Quand je serai guérie Filliou, quand je serai guérie,
Je ne veux voir que des choses très belles…
De somptueuses fleurs, toujours fleuries ;
Des paysages qui toujours se renouvellent,
Des couchers de soleil miraculeux, des villes
Pleines de palais blancs, de ponts, de campaniles
Et de lumières scintillantes… Des visages
Très beaux, très gais ; des danses
Comme dans ces ballets auxquels je pense,
Interprétés par Jean Borlin. Je veux des plages
Au décor de féerie,
Avec des étrangers sportifs aux noms de princes,
Des étrangères en souliers de pierreries
Et de splendides chiens neigeux aux jambes minces.
Je veux, frôlés de Rolls silencieuses,
De longs trottoirs de velours blond. Terrasses,
Orchestres bourdonnant de musiques heureuses…
Vois-tu, Filliou, le Carnaval qui passe ?
La Riviera débordante de roses ?
J’ai besoin de ne voir un instant que ces choses
Quand je serai guérie !
J’aurai ce châle aux éclatantes broderies
Qui fait songer aux courses espagnoles,
Des cheveux courts en auréole
Comme Mae Murray, des yeux qui rient,
Un teint de cuivre et l’air, non pas d’être guérie,
Mais de n’avoir jamais connu de maladie !
J’aurai tous les parfums, » les plus rares qui soient « ,
Une chambre moderne aux nuances hardies,
Une piscine rouge et des coussins de soie
Un peu cubistes. J’ai besoin de fantaisie…
J’ai besoin de sorbets et de liqueurs glacées,
De fruits craquants, de raisins doux, d’amandes fraîches.
Peut-être d’ambroisie…
Ou simplement de mordre au coeur neuf d’une pêche ?
J’ai besoin d’oublier tant de sombres pensées,
Tant de bols de tisane et d’heures accablantes !
Il me faudra, vois-tu, des choses si vivantes
Et si belles, Filliou… si belles – ou si gaies !
Nul ne sait à quel point nous sommes fatiguées,
Toutes deux, de ce gris de la tapisserie,
De l’armoire immobile et de ces noires baies
Que le laurier nous tend derrière la fenêtre.
Tant de voyages, dis, de pays à connaître,
De choses qu’on rêvait, qui pourront être
Quand je serai guérie…
il y a 9 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Un médecin ? Un médecin ? Mais alors qu’il soit beau !
Très beau. D’une beauté non pas majestueuse,
Mais jeune, saine, alerte, heureuse !
Qu’il parle de plein air, non pas trop haut,
Mais assez pour que du soleil entre avec lui.
Qu’il sache rire – tant d’ennui
Bâille aux quatre coins de la chambre –
Et qu’il sache te faire rire, toi, souffrant
De ta souffrance et du mal de Décembre.
Décembre gris, Décembre gris, Noël errant
Sous un ciel de plomb et de cendre.
Un médecin doit bien savoir
D’où ce gris mortel peut descendre ?
Qu’il soit gai pour vaincre le soir
Et les fantômes de la fièvre –
Qu’il dise les mots qu’on attend
Ou qu’on les devine à ses lèvres.
Qu’il soit gai, qu’il soit bien portant,
(Ne faut-il croire à l’équilibre
Qui doit redevenir le nôtre, aux membres libres,
À l’esprit jouant sans efforts ?)
Qu’il soit bien portant, qu’il soit fort – sans insolence,
Avec douceur, contre le sort…
Il nous faut tant de confiance !
Qu’il aime ce que j’aime – J’ai besoin
Qu’il ait cet art de tout comprendre
Et de s’intéresser, non pas de loin,
Mais en ami tout proche, à ce qui m’intéresse.
Qu’il soit bon – nous voulons une indulgence tendre
Pour accepter notre révolte ou nos faiblesses.
De la science ? Il en aura, n’en doutez point,
S’il est ce que je dis, ce que j’exige.
Mais exiger cela, c’est, vous le voyez bien,
Leur demander, quand ils n’y peuvent rien,
Quelque chose comme un prodige !
Lequel, parmi vos diplômés,
Ressemble au médecin qu’espère le malade ?
