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Oiseaux

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Oiseaux

Poésies de la collection oiseaux

    Louis Aragon

    Louis Aragon

    @louisAragon

    Les oiseaux déguisés Tous ceux qui parlent des merveilles Leurs fables cachent des sanglots Et les couleurs de leur oreille Toujours à des plaintes pareilles Donnent leurs larmes pour de l'eau Le peintre assis devant sa toile A-t-il jamais peint ce qu'il voit Ce qu'il voit son histoire voile Et ses ténèbres sont étoiles Comme chanter change la voix Ses secrets partout qu'il expose Ce sont des oiseaux déguisés Son regard embellit les choses Et les gens prennent pour des roses La douleur dont il est brisé Ma vie au loin mon étrangère Ce que je fus je l'ai quitté Et les teintes d'aimer changèrent Comme roussit dans les fougères Le songe d'une nuit d'été Automne automne long automne Comme le cri du vitrier De rue en rue et je chantonne Un air dont lentement s'étonne Celui qui ne sait plus prier.

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    Marceline Desbordes-Valmore

    Marceline Desbordes-Valmore

    @marcelineDesbordesValmore

    L'esclave et l'oiseau Ouvre ton aile au vent, mon beau ramier sauvage, Laisse à mes doigts brisés ton anneau d'esclavage ! Tu n'as que trop pleuré ton élément, l'amour ; Sois heureux comme lui : sauve-toi sans retour ! Que tu montes la nue, ou que tu rases l'onde, Souviens-toi de l'esclave en traversant le monde : L'esclave t'affranchit pour te rendre à l'amour ; Quitte-moi comme lui : sauve-toi sans retour ! Va retrouver dans l'air la volupté de vivre ! Va boire les baisers de Dieu, qui te délivre ! Ruisselant de soleil et plongé dans l'amour, Va-t’en ! Va-t’en ! Va-t’en ! Sauve-toi sans retour ! Moi, je garde l'anneau ; je suis l'oiseau sans ailes. Les tiennes vont aux cieux ; mon âme est devant elles. Va ! Je les sentirai frissonner dans l'amour ! Mon ramier, sois béni ! Sauve-toi sans retour ! Va demander pardon pour les faiseurs de chaînes ; En fuyant les bourreaux, laisse tomber les haines. Va plus haut que la mort, emporté dans l'amour ; Sois clément comme lui... sauve-toi sans retour !

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Le cygne Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes, Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes, Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil À des neiges d'avril qui croulent au soleil ; Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire, Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un lent navire. Il dresse son beau col au-dessus des roseaux, Le plonge, le promène allongé sur les eaux, Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe, Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante. Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix, Il serpente, et laissant les herbages épais Traîner derrière lui comme une chevelure, Il va d'une tardive et languissante allure ; La grotte où le poète écoute ce qu'il sent, Et la source qui pleure un éternel absent, Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule En silence tombée effleure son épaule ; Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur, Superbe, gouvernant du côté de l'azur, Il choisit, pour fêter sa blancheur qu'il admire, La place éblouissante où le soleil se mire. Puis, quand les bords de l'eau ne se distinguent plus, À l'heure où toute forme est un spectre confus, Où l'horizon brunit, rayé d'un long trait rouge, Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge, Que les rainettes font dans l'air serein leur bruit Et que la luciole au clair de lune luit, L'oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète La splendeur d'une nuit lactée et violette, Comme un vase d'argent parmi des diamants, Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments.

