton aurore, Ta mère sait ce qu’elle sent, Dans le bruissement sonore, Dans l’allégresse de ton sang. Coeur de son coeur, tu lui fais croire À la richesse du Seigneur Qui lui donne une telle gloire, Et lui promet un tel bonheur. Coeur de son coeur, que ta pensée, Radieuse, vibre toujours, Idéalement cadencée, À l’unisson de ses amours. Accomplis tout ce que réclame La noblesse de tes aïeux, Pour être, ici-bas, grande dame, Et, grande sainte, dans les cieux.

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    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Notre terre Terre, dont les âpres rivages Et les promontoires géants Refoulent les vagues sauvages Que soulèvent deux océans ; Terre qui, chaque avril, émerges, Toute radieuse, à travers La cendre de tes forêts vierges Et la neige de tes hivers ; Terre richement variée De verdure et de floraisons, Que le Seigneur a mariée Au Soleil des quatre saisons ; Reine des terres boréales, Qui, sans mesure, donnes l’or, L’or et l’argent des céréales, Sans épuiser son grand trésor ; Terre qui, d’un prime amour veuve, N’a cessé de donner le sein Au peuple, qui de toute épreuve, Échappa toujours, sauf et sain ; Terre de la persévérance, Terre de la fidélité, Vivace comme l’espérance, Sereine comme un ciel d’été ; Terre dont la race évolue En nombre, en verdeur, en beauté, Notre Terre, je te salue, Avec amour, avec fierté !

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    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Patrie intime Je veux vivre seul avec toi Les jours de la vie âpre et douce, Dans l'assurance de la Foi, Jusqu'à la suprême secousse. Je me suis fait une raison De me plier à la mesure Du petit cercle d'horizon Qu'un coin de ciel natal azure. Mon rêve n'ai jamais quitté Le cloître obscur de la demeure Où, dans le devoir, j'ai goûté Toute la paix intérieure. Et mon amour le plus pieux, Et ma fête la plus fleurie, Est d'avoir toujours sous les yeux Le visage de ma patrie. Patrie intime de ma foi, Dans une immuable assurance, Je veux vivre encore avec toi, Jusqu'au soir de mon espérance.

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    N

    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Québec Comme un factionnaire immobile au port d’arme, Dans ces murs où l’on croit ouïr se prolonger Le grave écho lointain d’un qui vive d’alarme, À ses gloires Québec semble encore songer. L’humble paix pastorale a replié son aile Sur l’âpre terre où gît le sombre camp des morts : Du bugle ensanglanté, la plaine solennelle N’entend plus retentir les tragiques accords. Au flanc de la redoute, aux poternes ouvertes, Aux créneaux de la tour, aux brèches des remparts, La mousse dont l’avril a teint les franges vertes, Suspend ses verts pavois et ses verts étendards. Au port ne viendront plus mouiller les caravelles. Qu’importe ? contre toute espérance, on attend. On attend qu’on nous fasse assavoir des nouvelles Des bourgs d’où sont venus les purs Français d’antan. Hanté du souvenir qui le tient en tristesse, De par delà les mers, du lointain, de là-bas. L’ancien logis qu’enchante une immortelle hôtesse, De jours en jours attend quelqu’un qui ne vient pas. Souventes fois, la nuit, comme aux jours des grands sièges, Vibrent d’étranges sons de cors et de tambours : Et, souvent, l’on a cru voir de pompeux cortèges Défiler, radieux, sous l’ombre des faubourgs. Une garde fantôme, une ronde macabre, Passe, marchant à pas sonore et régulier, Et l’on entend tinter des cliquetis de sabre Sur les marches de bois du gothique escalier. Ô Québec, reste fier, reste haut sur la rampe Que dore le passé. Pour nous hausser le coeur, Pour brandir fièrement les couleurs de ta hampe, Sois-tu toujours debout, soit-tu toujours vainqueur ! Tant que les doux rivaux du divin Crémazie, Inclinés sous le vol d’un lyrisme idéal, Invoquant à genoux la sainte poésie, Chanteront à plein coeur l’hymne national : Tant que le pur accent d’une langue immortelle Vibrera dans l’ancien parler pur de chez nous ; Tant qu’un rayon d’amour luira dans la prunelle De la Canadienne aux clairs jolis yeux doux ! À plein ciel, sur les toits, sur les places publiques, Les hivers succédant aux hivers, neigeront. Les châsses où la France a serti ses reliques Sous leur rouille de gloire oncques ne périront. Aujourd’hui le coeur s’ouvre, et tout revit. Sur l’onde Dansent les rayons d’or du clair soleil pascal. Le roc s’ouvre. Qui vive ?… Il faut que l’on réponde, Sans peur, à haute voix : Frontenac et Laval.

