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Alexandre Dumas

Auteurplume

Alexandre Dumas (dit aussi Alexandre Dumas père) est un écrivain français né le 5 thermidor an X (24 juillet 1802) à Villers-Cotterêts (Aisne) et mort le 5 décembre 1870 au hameau de Puys, ancienne commune de Neuville-lès-Dieppe, aujourd'hui intégrée à Dieppe (Seine-Maritime). Il est le fils de Marie-Louise Labouret (1769–1838) et Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie (1762–1806) (né à Saint-Domingue, actuelle Haïti), dit le général Dumas, et le père des écrivains Henry Bauër et Alexandre Dumas (1824–1895), dit Dumas fils, auteur de La Dame aux camélias. Proche des romantiques et tourné vers le théâtre, Alexandre Dumas écrit d'abord un vaudeville à succès et des drames historiques comme Henri III et sa cour (1829), La Tour de Nesle (1832), Kean (1836). Auteur prolifique, il s'oriente ensuite vers les romans historiques tels que la trilogie des mousquetaires (Les Trois Mousquetaires (1844), Vingt Ans après (1845) et Le Vicomte de Bragelonne (1847–1850)), ou encore Le Comte de Monte-Cristo (1844–1846), La Reine Margot (1845) et La Dame de Monsoreau (1846). La paternité de certaines de ses œuvres lui est contestée. Dumas fut ainsi soupçonné par plusieurs critiques de son époque d'avoir eu recours à des prête-plume, notamment Auguste Maquet. Toutefois les recherches contemporaines ont montré que Dumas avait mis en place une coopération avec ce dernier : Dumas s'occupait de choisir le thème général et modifiait les ébauches de Maquet pour les rendre plus dynamiques. On ne peut donc lui nier la paternité de son œuvre, même s'il n'aurait peut-être pas pu réaliser tous ses chefs-d'œuvre des années 1844–1850 sans la présence à ses côtés d'un collaborateur à tout faire efficace et discret. L'œuvre d'Alexandre Dumas est universelle ; selon l’Index Translationum, avec un total de 2 540 traductions, il vient au treizième rang des auteurs les plus traduits en langue étrangère.

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Poésies

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    Alexandre Dumas

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    Chroniques de France Notre pauvre histoire de France, grâce à MM les historiographes patentés, a acquis, près des femmes surtout, une réputation d’ennui, qui depuis deux siècles soutient avec avantage la comparaison contre toute réputation de ce genre. La paresse qui leur est naturelle, et qui, comme presque tous leurs défauts, est encore un de leurs charmes, le peu de temps qui leur reste entre la toilette du matin, les courses ou le rendez-vous de la journée, et le bal du soir, étrangle toute occupation sérieuse, et leur fait négliger d’aller chercher le vrai et le pittoresque dans ces merveilleux mémoires du moyen âge, où dès la première page elles craignent de rencontrer une fatigue. Puis après tout, à quoi bon la science à cette moitié du monde qui n’a qu’à sourire pour être belle, qu’à se coucher à demi pour être gracieuse, qu’à marcher pour être élégante? à qui l’on ne demande, pendant ses quinze ans de jeunesse et de beauté, qu’un sourire qui encourage, qu’un regard qui enhardisse, qu’un mot qui rende heureux. Est-ce ensuite à l’épouse, avec son bouquet d’enfants groupés autour d’elle, comme des boutons sur une tige, qui découvre son sein pour allaiter l’un, tend sa main aux lèvres de l’autre, suit des yeux avec inquiétude un troisième; à l’épouse dont les jours regorgent de joie, d’amour et de craintes, que vous oserez dérober une de ces heures maternelles qui lui sont comptées au ciel comme des vertus, pour l’appliquer à la vaine science des temps passés? Les mères sont comme la nature; elles ne regardent qu’en avant. Puis laissez blanchir leurs cheveux: n’auront-elles point déjà trop de ces souvenirs personnels qui à tout âge font bondir le cœur d’une femme, pour introduire parmi eux des souvenirs étrangers et froids? Il en est parmi les siens qui lui demeurent si sacrés, que ce mélange serait presque une