Xanthis Au vent frais du matin frissonne l'herbe fine ;
Une vapeur légère aux flancs de la colline
Flotte ; et dans les taillis d'arbre en arbre croisés
Brillent, encore intacts, de longs fils irisés.
Près d'une onde ridée aux brises matinales,
Xanthis, ayant quitté sa robe et ses sandales,
D'un bras s'appuie au tronc flexible d'un bouleau,
Et, penchée à demi, se regarde dans l'eau.
Le flot de ses cheveux d'un seul côté s'épanche,
Et, blanche, elle sourit à son image blanche...
Elle admire sa taille droite, ses beaux bras,
Et sa hanche polie, et ses seins délicats,
Et d'une main, que guide une exquise décence,
Fait un voile pudique à sa jeune innocence.
Mais un grand cri soudain retentit dans les bois,
Et Xanthis tremble ainsi que la biche aux abois,
Car elle a vu surgir, dans l'onde trop fidèle,
Les cornes du méchant satyre amoureux d'elle.
il y a 8 mois
A
André Lemoyne
@andreLemoyne
Printemps À Adolphe Magu.
Les amoureux ne vont pas loin :
On perd du temps aux longs voyages.
Les bords de l'Yvette ou du Loing
Pour eux ont de frais paysages.
Ils marchent à pas cadencés
Dont le cœur règle l'harmonie,
Et vont l'un à l'autre enlacés
En suivant leur route bénie.
Ils savent de petits sentiers
Où les fleurs de mai sont écloses ;
Quand ils passent, les églantiers,
S'effeuillant, font pleuvoir des roses.
Ormes, frênes et châtaigniers,
Taillis et grands fûts, tout verdoie,
Berçant les amours printaniers
Des nids où les cœurs sont en joie :
Ramiers au fond des bois perdus,
Bouvreuils des aubépines blanches,
Loriots jaunes suspendus
À la fourche des hautes branches.
Le trille ému, les sons flûtés,
Croisent les soupirs d'amoureuses :
Tous les arbres sont enchantés
Par les heureux et les heureuses.
il y a 8 mois
Arsène Houssaye
@arseneHoussaye
Les trois amoureux Jeanne est si blonde, qu'elle est rousse.
Le jour de Pâques elle s'en va
Cueillir l'aubépine qui pousse,
Qui pousse, pousse et fleurira.
La belle, en robe des dimanches,
Rubans roses, fichu coquet,
Gaspille les fleurs sur les branches
Pour se faire un joli bouquet.
Elle s'endormit sur la mousse,
Mais sa bouche encor respira
L'aubépine qui pousse, pousse,
Qui pousse, pousse et fleurira.
Trois chasseurs courant le bocage
La surprirent dans son sommeil,
Comme un oiseau dans une cage
Rêvant à l'horizon vermeil.
Le premier d'une voix bien douce
Lui dit : « Je t'aime, » et l'embrassa
Près de l'aubépine qui pousse,
Qui pousse, pousse et fleurira.
Elle rêvait que d'aventure
Elle était biche, et que les loups
La poursuivaient sous la ramure :
Elle était sens dessus dessous.
Le second sur le lit de mousse
Cueillit à son sein qu'il baisa,
Cueillit l'aubépine qui pousse,
Qui pousse, pousse, et la piqua.
Le troisième, genoux en terre,
Tout doucement la réveilla.
Que lui dit-il ? C'est un mystère,
L'écho du bois ne le dira !
Car s'il le disait, brune ou rousse,
Vous iriez toutes, ça de là,
Cueillir l'aubépine qui pousse,
Qui pousse, pousse et piquera.
il y a 8 mois
Charles Cros
@charlesCros
Vers amoureux Comme en un préau d'hôpital de fous
Le monde anxieux s'empresse et s'agite
Autour de mes yeux, poursuivant au gîte
Le rêve que j'ai quand je pense à vous.
Mais n'en pouvant plus, pourtant, je m'isole
En mes souvenirs. Je ferme les yeux ;
Je vous vois passer dans les lointains bleus,
Et j'entends le son de votre parole.
*
Pour moi, je m'ennuie en ces temps railleurs.
