Le revers du progrès Bienvenue dans la méritocratie
Où la pauvreté sonne pour les riches comme un murmure
Même si par ses bien pâles couleurs
Elle témoigne des misères de ce monde
Même si nous refusons d'en entendre la douleur
Et que nous consentons à rouvrir ces blessures
Qui saignent ceux qui n'ont déjà plus d'humeurs
Ni d'abri, ni d'espoir
Ni de forces, ni de nourriture et pourtant sans rancœur
Que d'injustices profondes
il y a 9 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Ma bohème Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
il y a 9 mois
Cesare Pavese
@cesarePavese
Révolte Le mort est crispé contre terre et ses yeux ne voient pas les étoiles :
ses cheveux sont collés au pavé. La nuit est plus froide.
Les vivants rentrent à la maison et en tremblent encore.
On ne peut pas les suivre ; ils se dispersent tous :
l’un monte un escalier, l’autre va à la cave.
Certains marchent jusqu’à l’aube et se jettent dans un pré,
en plein soleil. Demain en travaillant, il y en a
qui auront un rictus de désespoir. Puis ça aussi passera.
Quand ils dorment, ils sont pareils aux morts : s’il y a une femme,
les odeurs sont plus lourdes mais on dirait des morts.
Chaque corps se cramponne, crispé, à son lit
comme au rouge pavé : la longue peine
qui dure depuis l’aube vaut bien une brève agonie.
Sur chaque corps s’englue une obscurité sale.
Seul de tous, le mort est étendu aux étoiles.
Il a aussi l’air mort cet amas de haillons
appuyé au muret, que brûle le soleil.
C’est faire confiance au monde que dormir dans la rue.
Entre les haillons pointe une barbe que parcourent
des mouches affairées ; les passants vont et viennent dans la rue,
comme des mouches ; le clochard est un fragment de rue.
La misère, comme une herbe, recouvre de barbe
les rictus et donne un air tranquille. Ce vieux-là
qui aurait pu mourir crispé dans son sang
a l’air au contraire d’une chose et il vit.
Ainsi, à part le sang, chaque chose est un fragment de rue.
Et pourtant, les étoiles ont vu du sang dans la rue.
il y a 9 mois
H
Honoré Harmand
@honoreHarmand
Si j'étais riche A Jeanne ma femme
Si j'étais riche je voudrais
Que tu sois la reine des belles
Que tes frous-frous et tes dentelles
Troublent les regards indiscrets
Je voudrais te voir conquérante
Briller toujours au premier rang
Et dans le Paris élégant
Etre la plus intéressante
Je voudrais voir à tes genoux
Prosternés les tendres poètes
Et les femmes les plus coquettes
Voir même les anges jaloux
Descendre du ciel sur la terre
Et dans une tendre chanson
Vénérer ta gloire et ton nom
Mais je suis fils de la Misère
Qu'importe, puisque ta beauté
N'emprunte pas à la richesse
Comme à la lèvre une caresse
Nous sommes fous de volupté
Tu es conquérante en mon âme
Tu es la reine de mon coeur
Et ton regard doux et vainqueur
Grandit mon amour et l'enflamme
Qu'importent les anges jaloux
Les poètes les élégantes
Puisque le soir aux heures lentes
Je viens rêver à tes genoux.
23 août 1907
il y a 9 mois
Jean Arp
@jeanArp
Jours effeuillés Poupée
je suis une poupée.
Mais une âme
me viendrait bien à propos.
Pourquoi n'ai-je pas d'ailes?
N'y a -t-il personne
qui veut me donner au moins
une traîne d'argent?
Une traîne d'argent
un ruisseau qui murmure derrière moi.
Ma tête est en porcelaine.
Sur ma t^te un chapeau en porcelaine
ne serait pas exagéré.
Oui, il serait aussi nécessaire
qu'une croix sur une cloche.
Je suis pauvre.
Je suis nue.