profanation. La jeune fille pense à son amour, l’épouse montre ses enfants, la grand’mère raconte ses souvenirs, et l’histoire du monde entier est pour la femme dans ces trois époques de sa vie. Ce serait une grande et belle chose cependant, que d’oser réveiller le génie de l’histoire, de le suivre, et de l’interroger à travers les générations mortes et les siècles éteints, comme Dante suivait et interrogeait Virgile; de redescendre en lui donnant la main, de Charlemagne, le Napoléon du moyen âge, à Napoléon, le Charlemagne moderne; ce serait un spectacle nouveau, en le considérant du côté pittoresque et poétique, que celui que présenterait notre mère-patrie, vue à neuf siècles de distance du haut du trône de ses deux puissants empereurs, et cependant si rétrécie sons Charles VII, que le vieux sang français ne circule plus que goutte à goutte au travers des trois provinces qui lui restent, comme au milieu d’un sablier, ne passent qu’un à un les grains de poussière qui mesurent le temps. Certes ce serait là une tâche à remplir la vie d’un homme, à ne lui rien laisser à désirer à l’heure de la mort, et à placer sa statue sur un piédestal pareil à celui d’Homère ou de Byron. Quel est le poète auquel cette idée ne soit pas venue vingt fois comme un remords, et qui n’ait passé bien des heures de sa vie à l’abandonner et à la reprendre jusqu’à ce qu’il se soit aperçu qu’un tiers des heures de sa vie était déjà derrière lui, et qu’il ait dit en regardant à l’œuvre à accomplir et le temps qui lui restait: il est trop tard; maudit soit Dieu! C’est pour cela que nous avons tant de poètes, tant de romanciers, et pas un historien. Il faut l’œil de Dieu pour regarder si loin dans le passé, il faut les bras d’un géant pour étreindre tant de siècles. Quelques-uns peut-être eussent accompli l’œuvre, mais ils ont douté d’eux, ils ont hésité à échanger sans relâche chaque jour de leur vie contre un an des temps passés; ils ont craint de descendre dans ces profondeurs de l’histoire où ils pouvaient se perdre, et comme un homme qui franchit un abîme, ils ont sauté d’un trône à l’autre, sans oser regarder au-dessous d’eux. Là cependant était le peuple. Puis, après tout, cette gloire posthume qui aurait dévoré toutes les heures d’une vie, aurait-elle valu ce qu’elle ôtait? L’oreille des morts entend-elle les noms que les générations prononcent en passant successivement sur leurs tombes, et dont le bruit, pareil au cercle que fait naître une pierre jetée au milieu d’un étang, diminue en s’élargissant, et s’efface en touchant le bord? Mieux vaut peut-être Dorat couronné de son vivant qu’Homère mis au rang des dieux après sa mort; peut-être les seuls instants de la vie qui ne soient pas perdus au compte de l’éternité, sont-ils d’abord ceux du bonheur, ensuite ceux du plaisir, puis enfin ceux passés à rien faire ou à faire des riens. Or, bonheur et plaisir sont aux mains des femmes; les femmes ne lisent pas l’histoire. Consolons nous donc que le temps manque à qui veut l’écrire, et si quelques- unes d’elles, par hasard, ou par caprice, désirent que nous dirigions leurs regards vers une de ces grandes époques qui marquent l’accroissement ou la décadence d’une nation, exigent que nous leur apprenions à bégayer ces noms d’hommes que peut seule prononcer assez haut la voix d’un peuple entier; déchirons quelques feuillets d’un fabliau gothique, naïvement enluminé d’or, de rouge et de bleu; rapetissons la taille d’Hugues Capet, de François Ier ou de Richelieu, à la dimension des pages d’un album; laissons le vent emporter cette page sur leurs genoux, et quand elles auront, depuis sa naissance jusqu’à son agonie, dévoré un siècle en une heure, que l’œil humide d’une dernière larme, elles, diront, en nous apercevant: Oh! j’ai lu votre nouvelle! c’est délicieux! Voilà comme j’aime l’histoire. Oublions nos espérances sublimes, nos rêves d’immortalité. Oublions travail, gloire, avenir, tout enfin pour cette larme tremblante aux cils d’un œil noir, que notre bouche peut recueillir avant qu’elle ne tombe.

