Titre : Beyrouth
Auteur : Grégory Rateau Recueil : Conspiration du réel, 2022
« Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant. » Rimbaud
Un taxi noir,
Celui d’après minuit,
Mon chauffeur slame,
Mixe de plusieurs langues,
Et ses sourcils de loup-garou,
Dans les nuits fauves de Beyrouth,
Cette montagne dressée au loin,
Constellation d’un Pollock en transe,
Je décroche
À côté de mes pompes,
Tel un somnambule,
La ville jappe,
Puis bat la mesure en rythme,
Par la fenêtre
Des fils électriques tressés à l’infini,
Tout va trop vite,
Ça défile,
Appartements percés de part en part,
Éclats de balle,
Des trous de la taille d’un obus,
Un goût de poussière,
Odeur de pneus brûlés,
Ma tête prête à exploser,
Comme si des doigts essayaient de me faire avouer
Mais quoi ?
Je délire,
Un gamin court après la voiture,
Le feu passe au rouge,
Des scooters nous tournent autour,
Haine de l’étranger,
Je fonce
Sur les bords de mer,
La lune fait du sur-place,
Le ciel pris de folie,
Des lucioles rebondissent sur le sable,
Des chars défilent,
Tremblement,
La terre entame son solo de jazz,
Je rêve d’une femme,
La peau claire,
Aux cheveux noirs,
Mais j’ai droit à la lampe
d’un militaire,
Braquée sur mon désir,
Il nous fait ranger sur le bas-côté,
Fouille au corps,
Vérification des papiers,
Le loup-garou ne veut pas aller plus loin,
Je longe la plage,
Des couples se cachent dans des voitures
Tous phares éteints,
Dans l’eau, elle est là,
La femme à la peau claire,
Aux cheveux noirs,
Elle n’a pas peur des flammes,
Des reflets brûlants sur les vagues,
Nous plongeons
Sous l’eau, une autre nuit,
Une longue phrase,
Sans un mot,
« A love » suprême.