Le reste est invisible

L'errance, la dérive, la trace - Fragments d'une mosaïque

Un dernier mot : fermez les yeux ne laissez s'introduire en vous que le murmure des roseaux et le songe des eaux dormantes retrouvez peu à peu la saveur du ciel bleu - suivez l'exemple de l'oiseau.

L'or du rien

Obscurs et lumineux, insolites et familiers, les signes prolifèrent, surgissent, se dispersent, se concentrent soudain en tel ou tel point du temps, de l'espace. Certains, venus du large, vous assaillent à l'improviste, vous pénètrent, finissent par fracturer vos portes les plus secrètes ; tandis que d'autres insidieusement vous envahissent de l'intérieur : tumultueux mélange, dont résulte (dans le meilleur des cas) un poème. « Exploration des lieux », « ressaisie du réel », « exaltation du concret » : tels seraient les signes particuliers de cette poésie essentiellement présente et immédiate, où l'on croit percevoir pourtant l'écho d'un chant d'exil.

Signes particuliers

" Empruntez la passerelle d'Icarie, engagez-vous dans l'avenue des Lendemains-qui-chantent, tournez à gauche avant l'Eden Palace, allez jusqu'à la Tour de la Basiliade, suivez l'allée des Houyhnhnms, entrez dans la cour du Palais Idéal, traversez Noland Square, suivez la rue du Paradis Perdu, prenez à droite. Juste après le Tennis-Club des Thélémites, poursuivez jusqu'au Théâtre de la Terre Promise, enfilez la rue de l'Eldorado, ne manquez pas de faire escale au Bar du Phalanstère. [n'ayez pas peur écoutez-moi/déroulez l'échelle de soie] reprenez vos esprits sur l'esplanade de Salente, puis faites trois fois le tour du Mausolée de l'Homme Nouveau, après quoi dirigez-vous vers la banlieue orientale où vient de s'ouvrir le chantier de la Cité du Soleil... Doucement, rien ne presse, demeurez insensible aux menaces de mort, goûtez l'odeur du silence, la couleur du vent, la saveur du vide... " Extrait d'ici (ailleurs).

Ici ( Ailleurs). Collages De Bertrand Dorny

Dans ces trois récits-poèmes se développe une expérience épico-lyrique dont Cendres brûlantes (1970) figurait la première étape. Chacun de ces textes fonde un lieu, un centre fascinant, dont l'énigme revêt des apparences diverses - celle, par exemple, d'un chat, d'un judas, d'un pigeon biset. Au cour de ce monstre anonyme, dévorateur qu'est la cité moderne, survivent les traces de quelque mythe médiéval (quête du Graal, conquête de la Rose...). Enclave, ilôt, refuge, survivance : tel est le lieu, le centre, générateur de rites et de symboles. Tel est le texte. Le récit, le poème : ce dédale exhumé. Ce palimpseste. (Cet ordre subtil inséré dans le désordre. Cet occulte désordre semé au sein de l'ordre.) Mais « l'oil étant la fenêtre de l'âme... », qu'est-ce que le centre, au juste, le centre véritable, à la fois législateur et subversif, sinon l'oil, le regard, la source du regard, sa vertu, sa visée ?... En vérité, il n'est pas ici d'autre héros que l'oil - solitaire, cyclopéen, « centre du centre » : chacun de ces textes, chacune de ces figures traduit, restitue la geste d'un regard. V. G.

Le reste est invisible

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