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    Alexandre Dumas

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    La rose rouge Celui qui, dans la soirée du 15 décembre 93, serait parti de la petite ville de Clisson pour se rendre au village de Saint-Crépin, et se serait arrêté sur la crête de la montagne au pied de laquelle coule la rivière de la Moine, aurait vu de l’autre côté de la vallée un étrange spectacle. D’abord, à l’endroit où sa vue aurait cherché le village perdu dans les arbres, au milieu d’un horizon déjà assombri par le crépuscule, il eût aperçu trois ou quatre colonnes de fumée qui, isolées à leur base, se joignaient en s’élargissant, se balançaient un instant comme un dôme bruni, et, cédant mollement à un vent humide d’ouest, roulaient dans cette direction, confondus avec les nuages d’un ciel bas et brumeux; il eût vu cette base rougir lentement, puis toute fumée cesser, et des toits des maisons, des langues de feu aiguës s’élancer à leur place, avec un frémissement sourd, tantôt se tordant en spirale, tantôt se courbant et se relevant comme le mât d’un vaisseau; il lui eût semblé que bientôt toutes les fenêtres s’ouvraient pour vomir du feu; de temps en temps, quand un toit s’enfonçait, il eût entendu un bruit sourd; il eût distingué une flamme plus vive, mêlée de milliers d’étincelles, et à la lueur sanglante de l’incendie s’agrandissant, des armes luire, un cercle de soldats s’étendre au loin; il eût entendu des cris et des rires, et il eût dit avec terreur: Dieu me pardonne, c’est une armée qui se chauffe avec un village. Effectivement, une brigade républicaine de douze ou quinze cents hommes avait trouvé le village de Saint-Crépin abandonné, et y avait mis le feu. Ce n’était point une cruauté, mais un moyen de guerre, un plan de campagne comme un autre; l’expérience prouva qu’il était le seul qui fut bon. Cependant une chaumière isolée né brûlait pas, on semblait même avoir pris toutes les précautions nécessaires pour que le feu ne pût l’atteindre. Deux sentinelles veillaient à la porte, et à chaque instant des officiers d’ordonnance, des aides de camp entraient, puis bientôt soldaient pour porter des ordres. Celui qui donnait ces ordres était un jeune homme qui paraissait âgé de vingt à vingt-deux ans; de longs cheveux blonds séparés sur le front tombaient en ondulant de chaque côté de ses joues blanches et maigres; toute sa figure portait l’empreinte de cette tristesse fatale qui s’attache au front de ceux qui doivent mourir jeunes. Son manteau bleu, en l’enveloppant, ne le cachait pas si bien qu’il ne laissât apercevoir les signes de son grade, deux épaulettes de général; seulement ces épaulettes étaient de laine, les officiers républicains ayant fait à la Convention l’offrande patriotique de tout l’or de leurs habits; il était courbé sur une table, une carte géographique était déroulée sous ses yeux, et il y traçait au crayon, à la clarté d’une lampe qui s’effaçait elle- même devant la lueur de l’incendie, la route que ses soldats allaient suivre. C’était le général Marceau, qui, trois ans plus tard, devait être tué à Altenkirchen. -Alexandre! dit-il en se relevant à demi... Alexandre! éternel dormeur, rêves-tu de Saint-Domingue, que tu dors si long-temps? - Qu’y a-t-il? dit en se levant tout debout et eu sursaut celui auquel il s’adressait, et dont la tête toucha presque le plafond de la cabane; qu’y a-t-il? est-ce l’ennemi qui nous vient? et ces paroles furent dites avec un léger accent créole qui leur conservait de la douceur même au milieu de la menace. -Non, mais un ordre du général en chef Westermann qui nous arrive. Et pendant que sou collègue lisait cet ordre, car celui qu’il avait apostrophé était son collègue, Marceau regardait avec une curiosité d’enfant les formes musculeuses de l’Hercule mulâtre qu’il avait devant les yeux. C’était un homme de vingt-huit ans, aux cheveux crépus et courts, au teint brun, au front découvert et aux dents blanches, dont la force presque surnaturelle était connue de toute l’armée, qui lui avait vu, dans un jour de bataille, fendre un casque jusqu’à la cuirasse, et un jour de parade, étouffer entre ses jambes un cheval fougueux qui l’emportait. Celui-là n’avait pas long-temps à vivre non plus, mais moins heureux que Marceau, il devait mourir loin du champ de bataille, empoisonné par l’ordre d’un roi. C’était le général Alexandre Dumas, c’était mon père. -Qui t’a apporté cet ordre? dit-il. -Le représentant du peuple Delmar. -C’est bien. Et où doivent se rassembler ces pauvres diables. -Dans un bois à une lieue et demie d’ici; vois sur la