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Le vase et l'oiseau Tout seul au plus profond d'un bois, Dans un fouillis de ronce et d'herbe, Se dresse, oublié, mais superbe, Un grand vase du temps des rois. Beau de matière et pur de ligne, Il a pour anses deux béliers Qu'un troupeau d'amours familiers Enlace d'une souple vigne. À ses bords, autrefois tout blancs, La mousse noire append son givre ; Une lèpre aux couleurs de cuivre Étoile et dévore ses flancs. Son poids a fait pencher sa base Où gît un amas de débris, Car il a ses angles meurtris, Mais il tient bon, l'orgueilleux vase. Il songe : « Autour de moi tout dort, Que fait le monde ? Je m'ennuie, Mon cratère est plein d'eau de pluie, D'ombre, de rouille et de bois mort. « Où donc aujourd'hui se promène Le flot soyeux des courtisans ? Je n'ai pas vu figure humaine À mon pied depuis bien des ans. » Pendant qu'il regrette sa gloire, Perdu dans cet exil obscur, Un oiseau par un trou d'azur S'abat sur ses lèvres pour boire. « Holà ! Manant du ciel, dis-moi, Toi devant qui l'horizon s'ouvre, Sais-tu ce qui se passe au Louvre ? Je n'entends plus parler du roi. — Ah ! Tu prends, à l'heure où nous sommes, Dit l'autre, un bien tardif souci ! Rien n'est donc venu jusqu'ici Des branle-bas qu'on faits les hommes ? — Parfois un soubresaut brutal, Des rumeurs extraordinaires, Comme de souterrains tonnerres Font tressaillir mon piédestal. — C'est l'écho de leurs grands vacarmes : Plus une tour, plus un clocher Où l'oiseau puisse en paix nicher ; Partout l'incendie et les armes ! « J'ai naguère, à Paris, en vain Heurté du bec les vitres closes, Nulle part, même aux lèvres roses, La moindre miette de vrai pain. « Aux mansardes des tuileries Je logeais, le printemps passé, Mais les flammes m'en ont chassé, Ce n'était que feux et tueries. « Sur le front du génie ailé Qui plane où sombra la bastille, J'ai voulu poser ma famille, Mais cet asile a chancelé. « Des murs de granit qu'on restaure Nous sommes l'un et l'autre exclus, Là le temps des palais n'est plus, Et celui des nids, pas encore. »

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    Les tourterelles Cependant qu'étrangère à la nature en fête, Elle rêvait sans but sur sa couche défaite, Le soleil frissonnait sur l'or et les damas ; Le doux air de l'été, qui chasse les frimas, Chargé de la couleur et du parfum des roses, Entrait, et redonnait la vie à mille choses. Le vin était de pourpre, et les cristaux de feu. Alors, comme, en jouant, deux cygnes d'un lac bleu, Comme deux lys jumeaux que leur beauté protège, D'un vol silencieux, deux colombes de neige Franchirent l'azur vaste et vinrent se poser Sur la fenêtre ouverte, et dans un long baiser Se becqueter sans fin en remuant les ailes. Or, la douce beauté, voyant ces tourterelles, (Tandis que de la mousse et des feuillages verts S'exhalaient alentour mille parfums amers,) Laissait, l'âme enivrée à la brise fleurie, Dans le bleu de l'amour errer sa rêverie. Dis-moi, que faisais-tu loin d'elle, ô bel enfant ! Tandis que sur son col et sur son dos charmant Couraient à l'abandon ses tresses envolées, Que faisais-tu, perdu sous les longues saulées, Et que te disaient donc, ô timide rêveur ! Les brises de l'été si pleines de saveur ?

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    Théophile Gautier

    Théophile Gautier

    @theophileGautier

    Le merle Un oiseau siffle dans les branches Et sautille gai, plein d'espoir, Sur les herbes, de givre blanches, En bottes jaunes, en frac noir. C'est un merle, chanteur crédule, Ignorant du calendrier, Qui rêve soleil, et module L'hymne d'avril en février. Pourtant il vente, il pleut à verse ; L'Arve jaunit le Rhône bleu, Et le salon, tendu de perse, Tient tous ses hôtes près du feu. Les monts sur l'épaule ont l'hermine, Comme des magistrats siégeant. Leur blanc tribunal examine Un cas d'hiver se prolongeant. Lustrant son aile qu'il essuie, L'oiseau persiste en sa chanson, Malgré neige, brouillard et pluie, Il croit à la jeune saison. Il gronde l'aube paresseuse De rester au lit si longtemps Et, gourmandant la fleur frileuse, Met en demeure le printemps. Il voit le jour derrière l'ombre, Tel un croyant, dans le saint lieu, L'autel désert, sous la nef sombre, Avec sa foi voit toujours Dieu. A la nature il se confie, Car son instinct pressent la loi. Qui rit de ta philosophie, Beau merle, est moins sage que toi !

