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Titre : La fille amoureuse

Auteur : Maurice Rollinat Recueil : Paysages et paysans, 1899

La belle fille blanche et rousse, De la sorte, au long du buisson, Entretient la mère Lison À voix mélancolique et douce : « Moi cont' laquell' sont à médire Les fill' encor ben plus q' les gars, J' tiens à vous esposer mon cas, Et c'est sans hont' que j' vas vous l' dire, Pac' que vous avez l'humeur ronde, Et, q' rapportant sans v'nin ni fiel Tout' les affair' au naturel, Vous les jugez au r'bours du monde. Tout' petit', j'étais amoureuse, J'étais déjà foll' d'embrasser... Et, mes seize ans v'naient d' commencer, Que j' m'ai senti d'êtr' langoureuse, Autant q' l'âm' j'avais l' corps en peine : Cachant mes larm' à ceux d' chez nous, Aux champs assise, ou sur mes g'noux, Des fois, j' pleurais comme un' fontaine. Les airs de vielle et d' cornemuse M'étaient d' la musique à chagrin, Et d' mener un' vache au taurin Ça m' rendait songeuse et confuse. J'avais d' la r'ligion, ma mèr' Lise, Eh ben ! mon cœur qui s'ennuyait Jamais alors n' fut plus inquiet Qu'ent' les cierg' et l'encens d' l'église. Ça m' tentait dans mes veill', mes sommes, Et quoi q' c'était ? J'en savais rien. J' m'en sauvais comm' d'un mauvais chien Quand j'trouvais en c'h'min quèq' jeune homme, En mêm' temps, m' venaient des tendresses Oui m' mouillaient tout' l'âme comm' de l'eau, Tell' que trembl' les feuill' du bouleau J' frémissais sous des vents d' caresses. Un jour, au bout d'un grand pacage, J' gardais mon troupeau dans des creux, En des endroits trist' et peureux, À la lisièr' d'un bois bocage ; Or, c'était ça par un temps drôle, Si mort q'yavait pas d' papillons, Passa l' long d' moi, tout à g'nillons, Un grand gars, l' bissac sur l'épaule. Sûr ! il était pas d' not' vallée, Dans l' pays j' l'avais jamais vu. Pourtant, dès que j' le vis, ça fut Comm' si j'étais ensorcelée ! Tout' moi, mes quat' membr', lèvr', poitrine, J' devins folle ! et j' trahis alors C' désir trouble et caché d' mon corps Dont l' rong'ment m' rendait si chagrine. J' laissai là mes moutons, mes chèvres, Et j' suivis c't'homme en le r'poussant, Livrée à lui par tout mon sang, Qui m' brûlait comme un' mauvais' fièvre. Et, lorsque j' m'en r'vins au soir pâle, D' mon tourment j' savais la raison, Et q' fallait pour ma guérison Fair' la f'melle et pratiquer l' mâle. D'puis c' moment-là, je r'semble un' louve Qui dans l' nombr' des loups f'rait son choix ; Sans plus d' genr' que la bêt' des bois, Quand ça m' prend, faut q' mes flancs s'émouvent ! Ivre, à tout' ces bouch' d'aventure J' bois des baisers chauds comm' du vin ; Ma peau s' régal', mon ventre a faim De c' tressail'ment q'est sa pâture. Avec l'homm' j'ai pas d' coquett'rie, Et quand il m'a prise et qu'on s' tient, Je m' sers de lui comm' d'un moyen, Je n' pens' qu'à moi dans ma furie. Ceux q'enjôl' les volag', les niaises, Qui s' prenn' à l'Amour sans l'aimer, Ont ben essayé de m' charmer : Ils perd' leur temps lorsque j' m'apaise. Ça fait q' jamais je n' m'abandonne Pour l'intérêt ou l'amitié, Ni par orgueil ni par pitié. C'est pour me calmer que j' me donne ! M' marier ? Non ! j'enrag'rais ma vie ! Tromper mon mari ? l'épuiser ? Ou que j' me priv' pour pas l'user ? Faut d' l'amour neuf à mon envie ! L' feu d' la passion q' mon corps endure Met autant mon âme en langueur, Et c' qui fait les frissons d' mon cœur, C'est ceux qui m' pass' dans la nature Avec le sentiment qui m' glace Mon désir n'a pas d'unisson, Et j' peux pas connaît' un garçon Sans y d'mander qu'on s'entrelace. Tous me jett' la pierre et m' réprouvent, Dis' que j' fais des commerc' maudits, Pourtant, je m' crois dans l' Paradis Quand l' plaisir me cherche et qui m' trouve ! J' suis franch' de chair comm' de pensée, J' livr' ma conscience avec mon corps, V'là pourquoi j' n'ai jamais d' remords Après q' ma folie est passée. Eh ben ! Vous qu'êt' bonn', sans traîtrise, Mer' Lison ? Vous qu'êt' sans défaut, Dit' ? à vot' idée ? es'qu'i' faut Que j' me r'pente et que j' me méprise ? » La vieille, ainsi, dans la droiture De son sens expérimenté, D'après la loi d'éternité, La juge au nom de la Nature : « Je n' vois pas q' ton cas m'embarrasse, Ma fille ! T'as l' corps obéissant Au conseil libertin d' ton sang Qu'est une héritation d' ta race. C'est pas l' vice, ni la fantaisie Qui t' pouss' à l'homm'... c'est ton destin ! J' blâm' pas ta paillardis' d'instinct Pac' qu'elle est sans hypocrisie. Ceux qui t'appell' traînée infâme En vérité n'ont pas raison : L' sort a mis, comm' dans les saisons, Du chaud ou du froid dans les femmes. Tout' ceux bell' moral' qu'on leur flanque Ell' les écout' sous condition : Cell' qui n' cour' pas, c'est l'occasion Ou la forc' du sang qui leur manque. Et d'ailleurs, conclut la commère : Qu'èq' bon jour, t'auras des champis, Si t'en fais pas, ça s'ra tant pis : Tu chang'rais d'amour, étant mère ! »