carte, c’est là. -Oui; mais sur la carte, il n’y a pas les ravins, les montagnes, les arbres coupés, les mille chemins qui embarrassent la vraie route, où l’on a peine à se reconnaître, même dans le jour... Infernal pays... Avec cela qu’il y fait toujours froid. -Tiens, dit Marceau en poussant la porte du pied, et en lui montrant le village en feu, sors et tu te chaufferas... Hé! qu’est cela, citoyens? Ces paroles étoient adressées à un groupe de soldats qui, en clierchant des vivres, avaient découvert, dans une espèce de chenil attenant à la chaumière où étaient les deux généraux, un paysan vendéen qui paraissait tellement ivre, qu’il était probable qu’il n’avait pu suivre les habitans du village lorsqu’ils l’avaient abandonné. Que le lecteur se figure un métayer à visage stupide, au grand chapeau, aux cheveux longs, à la veste grise; être ébauché à l’image de l’homme, espèce de degré au-dessous de la bête; car il était évident que l’instinct manquait à cette masse. Marceau lui fit quelques questions; le patois et le vin rendirent ses réponses inintelligibles. Il allait l’abandonner comme un jouet aux soldats, lorsque le général Dumas donna brusquement l’ordre d’évacuer la chaumière et d’y enfermer le prisonnier. Il était encore à la porte, un soldat le poussa dans l’intérieur, il alla en trébuchant s’appuyer contre le mur, chancela un instant en oscillant sur ses jambes demi-ployées; puis, tombant lourdement étendu, demeura sans mouvement. Un factionnaire resta devant la porte, et l’on ne prit pas même la peine de fermer la fenêtre. Dans une heure nous pourrons partir, dit le général Dumas à Marceau; nous avons un guide. -Lequel? -Cet homme. -Oui, si nous voulons nous mettre en route demain, soit. Il y a dans ce que ce drôle a bu du sommeil pour vingt-quatre heures. Dumas sourit, viens, lui dit-il, et il le conduisit sous le hangar où le paysan avait été découvert; une simple cloison le séparait de l’intérieur de la cabane, encore était-elle sillonnée de fentes qui laissaient distinguer ce qui s’y passait, et avaient dû permettre d’entendre jusqu’à la moindre parole des deux généraux qui un instant auparavant s’y trouvaient: -Et maintenant, ajouta-t-il, en baissant la voix, regarde. Marceau obéit, cédant à l’ascendant qu’exerçait sur lui son ami, même dans les choses habituelles de la vie. -Il eut quelque peine à distinguer le prisonnier, qui, par hasard, était tombé dans le coin le plus obscur de la chaumière. Il gisait encore à la même place, immobile; Marceau se retourna pour chercher son collègue, il avait disparu. Lorsqu’il reporta ses regards dans la cabane, il lui sembla que celui qui l’habitait avait l’ait un léger mouvement; sa tête était replacée dans une direction qui lui permettait d’embrasser d’un coup-d’oeil tout l’intérieur. Bientôt il ouvrit les yeux avec le bâillement prolongé d’un homme qui s’éveille, et il vit qu’il était seul. Un singulier éclair de joie et d’intelligence passa sur son visage. Dès-lors il fut évident pour Marceau qu’il eût été la dupe de cet homme, si un regard plus clairvoyant n’avait tout deviné. Il l’examina donc avec une nouvelle attention; sa figure avait repris sa première expression, ses yeux s’étaient refermés, ses mouvemens étaient ceux d’un homme qui se rendort; dans l’un d’eux, il accrocha du pied la table légère qui soutenait la carte et l’ordre du général Westermann que Marceau avait rejeté sur cette table, tout tomba pêle-mêle, le soldat de faction entr’ouvrit la porte, avança la tète à ce bruit, vit ce qui l’avait causé, et dit en riant à son camarade: « C’est le citoyen qui rêve. » Cependant celui-ci avait entendu ces paroles, ses yeux s’étaient rouverts, un regard de menace poursuivit un instant le soldat; puis, d’un mouvement rapide, il saisit le papier sur lequel était écrit l’ordre, et le cacha dans sa poitrine. Marceau retenait son souffle; sa main droite semblait collée à la poignée de son sabre, sa main gauche supportait avec son front tout le poids de son corps appuyé contre la cloison. L’objet de son attention était alors posé sur le côté; bientôt, en s’aidant du coude et du genou, il s’avança lentement toujours couché vers l’entrée de la cabane; l’intervalle qui se trouvait entre le seuil et la porte lui permit d’apercevoir les jambes d’un groupe de soldats qui se tenaient devant. Alors avec patience et lenteur, il se remit à ramper vers la fenêtre eiitr’ouverte; pui, s arrivé à trois pieds d’elle, il chercha dans sa poitrine une arme qui y était cachée, ramassa son corps sur lui-même, et d’un seul bond, d’un bond de jagouar, s’élança hors de la cabane. Marceau