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Alexis-Félix Arvers

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Poésies

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    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    À Alfred de Musset Hélas ! qui t’a si jeune enseigné ces mystères Et toutes ces douleurs du pauvre cœur humain ? Quel génie au milieu des sentiers solitaires, Au sortir du berceau t’a conduit par la main ? O chantre vigoureux, ô nature choisie ! Quel est l’esprit du Ciel qui t’emporte où tu veux ? Quel souffle parfumé de sainte poésie Soulève incessamment l’or de tes blonds cheveux ? Quel art mystérieux à ton vers prophétique Mêla tant de tristesse et de sérénité ? Quel artiste divin, comme au lutteur antique, Te donna tant de force avec tant de beauté ?

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    Alexis-Félix Arvers

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    À Alfred Tattet Alfred, j’ai vu des jours où nous vivions en frères, Servant les mêmes dieux aux autels littéraires : Le ciel n’avait formé qu’une âme pour deux corps ; Beaux jours d’épanchement, d’amour et d’harmonie, Où ma voix à la tienne incessamment unie Allait se perdre au ciel en de divins accords. Qui de nous a changé ? Pourquoi dans la carrière L’un court-il en avant, laissant l’autre en arrière ? Lequel des deux soldats a déserté les rangs ? Pourquoi ces deux vaisseaux qui naviguaient ensemble, Désespérant déjà d’un port qui les rassemble, Vont-ils chercher si loin des bords si différents ? Je n’ai pas dévoué mon maître aux gémonies, Je n’ai pas abreuvé de fiel et d’avanies L’idole où mes genoux s’usaient à se plier : Je n’ai point du passé répudié la trace, J’y suis resté fidèle, et n’ai point, comme Horace, Au milieu du combat jeté mon bouclier. Non, c’est toi qui changeas. Un nom qui se révèle T’éblouit des rayons de sa gloire nouvelle. Tu vois dans le bourgeon le fruit qui doit mûrir : Mécène du Virgile et saint Jean du Messie, Tu répands en tous lieux la saint Prophétie, Tu sèmes la parole et tu la fais fleurir. Je ne suis pas de ceux qui vont dans les orgies S’inspirer aux lueurs blafardes des bougies, Qui dans l’air obscurci par les vapeurs du vin, Tentent de ranimer leur muse exténuée, Comme un vieillard flétri qu’une prostituée Sous ses baisers impurs veut réchauffer en vain. C’est ainsi que j’entends l’œuvre de poésie : Chacun de nous s’est fait l’art à sa fantaisie, Chacun de nous l’a vu d’un différent côté. Prisme aux mille couleurs, chaque œil en saisit une Suivant le point divers où l’a mis la fortune : Dieu lui seul peut tout voir dans son immensité. Conserve la croyance et respecte la nôtre, Apôtre dévoué de la gloire d’un autre ; Fais-toi du nouveau Dieu confesseur et martyr, Ne crois pas que mon cœur cède comme une argile Ni que ta voix, prêchant le nouvel Évangile, Si chaude qu’elle soit, puisse me convertir. Adieu. Garde ta foi, garde ton opulence. Laisse-moi recueillir mon cœur dans le silence, Laisse-moi consumer mes jours comme un reclus ; Pardonne cependant à cette rêverie, C’est le chant d’un proscrit en quittant la patrie, C’est la voix d’un ami que tu n’entendras plus.

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    Alexis-Félix Arvers

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    À Charles X Triste et soudain fracas d’un trône héréditaire, Profond enseignement aux puissants de la terre, Qui vous eût pu prévoir, et dire : Dans trois jours, Cette tige de rois par les siècles blanchie Et ce vaste pouvoir et cette monarchie Auront fui sans espoir et croulé pour toujours ? Et toi qui n’es plus rien et qui fus roi naguère, Charles ! n’avais-tu pas ton droit de paix, de guerre. Ta large part d’impôts, tes châteaux à choisir, Tes veneurs, tes laquais, tes chiens, tes équipages, Tes chambellans dorés, tes hérauts et tes pages Et tes vastes forêts où chasser à loisir ? T’empêchait-on d’aller au sein des basiliques, Courbant ton front royal et baisant les reliques. Garder, comme un soldat, un prêtre à tes côtés. Et, du ministre saint implorant l’assistance, Consumer dans le jeûne et dans la pénitence Tout le restant des jours que le ciel t’a comptés ? On t’entourait d’honneurs, de respects, et la France, Qui voyait tout cela d’un air d’indifférence. T’eût laissé jusqu’au bout, sans haine et sans effroi. Saluer de la main du haut des galeries, Sourire à tes valets et dans tes Tuileries Mourir tranquillement sur ton fauteuil de roi ! Mais des hommes t’ont dit : « Sire, l’heure est venue, Où votre volonté, trop longtemps méconnue. Doit être apprise à tous et s’ouvrir un chemin ; Et si quelque mutin se dresse et se récrie. Nous avons-là Foucault et sa gendarmerie ; C’est l’affaire d’un coup de main. « On en eut bon marché sous l’autre ministère. Quelques coups de mitraille à propos l’ont fait taire, Ce peuple ; il faut qu’il sache, au moins, si c’est en vain Que Charles Xdix est roi de France et de Navarre Et si d’un peu de sang il lui sied d’être avare Pour soutenir le droit divin, « Et si des gens venaient, artisans d’imposture, Vous parler de promesse et que c’est forfaiture Que manquer de la sorte à la foi des serments Jurés, devant l’autel, sur les saints Évangiles, Et qu’après tout, la terre a des trônes fragiles, Et l’avenir des châtiments ; « Sophismes dangereux, maximes immorales ! Propos séditieux de feuilles libérales ! Mais seulement un mot, un signe de la main, Et vous verrez pâlir tous ces faiseurs d’émeute, Comme un gibier peureux qui fuit devant la meute, Dans les forêts de Saint-Germain. » Et toi, tu les as crus et, risquant la partie, Sur un seul coup de dé perdu ta dynastie, Bien puni maintenant, ô roi, pour avoir mis Tant d’espoir dans ton Dieu, tant de foi dans sa grâce, Et compté, pour ton trône et les gens de ta race, Sur l’avenir sans fin qui leur était promis ! Mais comme au premier coup du marteau populaire Ta vieille royauté, masure séculaire. Lézardée et disjointe et qui n’en pouvait plus, A craqué jusqu’au fond, tant l’heure était critique. Tant sa chute était mûre et de ce dais gothique La toile était usée et les ais vermoulus ! Et pour baisser si bas des têtes couronnées, Qu’a-t-il fallu de temps au peuple ? Trois journées D’ouvriers descendus en hâte des faubourgs, Qui couraient sans savoir, au fort de la mêlée, Ce que c’est qu’une marche, et comme elle est réglée Sur les sons plus pressés ou plus lents des tambours. Trois jours, et tout fut dit ; et la pâle bannière Du faîte des palais a roulé dans l’ornière. Et les trois fleurs de lis, honneur de ta maison, N’ont d’asile aujourd’hui, tristes et détrônées, Que dans quelques foyers de vieilles cheminées. Ou les feuillets jaunis d’un traité de blason. Eh quoi ! de tes malheurs le rude apprentissage N’avait-il pu t’instruire et te faire assez sage, Sans qu’il fallût encor, vieillard en cheveux gris, Entendre le fracas de ton trône qui tombe. Et retrouver si tard et si près de la tombe. Ces leçons de l’exil qui ne t’ont rien appris ? Tu l’as voulu pourtant ! Aussi bien, à ton âge. Quand la mort à ce point est dans le voisinage, A tout prendre, il vaut mieux, de tous ces vains joyaux Débarrasser un front qu’a touché le Saint-Chrême, Car pour qui va paraître au tribunal suprême. Les plis sont bien persans des ornements royaux ! Va, mais ne songe plus, Majesté solitaire, Qu’à ce royaume saint qui n’est plus de la terre ; Songe au soin de ton âme, et, déchargé du faix De cette royauté dont t’a perdu l’envie, Songe à bien profiter, au moins pour l’autre vie, De ces derniers loisirs que le peuple t’a faits.