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    Paol Keineg

    @paolKeineg

    Hommes liges des talus en transe Il pleut sur les coqs de bruyère Il pleut sur les constellations de bouleaux blancs Il pleut sur les charrues matinales barbouillées de terre glaise Il pleut sur le pain chaud au sortir des fours visités d'un gros feu tranquille Il pleut sur le poitrail des chevaux rubiconds Il pleut à verse sur la pelouse des toits lacustres baignés de merles et de bouvreuils Il pleut sur les femmes obstinées à emplir les églises par l'entonnoir des porches Il pleut sur les planchers d'aiguilles de sapin sur l'escalier des mousses remuées de salamandres Il pleut sur le lac tranquille des âmes simples Il pleut sur les hommes lourds et muets Je m'éveille Et je m'assois sur les talus limpides Et je m'installe sur la fesse des montagnes de laine Et je compte Et je compte Las de l'exil J'approche de la table, le banc Et à la clarté des couteaux Je laisse plonger en moi les racines du pain lus loin que les matins de globules rouges Plus loin que le sang caillé des bruyères où rament les éperviers Plus loin que les lièvres blancs et gris et que les cheminées qui reprennent haleine Plus loin que les courts matins d'hiver qui voient passer dans l'œil des enfants la caresse des étangs sauvages Plus loin que les chevaux qui hennissent rouge au cœur des patries effilochées Plus loin que la végétation des colères inextricables qui lancent leurs lianes parmi les hommes en démolition Plus loin que les migraines veloutées qui grattent et qui mordent Plus loin que les aurores boréales brûlées de banquises à la rencontre des pays de rosée Plus loin que les destins limés à ras de rotule Plus loin que la braise flambante de l'œil LE SILENCE Le champ clos du silence La fermentation du silence Qui butte contre les vitres Hommes je vous parle d'un temps qui nous appartenait plus Mais d'un temps artésien qui sourd au moindre coup de pioche Je vous parle du temps où l'on bâtissait les forêts Du temps où chaque fleur recevait des hommes le sel du langage Du temps où cette terre était hantée d'un peuple solennel C'était du temps où l'homme était un frère pour l'homme Où les hommes se disaient bonjour du haut de leurs collines Où les hommes chaque matin saluaient le lait de la pluie J'ai compté La rose du ciel vert Les nasillements d'hirondelles à ras de cheminée Les impulsions d'aubes feuillues chez les hommes qui naissent à eux-mêmes La dépossession d'une patrie entière Et au bout de l'océan Les cocons de nuit La course droite des sangliers La plainte des moissons moisies tramées d'insectes vidés Au bout de l'océan Les campagnes fugueuses et les villages en quinconce débordant du fatras des moissons Au bout de l'océan Le poil humide des chevaux de cristal Le corail des lavoirs et des sources Les chiens roux lisses de sommeil Au bout de l'océan La machine des bocages explosifs Les gradins de l'aurore parmi les arbres craquants Au bout de l'océan Le rire des sauterelles Le maquis des congres et des lamproies La connaissance ininterrompue de la mort Au bout de l'océan L'établissement des hommes lucides Inventant une patrie délibérée Dressant sur les promontoires des villes de pierre des animaux de chair Au bout de l'océan Les reflets battus d'oiseaux rares Le sifflement de la vapeur dans les poumons et les poignets tendus Au bout de l'océan La confusion des paroles et des gestes La Visitation d'étranges bêtes brûlantes agitées de soubresauts La Visitation massive de boules de feu JE TE CRIE PAYS Pour tes éblouissements d'yeux dardés Pour tes contrebandes de chaleurs farouches Tes généalogies engluées Tes granits poreux et glacés Je te crie pays Pour tes fouillis de luzerne à fleur de peau Tes pur-sang purulents qui verdoient de sulfure Tes murs d'écurie écrasés par le coups de pied des chevaux Pour vous tous qui êtes moi Ou plus encore Vous tous qui êtes plus que moi Et je vous entends tourbillonner dans la dérive des silences giclés ET JE CRIE Suicides mauves Derrière les persiennes clauses Enfants rachitiques que l'on repousse du bout du pied Hommes qui traversez la vie comme on traverse un long tuyau humide Paysans coagulés tronc à tronc conduisant de la voix les ruées des troupeaux Soleils que l'on dirige à bout portant contre le cœur des chevaux J'ai vu mourir dans la nuit blonde Les enfants couleur de nacre et les filles brunes surgies du lait J'ai vu tomber par touffes l'ardoise des toits inertes J'ai vu proliférer les marécages aux lèvres des collines Il faisait un temps de flammes vertes Un temps de poussière d'acier Un temps d'yeux germés Et j'ai vu sous les portières du Ponant S'effriter les enfants pâles et dilatés Lourds héritages de fatigue D'espoirs séquestrés De forêts en gestation Chroniques blettes de chanteurs vibrant dans la lumière des branches Pays de paille grise Pays d'humidité redoublant de violence Pays d'attente et d'éboulis Je contemple ce pays bâti de côtes et de criques Cerné de climats douceâtres Traqué de tourbes révolues Outrepassé de tumeurs pâles et de pustules Où il n'y a pas de place pour le paysan seigneur des terres immobiles Pour le prolétaire en usine combattant les négoces et les engrenages féroces Soudain nous prend en route Le mal taillé en coin Le mal qui vrille et qui taraude Le mal qui fore et qui perfore Le mal qui force chaque pore Le mal mèche de tarière Le mal douleur de vilebrequin LE MAL DU PAYS NATAL Mes frères, mes frères Hommes brûlants plantés d'épines Hommes tranchants à l'écoute des séismographes Hommes de mon pays et d'ailleurs Buvez aux geysers de l'humanité Appareillez pour de grands hommes lourds de justice Rassemblez vos propos acérés depuis la pulsation des estuaires Jusqu'aux profondeurs de l'étable Hommes simples assis dans votre étable fermée Hommes empêtrés de tabous et d'interdits Je vous entends pourtant crépiter dans les flammes dévorantes de l'esprit Hommes liges des talus en transe et des villages abandonnés Hommes brodés urinant le long des fossés Hommes de vieilles candeurs célébrant des divinités aux joues roses et fanées Et vous aussi, hommes des villes collectionneurs de meubles et d'ustensiles Hommes émaciés pourrissant sur la muqueuse des villes étrangères Vous partagez nos démangeaisons de liberté Hommes puissants disputant la sérénité de l'orgue et des esplanades Hommes croustillants héritiers de toutes lèpres et de toutes famines Hommes trop humiliés les poings fermés de fureur Terrés dans le tanin de vos chairs meurtries Il n'y a pas de passé en Bretagne Seulement un imperceptible mouvement des lèvres Au détour de petites phrases anodines et friables Seulement un présent de grossières en justice Un avenir barré de violence et de poussière Il n'y a pas de passé en mon pays Sinon un bourdonnement d'hommes réfractaires Je revois les genêts sur l'urine sèche Les manoirs de quartz entourés de haies Mais je ne peux m'asseoir longtemps dans l'herbe Les déportations massives continuent Nous avons chaud à nos fleuves Nous avons chaud à nos relents d'alcool Nous sommes un peuple hauts fourneaux Un peuple coulé d'aubépine Nous ne capitulons pas Je m'arrête près des herses et des rouleaux Je mâche mes premières pousses de liberté J'ouvre l'éventail des champs labourés Et notre peuple accompli soudain des révolutions étincelantes à la face du monde Un peuple vaincu s'exerce au maniement des marées montantes Je les vois qui s'assemblent tous sur les places Bûcherons de l'aube arrimés aux cotres du soleil Défricheurs herbus et ruminants jetant les grappins dans un passé interdit Ecoliers ternes et appliqués établissant soudain des relations de cause à effet Ouvriers analogues s'éveillant avec lenteur au creux des faubourgs crispés Grappes de femmes lourdes enracinées dans la douleur des hommes Ouvriers en grève exigeant droit de regard et de pression sur les tubulures du pays Colleurs d'affiches, vendeurs de journaux, distributeurs de tracts, porteurs de pancartes Etudiants insolents et nerveux se dérobant avec véhémence Aux haleines fétides, aux visages craquelés Ecoliers rieurs éprouvant du pied le fragile équilibre de l'eau et du feu Syndicalistes vingt fois licenciés aux gestes robustes d'hommes mesurant l'éternité Paysans matraqués à bas de leur tracteur qui le soir sortent les livres précieux sur la table Vous êtes la Bretagne qui vient au feu Vous êtes la Bretagne qui s'ouvre aux vents du monde Aujourd'hui je vous le dis Nous allons procéder à des glissements de terrain Il y aura des sursauts de lumière dans le brouillard des solitudes Et l'angle des fenêtres écumera de fougères Alors, nous nous installerons dans l'odeur des charpentes et le soulèvement des toitures Pour des émeutes de tendresse Aujourd'hui je vous le dis Un peuple nouveau émerge lentement qui se ménage des moissons exemplaires Un peuple nouveau se dégage des siècles gluants Ce pays chloroformé Ce pays bruissant d'espoirs clandestins Rouvre les yeux sur les banlieues surmarines Que naissent en moi les pluies câlines Pour humecter les campagnes polychromes Que saignent les fougères fripées pour le plaisir des hommes qui tâtonnent Qu'éclatent les bouches captives de mon peuple enfanteur d'hirondelles Que se redressent les maisons arrachées à la matrice des frondaisons liquides Que s'éveille mon peuple aux quatre coins du monde matinal.

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    Rainer Maria Rilke

    Rainer Maria Rilke

    @rainerMariaRilke

    Comme tel qui parle de sa mère Comme tel qui parle de sa mère lui ressemble en parlant, ce pays ardent se désaltère en se souvenant infiniment. Tant que les épaules des collines rentrent sous le geste commençant de ce pur espace qui les rend à l'étonnement des origines.

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    La patrie Viens, ne marche pas seul dans un jaloux sentier, Mais suis les grands chemins que l'humanité foule ; Les hommes ne sont forts, bons et justes, qu'en foule Ils s'achèvent ensemble, aucun d'eux n'est entier. Malgré toi tous les morts t'ont fait leur héritier ; La patrie a jeté le plus fier dans son moule, Et son nom fait toujours monter comme une houle De la poitrine aux yeux l'enthousiasme altier ! Viens, il passe au'forum'un immense zéphyre ; Viens, l'héroïsme épars dans l'air qu'on y respire Secoue utilement les moroses langueurs. Laisse à travers ton luth souffler le vent des âmes, Et tes vers flotteront comme des oriflammes Et comme des tambours sonneront dans les cœurs.

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    S

    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    Le chemin de crève-coeur Un seul coeur ? Impossible Si c’est par lui qu’on souffre et que l’on est heureux. On dit : coeur douloureux, Coeur torturé, coeur en lambeaux – Puis : joyeux et léger comme un oiseau des Iles, Un coeur si grand, si lourd, si gros Qu’il n’y a plus de place Pour rien d’autre que lui dans notre corps humain. Puis évadé, baigné d’une grâce divine ? Un coeur si plein De tout le sang du monde et ne gardant la trace Que d’une cicatrice fine qui s’efface ? Impossible ! Il me faut plusieurs coeurs. Le même ne peut pas oublier dans la joie Tout ce qu’il a connu de détresse une fois – Une fois ou plusieurs, chaque fois pour toujours – Mon coeur se souviendrait qu’il fut un coeur trop lourd Et ne serait jamais un coeur neuf, sans patrie, Sans bagage à porter de vie en vie.

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    T

    Tahar Bekri

    @taharBekri

    Liban, ma Rose Noire Ils redoublent de férocité Et crient aux cèdres Nous sommes les seigneurs de la guerre Nous fermons la mer le ciel et la terre Et pissons sur vos prières Nous mangeons les collines et les montagnes Nous détournons les fleuves Volons les lacs les plateaux et les arbres De chiffres sans nom Nous remplissons vos cimetières Nous sommes les nouveaux aigles Nous aimons les ruines et les décombres Le sang des chevaux éventrés Les larmes des murs Les enfants sous les pierres Nous sommes les bâtisseurs de vos cauchemars Coupeurs de routes Coupeurs de ponts Démolisseurs d’aéroports Brûleurs de vos réserves La farine est notre ennemie Votre pain poudre pour notre canonnière Nous mettons l’air à genoux Le vent à feu et à sang Nous sommes les ravageurs de centrales hydrauliques L’eau c’est pour laver vos morts Nous sommes la nuit de votre détresse Destructeurs de centrales électriques Amis des chauves-souris La cécité guide nos cœurs Assoiffés de vos linceuls sans cercueils Nous sommes les rois de la lumière Nous tuerons la lune s’il le faut Pour disperser vos cendres Dans les trous de notre mémoire Nous prierons Dieu pour ouvrir son Enfer Croix et croissant pour nourrir nos brasiers Et nous ferons de vos frontières nos pissotières La bannière étoilée est notre chandelier Dans le ciel déchiré par nos mâchoires.