jeta un cri, il n’avait eu le temps ni de prévoir ni d’empêcher cette fuite. Un autre cri répondit au sien. Celui-là était de malédiction. Le Vendéen, eu tombant hors de la fenêtre, s’était trouvé face à face avec le général Dumas; il avait voulu le frapper de son couteau, mais celui-ci lui saisissant le poignet, l’avait ployé contre sa propre poitrine, et il n’avait plus qu’à pousser pour que le Vendéen se poignardât lui-même. -Je t’avais promis un guide Marceau, en voici un, et intelligent, je l’espère. -Je pourrais te faire fusiller, drôle, dit-il au paysan, il m’est plus commode de te laisser vivre. Tu as entendu notre conversation, mais tu ne la reporteras pas à ceux qui t’ont envoyé. -Citoyens, -il s’adressait aux soldats que cette scène curieuse avait amenés, -que deux de vous prennent chacun une main à cet homme, et se placent avec lui à la tête de la colonne, il sera notre guide; si vous apercevez qu’il vous trompe, s’il fait un mouvement pour fuir, brûlez-lui la cervelle, et jetez-le par- dessus la haie. Puis quelques ordres donnés à voix basse allèrent agiter cette ligne rompue de soldats qui s’étendait à l’entour des cendres qui avaient été un village. Ces groupes s’alongèrent, chaque peloton sembla se souder à l’autre. Une ligne noire se forma, descendit dans le long chemin creux qui sépare Saint-Crépin de Montfaucon, s’y emboîta comme une roue dans une ornière, et lorsque quelques minutes après la lune passa entre deux nuages, et se réfléchit un instant sur ce ruban de baïonnettes qui glissaient sans bruit, on eût cru voir ramper dans l’ombre un immense serpent noir à écaille d’acier. C’est une triste chose pour une armée qu’une marche de nuit. La guerre est belle par un beau jour, quand le ciel regarde la mêlée, quand les peuples se dressant à l’entour du champ de bataille comme aux gradins d’un cirque, battent des mains aux vainqueurs; quand les sons frémissans des instrumens de cuivre font tressaillir les fibres courageuses du coeur, quand la fumée de mille canons vous couvre d’un linceul, quand amis et ennemis sont là pour voir comme vous mourrez bien; c’est sublime. Mais la nuit, la nuit!... Ignorer comment on vous attaque et comment vous vous défendez, tomber sans voir qui vous frappe ni d’où le coup part, sentir ceux qui sont debout encore vous heurter du pied sans savoir c^ui vous êtes, et marcher sur vous!... Oh! alors, on ne se pose pas comme un gladiateur, on se roule, on se tord, on mord la terre, on la déchire des ongles; c’est horrible. Voilà pourquoi cette armée marchait triste et silencieuse; c’est qu’elle savait que de chaque côté de sa route se prolongeaient de hantes haies, des champs entiers de genêts et d’ajonc, et qu’au bout de ce chemin il y avait un combat, un combat de nuit. Elle marchait depuis une demi-heure; de temps en temps, comme je l’ai déjà dit, un rayon de la lune filtrait entre deux nuages, et laissait apercevoir, à la tète de cette colonne, le paysan qui servait de guide, l’oreille attentive au moindre bruit, et toujours surveillé par les deux soldats qui marchaient à ses côtés. Parfois on entendait sur les flancs un froissement de feuilles, la tête de la colonne s’arrêtait tout à coup. Plusieurs voix criaient qui vive? ... Rien ne répondait, et le paysan disait en riant: C’est un lièvre qui part du gîte. -Quelquefois les deux soldats croyaient voir devant eux s’agiter quelque chose qu’ils ne pouvaient distinguer, ils se disaient l’un à l’autre: Regarde donc!... et le Vendéen répondait: C’est votre ombre, marchons toujours. -Tout à coup, au détour du chemin, ils virent se dresser devant eux deux hommes; ils voulurent crier; l’un des soldats tomba sans avoir eu le temps de proférer une parole; l’autre chancela une seconde, et n’eut que le temps de dire: « A moi! » Vingt coups de fusils partirent à l’instant; à la lueur de cet éclair, on put distinguer trois hommes qui fuyaient; l’un d’eux chancela, se traîna un instant le long du talus, espérant atteindre l’autre côté de la haie. On courut à lui, ce n’était pas le guide; on l’interrogea, il ne répondit point; un soldat lui perça le bras de sa baïonnette pour voir s’il était bien mort, -il l’était. Ce fut alors Marceau qui devint le guide. L’étude qu’il avait faite des localités lui laissait l’espoir de ne point s’égarer. Effectivement, après un quart d’heure de marche, on aperçut la masse noire de la forêt. Ce fut là que, selon l’avis qu’en avaient reçu les républicains, devaient se rassembler pour entendre une messe les habitans de quelques villages, les débris de plusieurs armées, dix-huit cents hommes à peu près.