Lequel, dans tout ce gris tenace, épais, maussade,
Sera celui que moi je vois, les yeux fermés ? …
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ou bien, alors, prenons-le contrefait,
Cagneux, pointu, perclus, minable ;
Qu’il flotte en ses effets
Comme un épouvantail – et semble inguérissable
Des pires maux, connus ou inconnus !
Prenons-le blême et vieux, que son crâne soit nu,
Ses yeux rougis, sa lèvre amère –
Et que rien ne paraisse au monde plus précaire,
Plus laid, plus rechigné que cet être vivant,
Afin que, chaque jour, l’apercevant
Comme un défi, parmi les fleurs venant d’éclore,
Nous pensions, rassurés, soulagés, fiers un peu
De nous sentir si forts par contraste: « Grand Dieu !
Qu’il doit être savant pour vivre encore ! »
il y a 9 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Vous parler ? Vous parler ? Non. Je ne peux pas.
Je préfère souffrir comme une plante,
Comme l’oiseau qui ne dit rien sur le tilleul.
Ils attendent. C’est bien. Puisqu’ils ne sont pas las
D’attendre, j’attendrai, de cette même attente.
Ils souffrent seuls. On doit apprendre à souffrir seul.
Je ne veux pas d’indifférents prêts à sourire
Ni d’amis gémissants. Que nul ne vienne.
La plante ne dit rien. L’oiseau se tait. Que dire ?
Cette douleur est seule au monde, quoi qu’on veuille.
Elle n’est pas celle des autres, c’est la mienne.
Une feuille a son mal qu’ignore l’autre feuille.
Et le mal de l’oiseau, l’autre oiseau n’en sait rien.
On ne sait pas. On ne sait pas. Qui se ressemble ?
Et se ressemblât-on, qu’importe. Il me convient
De n’entendre ce soir nulle parole vaine.
J’attends – comme le font derrière la fenêtre
Le vieil arbre sans geste et le pinson muet…
Une goutte d’eau pure, un peu de vent, qui sait ?
Qu’attendent-ils ? Nous l’attendrons ensemble.
Le soleil leur a dit qu’il reviendrait, peut-être…
il y a 9 mois
S
Sandrine Davin
@sandrineDavin
Gris, gris, gris… De ma fenêtre le ciel est gris
Des gens se pressent je ne sais pourquoi
La rue est remplie de débris
Et les chats hurlent sur les toits.
Je suis enfermée dans ma chambre
La musique inonde les murs
Est-ce le mois de mai ou décembre
Je ne sais plus, je te le jure.
De ma fenêtre le ciel est gris
J’ai la tête farcie de pourquoi
Mon intellectuel est tari
Une cigarette me tend les bras.
Plus rien ne compte, je divague
Le soleil peut pointer son nez
Je lui dirais peut-être une blague
Ou l’inviterait à dîner.
De ma fenêtre le ciel est gris
Je vais refermer les volets
Entends-tu la petite souris
Te chantonner un petit couplet.
La mélodie s’est égarée
Quelque part au fond de la nuit
Ma chambre je veux redécorer
Pour emmenoter tout ce gris.
il y a 9 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Après-midi de printemps Cris d’enfants
transperçant le silence
des cerisiers en fleur
De loin une berceuse rythme chaque pas
Promenade solitaire au cœur de la cité
anesthésiée
Dans le labyrinthe du présent
malade
l’oxygène flotte entre les branches
parfumées de mort
il y a 9 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Cancer Renaissance
De nouveau tu te présentes
Jardin juxtaposé, trouble de la sève
T’emparer du corps
Du cerveau au thorax tu veux scanner son esprit
Les larmes coulent sur le visage d’une femme
Elle sait
Elle connaît la vérité de la solitude
Elle respire la décadence
Imminente
Elle crie son amour
Tentacules méprisants s’entortillant autours des ganglions
Sans pitié tu convoites tout l’être
Il t’attend depuis toujours
Depuis le jour où tu es parti avec son odorat
Ne lui laissant plus absorber le parfum du monde
Rendant chaque jour immanquablement le dernier
il y a 9 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Dépression Eclatement de la tête
Aujourd’hui la chaleur ne peut plus s’y engouffrer
Torpeur, turpitude, esprit engourdi
et englouti dans l’impasse de la vie.