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    T

    Tahar Bekri

    @taharBekri

    Pays mêlé, Martinique Et l'île retenait son trou au diable Ses arbres à pain ses larmes Ses bananiers ses cannes à sucre ses flancs Ce flamboyant comme amant sur braise Pour consoler la pluie à verse soudaine Dans les bras du fleuve si rutilants L'acajou égrenait les siècles marrons Et le soleil ivre dédiait à la mer Ses chaînes ses blessures ses victoires La tête si lourde d'ombrages Les merles dans les manguiers perdaient Patience Le volcan disait aux cimes Brumeuses Soyez colères noires Ou amoureuses mères-courage.

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    T

    Thibault Desbordes

    @thibaultDesbordes

    Les pierres saillantes (III) Oh happy day Et les couchées nocturnes Sont remplies d’infections Environnantes Et mes amiantes Sont momifiées. Oh happy sun Sous dégorgeoir N’est qu’un long couloir Et pour un havre Jouissons-cadavres Oh caporal, Allons aux cathédrales Et la France vaincra Maréchal, vous voilà Bien fatigué De cette fin de l’été !

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    T

    Thomas Chaline

    @thomasChaline

    Dans le poulailler urbain Dans le poulailler urbain Le français râle et hurle pour rien Il insulte et frappe son prochain Le français ne comprend rien Il est nerveux et a perdu Les valeurs humaines répandues Jadis par les religions et les bons saints Le français a perdu la main Alors il s’étouffe et il s’enserre Dans sa routine, il désespère Il ne prend plus le temps pour lui Le français, peu à peu, se détruit

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    Théophile Gautier

    Théophile Gautier

    @theophileGautier

    Vieux de la vieille Par l’ennui chassé de ma chambre, J’errais le long du boulevard : IL faisait un temps de décembre, Vent froid, fine pluie et brouillard ; Et là je vis, spectacle étrange, Échappés du sombre séjour, Sous la bruine et dans la fange, Passer des spectres en plein jour. Pourtant c’est la nuit que les ombres, Par un clair de lune allemand, Dans les vieilles tours en décombres, Reviennent ordinairement ; C’est la nuit que les Elfes sortent Avec leur robe humide au bord, Et sous les nénuphars emportent Leur valseur de fatigue mort ; C’est la nuit qu’a lieu la revue Dans la ballade de Zedlitz, Où l’Empereur, ombre entrevue, Compte les ombres d’Austerlitz. Mais des spectres près du Gymnase, A deux pas des Variétés, Sans brume ou linceul qui les gaze, Des spectres mouillés et crottés ! Avec ses dents jaunes de tartre, Son crâne de mousse verdi, A Paris, boulevard Montmartre, Mob se montrant en plein midi ! La chose vaut qu’on la regarde : Trois fantômes de vieux grognards, En uniformes de l’ex-garde, Avec deux ombres de hussards ! On eût dit la lithographie Où, dessinés par un rayon, Les morts, que Raffet déifie, Passent, criant : Napoléon ! Ce n’était pas les morts qu’éveille Le son du nocturne tambour, Mais bien quelques vieux de la vieille Qui célébraient le grand retour. Depuis la suprême bataille, L’un a maigri, l’autre a grossi ; L’habit jadis fait à leur taille, Est trop grand ou trop rétréci. Nobles lambeaux, défroque épique, Saints haillons, qu’étoile une croix, Dans leur ridicule héroïque Plus beaux que des manteaux de rois ! Un plumet énervé palpite Sur leur kolbach fauve et pelé ; Près des trous de balle, la mite A rongé leur dolman criblé ; Leur culotte de peau trop large Fait mille plis sur leur fémur ; Leur sabre rouillé, lourde charge, Creuse le sol et bat le mur ; Ou bien un embonpoint grotesque, Avec grand’peine boutonné, Fait un poussah, dont on rit presque, Du vieux héros tout chevronné. Ne les raillez pas, camarade ; Saluez plutôt chapeau bas Ces Achilles d’une Iliade Qu’Homère n’inventerait pas. Respectez leur tête chenue ! Sur leur front par vingt cieux bronzé, La cicatrice continue Le sillon que l’âge a creusé. Leur peau, bizarrement noircie, Dit l’Égypte aux soleils brûlants ; Et les neiges de la Russie Poudrent encor leurs cheveux blancs. Si leurs mains tremblent, c’est sans doute Du froid de la Bérésina ; Et s’ils boitent, c’est que la route Est longue du Caire à Wilna ; S’ils sont perclus, c’est qu’à la guerre Les drapeaux étaient leurs seuls draps ; Et si leur manche ne va guère, C’est qu’un boulet a pris leur bras. Ne nous moquons pas de ces hommes Qu’en riant le gamin poursuit ; Ils furent le jour dont nous sommes Le soir et peut-être la nuit. Quand on oublie, ils se souviennent ! Lancier rouge et grenadier bleu, Au pied de la colonne, ils viennent Comme à l’autel de leur seul dieu. Là, fiers de leur longue souffrance, Reconnaissants des maux subis, Ils sentent le coeur de la France Battre sous leurs pauvres habits. Aussi les pleurs trempent le rire En voyant ce saint carnaval, Cette mascarade d’empire Passer comme un matin de bal ; Et l’aigle de la grande armée Dans le ciel qu’emplit son essor, Du fond d’une gloire enflammée, Étend sur eux ses ailes d’or !

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Ce siècle avait deux ans Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, Et du premier consul, déjà, par maint endroit, Le front de l’empereur brisait le masque étroit. Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole, Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; Si débile qu’il fut, ainsi qu’une chimère, Abandonné de tous, excepté de sa mère, Et que son cou ployé comme un frêle roseau Fit faire en même temps sa bière et son berceau. Cet enfant que la vie effaçait de son livre, Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre, C’est moi. — Je vous dirai peut-être quelque jour Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d’amour, Prodigués pour ma vie en naissant condamnée, M’ont fait deux fois l’enfant de ma mère obstinée, Ange qui sur trois fils attachés à ses pas Épandait son amour et ne mesurait pas ! Ô l’amour d’une mère ! amour que nul n’oublie ! Pain merveilleux qu’un Dieu partage et multiplie ! Table toujours servie au paternel foyer ! Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier ! Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse, Comment ce haut destin de gloire et de terreur Qui remuait le monde aux pas de l’empereur, Dans son souffle orageux m’emportant sans défense, À tous les vents de l’air fit flotter mon enfance. Car, lorsque l’aquilon bat ses flots palpitants, L’océan convulsif tourmente en même temps Le navire à trois ponts qui tonne avec l’orage, Et la feuille échappée aux arbres du rivage ! Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé, J’ai plus d’un souvenir profondément gravé, Et l’on peut distinguer bien des choses passées Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées. Certes, plus d’un vieillard sans flamme et sans cheveux, Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux, Pâlirait s’il voyait, comme un gouffre dans l’onde, Mon âme où ma pensée habite comme un monde, Tout ce que j’ai souffert, tout ce que j’ai tenté, Tout ce qui m’a menti comme un fruit avorté, Mon plus beau temps passé sans espoir qu’il renaisse, Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse, Et quoiqu’encore à l’âge où l’avenir sourit, Le livre de mon cœur à toute page écrit ! Si parfois de mon sein s’envolent mes pensées, Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ; S’il me plaît de cacher l’amour et la douleur Dans le coin d’un roman ironique et railleur ; Si j’ébranle la scène avec ma fantaisie ; Si j’entre-choque aux yeux d’une foule choisie D’autres hommes comme eux, vivant tous à la fois De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ; Si ma tête, fournaise où mon esprit s’allume, Jette le vers d’airain qui bouillonne et qui fume Dans le rhythme profond, moule mystérieux D’où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ; C’est que l’amour, la tombe, et la gloire, et la vie, L’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie, Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore Mit au centre de tout comme un écho sonore ! D’ailleurs j’ai purement passé les jours mauvais, Et je sais d’où je viens, si j’ignore où je vais. L’orage des partis avec son vent de flamme Sans en altérer l’onde a remué mon âme. Rien d’immonde en mon cœur, pas de limon impur Qui n’attendît qu’un vent pour en troubler l’azur ! Après avoir chanté, j’écoute et je contemple, À l’empereur tombé dressant dans l’ombre un temple, Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs, Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ; Fidèle enfin au sang qu’ont versé dans ma veine Mon père, vieux soldat, ma mère, vendéenne ! 23 juin 1830.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