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    Alexandre Dumas

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    Marie Stuart Il y a, pour les rois, des noms prédestinés à la mauvaise fortune: en France, c’est le nom de Henri. Henri Ier fut empoisonné, Henri II fut tué dans un tournoi, Henri III et Henri IV furent assassinés. Quant à Henri V, pour qui le passé est déjà si fatal, Dieu seul sait ce que lui garde l’avenir. En Écosse, c’est le nom de Stuart. Robert Ier, chef de la race, mourut à vingt-huit ans d’une maladie de langueur. Robert II, le plus heureux de la famille, fut forcé de passer une partie de sa vie non seulement dans la retraite, mais encore dans l’obscurité, à cause d’une inflammation des yeux qui les lui faisait rouges comme du sang. Robert III succomba au chagrin que lui causa la mort d’un de ses fils et la captivité de l’autre. Jacques Ier fut poignardé par Grahame dans l’abbaye des Moines-Noirs de Perth. Jacques II fut tué au siège de Roxburgh par l’éclat d’une pièce de canon qui creva. Jacques III fut assassiné par un inconnu dans un moulin où il s’était réfugié pendant la bataille de Sauchie. Jacques IV, frappé de deux flèches et d’un coup de hallebarde, tomba au milieu de sa noblesse sur le champ de bataille de Flodden. Jacques V mourut du chagrin d’avoir perdu ses deux fils et du remords d’avoir fait exécuter Hamilton. Jacques VI, prédestiné à réunir sur sa tête les deux couronnes d’Écosse et d’Angleterre, fils d’un père assassiné, traîna une vie triste et craintive entre l’échafaud de sa mère Marie Stuart et celui de son fils Charles Ier. Charles II passa une partie de sa vie en exil. Jacques II y mourut. Le chevalier de Saint-Georges, après avoir été proclamé roi d’Écosse sous le nom de Jacques VIII, et d’Angleterre et d’Irlande sous celui de Jacques III, fut obligé de fuir sans avoir pu donner à ses armes l’éclat même d’une défaite. Charles Édouard, son fils, après l’échauffourée de Derby et la bataille de Culloden, traqué de montagne en montagne, poursuivi de roche en roche, nageant de rivage en rivage, recueilli à demi-nu par un vaisseau français, s’en alla mourir à Florence sans que jamais les cours de l’Europe aient voulu le reconnaître pour souverain. Enfin, son frère Henri Benoît, le dernier héritier des Stuarts, après avoir vécu d’une pension de trois mille livres sterling que lui faisait le roi Georges III, expira complètement oublié et léguant à la maison de Hanovre tous les joyaux de la couronne, que Jacques II avait emportés en passant sur le continent en 1688, tardive mais entière reconnaissance de la légitimité de la famille qui avait succédé à la sienne. Au milieu de cette race malheureuse, Marie Stuart fut la privilégiée du malheur. Aussi Brantôme a dit d’elle: «Ceux qui voudront écrire sur cette illustre reine d’Écosse en ont deux très amples sujets, l’un celui de sa vie, et l’autre celui de sa mort.» C’est qu’aussi Brantôme l’avait connue dans une des circonstances les plus douloureuses de sa vie, c’est-à-dire au moment où elle quittait la France pour l’Écosse. Ce fut le 9 août 1561, après avoir perdu sa mère et son époux dans la même année, que Marie Stuart, douairière de France et reine d’Écosse à dix-neuf ans, conduite par les cardinaux de Guise et de Lorraine ses oncles, par le duc et la duchesse de Guise, par le duc d’Aumale et M. de Nemours, arriva à Calais, où l’attendaient, pour la ramener en Écosse, deux galères, l’une sous les ordres de M. de Mévillon, et l’autre sous le commandement du capitaine Albize. Elle resta sixjours en cette ville. Enfin, le 15 du même mois, après les plus tristes adieux à sa famille, accompagnée de MM. d’Aumale, d’Elboeuf et Damville, avec force noblesse parmi laquelle étaient Brantôme et Chatelard, elle s’embarqua sur la galère de M. Mévillon, qui reçut aussitôt l’ordre de pousser au large, ce qu’elle fit à l’aide de ses rames, le vent n’étant point assez fort pour qu’on pût se servir des voiles. Marie Stuart était alors dans toute la fleur de sa beauté, plus brillante encore sous ses vêtements de deuil; beauté si merveilleuse qu’elle répandait autour d’elle un charme auquel pas un de ceux à qui elle voulut plaire n’échappa et qui fut fatal à presque tous. Aussi avait-on fait vers cette époque une chanson sur elle qui, de l’aveu même de ses rivales, ne contenait que la vérité. Elle était, disait-on, de M. de Maison-Fleur, gentil cavalier pour les lettres et pour les armes. La voici: L’on voit sous blanc atour, En grand deuil et tristesse, Se promener maint tour, De beauté la déesse: Tenant le trait en main De son fils inhumain: Et l’amour sans fronteau Voleter autour d’elle, Déguisant son bandeau Sous un funèbre voile Où sont ces mots écrits: «Mourir ou être pris.» Or, en ce moment, Marie Stuart, vêtue de son grand deuil blanc, était plus belle que jamais, car de grosses larmes coulaient silencieusement de ses yeux tandis que, secouant un mouchoir de la main, debout sur le gaillard d’arrière, elle saluait, elle qui avait si grande douleur de partir, ceux qui avaient si grande douleur de rester. Enfin, au bout d’une demi-heure, on sortit du port et l’on se trouva en pleine mer. Tout à coup, Marie entendit de grands cris derrière elle. Un bâtiment qui arrivait à pleines voiles avait, par l’ignorance du pilote, touché contre un rocher, de sorte qu’il s’était ouvert et, après avoir tremblé et gémi un instant comme un homme blessé, il commençait à s’engloutir au milieu des hurlements de tout son équipage. Marie, épouvantée, pâle, muette et immobile, le regarda s’enfoncer graduellement dans la mer, tandis que le malheureux équipage, à mesure que la carène disparaissait, montait dans les vergues et dans les haubans afin de retarder son agonie de quelques minutes. Enfin, carène, vergues, mâts, tout s’engouffra dans la gueule béante de l’Océan. On vit surnager un instant quelques points noirs qui disparurent à leur tour les uns après les autres, puis le flot poussa le flot, et les spectateurs de cet horrible drame, voyant l’Océan calme et solitaire comme si rien ne s’était passé, se demandèrent si ce n’était pas une vision qui leur était apparue et puis s’était évanouie. -Hélas! s’écria Marie en se laissant tomber assise et en appuyant ses deux bras sur la poupe de la galère, quel triste augure pour un si triste voyage! Puis, fixant de nouveau vers le port, qui commençait à s’éloigner, ses yeux séchés un instant par la terreur et qui se mouillèrent de nouveau: -Adieu, France, murmura-t-elle, adieu, France. Et pendant cinq heures elle resta ainsi, pleurant et murmurant: -Adieu, France! adieu, France! L’obscurité vint qu’elle se lamentait encore. Et alors, comme les objets s’effaçaient et qu’on l’appelait pour souper: -C’est bien maintenant, ma chère France, dit-elle en se levant, que je vous perds réellement, puisque la nuit jalouse met deuil sur deuil en jetant un voile noir devant mes yeux. Adieu donc une dernière fois, ma chère France, car jamais je ne vous verrai plus. À ces mots, elle descendit, disant qu’elle était tout au contraire de Didon qui, après le départ d’Énée, n’avait plus fait que regarder les flots, tandis qu’elle, Marie, ne pouvait détacher ses regards de la terre. Alors tous firent cercle autour d’elle pour essayer de la distraire et de la consoler. Mais elle, toujours plus triste, ne pouvant répondre tant ses larmes l’étouffaient, mangea à peine; et se faisant dresser un lit dans la traverse de la poupe, elle fit venir le timonier et lui ordonna, s’il voyait encore la terre au point du jour, de venir la réveiller aussitôt. Et sur ce point Marie fut favorisée, car le vent ayant calmi, la galère, lorsque revint le jour, se trouva encore en vue de la France. Ce fut une grande joie pour Marie lorsque, réveillée par le timonier qui n’avait point oublié l’ordre reçu, elle se leva sur son lit et, à travers la fenêtre qu’elle fit ouvrir, revit une fois encore ce rivage bien-aimé. Mais sur les cinq heures du matin, le vent ayant fraîchi, la galère s’éloigna rapidement, de sorte que bientôt la terre disparut tout à fait. Alors Marie retomba sur son lit, pâle comme si elle était morte et murmurant encore une fois: -Adieu, France! je ne te verrai plus. En effet, c’était dans cette France qu’elle regrettait tant que venaient de s’écouler les plus belles années de sa vie. Née au milieu des premiers troubles de religion, près du lit de son père mourant, le deuil du berceau devait s’étendre pour elle jusqu’à la tombe, et son séjour en France avait été un rayon de soleil dans la nuit. Calomniée dès sa naissance, le bruit s’était si généralement répandu qu’elle était mal conformée et qu’elle ne pouvait vivre qu’un jour sa mère, Marie de Guise, lassée de ces faux rapports, la débarrassa de ses langes et la montra nue à l’ambassadeur d’Angleterre qui venait, de la part de Henri VIII, la demander en mariage pour le prince de Galles, qui n’avait lui-même que cinq ans. Couronnée à neuf mois par le cardinal Beaton, archevêque de Saint-André, elle fut enfermée aussitôt par sa mère, qui craignait pour elle quelque perfidie du roi d’Angle- terre, dans le château de Stirling. Deux ans après, ne trouvant pas que cette forteresse lui présentât encore assez de sûreté, elle la transporta dans une île au milieu du lac Menteith, où un monastère, seul édifice qui existât dans ce lieu, servit d’asile à l’enfant royal et à quatre jeunes filles nées la même année qu’elle, portant comme elle le doux nom qui est l’anagramme du mot aimer et qui, ne devant la quitter dans sa bonne ni dans sa mauvaise fortune, étaient appelées les Maries de la reine. C’étaient Marie Livingston, Marie Fleming, Marie Seyton et Marie Beatoun. Elle resta dans ce monastère jusqu’à l’époque où le parlement, ayant approuvé son mariage avec le dauphin de France, fils de Henri II, elle fut conduite au château de Dumbarton pour y attendre le moment de son départ. C’est là qu’elle fut remise à M. de Brézé, qui venait la chercher de la part de Henri II. Partie sur les galères françaises mouillées à l’embouchure de la Clyde, Marie, après avoir été vivement poursuivie par la flotte anglaise, entra le 15 août 1548 dans le port de Brest, un an après la mort de François Ier. Outre les quatre Maries de la reine, les vaisseaux amenaient encore en France trois de ses frères naturels, parmi lesquels était le prieur de Saint-André, Jacques Stuart, qui devait plus tard abjurer la foi catholique et, avec le titre de régent du royaume et sous le nom de comte de Murray, devenir si fatal à la pauvre Marie. De Brest, Marie se rendit à Saint-Germain-en- Laye, où Henri II, qui venait de monter sur le trône, la combla de caresses, puis l’envoya dans un couvent où étaient élevées les héritières des plus nobles maisons de France. Là, les heureuses dispositions de Marie se développèrent. Née avec le coeur d’une femme et la tête d’un homme, Marie acquit non seulement tous les talents d’agrément qui constituaient l’éducation d’une future reine, mais encore les sciences positives qui sont le complément de celle d’un habile docteur. Aussi, à l’âge de quatorze ans, elle prononça, dans une salle du Louvre, devant Henri II, Catherine de Médicis et toute la cour, un discours latin de sa composition dans lequel elle soutenait qu’il sied bien aux femmes de cultiver les lettres et que c’est une injustice et une tyrannie que d’ôter aux fleurs leurs parfums en reléguant ainsi les jeunes filles dans les soins de leur intérieur. On comprend de quelles manière une future reine, soutenant une pareille thèse, dut être accueillie dans la cour la plus lettrée et la plus pédante de l’Europe. Entre la littérature de Rabelais et de Marot touchant à son déclin et celle de Ronsard et de Montaigne, qui marchaient à leur apogée, Marie devint reine de poésie, trop heureuse qu’elle eût été de ne jamais porter d’autre couronne que celle que Ronsard, Dubellay, Maison-Fleur et Brantôme lui posaient chaque jour sur la tête. Mais elle était prédestinée. Au milieu de ces fêtes qu’essayait de ressusciter la chevalerie mourante arriva la fatale joute des Tournelles: Henri II, frappé d’un éclat de lance au défaut de sa visière, alla se coucher avant l’âge auprès de ses ancêtres, et Marie Stuart monta sur le trône de France, où du deuil de Henri elle passa à celui de sa mère, et du deuil de sa mère, à celui de son époux. Marie ressentit cette dernière perte en femme et en poète; son coeur se répandit en larmes amères et en plaintes harmonieuses. Voici les vers qu’elle fit alors: En mon triste et doux chant, D’un ton fort lamentable, Je jette un deuil tranchant De perte incomparable, Et en soupirs cuisants Passe mes meilleurs ans. Fut-il un tel malheur De dure destinée, Ni si triste douleur De dame fortunée Qui mon coeur et mon oeil Vois en bière et cercueil? Qui dans mon doux printemps Et fleur de ma jeunesse, Toutes les peines sens D’une extrême tristesse, Et en rien n’ai plaisir Qu’en regret et désir. Ce qui m’étoit plaisant Me devint peine dure; Le jour le plus luisant Est pour moi nuit obscure, Et n’est rien si exquis Qui de moi soit requis. J’ai au coeur et à l’oeil Un portrait, une image, Qui figure mon deuil Sur mon pâle visage De violettes teint, Qui est l’amoureux teint. Pour mon mal estranger, Je ne m’arrête en place; Mais j’en ai beau changer, Si ma douleur n’efface: Car mon pis et mon mieux Sont les plus déserts lieux. Si en quelque séjour, Soit en bois, soit en prée, Soit sur l’aube du jour, Ou soit sur la vesprée, Sans cesse mon coeur sent Le regret d’un absent. Si par fois vers les cieux Viens adresser ma vue, Le doux trait de ses yeux Je vois en une nue; Si les baisse vers l’eau, Vois comme en un tombeau. Si je suis en repos, Sommeillant sur ma couche, J’oy qu’il me tient propos, Je le sens qu’il me touche; En labeur, en recoy, Toujours est près de moy. Je ne vois autre objet, Si beau qu’il se présente, À qui que soit subjet Oncques mon coeur consente: Exempt de perfection À cette affection. Mets chanson icy fin À si triste complainte Dont sera le refrain Amour vraie et non feinte, Qui, pour séparation, N’aura diminution.

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