Je me sens coincée dans le malaise du silence,
Posture suprême indigne sublime essentielle
Retour de poussière dans ce vide ensoleillé.
Les cerisiers en fleur, l’âme meurtrie
par le flétrissement prématuré
Sans espérance
ma motivation s’est évaporée avec les rêves d’une grandeur immaculée.
Toi printemps tu ne crois plus à rien
Tu navigues dans les ordures
Tu raffoles des maladies
Autodestruction à l’état pur
Puissance zéro
il y a 9 mois
Sylvia Plath
@sylviaPlath
Dame Lazare Je l’ai encore refait
un an parmi dix
j’y suis arrivée –
comme un miracle ambulant, ma peau
brillante comme un abat-jour de nazi
mon pied droit
un presse-papiers
mon linge juif,
sans caractère, magnifique
serviette enlevée
o mon ennemi,
est-ce que je fais si peur?
le nez, les orbites des yeux, toute la denture ?
le souffle aigre
s’évaporera en un seul jour.
Bientôt, bientôt la chair
le trou de la tombe sera mon chez moi sur moi
et m’aura mangée
Et je suis une femme tout sourire
je n’ai que trente ans.
Mourir
Est un art, comme tout le reste.
Je le fais vraiment très bien.
Je le fais si bien que cela ressemble à l’enfer
je le fais si bien que cela semble réel
j’imagine que vous puissiez dire elle a un appel.
C’est suffisamment facile de le faire dans une cellule
C’est suffisamment facile de le faire et de rester sur place.
C’est le théâtral
retour en scène dans le vaste jour
à la même place, avec le même visage, le même cri
amusé et brutal :
« Un miracle ! »
Cela me met K.O.
Il y a une plainte
pour mes cicatrices béantes, il y a une plainte
pour l’audition de mon cœur –
cela ira au bout.
et il y a une plainte, une très importante plainte
pour un mot ou un contact
Ou une goutte de sang
ou une parcelle de mes cheveux sur mes vêtements.
Et oui, et oui, Herr Doktor,
et oui, seigneur ennemi.
Je suis ton opus,
je suis ton objet précieux
le bébé en or pur
qui hurle en fondant en un cri perçant
je me tourne et je brûle.
Ne crois donc pas que je sous-estime ta grande préoccupation.
Cendre, cendre –
tu as fouiné et remué.
Chair, os, il n’y a rien ici –
un gâteau de savon
un anneau de mariage,
un plombage en or.
Seigneur Dieu, seigneur Lucifer
fais gaffe
fais gaffe.
Jaillissant de mes cendres
je m’élève avec mes cheveux rouges
et je bouffe les hommes comme l’air.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Une nuit à Bruxelles Aux petits incidents il faut s’habituer.
Hier on est venu chez moi pour me tuer.
Mon tort dans ce pays c’est de croire aux asiles.
On ne sait quel ramas de pauvres imbéciles
S’est rué tout à coup la nuit sur ma maison.
Les arbres de la place en eurent le frisson,
Mais pas un habitant ne bougea. L’escalade
Fut longue, ardente, horrible, et Jeanne était malade.
Je conviens que j’avais pour elle un peu d’effroi.
Mes deux petits-enfants, quatre femmes et moi,
C’était la garnison de cette forteresse.
Rien ne vint secourir la maison en détresse.
La police fut sourde ayant affaire ailleurs.
Un dur caillou tranchant effleura Jeanne en pleurs.
Attaque de chauffeurs en pleine Forêt-Noire.
Ils criaient : Une échelle ! une poutre ! victoire !
Fracas où se perdaient nos appels sans écho.
Deux hommes apportaient du quartier Pachéco
Une poutre enlevée à quelque échafaudage.
Le jour naissant gênait la bande. L’abordage
Cessait, puis reprenait. Ils hurlaient haletants.
La poutre par bonheur n’arriva pas à temps.
» Assassin ! – C’était moi. – Nous voulons que tu meures !
Brigand ! Bandit ! » Ceci dura deux bonnes heures.
George avait calmé Jeanne en lui prenant la main.