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    Célébration du 14 juillet dans la forêt Qu’il est joyeux aujourd’hui, Le chêne aux rameaux sans nombre, Mystérieux point d’appui De toute la forêt sombre ! Comme quand nous triomphons, Il frémit, l’arbre civique ; Il répand à plis profonds Sa grande ombre magnifique. D’où lui vient cette gaîté ? D’où vient qu’il vibre et se dresse, Et semble faire à l’été Une plus fière caresse ? C’est le quatorze juillet. À pareil jour, sur la terre La liberté s’éveillait Et riait dans le tonnerre. Peuple, à pareil jour râlait Le passé, ce noir pirate ; Paris prenait au collet La Bastille scélérate. À pareil jour, un décret Chassait la nuit de la France, Et l’infini s’éclairait Du côté de l’espérance. Tous les ans, à pareil jour, Le chêne au Dieu qui nous crée Envoie un frisson d’amour. Et rit à l’aube sacrée. Il se souvient, tout joyeux, Comme on lui prenait ses branches ! L’âme humaine dans les cieux, Fière, ouvrait ses ailes blanches. Car le vieux chêne est gaulois ; Il hait la nuit et le cloître ; Il ne sait pas d’autres lois Que d’être grand et de croître. Il est grec, il est romain ; Sa cime monte, âpre et noire, Au-dessus du genre humain Dans une lueur de gloire. Sa feuille, chère aux soldats, Va, sans peur et sans reproche, Du front d’Épaminondas À l’uniforme de Hoche. Il est le vieillard des bois ; Il a, richesse de l’âge, Dans sa racine Autrefois, Et Demain dans son feuillage. Les rayons, les vents, les eaux, Tremblent dans toutes ses fibres ; Comme il a besoin d’oiseaux, Il aime les peuples libres. C’est son jour. Il est content. C’est l’immense anniversaire. Paris était haletant, La lumière était sincère. Au loin roulait le tambour… — Jour béni ! jour populaire, Où l’on vit un chant d’amour Sortir d’un cri de colère ! Il tressaille, aux vents bercé, Colosse où dans l’ombre austère L’avenir et le passé Mêlent leur double mystère. Les éclipses, s’il en est, Ce vieux naïf les ignore. Il sait que tout ce qui naît, L’œuf muet, le vent sonore, Le nid rempli de bonheur, La fleur sortant des décombres, Est la parole d’honneur Que Dieu donne aux vivants sombres. Il sait, calme et souriant, Sérénité formidable ! Qu’un peuple est un orient, Et que l’astre est imperdable. Il me salue en passant, L’arbre auguste et centenaire ; Et dans le bois innocent Qui chante et que je vénère, Étalant mille couleurs, Autour du chêne superbe Toutes les petites fleurs Font leur toilette dans l’herbe. L’aurore aux pavots dormants Verse sa coupe enchantée ; Le lys met ses diamants ; La rose est décolletée. Par-dessus les thyms fleuris La violette regarde ; Un encens sort de l’iris ; L’œillet semble une cocarde. Aux chenilles de velours Le jasmin tend ses aiguières ; L’arum conte ses amours, Et la garance ses guerres. Le moineau franc, gai, taquin, Dans le houx qui se pavoise, D’un refrain républicain Orne sa chanson grivoise. L’ajonc rit près du chemin ; Tous les buissons des ravines Ont leur bouquet à la main ; L’air est plein de voix divines. Et ce doux monde charmant, Heureux sous le ciel prospère, Épanoui, dit gaîment : C’est la fête du grand-père.

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    Guerre civile La foule était tragique et terrible ; on criait : À mort ! Autour d’un homme altier, point inquiet, Grave, et qui paraissait lui-même inexorable, Le peuple se pressait : À mort le misérable ! Et lui, semblait trouver toute simple la mort. La partie est perdue, on n’est pas le plus fort, On meurt, soit. Au milieu de la foule accourue, Les vainqueurs le traînaient de chez lui dans la rue. — À mort l’homme ! — On l’avait saisi dans son logis ; Ses vêtements étaient de carnage rougis ; Cet homme était de ceux qui font l’aveugle guerre Des rois contre le peuple, et ne distinguent guère Scévola de Brutus, ni Barbès de Blanqui ; Il avait tout le jour tué n’importe qui ; Incapable de craindre, incapable d’absoudre, Il marchait, laissant voir ses mains noires de poudre ; Une femme le prit au collet : « À genoux ! C’est un sergent de ville. Il a tiré sur nous ! — C’est vrai, dit l’homme. — À bas ! à mort ! qu’on le fusille ! Dit le peuple. — Ici ! Non ! Plus loin ! À la Bastille ! À l’arsenal ! Allons ! Viens ! Marche ! — Où vous voudrez », Dit le prisonnier. Tous, hagards, les rangs serrés, Chargèrent leurs fusils. « Mort au sergent de ville ! Tuons-le comme un loup ! — Et l’homme dit, tranquille : — C’est bien, je suis le loup, mais vous êtes les chiens. — Il nous insulte ! À mort ! » Les pâles citoyens Croisaient leurs poings crispés sur le captif farouche ; L’ombre était sur son front et le fiel dans sa bouche ; Cent voix criaient : « À mort ! À bas ! Plus d’empereur ! » On voyait dans ses yeux un reste de fureur Remuer vaguement comme une hydre échouée ; Il marchait poursuivi par l’énorme huée, Et, calme, il enjambait, plein d’un superbe ennui, Des cadavres gisants, peut-être faits par lui. Le peuple est effrayant lorsqu’il devient tempête ; L’homme sous plus d’affronts levait plus haut la tête ; Il était plus que pris, il était envahi. Dieu ! comme il haïssait ! comme il était haï ! Comme il les eût, vainqueur, fusillés tous ! « Qu’il meure ! Il nous criblait encor de balles tout à l’heure ! À bas cet espion, ce traître, ce maudit ! À mort ! c’est un brigand ! » Soudain on entendit Une petite voix qui disait : « C’est mon père ! » Et quelque chose fit l’effet d’une lumière. Un enfant apparut. Un enfant de six ans. Ses deux bras se dressaient suppliants, menaçants. Tous criaient : « Fusillez le mouchard ! Qu’on l’assomme ! » Et l’enfant se jeta dans les jambes de l’homme, Et dit, ayant au front le rayon baptismal : « Père, je ne veux pas qu’on te fasse de mal ! » Et cet enfant sortait de la même demeure. Les clameurs grossissaient : « À bas l’homme ! Qu’il meure ! À bas ! finissons-en avec cet assassin ! Mort ! » Au loin le canon répondait au tocsin. Toute la rue était pleine d’hommes sinistres. À bas les rois ! À bas les prêtres, les ministres, Les mouchards ! Tuons tout ! c’est un tas de bandits ! » Et l’enfant leur cria : « Mais puisque je vous dis Que c’est mon père ! — Il est joli, dit une femme, Bel enfant ! » On voyait dans ses yeux bleus une âme ; Il était tout en pleurs, pâle, point mal vêtu. Une autre femme dit : « Petit, quel âge as-tu ? Et l’enfant répondit : — Ne tuez pas mon père ! » Quelques regards pensifs étaient fixés à terre, Les poings ne tenaient plus l’homme si durement. Un de plus furieux, entre tous inclément, Dit à l’enfant : « Va-t’en ! — Où ? — Chez toi. — Pourquoi faire ? — Chez ta mère. — Sa mère est morte, dit le père. — Il n’a donc plus que vous ? — Qu’est-ce que cela fait ? » Dit le vaincu. Stoïque et calme, il réchauffait Les deux petites mains dans sa rude poitrine, Et disait à l’enfant : « Tu sais bien, Catherine ? — Notre voisine ? — Oui. Va chez elle. — Avec toi ? — J’irai plus tard. — Sans toi je ne veux pas. — Pourquoi ? — Parce qu’on te ferait du mal. » Alors le père Parla tout bas au chef de cette sombre guerre : « Lâchez-moi le collet. Prenez-moi par la main, Doucement. Je vais dire à l’enfant : À demain ! Vous me fusillerez au détour de la rue, Ailleurs, où vous voudrez. — Et, d’une voix bourrue : — Soit, dit le chef, lâchant le captif à moitié. Le père dit : — Tu vois. C’est de bonne amitié. Je me promène avec ces messieurs. Sois bien sage, Rentre. » Et l’enfant tendit au père son visage, Et s’en alla content, rassuré, sans effroi. « Nous sommes à notre aise à présent, tuez-moi, Dit le père aux vainqueurs ; où voulez-vous que j’aille ? » Alors, dans cette foule où grondait la bataille, On entendit passer un immense frisson, Et le peuple cria : « Rentre dans ta maison ! »