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    Théophile Gautier

    Théophile Gautier

    @theophileGautier

    Les colombes Sur le coteau, là-bas où sont les tombes, Un beau palmier, comme un panache vert, Dresse sa tête, où le soir les colombes Viennent nicher et se mettre à couvert. Mais le matin elles quittent les branches ; Comme un collier qui s'égrène, on les voit S'éparpiller dans l'air bleu, toutes blanches, Et se poser plus loin sur quelque toit. Mon âme est l'arbre où tous les soirs, comme elles, De blancs essaims de folles visions Tombent des cieux en palpitant des ailes, Pour s'envoler dès les premiers rayons.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les oiseaux Je rêvais dans un grand cimetière désert ; De mon âme et des morts j'écoutais le concert, Parmi les fleurs de l'herbe et les croix de la tombe. Dieu veut que ce qui naît sorte de ce qui tombe. Et l'ombre m'emplissait. Autour de moi, nombreux, Gais, sans avoir souci de mon front ténébreux, Dans ce champ, lit fatal de la sieste dernière, Des moineaux francs faisaient l'école buissonnière. C'était l'éternité que taquine l'instant. Ils allaient et venaient, chantant, volant, sautant, Égratignant la mort de leurs griffes pointues, Lissant leur bec au nez lugubre des statues, Becquetant les tombeaux, ces grains mystérieux. Je pris ces tapageurs ailés au sérieux ; Je criai : « Paix aux morts ! vous êtes des harpies. — Nous sommes des moineaux, me dirent ces impies. — Silence ! allez-vous en ! » repris-je, peu clément. Ils s'enfuirent ; j'étais le plus fort. Seulement, Un d'eux resta derrière, et, pour toute musique, Dressa la queue, et dit : « Quel est ce vieux classique ? » Comme ils s'en allaient tous, furieux, maugréant, Criant, et regardant de travers le géant, Un houx noir qui songeait près d'une tombe, un sage, M'arrêta brusquement par la manche au passage, Et me dit : « Ces oiseaux sont dans leur fonction. Laisse-les. Nous avons besoin de ce rayon. Dieu les envoie. Ils font vivre le cimetière. Homme, ils sont la gaîté de la nature entière ; Ils prennent son murmure au ruisseau, sa clarté A l'astre, son sourire au matin enchanté ; Partout où rit un sage, ils lui prennent sa joie, Et nous l'apportent ; l'ombre en les voyant flamboie ; Ils emplissent leurs becs des cris des écoliers ; A travers l'homme et l'herbe, et l'onde, et les halliers, Ils vont pillant la joie en l'univers immense. Ils ont cette raison qui te semble démence. Ils ont pitié de nous qui loin d'eux languissons ; Et, lorsqu'ils sont bien pleins de jeux et de chansons ; D'églogues, de baisers, de tous les commérages Que les nids en avril font sous les verts ombrages, Ils accourent, joyeux, charmants, légers, bruyants, Nous jeter tout cela dans nos trous effrayants ; Et viennent, des palais, des bois, de la chaumière, Vider dans notre nuit toute cette lumière ! » Quand mai nous les ramène, ô songeur, nous disons : « Les voilà ! » tout s'émeut, pierres, tertres, gazons ; Le moindre arbrisseau parle, et l'herbe est en extase ; Le saule pleureur chante en achevant sa phrase ; Ils confessent les ifs, devenus babillards ; Ils jasent de la vie avec les corbillards ; Des linceuls trop pompeux ils décrochent l'agrafe ; Ils se moquent du marbre ; ils savent l'orthographe ; Et, moi qui suis ici le vieux chardon boudeur, Devant qui le mensonge étale sa laideur, Et ne se gène pas, me traitant comme un hôte, Je trouve juste, ami, qu'en lisant à voix haute L'épitaphe où le mort est toujours bon et beau, Ils fassent éclater de rire le tombeau. Paris, mai 1835.