Noir tumulte. Les voix n’avaient plus rien d’humain ;
Pensif, je rassurais les femmes en prières,
Et ma fenêtre était trouée à coups de pierres.
Il manquait là des cris de vive l’empereur !
La porte résista battue avec fureur.
Cinquante hommes armés montrèrent ce courage.
Et mon nom revenait dans des clameurs de rage :
A la lanterne ! à mort ! qu’il meure ! il nous le faut !
Par moments, méditant quelque nouvel assaut,
Tout ce tas furieux semblait reprendre haleine ;
Court répit ; un silence obscur et plein de haine
Se faisait au milieu de ce sombre viol ;
Et j’entendais au loin chanter un rossignol.
il y a 9 mois
X
Xavier Grall
@xavierGrall
Ballade de la mort lente Et c’est seulement au chevet des mères mourantes
Que les fils des hommes accèdent à la connaissance
Car il faut les ténèbres à l’illumination du cierge.
O mort si lente à venir sur les lèvres exsangues
Quand le goutte-à-goutte du sérum scande les heures
Dans les veines vitreuses et transparentes
Quand Octobre sur la clinique lève un pâle soleil
Quand l’infirmier cynique tâte la paupière bleuie
Où l’œil maternel aveugle fixe la mort insolente
Alors que les fils entourent le corps flétri.
O mort si lente à venir, trois jours et trois nuits
Dans le blême bousculement des temps
Si lente dans les poumons où sifflent
Les oiseaux noirs des tombes impatientes
Quand l’écume des verts crachats étouffe
Le corps maternel râlant luttant souffrant
O mort si lente à venir sur la face sainte
Qui tend ses joues aux mains filiales effrayées
Face sainte brûlante pitoyable et maternelle
Fixant déjà le brasier de l’éternelle tendresse
Où se consument les âmes selon la promesse de l’Esprit
O mort si lente à venir parmi les vieilles Dames
Asthmatiques apoplectiques cachexiques
Dans l’odeur odieuse de l’éther et des soupes
Tandis que sonnent les carillons vulgaires
Des batteries de cuisine et que les coqs fiers
Annoncent le reniement de la chair
Sur les fumiers campagnards
Et le corps des mères crie de s’arracher
Aux enfants de la terre
Marguerite David ma mère royalement nommée
Fût en la paroisse de Ploudiry
Sur le chemin des grandes fermes parentales
Joyeusement couronnée de genêts et de lilas
Et les agapes au Kerhuella avaient goût de chevreuil
Sous le tiède vent rural des hautes cheminées
Et l’homme du Bréou son père lui avait donné rêve et bonté
Et telle est ma genèse au pays des collines
Et telle est mon ascendance parmi les troncs et les feuilles
O mort si lente à venir sur les lèvres exsangues
Alors que de la jeune fille d’antan avait surgi dix fois la vie
De sa bouche humiliée ne sort nulle parole
O mort si lente à venir, trois jours et trois nuits
Mort à pas de louve aux gencives malades
Marchant dans les allées des reines et des châtelaines
C’est que les bois Mesdames cèlent les chiens meurtriers
Et la mort à gueule d’hiver va tuer tous vos printemps
Et la douleur atroce cogne dans les bronches déchirées
Mère aveugle voici vos fils enfin lucides et voyants
A l’heure même où votre trépas dans l’absence les plonge
Mère enfin aimée exactement au temps exact de la rupture
Alors que le fossoyeur inspecte le caveau abject
Sous la torche lancinante du buis
O sépultures, mangeuses des corps des clans et des siècles
Et le cœur de Marguerite David craque et cède à la mort lente
Son âme déjà voyage en quête des grands pays
Et les fils sédentaires, la peine pressant leurs dents
Regardent le souffle doucement s’éteindre sur les lèvres blanches
Et la dernière larme sur la ride maternelle
Lentement glisse et crucifie la chair de sa chair
Dix fois multipliée et la paix lisse déjà pâlit ses traits
Et les fils embrassent le front bien-aimé
Et l’infirmier cynique débranchant le sérum cruellement
Annonce comme un guetteur que la bataille est finie
O mort si lente si lente à venir.