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Titre : Égalité

Auteur : Victor Hugo Recueil : Les chansons des rues et des bois, 1865

Dans un grand jardin en cinq actes, Conforme aux préceptes du goût, Où les branches étaient exactes, Où les fleurs se tenaient debout, Quelques clématites sauvages Poussaient, pauvres bourgeons pensifs, Parmi les nobles esclavages Des buis, des myrtes et des ifs. Tout près, croissait, sur la terrasse Pleine de dieux bien copiés, Un rosier de si grande race Qu'il avait du marbre à ses pieds. La rose sur les clématites Fixait ce regard un peu sec Que Rachel jette à ces petites Qui font le choeur du drame grec. Ces fleurs, tremblantes et pendantes, Dont Zéphyre tenait le fil, Avaient des airs de confidentes Autour de la reine d'avril. La haie, où s'ouvraient leurs calices Et d'où sortaient ces humbles fleurs, Écoutait du bord des coulisses Le rire des bouvreuils siffleurs. Parmi les brises murmurantes Elle n'osait lever le front ; Cette mère de figurantes Était un peu honteuse au fond. Et je m'écriai : — Fleurs éparses Près de la rose en ce beau lieu, Non, vous n'êtes pas les comparses Du grand théâtre du bon Dieu. Tout est de Dieu l'oeuvre visible. La rose, en ce drame fécond, Dit le premier vers, c'est possible, Mais le bleuet dit le second. Les esprits vrais, que l'aube arrose, Ne donnent point dans ce travers Que les campagnes sont en prose Et que les jardins sont en vers. Avril dans les ronces se vautre, Le faux art que l'ennui couva Lâche le critique Lenôtre Sur le poète Jéhovah. Mais cela ne fait pas grand-chose À l'immense sérénité, Au ciel, au calme grandiose Du philosophe et de l'été. Qu'importe ! croissez, fleurs vermeilles ! Soeurs, couvrez la terre aux flancs bruns, L'hésitation des abeilles Dit l'égalité des parfums. Croissez, plantes, tiges sans nombre ! Du verbe vous êtes les mots. Les immenses frissons de l'ombre Ont besoin de tous vos rameaux. Laissez, broussailles étoilées, Bougonner le vieux goût boudeur ; Croissez, et sentez-vous mêlées À l'inexprimable grandeur ! Rien n'est haut et rien n'est infime. Une goutte d'eau pèse un ciel ; Et le mont Blanc n'a pas de cime Sous le pouce de l'Éternel. Toute fleur est un premier rôle ; Un ver peut être une clarté ; L'homme et l'astre ont le même pôle ; L'infini, c'est l'égalité. L'incommensurable harmonie, Si tout n'avait pas sa beauté, Serait insultée et punie Dans tout être déshérité. Dieu, dont les cieux sont les pilastres, Dans son grand regard jamais las Confond l'éternité des astres Avec la saison des lilas. Les prés, où chantent les cigales, Et l'Ombre ont le même cadran. Ô fleurs, vous êtes les égales Du formidable Aldébaran. L'intervalle n'est qu'apparence. Ô bouton d'or tremblant d'émoi, Dieu ne fait pas de différence Entre le zodiaque et toi. L'être insondable est sans frontière. Il est juste, étant l'unité. La création tout entière Attendrit sa paternité. Dieu, qui fit le souffle et la roche, Oeil de feu qui voit nos combats, Oreille d'ombre qui s'approche De tous les murmures d'en bas, Dieu, le père qui mit dans les fêtes Dans les éthers, dans les sillons, Qui fit pour l'azur les comètes Et pour l'herbe les papillons, Et qui veut qu'une âme accompagne Les êtres de son flanc sortis, Que l'éclair vole à la montagne Et la mouche au myosotis, Dieu, parmi les mondes en fuite, Sourit, dans les gouffres du jour, Quand une fleur toute petite Lui conte son premier amour.