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    Alexis-Félix Arvers

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    À Gianetta Près des ruisseaux, près des cascades, Dans les champs d’oliviers fleuris, Sur les rochers, sous les arcades Dont le temps sape les débris, Sous les murs du vieux monastère. Dans le bois qu’aime le mystère, Sous l’ombre du pin solitaire, Sous le platane aux frais abris ; A l’heure où, sous l’humble chaumière. Le chevrier prend son repas, A l’heure où brille la lumière, A l’heure où le jour ne luit pas ; L’été, quand sous le vert ombrage Tu viens t’asseoir après l’ouvrage : L’hiver, par le froid, par l’orage ; Toujours, partout, je suis tes pas. Lorsque les cloches argentines Réveillent l’oiseau dans son nid, C’est moi qui te suis à matines : Et quand la prière finit. Au sortir du temple gothique, C’est moi qui vais sous le portique T’offrir, suivant l’usage antique. L’eau sainte et le rameau bénit. Quand, vers la fin de la journée, Tu vas près du saint tribunal, Devant l’ermite prosternée. Incliner ton front virginal, C’est moi qui d’un air humble et tendre. Quand l’Angélus s’est fait entendre, Esclave assidu, vais t’attendre Auprès du confessionnal. Viens, je te dirai le cantique Que je suis allé, ce matin. Choisir pour toi dans la boutique D’un colporteur napolitain, Et contre la dent meurtrière Des loups errants dans la clairière, Je t’apprendrai quelle prière Il faut réciter en latin. Je mettrai dans ton oratoire Un missel à fermoirs dorés, Où des moines ont peint l’histoire De nos anciens livres sacrés ; Des apôtres les douze images, La bonne Vierge, et les trois Mages Au Christ apportant leurs hommages, Et baisant ses pieds adorés. Oh, regarde-moi sans colère ! Promets-moi que tu m’aimeras : Ne me défends pas de te plaire, Laisse-toi serrer dans mes bras ! Que cette froideur t’abandonne ; A péché secret Dieu pardonne, Et je mettrai sur ta madone Le voile que tu quitteras.

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    Alexis-Félix Arvers

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    À Madame *** Madame, croyez-moi ; bien qu’une autre patrie Vous ait ravie à ceux qui vous ont tant chérie, Allez, consolez-vous, ne pleurez point ainsi ; Votre corps est là-bas, mais votre âme est ici : C’est la moindre moitié que l’exil nous a prise ; La tige s’est rompue au souffle de la brise ; Mais l’ouragan jaloux, qui ternit sa splendeur, Jeta la fleur au vent et nous laissa l’odeur. A moins, à moins pourtant que dans cette retraite Vous n’ayez apporté quelque peine secrète. Et que là, comme ici, quelque ennui voyageur Se cramponne à votre âme, inflexible et rongeur : Car bien souvent, un mot, un geste involontaire. Des maux que vous souffrez a trahi le mystère, Et j’ai vu sous ces pleurs et cet abattement La blessure d’un cœur qui saigne longuement. Vous avez épuisé tout ce que la nature A permis de bonheur à l’humble créature, Et votre pauvre cœur, lentement consumé, S’est fait vieux en un jour, pour avoir trop aimé : Vous seule, n’est-ce pas, vous êtes demeurée Fidèle à cet amour que deux avaient juré. Et seule, jusqu’au bout, avez pieusement Accompli votre part de ce double serment. Consolez-vous encor ; car vous avez. Madame, Achevé saintement votre rôle de femme ; Vous avez ici-bas rempli la mission Faite à l’être créé par la création. Aimer, et puis souffrir, voilà toute la vie : Dieu vous donna longtemps des jours dignes d’envie Aujourd’hui, c’est la loi. vous payez chèrement Par des larmes sans fin ce bonheur d’un moment. Certes, tant de chagrins, et tant de nuits passées A couver tristement de lugubres pensées. Tant et de si longs pleurs n’ont pas si bien éteint Les éclairs de vos yeux et pâli votre teint. Que mainte ambition ne se fût contentée, Madame, de la part qui vous en est restée. Et que plus d’un encor n’y laissât sa raison. Ainsi qu’aux églantiers l’agneau fait sa toison. Mais votre âme est plus haute, et ne s’arrange guère Des consolations d’un bonheur si vulgaire ; Madame, ce n’est point un vase où, tour à tour, Chacun puisse étancher la soif de son amour ; Mais Dieu la fit semblable à la coupe choisie, Dans les plus purs cristaux des rochers de l’Asie, Où l’on verse au sultan le Chypre et le Xérès, Qui ne sert qu’une fois, et qui se brise après. Gardez-la donc toujours cette triste pensée D’un amour méconnu et d’une âme froissée : Que le prêtre debout, sur l’autel aboli, Reste fidèle au Dieu dont il était rempli ; Que le temple désert, aux vitraux de l’enceinte Garde un dernier rayon de l’auréole sainte. Et que l’encensoir d’or ne cesse d’exhaler Le parfum d’un encens qui cessa de brûler ! Il n’est si triste nuit qu’au crêpe de son voile Dieu ne fasse parfois luire une blanche étoile, Et le ciel mit au fond des amours malheureux Certains bonheurs cachés qu’il a gardés pour eux. Supportez donc vos maux, car plus d’un les envie ; Car, moi qui parle, au prix du repos de ma vie. Au prix de tout mon sang. Madame, je voudrais Les éprouver un jour, quitte à mourir après.

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    Alexis-Félix Arvers

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    À MM. Barthélemy et Méry Chantres associés et paisibles rivaux, Qui mettez en commun la gloire et les travaux, Et qu’on voit partager sans trouble et sans orage D’un laurier fraternel le pacifique ombrage ; Lorsque de toutes parts le public empressé, Chez l’heureux éditeur chaque jour entassé. De vos vers en naissant devenus populaires Se dispute à l’envi les dix-mille exemplaires, Pardonnez, si je viens à vos nobles accents Obscur admirateur, offrir ma part d’encens. Sur les abus criants d’un odieux système, Lorsque le peuple entier a lancé l’anathème, Et contre ces vizirs honnis et détestés, S’est levé comme un homme et les a rejetés ; Du haro général organes satiriques, Vos vers ont démasqué ces honteux empiriques ; Votre muse, esquissant leurs grotesques portraits, D’un ridicule amer assaisonnant ses traits Contre chaque méfait, vedette en permanence. Improvisait un chant, comme eux une ordonnance, Combattait pour nos droits, et lavant nos affronts, D’un iambe vainqueur stigmatisait leurs fronts. Mais lorsqu’ils ont enfin, relégués dans leurs terres, Amovibles tyrans, pleuré leurs ministères. Votre muse, à leur fuite adressant ses adieux. Dans une courte épitre a rendu grâce aux dieux. Dédaignant d’accabler, tranquille et satisfaite. Ces ignobles vaincus meurtris de leur défaite. Lors il fallut trouver dans ce vaste univers Un plus noble sujet qui méritât vos vers : Et vous avez montré dans les champs d’Idumée L’Orient en présence avec la grande Armée, Le Nil soumis au joug et du vainqueur d’Eylau Le portrait colossal dominant le tableau. Et quel autre sujet pouvait, -plus poétique. Présenter à vos yeux son prisme fantastique ? Quel autre champ pouvait, de plus brillantes fleurs Offrir à vos pinceaux les riantes couleurs ? Une invisible main, sous le ciel de l’Asie, A, comme les parfums, semé la poésie : Ces peuples, qui, pliés au joug de leurs sultans, Résistent, obstinés à la marche du temps ; Ces costumes, ces mœurs, ce stupide courage Qui semble appartenir aux hommes d’un autre âge, Ces palais, ces tombeaux, cet antique Memnon Qui de leurs fondateurs ont oublié le nom ; Ce Nil, qui sur des monts égarés dans la nue, Va cacher le secret de sa source inconnue ; Tout inspire, tout charme ; et des siècles passés Ranimant à nos yeux les récits effacés. Donne à l’éclat récent de nos jours de victoire La couleur des vieux temps et l’aspect de l’histoire. Votre muse a saisi de ces tableaux épars Les contrastes brillants offerts de toutes parts : Elle peint, dans le choc de ces tribus errantes Le cliquetis nouveau des armes différentes, Les bonnets tout poudreux de nos républicains Heurtant dans le combat les turbans africains. Et, sous un ciel brûlant, la lutte poétique De la France moderne et de l’Asie antique. Temps fertile en héros ! glorieux souvenir ! Quand de Napoléon tout rempli d’avenir, Sur le sol de l’Arabe encor muet de crainte, La botte éperonnée a marqué son empreinte, Et gravé sur les bords du Nil silencieux L’ineffaçable sceau de l’envoyé des cieux ! Beaux jours ! où Bonaparte était jeune, où la France D’un avenir meilleur embrassait l’espérance. Souriait aux travaux de ses nobles enfants, Et saluait de loin leurs drapeaux triomphants ; Et ne prévoyait pas que ce chef militaire Vers les degrés prochains d’un trône héréditaire Marchait, tyran futur, à travers tant d’exploits ; Et mettant son épée à la place des lois, Fils de la liberté, préparait à sa mère Le coup inespéré que recelait Brumaire ! Mais enfin ce fut l’heure : et les temps accomplis Marquèrent leur limite à ses desseins remplis. Abattu sous les coups d’une main vengeresse, Il paya chèrement ces courts instants d’ivresse. Comme j’aime ces vers où l’on voit à leur tour, Les rois unis livrer sa pâture au vautour ; Des pâles cabinets l’étroite politique Le jeter palpitant au sein de l’Atlantique, Et pour mieux lui fermer un périlleux chemin, Du poids d’indignes fers déshonorer sa main. Sa main ! dont ils ont su les étreintes fatales, Qui data ses décrets de leurs vingt capitales. Qui, des honneurs du camp, pour ses soldats titrés. Après avoir enfin épuisé les degrés. Et relevant pour eux les antiques pairies, Sur les flancs de leurs chars semé les armoiries, Pour mieux récompenser ces glorieux élus, A de la royauté fait un grade de plus. Et vous, qui poursuivant une noble pensée, Aux travaux de nos preux fîtes une Odyssée, Qui montrant à nos yeux sous un soleil lointain Ces préludes brillants de l’homme du destin, Avez placé vos chants sous l’ombre tutélaire D’une gloire historique et déjà séculaire, Mêlés dans les récits des âges à venir, Vos vers auront leur part de ce grand souvenir : Comme, sous Périclès, ce sculpteur de l’Attique Dont la main enfanta le Jupiter antique, Dans les siècles futurs associa son nom A l’immortalité des Dieux du Parthénon.