Je sais que la terre aussi vous obsède.
Voulez-vous tenter (étant deux on s'aide)
Une évasion vers des cieux meilleurs ?
il y a 8 mois
M
Maurice Rollinat
@mauriceRollinat
La fille amoureuse La belle fille blanche et rousse,
De la sorte, au long du buisson,
Entretient la mère Lison
À voix mélancolique et douce :
« Moi cont' laquell' sont à médire
Les fill' encor ben plus q' les gars,
J' tiens à vous esposer mon cas,
Et c'est sans hont' que j' vas vous l' dire,
Pac' que vous avez l'humeur ronde,
Et, q' rapportant sans v'nin ni fiel
Tout' les affair' au naturel,
Vous les jugez au r'bours du monde.
Tout' petit', j'étais amoureuse,
J'étais déjà foll' d'embrasser...
Et, mes seize ans v'naient d' commencer,
Que j' m'ai senti d'êtr' langoureuse,
Autant q' l'âm' j'avais l' corps en peine :
Cachant mes larm' à ceux d' chez nous,
Aux champs assise, ou sur mes g'noux,
Des fois, j' pleurais comme un' fontaine.
Les airs de vielle et d' cornemuse
M'étaient d' la musique à chagrin,
Et d' mener un' vache au taurin
Ça m' rendait songeuse et confuse.
J'avais d' la r'ligion, ma mèr' Lise,
Eh ben ! mon cœur qui s'ennuyait
Jamais alors n' fut plus inquiet
Qu'ent' les cierg' et l'encens d' l'église.
Ça m' tentait dans mes veill', mes sommes,
Et quoi q' c'était ? J'en savais rien.
J' m'en sauvais comm' d'un mauvais chien
Quand j'trouvais en c'h'min quèq' jeune homme,
En mêm' temps, m' venaient des tendresses
Oui m' mouillaient tout' l'âme comm' de l'eau,
Tell' que trembl' les feuill' du bouleau
J' frémissais sous des vents d' caresses.
Un jour, au bout d'un grand pacage,
J' gardais mon troupeau dans des creux,
En des endroits trist' et peureux,
À la lisièr' d'un bois bocage ;
Or, c'était ça par un temps drôle,
Si mort q'yavait pas d' papillons,
Passa l' long d' moi, tout à g'nillons,
Un grand gars, l' bissac sur l'épaule.
Sûr ! il était pas d' not' vallée,
Dans l' pays j' l'avais jamais vu.
Pourtant, dès que j' le vis, ça fut
Comm' si j'étais ensorcelée !
Tout' moi, mes quat' membr', lèvr', poitrine,
J' devins folle ! et j' trahis alors
C' désir trouble et caché d' mon corps
Dont l' rong'ment m' rendait si chagrine.
J' laissai là mes moutons, mes chèvres,
Et j' suivis c't'homme en le r'poussant,
Livrée à lui par tout mon sang,
Qui m' brûlait comme un' mauvais' fièvre.
Et, lorsque j' m'en r'vins au soir pâle,
D' mon tourment j' savais la raison,
Et q' fallait pour ma guérison
Fair' la f'melle et pratiquer l' mâle.
D'puis c' moment-là, je r'semble un' louve
Qui dans l' nombr' des loups f'rait son choix ;
Sans plus d' genr' que la bêt' des bois,
Quand ça m' prend, faut q' mes flancs s'émouvent !
Ivre, à tout' ces bouch' d'aventure
J' bois des baisers chauds comm' du vin ;
Ma peau s' régal', mon ventre a faim
De c' tressail'ment q'est sa pâture.
Avec l'homm' j'ai pas d' coquett'rie,
Et quand il m'a prise et qu'on s' tient,
Je m' sers de lui comm' d'un moyen,
Je n' pens' qu'à moi dans ma furie.
Ceux q'enjôl' les volag', les niaises,
Qui s' prenn' à l'Amour sans l'aimer,
Ont ben essayé de m' charmer :
Ils perd' leur temps lorsque j' m'apaise.
Ça fait q' jamais je n' m'abandonne
Pour l'intérêt ou l'amitié,
Ni par orgueil ni par pitié.
