Dilection J'adore l'indécis, les sons, les couleurs frêles,
Tout ce qui tremble, ondule, et frissonne, et chatoie :
Les cheveux et les yeux, l'eau, les feuilles, la soie,
Et la spiritualité des formes grêles ;
Les rimes se frôlant comme des tourterelles,
La fumée où le songe en spirales tournoie,
La chambre au crépuscule, où Son profil se noie,
Et la caresse de Ses mains surnaturelles ;
L'heure de ciel au long des lèvres câlinée,
L'âme comme d'un poids de délice inclinée,
L'âme qui meurt ainsi qu'une rose fanée,
Et tel cœur d'ombre chaste, embaumé de mystère,
Où veille, comme le rubis d'un lampadaire,
Nuit et jour, un amour mystique et solitaire.
il y a 9 mois
Albert Samain
@albertSamain
Invitation Mon cœur est un beau lac solitaire qui tremble,
Hanté d'oiseaux furtifs et de rameaux frôleurs,
Où le vol argenté des sylphes bleus s'assemble
En un soir diaphane où défaillent des fleurs.
La lune y fait rêver ses pâleurs infinies ;
L'aurore en son cristal baigne ses pieds rosés ;
Et sur ses bords, en d'éternelles harmonies,
Soupire l'orgue des grands joncs inapaisés.
Un temple est au milieu, tout en colonnes blanches,
Éclos dans les tiédeurs secrètes du jasmin ;
Des ramiers bleu-de-ciel s'aiment parmi les branches...
Laquelle se mettra la première en chemin ?
Le lac est vert, le lac est bleu ;
Voici tinter le couvre-feu.
Sonnez l'heure aux ondins, petites campanules.
Dame aux yeux verts, Dame aux yeux bleus,
Dame d'automne au cœur frileux,
De votre éventail onduleux
Venez-vous-en bercer le vol des libellules
Du crépuscule...
Les gondoles sont là, fragiles et cambrées
Sur l'eau dormeuse et sourde aux enlacis mourants,
Les gondoles qui font, de roses encombrées,
Pleurer leurs rames d'or sur les flots odorants.
Les nefs d'amour, avec leurs velours de simarres,
Captives en tourment, se meurent sur les eaux...
Oh ! quels doigts fins viendront dénouer les amarres,
Un soir, parmi la chevelure des roseaux ?
Laquelle s'en viendra, quand sonneront les heures,
Voguer, pâle de lune et perdue en un ciel ?
Laquelle au doux sanglot des musiques mineures
Taira dans un baiser le mot essentiel ?
Laquelle — Cydalise on Linda — que t'en semble,
Te laissera l'aimer, le front sur ses genoux ?
Qu'importe... l'âme est triste et leurs baisers sont doux...
Mon cœur est un beau lac solitaire qui tremble,
Ô les Belles, embarquez-vous !
il y a 9 mois
M
Maurice Rollinat
@mauriceRollinat
Le solitaire Le vieux qui, vert encore, approchait des cent ans,
Me dit : « Malgré l'soin d'mes enfants
Et les bontés d'mon voisinage,
J'suis seul, ayant perdu tous ceux qui s'raient d'mon âge.
Vous ? vot' génération ? Ça s'balanc' ! mais d'la mienne
Ya plus q'moi qui rest' dans l'pays.
Ceux que j'croyais qui f'raient des anciens m'ont trahi :
I' sont morts tout jeun' à la peine.
Chaq' maison qui n'boug pas, ell' ! sous l'temps qui s'écoule,
M'rappelle un q'j'ai connu, laboureur ou berger,
À qui j'parl' sans répons', que je r'gard' sans l'toucher ;
Au cimtièr', j'les vois tous a la fois, comme un' foule !
C'est pourquoi, quand j'y fais mon p'tit tour solitaire,
Souvent, j'pense, où que j'pos' le pied,
Q'les morts sont là, tous à m'épier...
Et j'm'imagine, des instants,
Qu'i m'tir' par les jamb' ! mécontents
Que j'les ai pas encor rejoindus sous la terre. »