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Oh ! les charmants oiseaux joyeux Oh ! les charmants oiseaux joyeux ! Comme ils maraudent ! comme ils pillent ! Où va ce tas de petits gueux Que tous les souffles éparpillent ? Ils s'en vont au clair firmament ; Leur voix raille, leur bec lutine ; Ils font rire éternellement La grande nature enfantine. Ils vont aux bois, ils vont aux champs, À nos toits remplis de mensonges, Avec des cris, avec des chants, Passant, fuyant, pareils aux songes. Comme ils sont près du Dieu vivant Et de l'aurore fraîche et douce, Ces gais bohémiens du vent N'amassent rien qu'un peu de mousse. Toute la terre est sous leurs yeux ; Dieu met, pour ces purs êtres frêles, Un triomphe mystérieux Dans la légèreté des ailes. Atteignent-ils les astres ? Non. Mais ils montent jusqu'aux nuages. Vers le rêveur, leur compagnon, Ils vont, familiers et sauvages. La grâce est tout leur mouvement, La volupté toute leur vie ; Pendant qu'ils volent vaguement La feuillée immense est ravie. L'oiseau va moins haut que Psyché. C'est l'ivresse dans la nuée. Vénus semble l'avoir lâché De sa ceinture dénouée. Il habite le demi-jour ; Le plaisir est sa loi secrète. C'est du temple que sort l'amour, C'est du nid que vient l'amourette. L'oiseau s'enfuit dans l'infini Et s'y perd comme un son de lyre. Avec sa queue il dit nenni Comme Jeanne avec son sourire. Que lui faut-il ? un réséda, Un myrte, un ombre, une cachette. Esprit, tu voudrais Velléda ; Oiseau, tu chercherais Fanchette. Colibri, comme Ithuriel, Appartient à la zone bleue. L'ange est de la cité du ciel ; Les oiseaux sont de la banlieue.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    À des oiseaux envolés Enfants ! - Oh ! revenez ! Tout à l'heure, imprudent, Je vous ai de ma chambre exilés en grondant, Rauque et tout hérissé de paroles moroses. Et qu'aviez-vous donc fait, bandits aux lèvres roses ? Quel crime ? quel exploit ? quel forfait insensé ? Quel vase du Japon en mille éclats brisé ? Quel vieux portrait crevé ? Quel beau missel gothique Enrichi par vos mains d'un dessin fantastique ? Non, rien de tout cela. Vous aviez seulement, Ce matin, restés seuls dans ma chambre un moment, Pris, parmi ces papiers que mon esprit colore, Quelques vers, groupe informe, embryons près d'éclore, Puis vous les aviez mis, prompts à vous accorder, Dans le feu, pour jouer, pour voir, pour regarder Dans une cendre noire errer des étincelles, Comme brillent sur l'eau de nocturnes nacelles, Ou comme, de fenêtre en fenêtre, on peut voir Des lumières courir dans les maisons le soir. Voilà tout. Vous jouiez et vous croyiez bien faire. Belle perte, en effet ! beau sujet de colère ! Une strophe, mal née au doux bruit de vos jeux, Qui remuait les mots d'un vol trop orageux ! Une ode qui chargeait d'une rime gonflée Sa stance paresseuse en marchant essoufflée ! De lourds alexandrins l'un sur l'autre enjambant Comme des écoliers qui sortent de leur banc ! Un autre eût dit : - Merci ! Vous ôtez une proie Au feuilleton méchant qui bondissait de joie Et d'avance poussait des rires infernaux Dans l'antre qu'il se creuse au bas des grands journaux. Moi, je vous ai grondés. Tort grave et ridicule ! Nains charmants que n'eût pas voulu fâcher