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    Alexis-Félix Arvers

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    À mon ami *** Tu sais l’amour et son ivresse Tu sais l’amour et ses combats ; Tu sais une voix qui t’adresse Ces mots d’ineffable tendresse Qui ne se disent que tout bas. Sur un beau sein, ta bouche errante Enfin a pu se reposer, Et sur une lèvre mourante Sentir la douceur enivrante Que recèle un premier baiser… Maître de ces biens qu’on envie Ton cœur est pur, tes jours sont pleins ! Esclave à tes vœux asservie, La fortune embellit ta vie Tu sais qu’on t’aime, et tu te plains ! Et tu te plains ! et t’exagères Ces vagues ennuis d’un moment, Ces chagrins, ces douleurs légères, Et ces peines si passagères Qu’on ne peut souffrir qu’en aimant ! Et tu pleures ! et tu regrettes Cet épanchement amoureux ! Pourquoi ces maux que tu t’apprêtes ? Garde ces plaintes indiscrètes Et ces pleurs pour les malheureux ! Pour moi, de qui l’âme flétrie N’a jamais reçu de serment, Comme un exilé sans patrie, Pour moi, qu’une voix attendrie N’a jamais nommé doucement, Personne qui daigne m’entendre, A mon sort qui saigne s’unir, Et m’interroge d’un air tendre, Pourquoi je me suis fait attendre Un jour tout entier sans venir. Personne qui me recommande De ne rester que peu d’instants Hors du logis ; qui me gourmande Lorsque je rentre et me demande Où je suis allé si longtemps. Jamais d’haleine caressante Qui, la nuit, vienne m’embaumer ; Personne dont la main pressante Cherche la mienne, et dont je sente Sur mon cœur les bras se fermer ! Une fois pourtant – quatre années Auraient-elles donc effacé Ce que ces heures fortunées D’illusions environnées Au fond de mon âme ont laissé ? Oh ! c’est qu’elle était si jolie ! Soit qu’elle ouvrit ses yeux si grands, Soit que sa paupière affaiblie Comme un voile qui se déplie Éteignit ses regards mourants ! – J’osai concevoir l’espérance Que les destins moins ennemis, Prenant pitié de ma souffrance, Viendraient me donner l’assurance D’un bonheur qu’ils auraient permis : L’heure que j’avais attendue, Le bonheur que j’avais rêvé A fui de mon âme éperdue, Comme une note suspendue, Comme un sourire inachevé ! Elle ne s’est point souvenue Du monde qui ne la vit pas ; Rien n’a signalé sa venue, Elle est passée, humble, inconnue, Sans laisser trace de ses pas. Depuis lors, triste et monotone, Chaque jour commence et finit : Rien ne m’émeut, rien ne m’étonne, Comme un dernier rayon d’automne J’aperçois mon front qui jaunit. Et loin de tous, quand le mystère De l’avenir s’est refermé, Je fuis, exilé volontaire ! – Il n’est qu’un bonheur sur la terre, Celui d’aimer et d’être aimé.

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    Alexis-Félix Arvers

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    L’anniversaire Oh ! qui me donnera d’aller dans vos prairies, Promener chaque jour mes tristes rêveries, Rivages fortunés où parmi les roseaux L’Yonne tortueuse égare au loin ses eaux ! Oui, je veux vous revoir, poétiques ombrages, Bords heureux, à jamais ignorés des orages, Peupliers si connus, et vous, restes touchants, Qui m’avez inspiré jadis mes premiers chants

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    À Victor Hugo D’illusions fantastiques Quel doux esprit t’a bercé ? Qui t’a dit ces airs antiques, Ces contes du temps passé ? Que j’aime quand tu nous chantes Ces complaintes si touchantes, Ces cantiques de la foi, Que m’avait chantés mon père, Et que chanteront, j’espère, Ceux qui viendront après moi. Quand le soir, à la chaumière, La lampe unit tristement La pâleur de sa lumière Au vif éclat du sarment, Assis dans le coin de l’âtre, Sans doute tu vis le pâtre Rappeler des anciens jours, Récits d’amour, de constance. Et redire à l’assistance Ces airs qu’on retient toujours. Il a de vieilles ballades, Il a de joyeux refrains : Et pour les brebis malades Des remèdes souverains : Il connaît les noirs présages : Perçant le voile des âges Son œil lit dans l’avenir, Il donne des amulettes, Et prédit aux bachelettes Quand l’amour doit leur venir. Il ta montré la relique Et la croix qu’un pénitent A la sainte basilique A fait bénir en partant. Il t’a dit les eaux fangeuses Où dans les nuits orageuses Errent de pâles lueurs, Puis sur l’autel de la Vierge Il a fait brûler un cierge A la mère des douleurs. Il a deviné ta peine, Il t’a conseillé parfois D’aller faire une neuvaine A Notre-Dame-des-Bois ; De partir pour la Galice ; Ou, vêtu du noir cilice D’aller, pieux voyageur, Déposer ton humble hommage Au pied de la vieille image De Saint Jacques-le-Majeur. Dans une chapelle basse, Devers la Saint-Jean d’été, Il t’a fait baiser la châsse Dont l’antique sainteté Donne à la foi populaire Le précieux scapulaire Qui du malin nous défend, Et sans travail, ni souffrance, Abrège la délivrance Des femmes en mal d’enfant. Il t’a fait dans les bruyères Voir, de loin, les lieux maudits Où l’on dit que les sorcières S’assemblent les samedis ; Où pour d’impurs sortilèges A leurs festins sacrilèges S’asseoit l’archange déchu ; Où le voyageur qui passe S’enfuit en voyant la trace Qu’y grava son pied fourchu. Mais à l’angle de deux routes Il te recommande à Dieu : Il part ; et toi tu l’écoutes Après qu’il t’a dit adieu. Puis tu reviens et nous chantes Ces complaintes si touchantes, Ces cantiques de la foi Que m’avait chantés mon père, Et que chanteront, j’espère. Ceux qui viendront après moi.

