Aumône Prends ce sac, Mendiant ! tu ne le cajolas
Sénile nourrisson d'une tétine avare
Afin de pièce à pièce en égoutter ton glas.
Tire du métal cher quelque péché bizarre
Et vaste comme nous, les poings pleins, le baisons
Souffles-y qu'il se torde ! une ardente fanfare.
Église avec l'encens que toutes ces maisons
Sur les murs quand berceur d'une bleue éclaircie
Le tabac sans parler roule les oraisons,
Et l'opium puissant brise la pharmacie !
Robes et peau, veux-tu lacérer le satin
Et boire en la salive heureuse l'inertie,
Par les cafés princiers attendre le matin ?
Les plafonds enrichis de nymphes et de voiles,
On jette, au mendiant de la vitre, un festin.
Et quand tu sors, vieux dieu, grelottant sous tes toiles
D'emballage, l'aurore est un lac de vin d'or
Et tu jures avoir au gosier les étoiles !
Faute de supputer l'éclat de ton trésor,
Tu peux du moins t'orner d'une plume, à complies
Servir un cierge au saint en qui tu crois encore.
Ne t'imagine pas que je dis des folies.
La terre s'ouvre vieille à qui crève la faim.
Je hais une autre aumône et veux que tu m'oublies
Et surtout ne va pas, frère, acheter du pain.
il y a 9 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Conseil Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
Escalade la roche aux nobles altitudes.
Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
Fuis les regrets amers que ton cœur savourait.
Dès l’heure éblouissante où le matin paraît,
Marche au hasard ; gravis les sentiers les plus rudes.
Va devant toi, baisé par l’air des solitudes,
Comme une biche en pleurs qu’on effaroucherait.
Cueille la fleur agreste au bord du précipice.
Regarde l’antre affreux que le lierre tapisse
Et le vol des oiseaux dans les chênes touffus.
Marche et prête l’oreille en tes sauvages courses ;
Car tout le bois frémit, plein de rhythmes confus,
Et la Muse aux beaux yeux chante dans l’eau des sources.
Juillet 1842.
il y a 9 mois
Valéry Larbaud
@valeryLarbaud
Carpe Diem... Cueille ce triste jour d'hiver sur la mer grise,
D'un gris doux, la terre est bleue et le ciel bas
Semble tout à la fois désespéré et tendre;
Et vois la salle de la petite auberge
Si gaie et si bruyante en été, les dimanches,
Et où nous sommes seuls aujourd'hui, venus
De
Naples, non pour voir
Baïes et l'entrée des
Enfers,
Mais pour nous souvenir mélancoliquement.
Cueille ce triste jour d'hiver sur la mer grise,
Mon amie, ô ma bonne amie, ma camarade
I
Je crois qu'il est pareil au jour
Où
Horace composa l'ode à
Leuconoé.
C'était aussi l'hiver, alors, comme l'hiver
Qui maintenant brise sur les rochers adverses la mer
Tyrrhénienne, un jour où l'on voudrait
Écarter le souci et faire d'humbles besognes,
Être sage au milieu de la nature grave,
Et parler lentement en regardant la mer...
Cueille ce triste jour d'hiver sur la mer grise...
Te souviens-tu de
Marientyst? (Oh, sur quel rivage,
Et en quelle saison sommes-nous? je ne sais.)
On y va d'Elseneur, en été, sur des pelouses
Pâles; il y a le tombeau d'Hamlet et un hôtel
Eclairé à l'électricité, avec tout le confort moderne.
C'était l'été du
Nord, lumineux, doux voilé.
Souviens-toi : on voyait la côte suédoise, en face,
Bleue, comme ce profil lointain de l'Italie.
Ohl aimes-tu ce jour autant que moi je l'aime?
Cueille ce triste jour d'hiver sur la mer grise...
Oh! que n'ai-je passé ma vie à
Elseneur!
Le petit port danois est tranquille, près de la gare,
Comme le port définitif des existences.
Vivre danoisement dans la douceur danoise
De cette ville où est un château avec des dômes en bronze
Vert-de-grisés; vivre dans l'innocence, oui,
De n'importe quelle petite ville, quelque part,
Où tout le monde serait pensif et silencieux,
Et où l'on attendrait paisiblement la mort.
Cueille ce triste jour d'hiver sur la mer grise,
Et laisse-moi cacher mes yeux dans tes mains fraîches;
J'ai besoin de douceur et de paix, ô ma sœur.
Sois mon jeune héros, ma
Pallas protectrice,
Sois mon certain refuge et ma petite ville;
Ce soir, mi
Socorro, je suis une humble femme
Qui ne sait plus qu'être inquiète et être aimée.