Et que ne m'a -t-on pas déjà promis!
il y a 9 mois
J
Jehan Rictus
@jehanRictus
Les maisons des pauvres N’empêch’ si jamais j’ venais riche,
Moi aussi j’ f’rais bâtir eun’ niche
Pour les vaincus... les écrasés,
Les sans-espoir... les sans-baisers,
Pour ceuss’ là qui z’en ont soupé,
Pour les Écœurés, les Trahis,
Pour les Pâles, les Désolés,
À qui qu’on a toujours menti
Et que les roublards ont roulés ;
Eun’ mason... un cottage... eun’ planque,
Ousqu’on trouv’rait miséricorde,
Pus prop’s que ces turn’s à la manque
Ousque l’on roupille à la corde ;
Pus chouatt’s que ces Asil’s de nuit
Qui bouclent dans l’après-midi,
Où les ronds-d’-cuir pleins de mépris
(Les préposés à la tristesse)
Manqu’nt d’amour et de politesse ;
Eun’ Mason, Seigneur, un Foyer
Où y aurait pus à travailler,
Où y aurait pus d’ terme à payer,
Pus d’ proprio, d’ pip’let, d’huissier.
Y suffirait d’êt’ su’ la Terre
Crevé, loufoque et solitaire,
D’ sentir venir son dergnier soir
Pour pousser la porte et... s’asseoir.
Quand qu’on aurait tourné l’ bouton
Personn’ vourait savoir vot’ nom
Et vous dirait – « Quoi c’est qu’ vous faites ?
Si you plaît ? Qui c’est que vous êtes ? »
Non, pas d’ méfiance ou d’ paperasses,
Toujours à pister votre trace,
Avec leur manie d’étiqu’ter ;
Ça n’est pas d’ la fraternité !
Mais on dirait ben au contraire :
– « Entrez, entrez donc, mon ami,
Mettez-vous à l’ais’, notre frère,
Apportez vos poux par ici. »
Pein’ dedans gn’aurait des baignoires,
Des liquett’s propes... des peignoirs,
D’ l’eau chaud’ dedans des robinets
Qu’on s’ laiss’rait rigoler su’ l’ masque,
Des savons à l’opoponasque,
Des bross’s à dents et des bidets.
Pis vite.. on s’en irait croûter
Croûter d’ la soup’ chaude en Hiver
Qui fait « plouf » quand ça tomb’ dans l’ bide,
Des frich’tis fumants, des lentilles,
Des ragoûts comm’ dans les familles,
Des choux n’avec des pomm’s de terre,
Des tambouill’s à s’en fair’ péter.
Et quand qu’ ça s’rait la bell’ saison
On boulott’rait dans le jardin
(Gn’en aurait un dans ma Mason
Un grand... un immense... un rupin)
Ousqu’y aurait des balançoires,
Des hamacs... des fauteuils d’osier
(Pou’ pouvoir fair’ son Espagnole)
Et ça s’rait d’ la choquott’ le soir
Quand mont’rait l’ chant du rossignol
Et viendrait l’odeur des rosiers.
Mais l’Hiver il y f’rait l’ pus bon :
Ça s’rait chauffé par tout’s les pièces ;
Et les chiott’s où poser ses fesses
J’ f’rais mett’ du poil de lapin d’ssus
Pou’ pas qu’ ça vous fass’ foid au cul.
Et pis dans les chambr’s à coucher
Y gn’aurait des pieux à dentelles,
D’ la soye... d’ la vouat’... des oneillers,
Des draps blancs comm’ pour des mariés,
Des lits-cage et mêm’ des berceaux
Dans quoi qu’on pourrait s’ fair’ petiots ;
Voui des plumards, voui des berceaux
Près d’ quoi j’ mettrais esspressément
Des jeun’s personn’s, prop’s et girondes,
Des rouquin’s, des brun’s et des blondes
À qui qu’on pourrait dir’ – « Moman ! »
Ça s’rait des Sœurs modèl’ nouveau
Qui s’raient sargées d’ vous endormir
Et d’ vous consoler gentiment
À la façon des petit’s-mères,
À qui en beuglant comme un veau
(La cabèch’ su’ le polochon),
On pourrait conter ses misères :
– « Moman, j’ai fait ci et pis ça ! »
Et a diraient : – « Ben mon cochon ! »
– « Moman, j’ai eu ça et pis ci. »
Et a diraient : – « Ben mon salaud ! »
« Mais à présent faut pus causer,
Faut oublier... faut pus penser ,
Tâchez moyen d’ vous endormir
Et surtout d’ pas vous découvrir. »
Ma Mason, v’là tout, ma Mason,
Ça s’rait un dortoir pour broyés
Ousqu’on viendrait se fair’ choyer
Un peu avant sa crevaison
Loin des Magistrats de mes...