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    Alexis-Félix Arvers

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    Ce qui peut arriver à tout le monde I J’ai toujours voulu voir du pays, et la vie Que mène un voyageur m’a toujours fait envie. Je me suis dit cent fois qu’un demi-siècle entier Dans le même logis, dans le même quartier ; Que dix ans de travail, dix ans de patience A lire les docteurs et creuser leur science, Ne valent pas six mois par voie et par chemin, Six mois de vie errante, un bâton à la main. — Eh bien ! me voici prêt, ma valise est remplie ; Où vais-je ! — En Italie. — Ah, fi donc ! l’Italie ! Voyage de badauds, de beaux fils à gants blancs. Qui vont là par ennui, par ton, comme à Coblentz, En poste, au grand galop, traversant Rome entière, Et regardent ton ciel, Naples, par la portière. — Mais ce que je veux, moi, voir avant de mourir, Où je veux à souhait rêver, chanter, courir. C’est l’Espagne, ô mon cœur ! c’est l’hôtesse des Maures, Avec ses orangers et ses frais sycomores, Ses fleuves, ses rochers à pic, et ses sentiers Où s’entendent, la nuit, les chants des muletiers ; L’Espagne d’autrefois, seul débris qui surnage Du colosse englouti qui fut le moyen âge ; L’Espagne et ses couvents, et ses vieilles cités Toutes ceintes de murs que l’âge a respectés ; Madrid. Léon, Burgos, Grenade et cette ville Si belle, qu’il n’en est qu’une au monde. Séville ! La ville des amants, la ville des jaloux, Fière du beau printemps de son ciel andalou, Qui, sous ses longs arceaux de blanches colonnades, S’endort comme une vierge, au bruit des sérénades. Jusqu’à tant que pour moi le jour se soit levé Où je pourrai te voir et baiser ton pavé, Séville ! c’est au sein de cette autre patrie Que je veux, mes amis, mettre, ma rêverie ; C’est là que j’enverrai mon âme et chercherai De doux récits d’amour que je vous redirai. II A Séville autrefois (pour la date il n’importe), Près du Guadalquivir, la chronique rapporte Qu’une dame vivait, qui passait saintement Ses jours dans la prière et le recueillement : Ses charmes avaient su captiver la tendresse De l’alcade, et c’était, comme on dit, sa maîtresse ; Ce qui n’empêchait pas que son nom fût cité Comme un exemple à tous d’austère piété. Car elle méditait souvent les évangiles, Jeûnait exactement quatre-temps et vigiles. Communiait à Pâque, et croyait fermement Que c’est péché mortel d’avoir plus d’un amant A la fois. Ainsi donc, en personne discrète. Elle vivait au fond d’une obscure retraite, Toute seule et n’ayant de gens dans sa maison Qu’une duègne au-delà de l’arrière-saison, Qu’on disait avoir eu, quand elle était jolie. Ses erreurs de jeunesse, et ses jours de folie. Voyant venir les ans, et les amans partir, En femme raisonnable elle avait cru sentir Qu’en son âme, un beau jour, était soudain venue Une vocation jusqu’alors inconnue ; Au monde, qui fuyait, elle avait dit adieu, Et pour ses vieux péchés s’était vouée à Dieu. Une fois, au milieu d’une de ces soirées Que prodigue le ciel à ces douces contrées, Le bras nonchalamment jeté sur son chevet, Paquita (c’est le nom de la dame) rêvait : Son œil s’était voilé, silencieux et triste ; Et tout près d’elle, au pied du lit, sa camariste Disait dévotement, un rosaire à la main, Ses prières du soir dans le rite romain. Voici que dans la rue, au pied de la fenêtre, Un bruit se fit entendre ; elle crut reconnaître Un pas d’homme, prêta l’oreille ; en ce moment Une voix s’éleva qui chantait doucement : « Merveille de l’Andalousie. Étoile qu’un ange a choisie Entre celles du firmament, Ne me fuis pas ainsi ; demeure, Si tu ne veux pas que je meure De désespoir, en te nommant ! J’ai visité les Asturies, Aguilar aux plaines fleuries, Tordesillas aux vieux manoirs : J’ai parcouru les deux Castilles. Et j’ai bien vu sous les mantilles De grands yeux et des sourcils noirs : Mais, ô lumière de ma vie, Dans Barcelone ou Ségovie, Dans Girone au ciel embaumé, Dans la Navarre ou la Galice, Je n’ai rien vu qui ne pâlisse Devant les yeux qui m’ont charmé ! » Quand la nuit est bien noire, et que toute la terre, Comme de son manteau, se voile de mystère, Vous est-il arrivé parfois, tout en rêvant, D’ouïr des sons lointains apportés par le vent ? Comme alors la musique est plus douce ! Il vous semble Que le ciel a des voix qui se parlent ensemble, Et que ce sont les saints qui commencent en chœur Des chants qu’une autre voix achève dans le cœur. — A ces sons imprévus, tout émue et saisie, La dame osa lever un coin de jalousie Avec précaution, et juste pour pouvoir Découvrir qui c’était, mais sans se laisser voir. En ce moment la lune éclatante et sereine Parut au front des cieux comme une souveraine ; A ses pâles rayons un regard avait lui, Elle le reconnut, et dit : « C’est encor lui ! » C’était don Gabriel, que par toute la ville On disait le plus beau cavalier de Séville ; Bien fait, de belle taille et de bonne façon ; Intrépide écuyer et ferme sur l’arçon, Guidant son andalou avec grâce et souplesse, Et de plus gentilhomme et de haute noblesse ; Ce que sachant très bien, et comme, en s’en allant, Son bonhomme de père avait eu le talent De lui laisser comptant ce qu’il faut de richesses Pour payer la vertu de plus de cent duchesses, Il allait tête haute, en homme intelligent Du prix de la noblesse unie avec l’argent. Mais quand le temps d’aimer, car enfin, quoi qu’on dit, Il faut tous en passer par cette maladie, Qui plus tôt, qui plus tard ; quand ce temps fut venu, Et qu’un trouble arriva jusqu’alors inconnu, Soudain il devint sombre : au fond de sa pensée Une image de femme un jour était passée ; Il la cherchait partout. Seul, il venait s’asseoir Sous les arbres touffus d’Alaméda, le soir. A cette heure d’amour où la terre embrasée Voit son sein rafraîchir sous des pleurs de rosée. Un jour qu’il était là, triste, allant sans savoir Où se portaient ses pas, et regardant sans voir, Une femme passa : vision imprévue. Qu’il reconnut soudain sans l’avoir jamais vue ! C’était la Paquita : c’était elle ! elle avait Ces yeux qu’il lui voyait, la nuit, quand il rêvait. Le souris, la démarche et la taille inclinée De l’apparition qu’il avait devinée. Il est de ces moments qui décident des jours D’un homme ! Depuis lors il la suivait toujours, Partout, et c’était lui dont la voix douce et tendre Avait trouvé les chants qu’elle venait d’entendre. III Comment don Gabriel se fit aimer, comment Il entra dans ce cœur tout plein d’un autre amant, Je n’en parlerai pas, lecteur, ne sachant guère, Depuis qu’on fait l’amour, de chose plus vulgaire ; Donc, je vous en fais grâce, et dirai seulement, Pour vous faire arriver plus vite au dénouement. Que la dame à son tour. — car il n’est pas possible Que femme à tant d’amour garde une âme insensible, — Après avoir en vain rappelé sa vertu. Avoir prié longtemps, et longtemps combattu. N’y pouvant plus tenir, sans doute, et dominée Par ce pouvoir secret qu’on nomme destinée, Ne se contraignit plus, et cessa d’écouter Un reste de remords qui voulait l’arrêter : Si bien qu’un beau matin, au détour d’une allée, Gabriel vit venir une duègne voilée, D’un air mystérieux l’aborder en chemin, Regarder autour d’elle, et lui prendre la main En disant : « Une sage et discrète personne, Que l’on ne peut nommer ici, mais qu’on soupçonne Vous être bien connue et vous toucher de près, Mon noble cavalier, me charge tout exprès De vous faire savoir que toute la soirée Elle reste au logis, et serait honorée De pouvoir vous apprendre, elle-même, combien A votre seigneurie elle voudrait de bien. » Banquiers, agents de change, épiciers et notaires, Percepteurs, contrôleurs, sous-chefs de ministères Boutiquiers, électeurs, vous tous, grands et petits. Dans les soins d’ici-bas lourdement abrutis, N’est-il pas vrai pourtant que, dans cette matière, Où s’agite en tous sens votre existence entière. Vous n’avez pu flétrir votre âme, et la fermer Si bien, qu’il n’y demeure un souvenir d’aimer ? Oh ! qui ne s’est, au moins une fois dans sa vie, D’une extase d’amour senti l’âme ravie ! Quel cœur, si desséché qu’il soit, et si glacé, Vers un monde nouveau ne s’est point élancé ? Quel homme n’a pas vu s’élever dans les nues Des chœurs mystérieux de vierges demi-nues ; Et lorsqu’il a senti tressaillir une main, Et qu’une voix aimée a dit tout bas : « Demain », Oh ! qui n’a pas connu cette fièvre brûlante, Ces imprécations à l’aiguille trop lente, Et cette impatience à ne pouvoir tenir En place, et comme un jour a de mal à finir ! — Hélas ! pourquoi faut-il que le ciel nous envie Ces instants de bonheur, si rares dans la vie, Et qu’une heure d’amour, trop prompte à s’effacer, Soit si longue à venir, et si courte à passer ! Après un jour, après un siècle entier d’attente, Gabriel, l’œil en feu, la gorge haletante, Arrive ; on l’attendait. Il la vit, — et pensa Mourir dans le baiser dont elle l’embrassa. IV La nature parfois a d’étranges mystères ! V Derrière le satin des rideaux solitaires Que s’est-il donc passé d’inouï ? Je ne sais : On entend des soupirs péniblement poussés. Et soudain Paquita s’écriant : « Honte et rage ! Sainte mère de Dieu ! c’est ainsi qu’on m’outrage ! Quoi ! ces yeux, cette bouche et cette gorge-là, N’ont de ce beau seigneur obtenu que cela ! Il vient dire qu’il m’aime ! et quand je m’abandonne Aux serments qu’il me fait, grand Dieu ! que je me donne, Que je risque pour lui mon âme, et je la mets En passe d’être un jour damnée à tout jamais, ‘Voilà ma récompense ! Ah ! pour que tu réveilles Ce corps tout épuisé de luxure et de veilles, Ma pauvre Paquita, tu n’es pas belle assez ! Car, ne m’abusez pas, maintenant je le sais. Sorti d’un autre lit, vous venez dans le nôtre Porter des bras meurtris sous les baisers d’une autre : Elle doit s’estimer heureuse, Dieu merci. De vous avoir pu mettre en l’état que voici. Celle-là ! car sans doute elle est belle, et je pense Qu’elle est femme à valoir qu’on se mette en dépense ! Je voudrais la connaître, et lui demanderais De m’enseigner un peu ses merveilleux secrets. Au moins, vous n’avez pas si peu d’intelligence De croire que ceci restera sans vengeance. Mon illustre seigneur ! Ah ! l’aimable roué ! Vous apprendrez à qui vous vous êtes joué ! Çà, vite en bas du lit, qu’on s’habille, et qu’on sorte ! Certes, j’espère bien vous traiter de la sorte Que vous me connaissiez, et de quel châtiment La Paquita punit l’outrage d’un amant ! » Elle parlait ainsi lorsque, tout effarée, La suivante accourut : « A la porte d’entrée, L’alcade et trois amis, qu’il amenait souper, Dit-elle, sont en bas qui viennent de frapper ! — Bien ! dit la Paquita ; c’est le ciel qui l’envoie ! — Ah ! señora ! pour vous, gardez que l’on me voie ! — Au contraire, dit l’autre. Allez ouvrir ! merci. Mon Dieu ; je t’appelais, Vengeance ; te voici ! » Et sitôt que la duègne en bas fut descendue, La dame de crier : « A moi ! je suis perdue ! Au viol ! je me meurs ! au secours ! au secours ! Au meurtre ! à l’assassin ! Ah ! mon seigneur, accours ! » Tout en disant cela, furieuse, éperdue, Au cou de Gabriel elle s’était pendue. Le serrait avec rage, et semblait repousser Ses deux bras qu’elle avait contraints à l’embrasser ; Et lui, troublé, la tête encor tout étourdie, Se prêtait à ce jeu d’horrible comédie, Sans deviner, hélas ! que, pour son châtiment, C’était faire un prétexte et servir d’instrument ! L’alcade cependant, à ces cris de détresse, Accourt en toute hâte auprès de sa maîtresse : « Seigneur ! c’est le bon Dieu qui vous amène ici ; Vengez-vous, vengez-moi ! Cet homme que voici, Pour me déshonorer, ce soir, dans ma demeure… — Femme, n’achevez pas, dit l’alcade ; qu’il meure ! — Qu’il meure ; reprit-elle. — Oui ; mais je ne veux pas Lui taire de ma main un si noble trépas ; Çà, messieurs, qu’on l’emmène, et que chacun pâlisse En sachant à la fois le crime et le supplice ! » Gabriel, cependant, s’étant un peu remis. Tenta de résister ; mais pour quatre ennemis, Hélas ! il était seul, et sa valeur trompée Demanda vainement secours à son épée ; Elle s’était brisée en sa main : il fallut Se rendre, et se soumettre à tout ce qu’on voulut. Devant la haute cour on instruisit l’affaire ; Le procès alla vite, et quoi que pussent faire Ses amis, ses parents et leur vaste crédit. Qu’au promoteur fiscal don Gabriel eût dit : « C’est un horrible piège où l’on veut me surprendre. Un crime ! je suis noble, et je dois vous apprendre, Seigneur, qu’on n’a jamais trouvé dans ma maison De rouille sur l’épée ou de tache au blason ! Seigneur, c’est cette femme elle-même, j’en jure Par ce Christ qui m’entend et punit le parjure. Qui m’avait introduit dans son appartement ; Et comment voulez-vous qu’à pareille heure ?… — Il ment ! Disait la Paquita ; d’ailleurs la chose est claire. J’ai mes témoins : il faut une peine exemplaire. Car je vous l’ai promis, et qu’un juste trépas Me venge d’un affront que vous n’ignorez pas ! » VI Or, s’il faut maintenant, lecteur, qu’on vous apprenne — La fin de tout ceci, par la cour souveraine Il fut jugé coupable à l’unanimité ; Et comme il était noble, il fut décapité.