C'est pour me calmer que j' me donne !
M' marier ? Non ! j'enrag'rais ma vie !
Tromper mon mari ? l'épuiser ?
Ou que j' me priv' pour pas l'user ?
Faut d' l'amour neuf à mon envie !
L' feu d' la passion q' mon corps endure
Met autant mon âme en langueur,
Et c' qui fait les frissons d' mon cœur,
C'est ceux qui m' pass' dans la nature
Avec le sentiment qui m' glace
Mon désir n'a pas d'unisson,
Et j' peux pas connaît' un garçon
Sans y d'mander qu'on s'entrelace.
Tous me jett' la pierre et m' réprouvent,
Dis' que j' fais des commerc' maudits,
Pourtant, je m' crois dans l' Paradis
Quand l' plaisir me cherche et qui m' trouve !
J' suis franch' de chair comm' de pensée,
J' livr' ma conscience avec mon corps,
V'là pourquoi j' n'ai jamais d' remords
Après q' ma folie est passée.
Eh ben ! Vous qu'êt' bonn', sans traîtrise,
Mer' Lison ? Vous qu'êt' sans défaut,
Dit' ? à vot' idée ? es'qu'i' faut
Que j' me r'pente et que j' me méprise ? »
La vieille, ainsi, dans la droiture
De son sens expérimenté,
D'après la loi d'éternité,
La juge au nom de la Nature :
« Je n' vois pas q' ton cas m'embarrasse,
Ma fille ! T'as l' corps obéissant
Au conseil libertin d' ton sang
Qu'est une héritation d' ta race.
C'est pas l' vice, ni la fantaisie
Qui t' pouss' à l'homm'... c'est ton destin !
J' blâm' pas ta paillardis' d'instinct
Pac' qu'elle est sans hypocrisie.
Ceux qui t'appell' traînée infâme
En vérité n'ont pas raison :
L' sort a mis, comm' dans les saisons,
Du chaud ou du froid dans les femmes.
Tout' ceux bell' moral' qu'on leur flanque
Ell' les écout' sous condition :
Cell' qui n' cour' pas, c'est l'occasion
Ou la forc' du sang qui leur manque.
Et d'ailleurs, conclut la commère :
Qu'èq' bon jour, t'auras des champis,
Si t'en fais pas, ça s'ra tant pis :
Tu chang'rais d'amour, étant mère ! »
il y a 8 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
Éclaircie Quand on est sous l'enchantement
D'une faveur d'amour nouvelle,
On s'en défendrait vainement,
Tout le révèle :
Comme fuit l'or entre les doigts,
Le trop-plein de bonheur qu'on sème,
Par le regard, le pas, la voix,
Crie : elle m'aime !
Quelque chose d'aérien
Allège et soulève la vie,
Plus rien ne fait peine, et plus rien
Ne fait envie :
Les choses ont des airs contents,
On marche au hasard, l'âme en joie,
Et le visage en même temps
Rit et larmoie ;
On s'oublie, aux yeux étonnés
Des enfants et des philosophes,
En grands gestes désordonnés,
En apostrophes !
La vie est bonne, on la bénit,
On rend justice à la nature !
Jusqu'au rêve de faire un nid
L'on s'aventure...
il y a 8 mois
Rémi Belleau
@remiBelleau
La douceur d'un amoureux Je ne voie rien qui ne me refigure
Ce front, cet œil, ce cheveu jaunissant,
Et ce tétin en bouton finissant,
Bouton de rose encor en sa verdure.
Son beau sourcil est la juste vouture (*)
D'un arc Turquois, et le rayon hissant
Du point du jour est son œil languissant,
Son sein, le sein qui surpasse nature.
Quand j'oy (*) le bruit des argentins ruisseaux,
Je pense ouïr mille discours nouveaux,
Qu'Amour compose en sa bouche de basme (*).
Si c'est le vent, il me fait souvenir
De la douceur d'un amoureux soupir,
En soupirant qui me vient piller l'âme.
* Vouture : Voûte, arcade.
* J'oy : Entendre, écouter.
* Basme : Baume.