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    Les deux îles Dites-moi d’où il est venu, je vous dirai où il est allé. E. H. I Il est deux îles dont un monde Sépare les deux Océans, Et qui de loin dominent l’onde, Comme des têtes de géants. On devine, en voyant leurs cimes, Que Dieu les tira des abîmes Pour un formidable dessein ; Leur front de coups de foudre fume, Sur leurs flancs nus la mer écume, Des volcans grondent dans leur sein. Ces îles, où le flot se broie Entre des écueils décharnés, Sont comme deux vaisseaux de proie, D’une ancre éternelle enchaînés. La main qui de ces noirs rivages Disposa les sites sauvages, Et d’effroi les voulut couvrir, Les fit si terribles, peut-être, Pour que Bonaparte y pût naître, Et Napoléon y mourir ! « — Là fut son berceau ! — Là sa tombe ! » Pour les siècles, c’en est assez. Ces mots, qu’un monde naisse ou tombe, Ne seront jamais effacés. Sur ces îles à l’aspect sombre Viendront, à l’appel de son ombre, Tous les peuples de l’avenir ; Les foudres qui frappent leurs crêtes, Et leurs écueils, et leurs tempêtes, Ne sont plus que son souvenir ! Loin de nos rives, ébranlées Par les orages de son sort, Sur ces deux îles isolées Dieu mit sa naissance et sa mort ; Afin qu’il pût venir au monde Sans qu’une secousse profonde Annonçât son premier moment ; Et que sur son lit militaire, Enfin, sans remuer la terre, Il pût expirer doucement ! II Comme il était rêveur au matin de son âge ! Comme il était pensif au terme du voyage ! C’est qu’il avait joui de son rêve insensé ; Du trône et de la gloire il savait le mensonge ; Il avait vu de près ce que c’est qu’un tel songe, Et quel est le néant d’un avenir passé ! Enfant, des visions, dans la Corse, sa mère, Lui révélaient déjà sa couronne éphémère, Et l’aigle impérial planant sur son pavois ; Il entendait d’avance, en sa superbe attente, L’hymne qu’en toute langue, aux portes de sa tente, Son peuple universel chantait tout d’une voix : III acclamation. « Gloire à Napoléon ! gloire au maître suprême ! Dieu même a sur son front posé le diadème. Du Nil au Borysthène il règne triomphant. Les rois, fils de cent rois, s’inclinent quand il passe, Et dans Rome il ne voit d’espace Que pour le trône d’un enfant ! « Pour porter son tonnerre aux villes effrayées, Ses aigles ont toujours les ailes déployées. Il régit le conclave, il commande au divan. Il mêle à ses drapeaux, de sang toujours humides, Des croissants pris aux Pyramides, Et la croix d’or du grand Ivan ! « Le mamelouk bronzé, le goth plein de vaillance, Le polonais, qui porte une flamme à sa lance, Prêtent leur force aveugle à ses ambitions. Ils ont son vœu pour loi, pour foi sa renommée. On voit marcher dans son armée Tout un peuple de nations ! « Sa main, s’il touche un but où son orgueil aspire, Fait à quelque soldat l’aumône d’un empire, Ou fait veiller des rois au seuil de son palais, Pour qu’il puisse, en quittant les combats ou les fêtes, Dormir en paix dans ses conquêtes, Comme un pêcheur sur ses filets ! « Il a bâti si haut son aire impériale, Qu’il nous semble habiter cette sphère idéale Où jamais on n’entend un orage éclater ! Ce n’est plus qu’à ses pieds que gronde la tempête ; Il faudrait, pour frapper sa tête, Que la foudre pût remonter ! » IV La foudre remonta ! — Renversé de son aire, Il tomba, tout fumant de cent coups de tonnerre. Les rois punirent leur tyran. On l’exposa vivant sur un roc solitaire ; Et le géant captif fut remis par la terre À la garde de l’océan. Oh ! comme à Sainte-Hélène il dédaignait sa vie, Quand le soir il voyait, avec un œil d’envie, Le soleil fuir sous l’horizon, Et qu’il s’égarait seul sur le sable des grèves, Jusqu’à ce qu’un anglais, l’arrachant de ses rêves, Le ramenât dans sa prison ! Comme avec désespoir ce prince de la guerre S’entendait accuser par tous ceux qui naguère Divinisaient son bras vainqueur ! Car des peuples ligués la clameur solennelle Répondait à la voix implacable, éternelle, Qui se lamentait dans son cœur ! V imprécation. « Honte ! opprobre ! malheur ! anathème ! vengeance ! Que la terre et les cieux frappent d’intelligence ! Enfin nous avons vu le colosse crouler ! Que puissent retomber sur ses jours, sur sa cendre, Tous les pleurs qu’il a fait répandre, Tout le sang qu’il a fait couler ! « Qu’à son nom, du Volga, du Tibre, de la Seine, Des murs de l’Alhambra, des fossés de Vincenne, De Jaffa, du Kremlin qu’il brûla sans remords, Des plaines du carnage et des champs de victoire, Tonne, comme un écho de sa fatale gloire, La malédiction des morts ! « Qu’il voie autour de lui se presser ses victimes ! Que tout ce peuple, en foule échappé des abîmes, Innombrable, annonçant les secrets du cercueil, Mutilé par le fer, sillonné par la foudre, Heurtant confusément des os noircis de poudre, Lui fasse un Josaphat de Sainte-Hélène en deuil ! « Qu’il vive pour mourir tous les jours, à toute heure ! Que le fier conquérant baisse les yeux, et pleure ! Sachant sa gloire à peine et riant de ses droits, Des geôliers ont chargé d’une chaîne glacée Cette main qui s’était lassée À courber la tête des rois ! « Il crut que sa fortune, en victoires féconde, Vaincrait le souvenir du peuple roi du monde ; Mais Dieu vient, et d’un souffle éteint son noir flambeau, Et ne laisse au rival de l’éternelle Rome Que ce qu’il faut de place et de temps à tout homme Pour se coucher dans le tombeau. « Ces mers auront sa tombe, et l’oubli la devance. En vain à Saint-Denis il fit parer d’avance Un sépulcre de marbre et d’or étincelant ; Le ciel n’a pas voulu que de royales ombres Vissent, en revenant pleurer sous ces murs sombres, Dormir dans leur tombeau son cadavre insolent ! » VI Qu’une coupe vidée est amère ! et qu’un rêve, Commencé dans l’ivresse, avec terreur s’achève ! Jeune, on livre à l’espoir sa crédule raison ; Mais on frémit plus tard, quand l’âme est assouvie, Hélas ! et qu’on revoit sa vie De l’autre bord de l’horizon ! Ainsi, quand vous passez au pied d’un mont sublime, Longtemps en conquérant vous admirez sa cime, Et ses pics, que jamais les ans n’humilieront, Ses forêts, vert manteau qui pend aux rocs sauvages, Et ces couronnes de nuages Qui s’amoncellent sur son front ! Montez donc, et tentez ces zones inconnues ! — Vous croyiez fuir aux cieux… vous vous perdez aux nues ! Le mont change à vos yeux d’aspect et de tableaux ; C’est un gouffre, obscurci de sapins centenaires, Où les torrents et les tonnerres Croisent des éclairs et des flots ! VII Voilà l’image de la gloire : D’abord, un prisme éblouissant, Puis un miroir expiatoire, Où la pourpre paraît du sang ! Tour à tour puissante, asservie, Voilà quel double aspect sa vie Offrit à ses âges divers. Il faut à son nom deux histoires : Jeune, il inventait ses victoires ; Vieux, il méditait ses revers. En Corse, à Saint-Hélène encore, Dans les nuits d’hiver, le nocher, Si quelque orageux météore Brille au sommet d’un noir rocher, Croit voir le sombre capitaine, Projetant son ombre lointaine, Immobile, croiser ses bras ; Et dit que, pour dernière fête, Il vient régner dans la tempête, Comme il régnait dans les combats ! VIII S’il perdit un empire, il aura deux patries, De son seul souvenir illustres et flétries, L’une aux mers d’Annibal, l’autre aux mers de Vasco ; Et jamais, de ce siècle attestant la merveille, On ne prononcera son nom, sans qu’il n’éveille Aux bouts du monde un double écho ! Telles, quand une bombe ardente, meurtrière, Décrit dans un ciel noir sa courbe incendiaire, Se balance au-dessus des murs épouvantés, Puis, comme un vautour chauve, à la serre cruelle, Qui frappe en s’abattant la terre de son aile, Tombe, et fouille à grand bruit le pavé des cités, Longtemps après sa chute, on voit fumer encore La bouche du mortier, large, noire et sonore, D’où monta pour tomber le globe au vol pesant, Et la place où la bombe, éclatée en mitrailles, Mourut, en vomissant la mort de ses entrailles, Et s’éteignit en embrasant ! Juillet 1825.