Hercule, Moi, je vous ai fait peur. J'ai, rêveur triste et dur, Reculé brusquement ma chaise jusqu'au mur, Et, vous jetant ces noms dont l'envieux vous nomme, J'ai dit : - Allez-vous-en ! laissez-moi seul ! - Pauvre homme ! Seul ! le beau résultat ! le beau triomphe ! seul ! Comme on oublie un mort roulé dans son linceul, Vous m'avez laissé là, l'oeil fixé sur ma porte, Hautain, grave et puni. - Mais vous, que vous importe ! Vous avez retrouvé dehors la liberté, Le grand air, le beau parc, le gazon souhaité, L'eau courante où l'on jette une herbe à l'aventure, Le ciel bleu, le printemps, la sereine nature, Ce livre des oiseaux et des bohémiens, Ce poème de Dieu qui vaut mieux que les miens, Où l'enfant peut cueillir la fleur, strophe vivante, Sans qu'une grosse voix tout à coup l'épouvante ! Moi, je suis resté seul, toute joie ayant fui, Seul avec ce pédant qu'on appelle l'ennui. Car, depuis le matin assis dans l'antichambre, Ce docteur, né dans Londres, un dimanche, en décembre, Qui ne vous aime pas, ô mes pauvres petits, Attendait pour entrer que vous fussiez sortis. Dans l'angle où vous jouiez il est là qui soupire, Et je le vois bâiller, moi qui vous voyais rire ! Que faire ? lire un livre ? oh non ! - dicter des vers ? A quoi bon ? - Emaux bleus ou blancs, céladons verts, Sphère qui fait tourner tout le ciel sur son axe, Les beaux insectes peints sur mes tasses de Saxe, Tout m'ennuie, et je pense à vous. En vérité, Vous partis, j'ai perdu le soleil, la gaîté, Le bruit joyeux qui fait qu'on rêve, le délire De voir le tout petit s'aider du doigt pour lire, Les fronts pleins de candeur qui disent toujours oui, L'éclat de rire franc, sincère, épanoui, Qui met subitement des perles sur les lèvres, Les beaux grands yeux naïfs admirant mon vieux Sèvres, La curiosité qui cherche à tout savoir, Et les coudes qu'on pousse en disant : Viens donc voir ! Oh ! certes, les esprits, les sylphes et les fées Que le vent dans ma chambre apporte par bouffées, Les gnomes accroupis là-haut, près du plafond, Dans les angles obscurs que mes vieux livres font, Les lutins familiers, nains à la longue échine, Qui parlent dans les coins à mes vases de Chine. Tout l'invisible essaim de ces démons joyeux A dû rire aux éclats, quand là, devant leurs yeux, Ils vous ont vus saisir dans la boîte aux ébauches Ces hexamètres nus, boiteux, difformes, gauches, Les traîner au grand jour, pauvres hiboux fâchés, Et puis, battant des mains, autour du feu penchés, De tous ces corps hideux soudain tirant une âme, Avec ces vers si laids faire une belle flamme ! Espiègles radieux que j'ai fait envoler, Oh ! revenez ici chanter, danser, parler, Tantôt, groupe folâtre, ouvrir un gros volume, Tantôt courir, pousser mon bras qui tient ma plume, Et faire dans le vers que je viens retoucher Saillir soudain un angle aigu comme un clocher Qui perce tout à coup un horizon de plaines. Mon âme se réchauffe à vos douces haleines. Revenez près de moi, souriant de plaisir, Bruire et gazouiller, et sans peur obscurcir Le vieux livre où je lis de vos ombres penchées, Folles têtes d'enfants ! gaîtés effarouchées ! J'en conviens, j'avais tort, et vous aviez raison. Mais qui n'a quelquefois grondé hors de saison ? Il faut être indulgent. Nous avons nos misères. Les petits pour les grands ont tort d'être sévères. Enfants ! chaque matin, votre âme avec amour S'ouvre à la joie ainsi que la fenêtre au jour. Beau miracle, vraiment, que l'enfant, gai sans cesse, Ayant tout le bonheur, ait toute la sagesse ! Le destin vous caresse en vos commencements. Vous n'avez qu'à jouer et vous êtes charmants. Mais nous, nous qui pensons, nous qui vivons, nous sommes Hargneux, tristes, mauvais, ô mes chers petits hommes ! On a ses jours d'humeur, de déraison, d'ennui. Il pleuvait ce matin. Il fait froid aujourd'hui. Un nuage mal fait dans le ciel tout à l'heure A passé. Que nous veut cette cloche qui pleure ? Puis on a dans le coeur quelque remords. Voilà Ce qui nous rend méchants. Vous saurez tout cela, Quand l'âge à votre tour ternira vos visages, Quand vous serez plus grands, c'est-à-dire moins sages. J'ai donc eu tort. C'est dit. Mais c'est assez punir, Mais il faut pardonner, mais il faut revenir. Voyons, faisons la paix, je vous prie à mains jointes. Tenez, crayons, papiers, mon vieux compas sans pointes, Mes laques et mes grès, qu'une vitre défend, Tous ces hochets de l'homme enviés par l'enfant, Mes gros chinois ventrus faits comme des concombres, Mon vieux tableau trouvé sous d'antiques décombres, Je vous livrerai tout, vous toucherez à tout ! Vous pourrez sur ma table être assis ou debout, Et chanter, et traîner, sans que je me récrie, Mon grand fauteuil de chêne et de tapisserie, Et sur mon banc sculpté jeter tous à la fois Vos jouets anguleux qui déchirent le bois ! Je vous laisserai même, et gaîment, et sans crainte, Ô prodige ! en vos mains tenir ma bible peinte, Que vous n'avez touchée encor qu'avec terreur, Où l'on voit Dieu le père en habit d'empereur ! Et puis, brûlez les vers dont ma table est semée, Si vous tenez à voir ce qu'ils font de fumée ! Brûlez ou déchirez ! - Je serais moins clément Si c'était chez Méry, le poète charmant, Que Marseille la grecque, heureuse et noble ville, Blonde fille d'Homère, a fait fils de Virgile. Je vous dirais : - " Enfants, ne touchez que des yeux A ces vers qui demain s'envoleront aux cieux. Ces papiers, c'est le nid, retraite caressée, Où du poète ailé rampe encor la pensée. Oh ! n'en approchez pas ! car les vers nouveau-nés, Au manuscrit natal encore emprisonnés, Souffrent entre vos mains innocemment cruelles. Vous leur blessez le pied, vous leur froissez les ailes ; Et, sans vous en douter, vous leur faites ces maux Que les petits enfants font aux petits oiseaux. " Mais qu'importe les miens ! - Toute ma poésie, C'est vous, et mon esprit suit votre fantaisie. Vous êtes les reflets et les rayonnements Dont j'éclaire mon vers si sombre par moments. Enfants, vous dont la vie est faite d'espérance, Enfants, vous dont la joie est faite d'ignorance, Vous n'avez pas souffert et vous ne savez pas, Quand la pensée en nous a marché pas à pas, Sur le poète morne et fatigué d'écrire Quelle douce chaleur répand votre sourire ! Combien il a besoin, quand sa tête se rompt, De la sérénité qui luit sur votre front ; Et quel enchantement l'enivre et le fascine, Quand le charmant hasard de quelque cour voisine, Où vous vous ébattez sous un arbre penchant, Mêle vos joyeux cris à son douloureux chant ! Revenez donc, hélas ! revenez dans mon ombre, Si vous ne voulez pas que je sois triste et sombre, Pareil, dans l'abandon où vous m'avez laissé, Au pêcheur d'Etretat, d'un long hiver lassé, Qui médite appuyé sur son coude, et s'ennuie De voir à sa fenêtre un ciel rayé de pluie.

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