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Titre : Légende de la chambre des demoiselles à Étretat

Auteur : Guy de Maupassant Recueil : Poésies diverses

Lentement le flot arrive Sur la rive Qu’il berce et flatte toujours. C’est un triste chant d’automne Monotone Qui pleure après les beaux jours. Sur la côte solitaire Est une aire Jetée au-dessus des eaux ; Un étroit passage y mène, Vrai domaine Des mauves et des corbeaux. C’est une grotte perdue, Suspendue Entre le ciel et les mers, Une demeure ignorée Séparée Du reste de l’univers. Jadis plus d’une gentille Jeune fille Y vint voir son amoureux ; On dit que cette retraite Si discrète A caché bien des heureux. On dit que le clair de lune Vit plus d’une Jouvencelle au coeur léger Prendre le sentier rapide, Intrépide Insouciante au danger. Mais comme un aigle tournoie Sur sa proie, Les guettait l’ange déchu, Lui qui toujours laisse un crime Où s’imprime L’ongle de son pied fourchu. Un soir près de la colline Qui domine Ce roc au front élancé, Une fillette ingénue Est venue Attendant son fiancé. Or celui qui perdit Eve, Sur la grève La suivit d’un pied joyeux ; « Hymen, dit-il, vous invite, « Venez vite, « La belle fille aux doux yeux, « Là-bas sur un lit de roses « Tout écloses « Vous attend le jeune Amour ; « Pour accomplir ses mystères « Solitaires « Il a choisi cette tour. » Elle était folle et légère, L’étrangère, Hélas, et n’entendit pas Pleurer son ange fidèle, Et près d’elle Satan qui riait tout bas. Car elle suivit son guide Si perfide Et par le sentier glissant. Bat la rive Mais lui, félon, de la cime, Dans l’abîme Il la jeta, – Dieu Puissant ! Son ombre pâle est restée Tourmentée, Veillant sur l’étroit chemin. Sitôt que de cette roche On approche Elle étend sa blanche main. Depuis qu’en ces lieux, maudite Elle habite, Aucun autre n’est tombé. C’est ainsi qu’elle se venge De l’archange Auquel elle a succombé. Allez la voir, Demoiselles, Jouvencelles Que mon récit attrista, Car pour vous la renommée L’a nommée Cette grotte d’Étretat ! A son pied le flot arrive Bat la rive Qu’il berce et flatte toujours. C’est un triste chant d’automne Monotone Qui pleure après les beaux jours. (15 décembre 1922)