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    L’expiation I Il neigeait. On était vaincu par sa conquête. Pour la première fois l’aigle baissait la tête. Sombres jours! l’empereur revenait lentement, Laissant derrière lui brûler Moscou fumant. Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche. Après la plaine blanche une autre plaine blanche. On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau. Hier la grande armée, et maintenant troupeau. On ne distinguait plus les ailes ni le centre. Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre Des chevaux morts; au seuil des bivouacs désolés On voyait des clairons à leur poste gelés, Restés debout, en selle et muets, blancs de givre, Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs, Pleuvaient; les grenadiers, surpris d’être tremblants, Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise. Il neigeait, il neigeait toujours! La froide bise Sifflait; sur le verglas, dans des lieux inconnus, On n’avait pas de pain et l’on allait pieds nus. Ce n’étaient plus des cœurs vivants, des gens de guerre: C’était un rêve errant dans la brume, un mystère, Une procession d’ombres sous le ciel noir. La solitude vaste, épouvantable à voir, Partout apparaissait, muette vengeresse. Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse Pour cette immense armée un immense linceul. Et chacun se sentant mourir, on était seul. – Sortira-t-on jamais de ce funeste empire? Deux ennemis! le czar, le nord. Le nord est pire. On jetait les canons pour brûler les affûts. Qui se couchait, mourait. Groupe morne et confus, Ils fuyaient; le désert dévorait le cortège. On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige, Voir que des régiments s’étaient endormis là. Ô chutes d’Annibal! lendemains d’Attila! Fuyards, blessés, mourants, caissons, brancards, civières, On s’écrasait aux ponts pour passer les rivières, On s’endormait dix mille, on se réveillait cent. Ney, que suivait naguère une armée, à présent S’évadait, disputant sa montre à trois cosaques. Toutes les nuits, qui vive! alerte, assauts! attaques! Ces fantômes prenaient leur fusil, et sur eux Ils voyaient se ruer, effrayants, ténébreux, Avec des cris pareils aux voix des vautours chauves, D’horribles escadrons, tourbillons d’hommes fauves. Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait. L’empereur était là, debout, qui regardait. Il était comme un arbre en proie à la cognée. Sur ce géant, grandeur jusqu’alors épargnée, Le malheur, bûcheron sinistre, était monté; Et lui, chêne vivant, par la hache insulté, Tressaillant sous le spectre aux lugubres revanches, Il regardait tomber autour de lui ses branches. Chefs, soldats, tous mouraient. Chacun avait son tour. Tandis qu’environnant sa tente avec amour, Voyant son ombre aller et venir sur la toile, Ceux qui restaient, croyant toujours à son étoile, Accusaient le destin de lèse-majesté, Lui se sentit soudain dans l’âme épouvanté. Stupéfait du désastre et ne sachant que croire, L’empereur se tourna vers Dieu; l’homme de gloire Trembla; Napoléon comprit qu’il expiait Quelque chose peut-être, et, livide, inquiet, Devant ses légions sur la neige semées: «Est-ce le châtiment, dit-il. Dieu des armées?» Alors il s’entendit appeler par son nom Et quelqu’un qui parlait dans l’ombre lui dit: Non. II Waterloo! Waterloo! Waterloo! morne plaine! Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine, Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons, La pâle mort mêlait les sombres bataillons. D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France. Choc sanglant! des héros Dieu trompait l’espérance; Tu désertais, victoire, et le sort était las. O Waterloo! je pleure et je m’arrête, hélas! Car ces derniers soldats de la dernière guerre Furent grands; ils avaient vaincu toute la terre, Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin, Et leur âme chantait dans les clairons d’airain! Le soir tombait; la lutte était ardente et noire. Il avait l’offensive et presque la victoire; Il tenait Wellington acculé sur un bois. Sa lunette à la main, il observait parfois Le centre du combat, point obscur où tressaille La mêlée, effroyable et vivante broussaille, Et parfois l’horizon, sombre comme la mer. Soudain, joyeux, il dit: Grouchy! – C’était Blücher. L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme, La mêlée en hurlant grandit comme une flamme. La batterie anglaise écrasa nos carrés. La plaine, où frissonnaient les drapeaux déchirés, Ne fut plus, dans les cris des mourants qu’on égorge, Qu’un gouffre flamboyant, rouge comme une forge; Gouffre où les régiments comme des pans de murs Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs Les hauts tambours-majors aux panaches énormes, Où l’on entrevoyait des blessures difformes! Carnage affreux! moment fatal! L’homme inquiet Sentit que la bataille entre ses mains pliait. Derrière un mamelon la garde était massée. La garde, espoir suprême et suprême pensée! «Allons! faites donner la garde!» cria-t-il. Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil, Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires, Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres, Portant le noir colback ou le casque poli, Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli, Comprenant qu’ils allaient mourir dans cette fête, Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête. Leur bouche, d’un seul cri, dit: vive l’empereur! Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur, Tranquille, souriant à la mitraille anglaise, La garde impériale entra dans la fournaise. Hélas! Napoléon, sur sa garde penché, Regardait, et, sitôt qu’ils avaient débouché Sous les sombres canons crachant des jets de soufre, Voyait, l’un après l’autre, en cet horrible gouffre, Fondre ces régiments de granit et d’acier Comme fond une cire au souffle d’un brasier. Ils allaient, l’arme au bras, front haut, graves, stoïques. Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques! Le reste de l’armée hésitait sur leurs corps Et regardait mourir la garde. – C’est alors Qu’élevant tout à coup sa voix désespérée, La Déroute, géante à la face effarée Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons, Changeant subitement les drapeaux en haillons, A de certains moments, spectre fait de fumées, Se lève grandissante au milieu des armées, La Déroute apparut au soldat qui s’émeut, Et, se tordant les bras, cria: Sauve qui peut! Sauve qui peut! – affront! horreur! – toutes les bouches Criaient; à travers champs, fous, éperdus, farouches, Comme si quelque souffle avait passé sur eux. Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux, Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles, Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles, Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil! Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient! – En un clin d’œil, Comme s’envole au vent une paille enflammée, S’évanouit ce bruit qui fut la grande armée, Et cette plaine, hélas, où l’on rêve aujourd’hui, Vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui! Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre, Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire, Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants, Tremble encor d’avoir vu la fuite des géants! Napoléon les vit s’écouler comme un fleuve; Hommes, chevaux, tambours, drapeaux; – et dans l’épreuve Sentant confusément revenir son remords, Levant les mains au ciel, il dit: «Mes soldats morts, Moi vaincu! mon empire est brisé comme verre. Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère?» Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon, Il entendit la voix qui lui répondait: Non! III Il croula. Dieu changea la chaîne de l’Europe. Il est, au fond des mers que la brume enveloppe, Un roc hideux, débris des antiques volcans. Le Destin prit des clous, un marteau, des carcans, Saisit, pâle et vivant, ce voleur du tonnerre, Et, joyeux, s’en alla sur le pic centenaire Le clouer, excitant par son rire moqueur Le vautour Angleterre à lui ronger le coeur. Évanouissement d’une splendeur immense! Du soleil qui se lève à la nuit qui commence, Toujours l’isolement, l’abandon, la prison; Un soldat rouge au seuil, la mer à l’horizon. Des rochers nus, des bois affreux, l’ennui, l’espace, Des voiles s’enfuyant comme l’espoir qui passe, Toujours le bruit des flots, toujours le bruit des vents! Adieu, tente de pourpre aux panaches mouvants, Adieu, le cheval blanc que César éperonne! Plus de tambours battant aux champs, plus de couronne, Plus de rois prosternés dans l’ombre avec terreur, Plus de manteau traînant sur eux, plus d’empereur! Napoléon était retombé Bonaparte. Comme un romain blessé par la flèche du parthe, Saignant, morne, il songeait à Moscou qui brûla. Un caporal anglais lui disait: halte-là! Son fils aux mains des rois, sa femme au bras d’un autre! Plus vil que le pourceau qui dans l’égout se vautre, Son sénat, qui l’avait adoré, l’insultait. Au bord des mers, à l’heure où la bise se tait, Sur les escarpements croulant en noirs décombres, Il marchait, seul, rêveur, captif des vagues sombres. Sur les monts, sur les flots, sur les cieux, triste et fier, L’oeil encore ébloui des batailles d’hier, Il laissait sa pensée errer à l’aventure. Grandeur, gloire, ô néant! calme de la nature! Les aigles qui passaient ne le connaissaient pas. Les rois, ses guichetiers, avaient pris un compas Et l’avaient enfermé dans un cercle inflexible. Il expirait. La mort de plus en plus visible Se levait dans sa nuit et croissait à ses yeux, Comme le froid matin d’un jour mystérieux. Son âme palpitait, déjà presque échappée. Un jour enfin il mit sur son lit son épée, Et se coucha près d’elle, et dit: c’est aujourd’hui! On jeta le manteau de Marengo sur lui. Ses batailles du Nil, du Danube, du Tibre, Se penchaient sur son front; il dit: Me voici libre! Je suis vainqueur! je vois mes aigles accourir! – Et, comme il retournait sa tête pour mourir, Il aperçut, un pied dans la maison déserte, Hudson Lowe guettant par la porte entr’ouverte. Alors, géant broyé sous le talon des rois, Il cria: La mesure est comble cette fois! Seigneur! c’est maintenant fini! Dieu que j’implore, Vous m’avez châtié! – La voix dit: – Pas encore! IV Ô noirs événements, vous fuyez dans la nuit! L’empereur mort tomba sur l’empire détruit. Napoléon alla s’endormir sous le saule. Et les peuples alors, de l’un à l’autre pôle, Oubliant le tyran, s’éprirent du héros. Les poètes, marquant au front les rois bourreaux, Consolèrent, pensifs, cette gloire abattue. À la colonne veuve on rendit sa statue. Quand on levait les yeux, on le voyait debout Au-dessus de Paris, serein, dominant tout, Seul, le jour dans l’azur et la nuit dans les astres. Panthéons, on grava son nom sur vos pilastres! On ne regarda plus qu’un seul côté des temps, On ne se souvint plus que des jours éclatants Cet homme étrange avait comme enivré l’histoire La justice à l’œil froid disparut sous sa gloire; On ne vit plus qu’Eylau, Ulm, Arcole, Austerlitz; Comme dans les tombeaux des romains abolis, On se mit à fouiller dans ces grandes années Et vous applaudissiez, nations inclinées, Chaque fois qu’on tirait de ce sol souverain Ou le consul de marbre ou l’empereur d’airain! V Le nom grandit quand l’homme tombe; Jamais rien de tel n’avait lui. Calme, il écoutait dans sa tombe La terre qui parlait de lui. La terre disait: «La victoire A suivi cet homme en tous lieux. Jamais tu n’as vu, sombre histoire, Un passant plus prodigieux! » Gloire au maître qui dort sous l’herbe! Gloire à ce grand audacieux! Nous l’avons vu gravir, superbe, Les premiers échelons des cieux! » Il envoyait, âme acharnée, Prenant Moscou, prenant Madrid, Lutter contre la destinée Tous les rêves de son esprit. » À chaque instant, rentrant en lice, Cet homme aux gigantesques pas Proposait quelque grand caprice À Dieu, qui n’y consentait pas. » Il n’était presque plus un homme. Il disait, grave et rayonnant, En regardant fixement Rome C’est moi qui règne maintenant! » Il voulait, héros et symbole, Pontife et roi, phare et volcan, Faire du Louvre un Capitole Et de Saint-Cloud un Vatican. » César, il eût dit à Pompée: ‹ Sois fier d’être mon lieutenant!› On voyait luire son épée Au fond d’un nuage tonnant. » Il voulait, dans les frénésies De ses vastes ambitions, Faire devant ses fantaisies Agenouiller les nations, » Ainsi qu’en une urne profonde, Mêler races, langues, esprits, Répandre Paris sur le monde, Enfermer le monde en Paris! » Comme Cyrus dans Babylone, Il voulait sous sa large main Ne faire du monde qu’un trône Et qu’un peuple du genre humain, » Et bâtir, malgré les huées, Un tel empire sous son nom, Que Jéhovah dans les nuées Fût jaloux de Napoléon!» VI Enfin, mort triomphant, il vit sa délivrance, Et l’océan rendit son cercueil à la France. L’homme, depuis douze ans, sous le dôme doré Reposait, par l’exil et par la mort sacré. En paix! – Quand on passait près du monument sombre, On se le figurait, couronne au front, dans l’ombre, Dans son manteau semé d’abeilles d’or, muet, Couché sous cette voûte où rien ne remuait, Lui, l’homme qui trouvait la terre trop étroite, Le sceptre en sa main gauche et l’épée en sa droite, À ses pieds son grand aigle ouvrant l’œil à demi, Et l’on disait: C’est là qu’est César endormi! Laissant dans la clarté marcher l’immense ville, Il dormait; il dormait confiant et tranquille. VII Une nuit, – c’est toujours la nuit dans le tombeau, – Il s’éveilla. Luisant comme un hideux flambeau, D’étranges visions emplissaient sa paupière; Des rires éclataient sous son plafond de pierre; Livide, il se dressa; la vision grandit; Ô terreur! une voix qu’il reconnut, lui dit: – Réveille-toi. Moscou, Waterloo, Sainte-Hélène, L’exil, les rois geôliers, l’Angleterre hautaine Sur ton lit accoudée à ton dernier moment, Sire, cela n’est rien. Voici le châtiment: La voix alors devint âpre, amère, stridente, Comme le noir sarcasme et l’ironie ardente; C’était le rire amer mordant un demi-dieu. – Sire! on t’a retiré de ton Panthéon bleu! Sire! on t’a descendu de ta haute colonne! Regarde. Des brigands, dont l’essaim tourbillonne, D’affreux bohémiens, des vainqueurs de charnier Te tiennent dans leurs mains et t’ont fait prisonnier. À ton orteil d’airain leur patte infâme touche. Ils t’ont pris. Tu mourus, comme un astre se couche, Napoléon le Grand, empereur; tu renais Bonaparte, écuyer du cirque Beauharnais. Te voilà dans leurs rangs, on t’a, l’on te harnache. Ils t’appellent tout haut grand homme, entre eux, ganache. Ils traînent, sur Paris qui les voit s’étaler, Des sabres qu’au besoin ils sauraient avaler. Aux passants attroupés devant leur habitacle, Ils disent, entends-les: – Empire à grand spectacle! Le pape est engagé dans la troupe; c’est bien, Nous avons mieux; le czar en est mais ce n’est rien, Le czar n’est qu’un sergent, le pape n’est qu’un bonze Nous avons avec nous le bonhomme de bronze! Nous sommes les neveux du grand Napoléon! – Et Fould, Magnan, Rouher, Parieu caméléon, Font rage. Ils vont montrant un sénat d’automates. Ils ont pris de la paille au fond des casemates Pour empailler ton aigle, ô vainqueur d’Iéna! Il est là, mort, gisant, lui qui si haut plana, Et du champ de bataille il tombe au champ de foire. Sire, de ton vieux trône ils recousent la moire. Ayant dévalisé la France au coin d’un bois, Ils ont à leurs haillons du sang, comme tu vois, Et dans son bénitier Sibour lave leur linge. Toi, lion, tu les suis; leur maître, c’est le singe. Ton nom leur sert de lit, Napoléon premier. On voit sur Austerlitz un peu de leur fumier. Ta gloire est un gros vin dont leur honte se grise. Cartouche essaie et met ta redingote grise On quête des liards dans le petit chapeau Pour tapis sur la table ils ont mis ton drapeau. À cette table immonde où le grec devient riche, Avec le paysan on boit, on joue, on triche; Tu te mêles, compère, à ce tripot hardi, Et ta main qui tenait l’étendard de Lodi, Cette main qui portait la foudre, ô Bonaparte, Aide à piper les dés et fait sauter la carte. Ils te forcent à boire avec eux, et Carlier Pousse amicalement d’un coude familier Votre majesté, sire, et Piétri dans son antre Vous tutoie, et Maupas vous tape sur le ventre. Faussaires, meurtriers, escrocs, forbans, voleurs, Ils savent qu’ils auront, comme toi, des malheurs Leur soif en attendant vide la coupe pleine À ta santé; Poissy trinque avec Sainte-Hélène. Regarde! bals, sabbats, fêtes matin et soir. La foule au bruit qu’ils font se culbute pour voir; Debout sur le tréteau qu’assiège une cohue Qui rit, bâille, applaudit, tempête, siffle, hue, Entouré de pasquins agitant leur grelot, – Commencer par Homère et finir par Callot! Épopée! épopée! oh! quel dernier chapitre! – Entre Troplong paillasse et Chaix-d’Est-Ange pitre, Devant cette baraque, abject et vil bazar Où Mandrin mal lavé se déguise en César, Riant, l’affreux bandit, dans sa moustache épaisse, Toi, spectre impérial, tu bats la grosse caisse! – L’horrible vision s’éteignit. L’empereur, Désespéré, poussa dans l’ombre un cri d’horreur, Baissant les yeux, dressant ses mains épouvantées. Les Victoires de marbre à la porte sculptées, Fantômes blancs debout hors du sépulcre obscur, Se faisaient du doigt signe, et, s’appuyant au mur, Écoutaient le titan pleurer dans les ténèbres. Et lui, cria: «Démon aux visions funèbres, Toi qui me suis partout, que jamais je ne vois, Qui donc es-tu? – Je suis ton crime», dit la voix. La tombe alors s’emplit d’une lumière étrange Semblable à la clarté de Dieu quand il se venge Pareils aux mots que vit resplendir Balthazar, Deux mots dans l’ombre écrits flamboyaient sur César; Bonaparte, tremblant comme un enfant sans mère, Leva sa face pâle et lut: – Dix huit Brumaire! 25-30 novembre. Jersey.