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    Alexis-Félix Arvers

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    Déclaration Jeune femme aux yeux noirs, étourdie, inconstante, Entre mille pensers indécise et flottante, Qui veut et ne veut pas, et bientôt ne sait plus Où prendre ni fixer, tes voeux irrésolus, Qui n’aime point le mal et pourtant ne peut faire Un seul pas vers le bien que ton âme préfère, Insouciante, et va livrant chaque matin, Tes projets au hasard et ta vie au destin, Sais-tu pourquoi je t’aime, et quelle main cachée Retiens mon âme au char où tu l’as attachée, Pourquoi je me plains tant dans tes bras, et ressens Quelque chose de plus que l’ivresse des sens ? C’est qu’il est, vois-tu bien, certaines destinées Par des liens secrets l’une à l’autre enchaînées : C’est qu’il peut arriver, parfois, que deux esprits Se soient du premier coup reconnus et compris ; Une triste clarté, de long regrets suivie, De ses illusions a dépouillé ma vie ; Elle a flétri ma joie, et n’a plus rien laissé Dans le fond de mon coeur profondément blessé ; Et toi, ton âme aussi, triste et désenchantée De ces vestiges vains qui l’avaient trop flattée, A reconnu leur vide et va bientôt finir Ces rêves dissipés pour ne plus revenir. C’est ce que j’aime en toi, c’est cette connaissance Des misères de l’homme et de son impuissance ; C’est ce bizarre aspect d’une femme à vingt ans Dont la raison précoce a devancé le temps, Que rien ne touche plus, et qui, jeune et jolie, Ne croit pas à l’amour et sait comme on oublie, C’est ce qui me ravit, m’enchante, et sur tes pas Me retient malgré moi, car enfin n’est-ce pas Quelque chose de neuf que de nous voir ensemble Vieillards prématurés qu’un même esprit rassemble, Avec ces cheveux noirs, avec ce jeune front Qui des ans destructeurs n’a pas subi l’affront, Discourir gravement des choses de la vie, Railler, d’un rire amer, ces plaisirs qu’on envie, Oublier le présent, ne pas nous souvenir Que nous sommes tout seuls et parler d’avenir ? C’est ce qui m’a frappé, moi, c’est ce caractère Sérieux à la fois et léger, ce mystère D’une humeur si mobile et d’un coeur si changeant, De désirs en désirs sans cesse voltigeant. Je t’aime, si fantasque et si capricieuse ; Bonne femme d’ailleurs, point avaricieuse, Au contraire prodigue, et jetant sans regrets Son or, quand elle en a, sauf à compter après.

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    Alexis-Félix Arvers

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    Examen de conscience Frères, je me confesse, et vais vous confier Mon sort, pour vous instruire et vous édifier. Un jour, je me sentis le désir de connaître Ce qu’enfermait en soi le secret de mon être, Ignorant jusque-là, je brûlai de savoir ; J’examinai mon âme et j’eus peur à la voir. Alors, et quand je l’eus à souhait regardée, Que je la connus bien, il me vint à l’idée De m’enquérir un peu pourquoi j’étais ainsi, Et d’où je pouvais m’être à ce point endurci : Car je ne pouvais pas me faire à la pensée Qu’elle se fût si vite et si bas affaissée, Car j’étais tout confus, car, en y bien cherchant, Il me semblait à moi n’être pas né méchant. En effet, je pouvais être bon. Mais j’espère Que Dieu pardonne et fait miséricorde au père Qui veut trop pour son fils, et lui fait désirer Un sort où la raison lui défend d’aspirer ! Mon malheur vient de là, d’avoir pu méconnaître L’humble condition où Dieu m’avait fait naître. D’avoir tâché trop loin, et d’avoir prétendu A m’élever plus haut que je ne l’aurais dû ! Hélas ! j’allai partout, chétif et misérable. Traîner péniblement ma blessure incurable ; Comme un pauvre à genoux au bord d’un grand chemin, J’ai montré mon ulcère, et j’ai tendu la main ; Malheureux matelot perdu dans un naufrage. J’ai crié ; mais ma voix s’est mêlée à l’orage ; Mais je n’ai rencontré personne qui voulût Me plaindre, et me jeter la planche de salut. Et moi, je n’allai point, libre et sans énergie. Exhaler ma douleur en piteuse élégie. Comme un enfant mutin pleure de ne pouvoir Atteindre un beau fruit mûr qu’il vient d’apercevoir. Je gardai mon chagrin pour moi, j’eus le courage De renfermer ma haine et d’étouffer ma rage, Personne n’entrevit ce que je ressentais. Et l’on me crut joyeux parce que je chantais. Tel s’est passé pour moi cet âge d’innocence Où des songes riants bercent l’adolescence. Sans jouir de la vie, et sans avoir jamais Vu contenter un seul des vœux que je formais : Jamais l’Illusion, jamais le doux Prestige, Lutin capricieux qui rit et qui voltige, Ne vint auprès de moi, dans son vol caressant, Secouer sur mon front ses ailes en passant, Et jamais voix de femme, harmonieuse et tendre, N’a trouvé de doux mots qu’elle me fit entendre. Une fois, une fois pourtant, sans le savoir, J’ai cru naître à la vie, au bonheur, j’ai cru voir Comme un éclair d’amour, une vague pensée Qui vint luire à mon âme et qui l’a traversée, A ce rêve si doux je crus quelques instants ; — Mais elle est sitôt morte et voilà si longtemps ! Je me livrai dès lors à l’ardeur délirante D’un cerveau maladif et d’une âme souffrante ; J’entrepris de savoir tout ce que recelait En soi le cœur humain de difforme et de laid ; Je me donnai sans honte à ces femmes perdues Qu’a séduites un lâche, ou qu’un père a vendues. J’excitai dans leurs bras mes désirs épuisés, Et je leur prodiguai mon or et mes baisers : Près d’elles, je voulus contenter mon envie De voir au plus profond des secrets de la vie. J’allai, je descendis aussi loin que je pus Dans les sombres détours de ces cœurs corrompus, Trop heureux, quand un mot, un signe involontaire D’un vice, neuf pour moi, trahissait le mystère, Et qu’aux derniers replis à la fin parvenu, Mon œil, comme leurs corps, voyait leur âme à nu. Or, vous ne savez pas, combien à cette vie, A poursuivre sans fin cette fatale envie De tout voir, tout connaître, et de tout épuiser, L’âme est prompte à s’aigrir et facile à s’user. Malheur à qui, brûlant d’une ardeur insensée De lire à découvert dans l’homme et sa pensée. S’y plonge, et ne craint pas d’y fouiller trop souvent, D’en approcher trop près, et d’y voir trop avant ! C’est ce qui m’acheva : c’est cette inquiétude A chercher un cœur d’homme où mettre mon étude, C’est ce mal d’avoir pu, trop jeune, apercevoir Ce que j’aurais mieux fait de ne jamais savoir. Désabusé de tout, je me suis vu ravie La douce illusion qui fait aimer la vie, Le riant avenir dont mon cœur s’est flétri, Et ne pouvant plus croire à l’amour, j’en ai ri : Et j’en suis venu là, que si, par occurrence, — Je suis si jeune encore, et j’ai tant d’espérance ! — Une vierge aux doux yeux, et telle que souvent J’en voyais autrefois m’apparaître en rêvant, Simple, et croyant encore à la magie antique De ces traditions du foyer domestique. M’aimait, me le disait, et venait à son tour Me demander sa part de mon âme en retour ; Vierge, il faudrait me fuir, et faire des neuvaines Pour arracher bientôt ce poison de tes veines, Il faudrait me haïr, car moi, je ne pourrais Te rendre cet amour que tu me donnerais, Car je me suis damné, moi, car il faut te dire Que je passe mes jours et mes nuits à maudire, Que, sous cet air joyeux, je suis triste et nourris Pour tout le genre humain le plus profond mépris : Mais il faudrait me plaindre encore davantage De m’être fait si vieux et si dur à cet âge, D’avoir pu me glacer le cœur, et le fermer A n’y laisser l’espoir ni la place d’aimer.

