Le temps de l'étoile polaire
Le Réel n'a pas eu lieu: Le principe de Don Quichotte
Publié par Autrement, le 02 avril 2014
208 pages
Résumé
L'idée du réelest plus vraie que le réelDon Quichotte entretient une relation étrange avec le donquichottisme. De l'un à l'autre s'opère effectivement une étrange alchimie qui transforme un personnage paranoïaque, de mauvaise foi, monomaniaque, agressif, lunaire, dénégateur, en héros positif, en chevalier valeureux qui combat les moulins à vent, autrement dit, en héros qui, contre vents et marées, aux antipodes de l'opportunisme et du cynisme, tient le cap de l'idéal dans un monde où les prospérités du vice et les malheurs de la vertu invitent aux reniements, aux petits arrangements avec la morale, aux vies vendues. Le Don Quichotte du donquichottisme n'a pas grand-chose à voir avec le personnage de L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche publié par Miguel de Cervantès au début du XVIIe siècle ! Dans cette distorsion gît le mécanisme de la construction d'une légende, d'un mythe.Qui est Don Quichotte ? On le sait : le héros éponyme d'un roman de Cervantès paru en deux livraisons en 1605 et 1615. Chacun connaît un peu le chevalier à la Triste Figure : au physique, la cinquantaine, corps sec, visage maigre, robuste, dégingandé, long comme un personnage du Greco, il chemine avec son cheval, un mâle et non une jument, Rossinante, et son fidèle compagnon, Sancho Pança, un petit gros accompagné d'un âne qui n'a pas de nom - sinon «l'âne»... Au moral : un fou de romans de chevalerie qui croit moins à la réalité du monde qu'à la réalité du texte qui dit le monde - ce en quoi consiste sa folie...Dans le roman de Cervantès, le couple Don Quichotte et Sancho Pança croise d'autres personnages qui, eux aussi, sont devenus des figures universelles : Dulcinée, un genre de Laure de Pétrarque ou de Béatrice de Dante, d'autant plus invisible dans la réalité qu'elle est une pure et simple créature de papier à laquelle le chevalier à la Triste Figure donne... belle figure; Maritorne, une employée d'auberge asturienne, «grosse de traits, courte de cou, le nez écrasé, borgne d'un oeil et guère mieux lotie de l'autre» (I. 144), petite, le dos voûté, courbée vers le sol, puant l'ail, pas très farouche, elle fait la joie des muletiers et, une nuit de malentendu, entrera en compétition avec Dulcinée du Toboso - mais Don Quichotte, chevalier chaste et preux, ne succombera pas à cette tentation ; ajoutons à ces deux figures Rossinante, le cheval mâle efflanqué de notre héros. Alain Rey nous apprend dans son Dictionnaire culturel en langue française que Dulcinée devient un substantif en 1718 (il ne dit pas où...) et que, de manière ironique, ce mot qualifie une «femme inspirant une passion romanesque ; fiancée, maîtresse» ; Maritorne subit le même traitement dès 1798 et qualifie une «femme laide, malpropre et désagréable» ; enfin, Rossinante devient en 1718 un «mauvais cheval, maigre et poussif»... Don Quichotte devenu nom commun signifie quant à lui : «Homme généreux et chimérique qui se pose en redresseur de torts, en défenseur des opprimés, sans obtenir de résultats concrets.»Alain Rey ne retient pas sanchopancisme, que Le Robert définissait dans son édition de 1971 comme un mot ayant eu son heure de gloire pendant la guerre de 1914-1918 et qui caractérisait une «naïveté docile et aveugle de valets. Attitude des Espagnols germanophiles» - une création verbale qui ne rend pas grâce à Sancho Pança, naïf, sûrement, ingénu, bien sûr, sensible aux flatteries et aux promesses, évidemment, mais fidèle et loyal, vertueux et modeste, astucieux et bon, ennemi de toute violence et désireux de paix, empirique et plein de bon sens - ce que montrera son temps de gouverneur d'un État virtuel, l'île de Baratarie... On le dit couard, il est prudent ; on le dit borné, il est réaliste ; on le dit lâche, il est précautionneux ; on le dit limité, il est avisé.
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