Qu’ont l’ cœur de vous foute en prison
Quand qu’on a pus l’ rond et pus d’ turne.
Mais pour compléter l’illusion
Qu’on est redevenu mignon
Tout’s mes Momans à moi, à nous,
Faurait qu’a z’ayent de beaux tétons,
Lourds, fermes, blancs, durs, rebondis
Comm’ les gros tétons des nounous
Ou des fermièr’s de Normandie ;
Et faurait qu’ ces appâts soyent nus.
Mêm’ les gas les pus inconnus,
Auraient l’ droit d’y boir’, d’y téter
Au moment ousqu’y tourn’raient d’ l’œil.
S’ils faisaient la frim’ d’êt’ pas sages
Dans leur plumard ou leur fauteuil
On s’empress’rait d’ leur apporter
Les tétons sortis du corsage,
Pleins d’amour et de majesté.
Je vois d’ici mes Nounous tendres
Introduir’ dans les pauvres gueules
De tous les Errants de Paris
Le bout de leurs tétons fleuris.
Et j’ vois d’ici mes pauv’s frangins
Aux dents allongées par la Faim
Boir’ les yeux clos et mains crispées
Par la mort et par le plaisir.
Et pour jamais et pour jamais
(Le museau un peu pus content)
J’ les vois un à un s’endormir
Le bout d’un téton dans les dents...
il y a 9 mois
Langston Hughes
@langstonHughes
Les vagabonds Nous sommes les désespérés,
Les jamais soucieux,
Les affamés,
Qui n’avons aucun lieu
Pour manger,
Aucun endroit pour dormir,
Les sans larmes
Incapables
De pleurer.
il y a 9 mois
P
Petrus Borel
@petrusBorel
Misère La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré.
GILBERT.
À mon air enjoué, mon rire sur la lèvre,
Vous me croyez heureux, doux, azyme et sans fièvre,
Vivant, au jour le jour, sans nulle ambition,
Ignorant le remords, vierge d'affliction ;
À travers les parois d'une haute poitrine,
Voit-on le coeur qui sèche et le feu qui le mine ?
Dans une lampe sourde on ne saurait puiser
Il faut, comme le coeur, l'ouvrir ou la briser.
Aux bourreaux, pauvre André, quand tu portais ta tête,
De rage tu frappais ton front sur la charrette,
N'ayant pas assez fait pour l'immortalité,
Pour ton pays, sa gloire et pour sa liberté.
Que de fois, sur le roc qui borde cette vie,
Ai-je frappé du pied, heurté du front d'envie,
Criant contre le ciel mes longs tourments soufferts
Je sentais ma puissance, et je sentais des fers !
Puissance,... fers,... quoi donc ? - rien, encore un poète
Qui ferait du divin, mais sa muse est muette,
Sa puissance est aux fers. - Allons ! on ne croit plus,
En ce siècle voyant, qu'aux talents révolus.
Travaille, on ne croit plus aux futures merveilles. -
Travaille !... Eh ! le besoin qui me hurle aux oreilles,
Étouffant tout penser qui se dresse en mon sein !
Aux accords de mon luth que répondre ?... j'ai faim !...
il y a 9 mois
Saint-Georges de Bouhélier
@saintGeorgesDeBouhelier
Inscription sur l"accueil dû au pauvre Mets la nappe de lin sur la table agrandie,
Verse dans les cristaux
Des vins fumants faits de raisins orientaux,
Orne de citrons verts, de pommes, de gâteaux
Les vaisselles polies.
Répands les fruits du parc et les fleurs de la plaine
En couronnes d’azur,
Tords le feuillage d’or le long du calme mur,
Inonde l’air d’odeurs, et que d’un parfum pur
L’atmosphère soit pleine !
Commande aux serviteurs afin qu’ils te rapportent
Tous les vins du cellier,
Sors les sacs de la grange et détruis le hallier,
Dénude-toi, soustrais la grappe à l’espalier !…
Un pauvre est à la porte !
Or tout vrai pauvre a droit a la plus belle place,
Il est l’hôte divin,
Il est l’expiateur qui va par le chemin
Lourd de tes maux dont il te rend le fardeau vain
Et qu’il porte à ta place !…