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    Alexis-Félix Arvers

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    Fête du peuple Quel trouble inattendu semble agiter les âmes ? Pourquoi ces cris ? pourquoi tous ces apprêts nouveaux ? Pourquoi ces artisans, ces enfants et ces femmes Ont-ils déserté leurs travaux ? Un désir inquiet se peint sur leur visage ; Est-ce un espoir ? Est-ce un présage ? Oh voyez ! comme ils sont empressés d’accourir ! Une sourde rumeur s’élève dans la nue : Quel est cet appareil, cette fête inconnue ? C’est un homme qui va mourir. Son crime fut d’un jour. D’une peine éternelle La loi va déployer l’appareil menaçant, Car le sang qui coula sous sa main criminelle Doit être expié par le sang. J’entends. Mais que lui veut cette foule empressée Qui, sur les chemins amassée. Va chercher des horreurs qui puissent l’émouvoir ? — ils viennent prodiguer à sa lente agonie De leurs transports bruyants la farouche ironie ! — Ils vont le plaindre ? — Ils vont le voir ! Marqués aussi du sceau d’un destin redoutable, Sur leurs têtes aussi l’anathème est lancé : Ils doivent tous subir l’arrêt inévitable Qu’un autre Juge a prononcé. Cet homme, son voisin, tous pourraient cesser d’être Quand cet autre qui va paraître Portera sous la hache un stérile remord ; Car il faut tôt ou tard que la loi s’accomplisse ; Mais, ignorant du moins le moment du supplice, Comme lui condamnés à mort, Ils cherchent sur son front quelque lueur nouvelle ; Ils vont interroger ses gestes, ils ont faim D’aller dans tous ses traits chercher ce que révèle L’œil d’un homme qui voit la fin, Qui, des profonds secrets dérobés à la terre, Près de percer le grand mystère, Voit le terme fatal s’approcher pas à pas, Dans chaque son qui fuit, dans chaque instant qui passe, Et qui peut calculer, au juste, quel espace Le sépare encor du trépas. Mais des gardes déjà devant le char placés Aux rayons du soleil les sabres ont relui, Et sur les hauts balcons les femmes entassées Nous ont crié déjà : C’est lui ! A l’aspect de ce peuple, un moment il relève Cette tête promise au glaive Dont la justice humaine a brisé le fourreau ; Puis au sort qui l’attend muet il s’abandonne, Entre l’homme qui frappe et le Dieu qui pardonne. Entre le prêtre et le bourreau. Il vient — à reculons assis dans la charrette. Pas plus loin, pas plus loin. — On dit qu’il a parlé ! — Il descend. — Puis il faut remonter. — Il s’arrête ! — Toi qui vois, a-t-il chancelé ? Tout est là, tout est prêt ; le panier est à droite : C’est par cette ouverture étroite… Silence ! il est saisi par les exécuteurs ! C’est fait. Que de bravos la place retentisse ; C’est fait : il est où ceux qu’a jugés leur justice Ont leur tour d’être accusateurs.

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    Alexis-Félix Arvers

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    L'amour caché Mon âme a son secret, ma vie a son mystère, Un amour éternel en un moment conçu : Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire, Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su. Hélas ! j'aurai passé près d'elle inaperçu, Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire. Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre, N'osant rien demander et n'ayant rien reçu. Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre, Elle suit son chemin, distraite et sans entendre Ce murmure d'amour élevé sur ses pas. À l'austère devoir, pieusement fidèle, Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle " Quelle est donc cette femme ? " et ne comprendra pas.

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    Alexis-Félix Arvers

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    L'immortalité La mort vient dégager de la vile matière Notre esprit, souffle de la pur divinité, Et l'ombre des tombeaux nous cache une lumière Dont nos yeux ne pourraient soutenir la clarté. La mort vient délivrer notre âme prisonnière Et lui faire connaître enfin la liberté, Nous mourons, c'est la vie ; et notre heure dernière Est le premier moment de l'immortalité. Ah ! ne redoutons pas de tomber dans l'abîme Où paraît s'engloutir à jamais l'être humain, Le trépas nous promet l'éternel lendemain ; Et par un privilège éclatant et sublime, Quand il meurt ici-bas, l'homme naît dans le ciel Car Dieu le fait mourir pour le rendre immortel.

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    Alexis-Félix Arvers

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    La femme adultère Écoutez ce que c’est que la femme adultère. Sa joie est un tourment, sa douleur un mystère : Dans son cœur dégradé que le crime avilit Un autre a pris la place à l’époux réservée ; D’impures voluptés elle s’est abreuvée ; Un autre est venu dans son lit. Dévorée au dedans d’une flamme cachée, Toujours, devant les yeux son image attachée Jusqu’aux bras d’un époux vient encor la troubler ; Elle reste au logis des heures à l’attendre. Prête l’oreille et dit, quand elle croit l’entendre, A ses enfants de s’en aller. Son complice ! des lois il brave la vengeance ! Qui pourrait, trahissant leur sourde intelligence, Éveiller dans les cœurs le soupçon endormi ? De son crime impuni le succès l’encourage, La mère lui sourit, et l’époux qu’il outrage L’embrasse en disant : mon ami. Voici venir enfin l’heure tant retardée ; Les voilà seuls, la porte est close et bien gardée : Pourquoi cet air pensif, pourquoi cet œil distrait ? Pourquoi toujours trembler et pâlir d’épouvante ? Personne ne l’a vu monter, et la suivante A reçu le prix du secret. Dans un festin brillant le hasard les rassemble ; Leurs sièges sont voisins. Que vont-ils dire ensemble ? Quel sinistre bonheur dans leurs regards a lui ! Oh retiens les éclairs de ta prunelle ardente, Garde de te trahir, et de boire, imprudente ! Dans la même coupe après lui ! Que dis-je ? Du mépris et de l’indifférence Elle sait à son œil imposer l’apparence : Un regard indiscret jamais ne révéla De son cœur déchiré la sombre inquiétude. Elle s’observe, et sait, à force d’habitude, Rester froide quand il est là ! Ses tourments sont cachés à tous, soyez sans crainte ; Aussi regardez-la sans gêne et sans contrainte Répondre à vingt propos, sourire… oh si du moins, Pour apaiser l’ardeur dont elle est embrasée, Elle pouvait, auprès d’une obscure croisée, L’avoir un instant sans témoins ! Sentir le bruit léger de sa robe froissée, Dans les plis de satin sa jambe entrelacée, Lui donner d’un regard l’heure du lendemain, Et, dans ce tourbillon qui roule et qui l’emporte. Lui dire… ou seulement debout, près de la porte, En passant lui serrer la main ! Cependant, pas à pas, la vieillesse est venue Troubler son cœur flétri d’une crainte inconnue. Le prestige enivrant s’est enfin dissipé : Il faut quitter l’amour, l’amour et son ivresse ; Il faut se trouver seule et subir la tendresse De cet homme qu’elle a trompé.

