Tout compte fait
Privileges
Publié par Gallimard, le 22 septembre 1955
280 pages
Résumé
«Écrits à des époques et dans des perspectives différentes, ces essais répondent à une même question : comment les privilégiés peuvent-ils penser leur situation ? L'ancienne noblesse a ignoré ce problème : elle défendait ses droits, elle en usait sans se soucier de les légitimer. Au contraire, la bourgeoisie montante s'est forgé une idéologie qui a favorisé sa libération ; devenue classe dominante, elle ne peut songer à en répudier l'héritage. Mais toute pensée vise l'universalité : justifier sur le mode universel la possession d'avantages particuliers n'est pas une entreprise facile. Il y a un homme qui a osé assumer systématiquement la particularité, la séparation, l'égoïsme : Sade. C'est à lui que notre première étude est consacrée. Descendant de cette noblesse qui affirmait ses privilèges à coups d'épée, séduit par le rationalisme des philosophes bourgeois, il a tenté entre les attitudes des deux classes une curieuse synthèse. Il a revendiqué sous sa forme la plus extrême l'arbitraire de son bon plaisir et prétendu fonder idéologiquement cette revendication. Il a échoué. Ni dans sa vie ni dans son oeuvre il n'a surmonté les contradictions du solipsisme. Du moins a-t-il eu le mérite de montrer avec éclat que le privilège ne peut être qu'égoïstement voulu, qu'il est impossible de le légitimer aux yeux de tous. En posant comme irréconciliables les intérêts du tyran et ceux de l'esclave, il a pressenti la lutte des classes. C'est bien pourquoi le privilégié moyen prend peur devant cet homme extrême. Assumer l'injustice comme telle, c'est reconnaitre qu'il y a une autre justice, c'est mettre en question sa vie et soi-même. Cette solution ne saurait satisfaire le bourgeois d'Occident. Il souhaite se reposer sans effort et sans risque dans la possession de ses droits : il veut que sa justice soit la justice. Nous avons examiné dans notre second essai les procédés utilisés par les conservateurs d'aujourd'hui pour valoriser l'iniquité. Notre dernier article est l'analyse d'un cas particulier. Du fait que la culture est elle-même un privilège, beaucoup d'intellectuels se rangent aux côtés de la classe la plus favorisée : on verra par quelles falsifications et quels sophismes l'un d'eux s'efforce à nouveau de confondre l'intérêt général et l'intérêt bourgeois. En tous ces cas, l'échec était fatal : il est impossible aux privilégiés d'assumer sur le plan théorique leur attitude pratique. Ils n'ont d'autre recours que l'étourderie et la mauvaise foi.» Simone de Beauvoir.
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