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    Voltaire

    Voltaire

    @voltaire

    Les souhaits Il n’est mortel qui ne forme des voeux : L’un de Voisin convoite la puissance ; L’autre voudrait engloutir la finance Qu’accumula le beau-père d’Évreux. Vers les quinze ans, un mignon de couchette Demande à Dieu ce visage imposteur, Minois friand, cuisse ronde et douillette Du beau de Gesvre, ami du promoteur. Roy versifie, et veut suivre Pindare ; Du Bousset chante, et veut passer Lambert. En de tels voeux mon esprit ne s’égare : Je ne demande au grand dieu Jupiter Que l’estomac du marquis de La Fare, Et les c…ons de monsieur d’Aremberg.

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    Voltaire

    Voltaire

    @voltaire

    Sur le louvre Monument imparfait de ce siècle vanté Qui sur tous les beaux-arts a fondé sa mémoire, Vous verrai-je toujours, en attestant sa gloire, Faire un juste reproche à sa postérité ? Faut-il que l’on s’indigne alors qu’on vous admire, Et que les nations qui veulent nous braver, Fières de nos défauts, soient en droit de nous dire Que nous commençons tout, pour ne rien achever ? Mais, ô nouvel affront ! quelle coupable audace Vient encore avilir ce chef d’œuvre divin ? Quel sujet entreprend d’occuper une place Faite pour admirer les traits du souverain ! Louvre, palais pompeux dont la France s’honore, Sois digne de Louis, ton maître et ton appui ; Sors de l’état honteux où l’univers t’abhorre, Et dans tout ton éclat montre-toi comme lui.

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    Walt Whitman

    Walt Whitman

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    J’entends chanter l'Amérique J’entends chanter l’Amérique, j’ai dans l’oreille la variété des chants, Le chant des ouvriers, chacun chante le sien comme il se doit, joyeux fort, Le charpentier chante le sien cependant qu’il mesure la planche la poutre, Le maçon chante le sien, il se prépare pour son travail ou il le quitte, Le marinier chante le sien, le chant de ce qui est à lui dans sa barque, l’homme de pont sur le pont du steamer chante le sien, Le cordonnier chante le sien, assis à son établi, le chapelier le sien debout à sa table, Le chant du bûcheron, le chant du garçon laboureur qui s’en va dans le matin, ou au repos le midi ou au coucher du soleil, La délicieuse chanson de ta mère, la jeune femme à son travail, la jeune fille qui lave ou bien qui coud, Chacun chante ce qui lui appartient à lui ou à elle, à personne d’autre, Le jour ce qui est au jour – la nuit l’équipe de jeunes compagnons, robustes, amicaux, Chantent la bouche ouverte leurs puissantes mélodies.

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    Walt Whitman

    Walt Whitman

    @waltWhitman

    Ô Capitaine! Mon Capitaine! Ô Capitaine ! mon Capitaine ! fini notre effrayant voyage, Le bateau a tous écueils franchis, le prix que nous quêtions est gagné, Proche est le port, j'entends les cloches, tout le monde qui exulte, En suivant des yeux la ferme carène, l'audacieux et farouche navire ; Mais ô cœur ! cœur ! cœur ! Oh ! les gouttes rouges qui lentement tombent Sur le pont où gît mon Capitaine, Étendu mort et glacé. Ô Capitaine ! mon Capitaine ! lève-toi et entends les cloches ! Lève-toi – c'est pour toi le drapeau hissé – pour toi le clairon vibrant, Pour toi bouquets et couronnes enrubannés – pour toi les rives noires de monde, Toi qu'appelle leur masse mouvante aux faces ardentes tournées vers toi ; Tiens, Capitaine ! père chéri ! Je passe mon bras sous ta tête ! C'est quelque rêve que sur le pont, Tu es étendu mort et glacé. Mon Capitaine ne répond pas, pâles et immobiles sont ses lèvres, Mon père ne sent pas mon bras, il n'a ni pulsation ni vouloir, Le bateau sain et sauf est à l'ancre, sa traversée conclue et finie, De l'effrayant voyage le bateau rentre vainqueur, but gagné ; Ô rives, Exultez, et sonnez, ô cloches ! Mais moi d'un pas accablé, Je foule le pont où gît mon Capitaine, Étendu mort et glacé.

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    W

    William Chapman

    @williamChapman

    Debout, Canadiens-Français! Nous sommes des fils de guerriers, Et nos pères, pleins de vaillance, Vinrent au bord d’un fleuve immense Planter leurs étendards altiers. Durant un siècle, sur nos plages Ces lutteurs au bras redouté Pour la France et la chrétienté Déployèrent tous les courages. Debout, Canadiens-français! Luttons comme ont lutté nos pères! Au milieu de races prospères, Déroulons au vent du Progrès, Qui souffle à travers les forêts, Nos vieilles et saintes bannières! Luttons comme ont lutté nos pères! Debout, Canadiens-français! Forts d’une foi que rien n’émeut, Comme les Croisés, leurs ancêtres, Ces preux, marins, soldats et prêtres, Partout répétaient : « Dieu le veut »! Jusqu’aux glaçons géants du Pôle, De l’Équateur au Groenland, Ils dirent, dans leur noble élan, Les refrains bénis de la Gaule. Debout, Canadiens-français! Ils furent grands dans le danger, Ils furent beaux dans les batailles. Mais, hélas! la cour de Versailles Céda leurs bords à l’étranger. Orgueilleux, malgré la conquête, Ces hommes au cœur de lion Sous la bannière d’Albion Ne courbèrent jamais la tête. Debout, Canadiens-français! Fidèles aux maîtres nouveaux, Et toujours pleins d’ardeurs guerrières, Pour chasser l’Aigle des frontières, Nous avons suivi leurs drapeaux. Des conscrits, altérés de gloire, Vainquirent un peuple aguerri; Et le nom de Salaberry Luit comme un soleil dans l’Histoire. Debout, Canadiens-français! Le sang ne rougit plus nos prés; L’astre du Travail y flamboie, Et sur tous nos foyers en joie La Paix répand ses fruits dorés. L’Espoir de ses rayons inonde Tous les cœurs et tous les cerveaux. Demain nous serons les rivaux Des grands peuples de l’ancien monde. Debout, Canadiens-français!

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    Yvan Goll

    @yvanGoll

    Requiem pour les morts de l’Europe La bataille aux cent têtes, la bataille aux mille noms, la bataille qui dure des jours, des mois, des années, toujours la même bataille tournait, l’haleine fiévreuse, dans le cirque européen. Buffle aux bosses de feu, elle se vautrait dans le pré des plaines. Forêts dans les cornes, pavots dans le poil hirsute, boue, nuages et mort dans son grand œil étonné. Dans les fleuves elle semblait se noyer. Se ficher en terre sous les fjords. S’asphyxier dans les marécages. La bataille en titubant gagna la haute montagne. Les mortiers éructèrent. Des glaciers se fendirent. Des gorges s’ouvrirent à leur hurlement. Les sommets, aiguilles de verre, volèrent en éclats. Par-dessus le col de minuit, elle franchit le porche du sud. Roula vers la vallée dans les bois de myrtes et les vignes. Du cœur des fuyards elle pressait un vin pétillant et âcre. Elle flairait la chair rose. Son sabot dur brilla jusqu’au rivage, où l’océan l’attirait. Une citadelle fumante émergea. Dreadnoughts et croiseurs se balancèrent, une caravane de chevaux de Troie bascula. Imprévus, des serpents-torpilles fusèrent à travers les vagues. Des navires soudain gémirent et sombrèrent comme des éclairs dans la forêt des coraux. Chaque heure mouraient mille hommes de plus. Partout un jeune soldat ensevelissait ses blessures dans la terre, comme s’il avait honte de mourir d’une mort si laide. Partout un jeune matelot, un cri rouge dans la bouche, embrassait le monde en agonie et s’enfonçait avec lui dans la mort. Chaque heure éteignait le soleil mille fois et se refroidissait dans les cœurs noirs. Cependant, très loin, au pays, les sœurs et les fiancées tressaillaient dans leur sommeil et entendaient le corbeau de la mort rôder à leur chevet. ....

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