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    Alexis-Félix Arvers

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    La pauvreté Hôtes de ce séjour d’angoisse et de souffrance, Où Satan sur le seuil a mis : Plus d’espérance ! Qui vous brisez le front contre ses murs de fer, Et vîntes échanger, dans cette fange immonde, La perpétuité des peines de ce monde Pour l’éternité de l’enfer ! Ô vous, bandits, larrons d’Italie ou d’Espagne, Hôtes des grands chemins, qui courez la campagne De Tarente à Venise, et de Rome au Simplon ; Et vous, concitoyens, voleurs de ma patrie. Qui, les cheveux rasés et l’épaule flétrie. Ramiez dans Brest ou dans Toulon ! Et vous qui, franchissant les monts et les cascades, Imploriez la madone, et braviez les alcades, Castillans, Grenadins ! et vous qui, sourdement, Sous le ciel de l’Écosse, alliez dans les ténèbres Ressusciter les morts dans leurs linceuls funèbres Avant le jour du jugement ! Filles de joie, ô vous qu’on voyait dans la rue. Autour d’un mauvais lieu, faire le pied de grue. Dont l’amour fut mortel, et le baiser fatal ; Vous tous, morts dans le crime et dans l’impénitence, Spectres, qu’ont ainsi faits la roue ou la potence, La guillotine ou l’hôpital ! Vous tous, mes vieux damnés, races de Dieu maudites, Approchez-vous ici, parlez-nous, et nous dites Aux gouffres de Satan combien a rapporté Chaque péché mortel qui damne l’autre vie ; Combien l’Orgueil, combien l’Avarice ou l’Envie, Combien surtout la Pauvreté ? C’est Elle qui flétrit une âme encor novice, L’enlace, et la conduit au crime par le vice. Courbant les plus hauts fronts avec sa main de fer ; Qui mêle le poison et qui tire l’épée : Elle, la plus féconde et la mieux occupée Des pourvoyeuses de l’enfer ! Pauvreté ! vaste mot. Puissances de la terre, Qui portez de vos noms l’orgueil héréditaire, Savez-vous ce que c’est qu’avoir soif, avoir faim : L’hiver, dans un grabat juché sous la toiture, Passer le jour sans feu, la nuit sans couverture ; Ce que c’est que le pauvre, enfin ? — C’est un homme qui va, sur les places publiques, Colporter, tout perclus, une boîte à reliques ; Un aveugle en haillons, qu’on voit par les chemins Accompagné d’un chien qui porte une sébile, Agenouillé par terre, et qui chante, immobile, Un cantique, en joignant les mains : C’est un homme qui veille au seuil la nuit entière, Et vient, sortants du bal, vous ouvrir la portière, Recommandant sa peine aux cœurs compatissants ; C’est une femme en pleurs qui voile son visage Et tient à ses côtés deux enfants en bas-âge Dressés à suivre les passants. C’est cela : rien de plus. D’ailleurs, c’est une classe, Les pauvres : il faut bien que chacun ait sa place ; Dieu seul sait comme tout ici doit s’ordonner : Il a mis la santé près de la maladie, Le riche près du pauvre : il faut que l’un mendie Pour que l’autre puisse donner. Et quand, lassés de voir qu’on vous suit à la trace, Vous vous êtes saignés, à grand’peine, et par grâce, Du denier qu’un laquais insolent a jeté : Grands seigneurs, financiers, belles dames, duchesses. Vous vous tenez contenus, et croyez vos richesses Quittes envers la pauvreté ! Mais il en est une autre, une autre cent fois pire, Qui n’a point de haillons, celle-là, qui n’inspire Ni pitié, ni dégoût, qui se pare de fleurs : Qui ne se montre point, mendiante et quêteuse, Mais, sous de beaux habits, cache, toute honteuse. Ses ulcères et ses douleurs. Elle vient au concert, et chante : au bal, et danse : Jamais, jamais un geste, un mot dont l’imprudence Trahirait des tourments qui ne sont point compris ; C’est un combat sans fin, une longue détresse, Une fièvre qui mine, un cauchemar qui presse Et tue en étouffant vos cris. C’est ce mal qui travaille une âme bien placée, Qui s’indigne du rang où le sort l’a laissée ; Qui demeure toujours triste au sein des plaisirs, Parce qu’elle en sait bien le terme, et s’importune De n’égaler jamais ses vœux à sa fortune, Ni son espoir à ses désirs. C’est le fléau du siècle, et cette maladie Gagne de proche en proche, ainsi qu’un incendie : Le monde dans son sein porte un hôte inconnu : C’est un ver dans le cœur, c’est le cheval de Troie, D’où les Grecs tout armés tomberont sur leur proie Quand le moment sera venu. Or, quand cela se voit, c’est une marque sûre Qu’il s’est fait au-dedans une grande blessure. Enseignement certain, par où Dieu nous apprend Qu’une société vieillie et décrépite S’émeut au plus profond de sa base, et palpite Du dernier râle d’un mourant. Je vous en avertis, riches ; prenez-y garde ! L’édifice est usé : si quelqu’un par mégarde Passe trop chargé d’or sur ses planchers pourris, — Un grain de blé suffit pour combler la mesure : Au choc le plus léger cette vieille masure Vous étouffe sous ses débris. Peu de jours sont passés depuis qu’en sa colère Lyon a vu rugir le monstre populaire : Vous aviez cru le voir arriver en trois bonds, Le sang dans les regards, le feu dans les narines. Et vous aviez serré votre or sur vos poitrines. Pâles comme des moribonds. S’il n’a pas cette fois encor, rompu sa chaîne, Si la porte est de fer et la cage de chêne, Pourtant n’approchez pas des barreaux trop souvent. Car sa force s’accroît, et sa rage, en silence ; Et gare qu’un beau jour il les brise, et s’élance Libre enfin, et les crins au vent !

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    Alexis-Félix Arvers

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    La première passion I « Minuit ! ma mère dort : je me suis relevée : Je craignais de laisser ma lettre inachevée ; J’ai voulu me hâter, car peut-être ma main Ne sera-t-elle plus assez forte demain ! Tu connais mon malheur ; je t’ai dit que mon père A voulu me dicter un choix, et qu’il espère Sans doute me trouver trop faible pour oser Refuser cet époux qu’il prétend m’imposer. O toi qui m’appartiens ! ô toi qui me fis naître Au bonheur, à l’amour que tu m’as fait connaître ; Toi qui sus le premier deviner le secret Et trouver le chemin d’un cœur qui s’ignorait, Crois-tu qu’à d’autres lois ton amante enchaînée Méconnaisse jamais la foi qu’elle a donnée ; Qu’elle puisse oublier ces rapides momens Où nos voix ont ensemble échangé leurs sermens, Où sa tremblante main a frémi dans la tienne, Et qu’à d’autre qu’à toi jamais elle appartienne ? Tu veux fuir, m’as-tu dit : fuis ; mais n’espère pas M’empêcher de te suivre attachée à tes pas ! Qu’importe où nous soyons si nous sommes ensemble ; Est-il donc un désert si triste, qui ne semble Plus riant qu’un palais, quand il est animé Par l’aspect du bonheur et de l’objet aimé ? Et que me font à moi tous ces biens qui m’attendent ? Lorsqu’on s’est dit : je t’aime ! et que les cœurs s’entendent, Que sont tous les trésors, qu’est l’univers pour eux. Et que demandent-ils de plus pour être heureux ? Mais comment fuir ? comment tromper la vigilance D’un père soupçonneux qui m’épie en silence ? Je m’abusais ! Eh bien, écoute le serment Que te jure ma bouche en cet affreux moment : Puisqu’on l’a résolu, puisqu’on me sacrifie. Puisqu’on veut mon malheur, eh bien ! je les défie : Ils ne m’auront que morte, et je n’aurai laissé Pour traîner à l’autel qu’un cadavre glacé ! » II Lorsque je l’ai revue, elle était mariée Depuis cinq ans passés : « Ah ! s’est-elle écriée, C’est vous ! bien vous a pris d’être venu nous voir : Mais où donc étiez-vous ? Et ne peut-on savoir Pourquoi, depuis un siècle, éloigné de la France, Vous nous avez ainsi laissés dans l’ignorance ? Quant à nous, tout va bien : le sort nous a souri. — J’ai parlé bien souvent de vous à mon mari ; C’est un homme d’honneur, que j’aime et je révère, Sage négociant, de probité sévère, Qui par son zèle actif chaque jour agrandit L’essor de son commerce, et double son crédit : Et puisque le hasard à la fin nous rassemble ; Je vous présenterai, vous causerez ensemble ; Il vous recevra bien, empressé de saisir Pareille occasion de me faire plaisir. Vous verrez mes enfans : j’en ai trois. Mon aînée Est chez mes belles-sœurs, qui me l’ont emmenée ; Je l’attends samedi matin : vous la verrez. Oh, c’est qu’elle est charmante ! ensuite, vous saurez Qu’elle lit couramment, écrit même, et commence A jouer la sonate et chanter la romance. Et mon fils ! il aura ses trois ans et demi Le vingt du mois prochain ; du reste, mon ami, Vous verrez comme il est grand et fort pour son âge ; C’est le plus bel enfant de tout le voisinage. Et puis, j’ai mon petit. — Je ne l’ai pas nourri : Mes couches ont été pénibles ; mon mari, Qui craignait pour mon lait, a voulu que je prisse Sur moi de le laisser aux mains d’une nourrice. Mais de cet embarras je vais me délivrer, Et le docteur a dit qu’on pouvait le sevrer. — Ainsi dans mes enfans, dans un époux qui m’aime, J’ai trouvé le bonheur domestique ; et vous même, Vous dépendez de vous, j’imagine, et partant Qui peut vous empêcher d’en faire un jour autant ? Je sais qu’en pareil cas le choix est difficile. Que vous avez parfois une humeur indocile ; Mais on peut réussir, et vous réussirez : Vous prendrez une femme, et nous l’amènerez, Elle viendra passer l’été dans notre terre : Jusque-là toutefois, libre et célibataire, Pensez à vos amis, et venez en garçon Nous demander dimanche à dîner sans façon. »

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    La ressemblance Sur tes riches tapis, sur ton divan qui laisse Au milieu des parfums respirer la mollesse, En ce voluptueux séjour, Où loin de tous les yeux, loin des bruits de la terre, Les voiles enlacés semblent, pour un mystère, Eteindre les rayons du jour, Ne t’enorgueillis pas, courtisane rieuse, Si, pour toutes tes soeurs ma bouche sérieuse Te sourit aussi doucement, Si, pour toi seule ici, moins glacée et moins lente, Ma main sur ton sein nu s’égare, si brûlante Qu’on me prendrait pour un amant. Ce n’est point que mon coeur soumis à ton empire, Au charme décevant que ton regard inspire Incapable de résister, A cet appât trompeur se soit laissé surprendre Et ressente un amour que tu ne peux comprendre, Mon pauvre enfant ! ni mériter. Non : ces rires, ces pleurs, ces baisers, ces morsures, Ce cou, ces bras meurtris d’amoureuses blessures, Ces transports, cet oeil enflammé ; Ce n’est point un aveu, ce n’est point un hommage Au moins : c’est que tes traits me rappellent l’image D’une autre femme que j’aimai. Elle avait ton parler, elle avait ton sourire, Cet air doux et rêveur qui ne peut se décrire. Et semble implorer un soutien ; Et de l’illusion comprends-tu la puissance ? On dirait que son oeil, tout voilé d’innocence, Lançait des feux comme le tien. Allons : regarde-moi de ce regard si tendre, Parle-moi, touche-moi, qu’il me semble l’entendre Et la sentir à mes côtés. Prolonge mon erreur : que cette voix touchante Me rende des accents si connus et me chante Tous les airs q’elle m’a chantés ! Hâtons-nous, hâtons-nous ! Insensé qui d’un songe Quand le jour a chassé le rapide mensonge, Espère encor le ressaisir ! Qu’à mes baisers de feu ta bouche s’abandonne, Viens, que chacun de nous trompe l’autre et lui donne Toi le bonheur, moi le plaisir !

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    La Saint-Barthélemy I Les prêtres avaient dit : « En ce temps-là, mes frères, On a vu s’élever des docteurs téméraires, Des dogmes de la foi censeurs audacieux : Au fond du Saint des saints l’Arche s’est refermée, Et le puits de l’abîme a vomi la fumée Qui devait obscurcir la lumière des cieux. L’Antéchrist est venu, qui parcourut la terre : Tout à coup, soulevant un terrible mystère, L’impie a remué de profanes débats ; Il a dressé la tête : et des voix hérétiques Ont outragé la Bible, et chanté les cantiques Dans le langage impur qui se parle ici-bas. Mais si le ciel permet que l’Église affligée Gémisse pour un temps, et ne soit point vengée ; S’il lui plaît de l’abattre et de l’humilier : Si sa juste colère, un moment assoupie. Dans sa gloire d’un jour laisse dormir l’impie, Et livre ses élus au bras séculier ; Quand les temps sont venus, le fort qui se relève Soudain de la main droite a ressaisi le glaive : Sur les débris épars qui gisaient sans honneur Il rebâtit le Temple, et ses armes bénites Abattent sous leurs coups les vils Madianites, Comme fait les épis la faux du moissonneur. Allez donc, secondant de pieuses vengeances, Pour vous et vos parents gagner les indulgences ; Fidèles, qui savez croire sans examen, Noble race d’élus que le ciel a choisie, Allez, et dans le sang étouffez l’hérésie ! Ou la messe, ou la mort !» — Le peuple dit : Amen. II A l’hôtel de Soissons, dans une tour mystique, Catherine interroge avec des yeux émus Des signes qu’imprima l’anneau cabalistique Du grand Michel Nostradamus. Elle a devant l’autel déposé sa couronne ; A l’image de sa patronne, En s’agenouillant pour prier. Elle a dévotement promis une neuvaine, Et tout haut, par trois fois, conjuré la verveine Et la branche du coudrier. « Les astres ont parlé : qui sait entendre, entende ! Ils ont nommé ce vieux Gaspard de Châtillon : Ils veulent qu’en un jour ma vengeance s’étende De l’Artois jusqu’au Roussillon. Les pieux défenseurs de la foi chancelante D’une guerre déjà trop lente Ont assez couru les hasards : A la cause du ciel unissons mon outrage. Périssent, engloutis dans un même naufrage. Les huguenots et les guisards ! » III C’était un samedi du mois d’août : c’était l’heure Où l’on entend de loin, comme une voix qui pleure, De l’angélus du soir les accents retentir : Et le jour qui devait terminer la semaine Était le jour voué, par l’Église romaine. A saint Barthélémy, confesseur et martyr. Quelle subite inquiétude A cette heure ? quels nouveaux cris Viennent troubler la solitude Et le repos du vieux Paris ? Pourquoi tous ces apprêts funèbres, Pourquoi voit-on dans les ténèbres Ces archers et ces lansquenets ? Pourquoi ces pierres entassées, Et ces chaînes de fer placées Dans le quartier des Bourdonnais ? On ne sait. Mais enfin, quelque chose d’étrange Dans l’ombre de la nuit se prépare et s’arrange. Les prévôts des marchands, Marcel et Jean Charron. D’un projet ignoré mystérieux complices. Ont à l’Hôtel-de-Ville assemblé les milices, Qu’ils doivent haranguer debout sur le perron. La ville, dit-on, est cernée De soldats, les mousquets chargés ; Et l’on a vu, l’après-dînée. Arriver les chevau-légers : Dans leurs mains le fer étincelle ; Ils attendent le boute-selle. Prêts au premier commandement ; Et des cinq cantons catholiques, Sur l’Évangile et les reliques, Les Suisses ont prêté serment. Auprès de chaque pont des troupes sont postées : Sur la rive du nord les barques transportées ; Par ordre de la cour, quittant leurs garnisons, Des bandes de soldats dans Paris accourues Passent, la hallebarde au bras, et dans les rues Des gens ont été vus qui marquaient des maisons. On vit, quand la nuit fut venue, Des hommes portant sur le dos Des choses de forme inconnue Et de mystérieux fardeaux. Et les passants se regardèrent : Aucuns furent qui demandèrent : — Où portes-tu, par l’ostensoir ! Ces fardeaux persans, je te prie ? — Au Louvre, votre seigneurie. Pour le bal qu’on donne ce soir. IV Il est temps ; tout est prêt : les gardes sont placés. De l’hôtel Châtillon les portes sont forcées ; Saint-Germain-l’Auxerrois a sonné le tocsin : Maudit de Rome, effroi du parti royaliste, C’est le grand-amiral Coligni que la liste Désigne le premier au poignard assassin. — « Est-ce Coligni qu’on te nomme ? » — « Tu l’as dit. Mais, en vérité, Tu devrais respecter, jeune homme. Mon âge et mon infirmité. Va, mérite ta récompense ; Mais, tu pouvais bien, que je pense, T’épargner un pareil forfait Pour le peu de jours qui m’attendent ! » Ils hésitaient, quand ils entendent Guise leur criant : « Est-ce fait ? » Ils l’ont tué ! la tête est pour Rome. On espère Que ce sera présent agréable au saint père. Son cadavre est jeté par-dessus le balcon : Catherine aux corbeaux l’a promis pour curée. Et rira voir demain, de ses fils entourée, Au gibet qu’elle a fait dresser à Montfaucon. Messieurs de Nevers et de Guise, Messieurs de Tavanne et de Retz, Que le fer des poignards s’aiguise, Que vos gentilshommes soient prêts. Monsieur le duc d’Anjou, d’Entrague, Bâtard d’Angoulême, Birague, