Art poétique Et tu disais, mais savions-nous comprendre? le poète
Est celui, dans la liesse, qui jonche de rameaux,
La terre où s'avance l'ânon du
Seigneur;
Jérusalem
Tremble dans la lumière, délivrée de la pesanteur
Accablante du mal.
Nous avions pressenti
Sa céleste beauté; son diadème sanglant
Scintille étrangement au-dessus des villes.
Le poème
Étend la charité de ses syllabes, la douceur
De sa musique sur l'asphalte où passe le roi glorieux
Des futures douleurs.
il y a 9 mois
Robert Desnos
@robertDesnos
Art poétique Par le travers de la gueule
Ramassée dans la boue et la gadoue
Crachée, vomie, rejetée —
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître —
Déchet, rebut, ordures
Comme le diamant, la flamme et le bleu de ciel
Pas pure, pas vierge
Mais baisée dans tous les coins
baisée enfilée sucée enculée violée
Je buis le vers témoin du souffle de mon maître
Baiseuse et violatrice
Pas pucelle
Rien de plus sale qu'un pucelage
Ouf! ça y est on en sort
Bonne terre boueuse où je mets le pied
Je suis pour le vent le grand vent et la mer
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître
Ça craque ça pète ça chante ça ronfle
Grand vent tempête cœur du monde
Il n'y a plus de sale temps
J'aime tous les temps j'aime le temps
J'aime le grand vent
Le grand vent la pluie les cris la neige le soleil le feu et
tout ce qui est de la terre boueuse ou sèche
Et que ça croule!
Et que ça pourrisse
Pourrissez vieille chair vieux os
Par le travers de la gueule
Et que ça casse les dents et que ça fasse saigner les gencives
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître
L'eau coule avec son absurde chant de colibris
de rossignol et d'alcool brûlant dans une casserole
coule le long de mon corps
Un champignon pourrit au coin de la forêt ténébreuse
dans laquelle s'égare et patauge pieds nus une femme
du tonnerre de dieu Ça pourrit dur au pied des chênes
Une médaille d'or n'y résiste pas
C'est mou
C'est profond Ça cède
Ça pourrit dur au pied des chênes
Une lune d'il y a pas mal de temps
Se reflète dans cette pourriture
Odeur de mort odeur de vie odeur d'étreinte
De cocasses créatures d'ombre doivent se rouler et se combattre et s'embrasser ici Ça pourrit dur au pied des chênes
Et ça souffle encore plus dur au sommet
Nids secoués et les fameux colibris de tout à l'heure
Précipités
Rossignols époumonés
Feuillage des forêts immenses et palpitantes
Souillé et froissé comme du papier à chiottes
Marées tumultueuses et montantes du sommet
des forêts vos vagues attirent vers le ciel
les collines dodues dans une écume
de clairières et de pâturages veinée de
fleuves et de minerais
Enfin le voilà qui sort de sa bauge
L'écorché sanglant qui chante avec sa gorge à vif
Pas d'ongles au bout de ses doigts
Orphée qu'on l'appelle
Baiseur à froid confident des
Sibylles
Bacchus châtré délirant et clairvoyant
Jadis homme de bonne terre issu de bonne graine par
bon vent
Parle saigne et crève
Dents brisées reins fêles, artères nouées
Cœur de rien
Tandis que le fleuve coule roule et saoule de grotesques épaves de péniches d'où coule du charbon
Gagne la plaine et gagne la mer Écume roule et s'use
Sur le sable le sel et le corail
J'entrerai dans tes vagues
A la suite du fleuve épuisé
Gare à tes flottes!
Gare à tes coraux, à ton sable, à ton sel à tes festins
Sorti des murailles à mots de passe
Par le travers des gueules
Par le travers des dents
Beau temps
Pour les hommes dignes de ce nom
Beau temps pour les fleuves et les arbres
Beau temps pour la mer
Restent l'écume et la boue
Et la joie de vivre
Et une main dans la mienne
Et la joie de vivre
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître
il y a 9 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Don du poème Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée !
Noire, à l’aile saignante et pâle, déplumée,
Par le verre brûlé d’aromates et d’or,
Par les carreaux glacés, hélas ! mornes encor
L’aurore se jeta sur la lampe angélique,
Palmes ! et quand elle a montré cette relique
À ce père essayant un sourire ennemi,
La solitude bleue et stérile a frémi.
Ô la berceuse avec ta fille et l’innocence
De vos pieds froids, accueille une horrible naissance
Et, ta voix rappelant viole et clavecin,
Avec le doigt fané presseras-tu le sein
Par qui coule en blancheur sybilline la femme
Pour des lèvres que l’air du vierge azur affame ?
il y a 9 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
L'azur De l'éternel Azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poète impuissant qui maudit son génie
À travers un désert stérile de Douleurs.
Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde
Avec l'intensité d'un remords atterrant,
Mon âme vide. Où fuir ? Et quelle nuit hagarde
Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ?
Brouillards, montez ! versez vos cendres monotones
Avec de longs haillons de brume dans les cieux
Que noiera le marais livide des automnes,
Et bâtissez un grand plafond silencieux !
Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse
En t'en venant la vase et les pâles roseaux,
Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse
Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux.
il y a 9 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Les fenêtres Las du triste hôpital et de l’encens fétide
Qui monte en la blancheur banale des rideaux
Vers le grand crucifix ennuyé du mur vide,
Le moribond, parfois, redresse son vieux dos,
Se traîne et va, moins pour chauffer sa pourriture
Que pour voir du soleil sur les pierres, coller
Les poils blancs et les os de sa maigre figure
Aux fenêtres qu’un beau rayon clair veut hâler,
Et sa bouche, fiévreuse et d’azur bleu vorace,
Telle, jeune, elle alla respirer son trésor,
Une peau virginale et de jadis ! encrasse
D’un long baiser amer les tièdes carreaux d’or.
Ivre, il vit, oubliant l’horreur des saintes huiles,
Les tisanes, l’horloge et le lit infligé,
La toux ; et quand le soir saigne parmi les tuiles,
Son œil, à l’horizon de lumière gorgé,
Voit des galères d’or, belles comme des cygnes,
Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir
En berçant l’éclair fauve et riche de leurs lignes
Dans un grand nonchaloir chargé de souvenir !
Ainsi, pris du dégoût de l’homme à l’âme dure
Vautré dans le bonheur, où ses seuls appétits
Mangent, et qui s’entête à chercher cette ordure
Pour l’offrir à la femme allaitant ses petits,
Je fuis et je m’accroche à toutes les croisées
D’où l’on tourne le dos à la vie, et, béni,
Dans leur verre, lavé d’éternelles rosées,
Que dore la main chaste de l’Infini
Je me mire et me vois ange ! et je meurs, et j’aime
— Que la vitre soit l’art, soit la mysticité —
À renaître, portant mon rêve en diadème,
Au ciel antérieur où fleurit la Beauté !
Mais, hélas ! Ici-bas est maître : sa hantise
Vient m’écœurer parfois jusqu’en cet abri sûr,
Et le vomissement impur de la Bêtise
Me force à me boucher le nez devant l’azur.
Est-il moyen, ô Moi qui connais l’amertume,
D’enfoncer le cristal par le monstre insulté,
Et de m’enfuir, avec mes deux ailes sans plume
— Au risque de tomber pendant l’éternité ?
il y a 9 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Prose Hyperbole ! de ma mémoire
Triomphalement ne sais-tu
Te lever, aujourd’hui grimoire
Dans un livre de fer vêtu :
Car j’installe, par la science,
L’hymne des cœurs spirituels
En l’œuvre de ma patience,
Atlas, herbiers et rituels.
Nous promenions notre visage
(Nous fûmes deux, je le maintiens)
Sur maints charmes de paysage,
Ô sœur, y comparant les tiens.
L’ère d’autorité se trouble
Lorsque, sans nul motif, on dit
De ce midi que notre double
Inconscience approfondit
Que, sol des cent iris, son site,
Ils savent s’il a bien été,
Ne porte pas de nom que cite
L’or de la trompette d’Été.
Oui, dans une île que l’air charge
De vue et non de visions
Toute fleur s’étalait plus large
Sans que nous en devisions.
Telles, immenses, que chacune
Ordinairement se para
D’un lucide contour, lacune
Qui des jardins la sépara.
il y a 9 mois
S
Sylvain Maréchal
@sylvainMarechal
Art sublime des vers Art sublime des vers, que nos dévots aïeux
Dégradaient sous le nom de langage des dieux,
De la vérité sainte éloquent interprète!
Que ma lyre brisée à jamais soit muette,
Si je te prostitue au culte des autels ;
Si, par ton ascendant, j'abuse les mortels,
Si de leurs préjugés, de leur vieille folie,
Je te rends la complice, auguste
Poésie !
Embellir la raison, et faire aimer sa loi,
Voilà ton but ; le reste est indigne de toi :
Je veux te rappeler à ta noble origine.
Muses, qui trop souvent sur la double colline,
Sans choix, avez admis les plus vils imposteurs,
Et qui leur prodiguez vos coupables faveurs ;
Aux seuls amis du vrai, désormais indulgentes,
Ne prêtez qu'à leurs mains vos armes triomphantes.
Et sur l'autel détruit du préjugé vaincu.
Consacrez vos talents à la seule vertu.
il y a 9 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
À Vénus de milo Ô Vénus de Milo, guerrière au flanc nerveux,
Dont le front irrité sous vos divins cheveux
Songe, et dont une flamme embrase la paupière,
Calme éblouissement, grand poème de pierre,
Débordement de vie avec art compensé,
Vous qui depuis mille ans avez toujours pensé,
J’adore votre bouche où le courroux flamboie
Et vos seins frémissants d’une tranquille joie.
Et vous savez si bien ces amours éperdus
Que si vous retrouviez un jour vos bras perdus
Et qu’à vos pieds tombât votre blanche tunique,
Nos froideurs pâmeraient dans un combat unique,
Et vous m’étaleriez votre ventre indompté,
Pour y dormir un soir comme un amant sculpté !
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Il faut que le poète Il faut que le poète, épris d'ombre et d'azur,
Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,
Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,
Chanteur mystérieux qu'en tressaillant écoutent
Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,
Devienne formidable à de certains moments.
Parfois, lorsqu'on se met à rêver sur son livre,
Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,
Où l'âme à chaque pas trouve à faire son miel,
Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel,
Au milieu de cette humble et haute poésie,
Dans cette paix sacrée où croit la fleur choisie,
Où l'on entend couler les sources et les pleurs,
Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,
Volent chantant l'amour, l'espérance et la joie,
Il faut que par instants on frissonne, et qu'on voie
Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,
Un vers fauve sortir de l'ombre en rugissant !
Il faut que le poète aux semences fécondes
Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,
Pleines de chants, amour du vent et du rayon,
Charmantes, où soudain l'on rencontre un lion.
Paris, mai 1842.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
À Théophile Gautier Ami, poète, esprit, tu fuis notre nuit noire.
Tu sors de nos rumeurs pour entrer dans la gloire;
Et désormais ton nom rayonne aux purs sommets.
Moi qui t’ai connu jeune et beau, moi qui t’aimais,
Moi qui, plus d’une fois, dans nos altiers coups d’aile,
Éperdu, m’appuyais sur ton âme fidèle,
Moi, blanchi par les jours sur ma tête neigeant,
Je me souviens des temps écoulés, et songeant
A ce jeune passé qui vit nos deux aurores,
A la lutte, à l’orage, aux arènes sonores,
A l’art nouveau qui s’offre, au peuple criant oui,
J’écoute ce grand vent sublime évanoui.
Fils de la Grèce antique et de la jeune France,
Ton fier respect des morts fut rempli d’espérance;
Jamais tu ne fermas les yeux à l’avenir.
Mage à Thèbes, druide au pied du noir menhir,
Flamine aux bords du Tibre et brahme aux bords du Gange,
Mettant sur l’arc du dieu la flèche de l’archange,
D’Achille et de Roland hantant les deux chevets,
Forgeur mystérieux et puissant, tu savais
Tordre tous les rayons dans une seule flamme;
Le couchant rencontrait l’aurore dans ton âme;
Hier croisait demain dans ton fécond cerveau;
Tu sacrais le vieil art aïeul de l’art nouveau;
Tu comprenais qu’il faut, lorsqu’une âme inconnue
Parle au peuple, envolée en éclairs dans la nue,
L’écouter, l’accepter; l’aimer, ouvrir les coeurs;
Calme, tu dédaignais l’effort vil des moqueurs
Écumant sur Eschyle et bavant sur Shakspeare;
Tu savais que ce siècle a son air qu’il respire,
Et que, l’art ne marchant qu’en se transfigurant,
C’est embellir le beau que d’y joindre le grand.
Et l’on t’a vu pousser d’illustres cris de joie
Quand le Drame a saisi Paris comme une proie,
Quand l’antique hiver fut chassé par Floréal,
Quand l’astre inattendu du moderne idéal
Est venu tout à coup, dans le ciel qui s’embrase
Luire, et quand l’Hippogriffe a relayé Pégase!
Je te salue au seuil sévère du tombeau.
Va chercher le vrai, toi qui sus trouver le beau.
Monte l’âpre escalier. Du haut des sombres marches,
Du noir pont de l’abîme on entrevoit les arches;
Va! meurs! la dernière heure est le dernier degré.
Pars, aigle, tu vas voir des gouffres à ton gré;
Tu vas voir l’absolu, le réel, le sublime.
Tu vas sentir le vent sinistre de la cime
Et l’éblouissement du prodige éternel.
Ton olympe, tu vas le voir du haut du ciel,
Tu vas du haut du vrai voir l’humaine chimère,
Même celle de Job, même celle d’Homère,
Ame, et du haut de Dieu tu vas voir Jéhovah.
Monte, esprit! Grandis, plane, ouvre tes ailes, va!
Lorsqu’un vivant nous quitte, ému, je le contemple;
Car entrer dans la mort, c’est entrer dans le temple
Et quand un homme meurt, je vois distinctement
Dans son ascension mon propre avènement.
Ami, je sens du sort la sombre plénitude;
J’ai commencé la mort par de la solitude,
Je vois mon profond soir vaguement s’étoiler;
Voici l’heure où je vais, aussi moi, m’en aller.
Mon fil trop long frissonne et touche presque au glaive;
Le vent qui t’emporta doucement me soulève,
Et je vais suivre ceux qui m’aimaient, moi, banni.
Leur oeil fixe m’attire au fond de l’infini.
J’y cours. Ne fermez pas la porte funéraire.
Passons; car c’est la loi; nul ne peut s’y soustraire;
Tout penche; et ce grand siècle avec tous ses rayons
Entre en cette ombre immense où pâles nous fuyons.
Oh! quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule!
Les chevaux de la mort se mettent à hennir,
Et sont joyeux, car l’âge éclatant va finir;
Ce siècle altier qui sut dompter le vent contraire,
Expire ô Gautier! toi, leur égal et leur frère,
Tu pars après Dumas, Lamartine et Musset.
L’onde antique est tarie où l’on rajeunissait;
Comme il n’est plus de Styx il n’est plus de Jouvence.
Le dur faucheur avec sa large lame avance
Pensif et pas à pas vers le reste du blé;
C’est mon tour; et la nuit emplit mon oeil troublé
Qui, devinant, hélas, l’avenir des colombes,
Pleure sur des berceaux et sourit à des tombes.
Hauteville-house, nov. 1872. Jour des Morts.
il y a 9 mois
Yves Bonnefoy
@yvesBonnefoy
Art de la poésie Dragué fut le regard hors de cette nuit.
Immobilisées et séchées les mains.
On a réconcilié la fièvre.
On a dit au coeur
D'être le cceur.
Il y avait un démon dans ces veines
Qui s'est enfui en criant.
II y avait dans la bouche une voix morne sanglante
Qui a été lavée et rappelée.
il y a 9 mois
Yves Bonnefoy
@yvesBonnefoy
Art poétique Visage séparé de ses branches premières,
Beauté loute d'alarme par ciel bas,
En quel àtre dresser le feu de ton visage
O
Ménade saisie jetée la tête en bas ?