Emilio Lussu (1890-1975) - Politique, histoire, littérature et cinéma
Dino campana - Le mystique du chaos
Publié par L'Age d'Homme, le 09 novembre 1998
332 pages
Résumé
Dino Campana laisse un livre unique, ses Chants Orphiques, recueil en vers et en prose, paru à la veille de la Première Guerre mondiale, en août 1914. On a un temps voulu, ses contemporains surtout, ranger le dérangeant Campana au nombre des poètes naïfs, primitifs, incultes. Un poète par inadvertance. Mais décidément non : Campana est un poète crucial. Des auteurs plus célèbres, Ungaretti, Montale, Luzi, ne lui devraient pas tant s'il n'écrivait en connaissance, et ses intimes ne sont pas des moindres : Dante, Nerval, Nietzsche, Whitman, Goethe, Baudelaire... il n'ignore rien des débats avant-gardistes de son temps, des Futurismes marinettien et florentin, que son texte enregistre et auxquels il répond. Mais pour lui, l'enjeu, le sens ou le non-sens de la poésie est ailleurs que dans des querelles marchandes pour la gloire immédiate, ailleurs que dans la célébration des vertus, conformiste en définitive, de la nouveauté à tout prix. Dans un effort extrême lacérant vers sa seule authenticité - " seule la douleur est vraie " - Campana traque et bannit les solutions faciles de tous les champs de l'écriture et de la vie. Par une méprise vitale, on croit en la consistance du réel, en sa faculté de se tenir avec lui-même, se contenir. Mais les contours de toute chose ici se défont. L'image ouverte à toutes les images à la fin gît brisée. Le poète, à tous les sens béant, à son terme est déchiqueté. C'est l'aliénation mentale, officialisée en 1918 par un internement physique dont la mort le délivre en 1932, qui put seule contraindre l'homme Campana dans une façon codifiée de vie. Au lecteur d'aujourd'hui, sur qui pèsent tant d'injonctions à prendre pour agent comptant la monnaie de singe des nouveaux dogmes, à obtempérer sous le poids public des prétendues réalités, à ne plus douter ni chercher, les Chants Orphiques, et la vie effroyable d'intégrité d'un homme qui refuse de " fabriquer ", qui ne sait que " faire et défaire ", s'offrent comme le plus redoutable et nécessaire antidote : la preuve confondante de l'insoumission aux nomenclatures de l'intelligence.
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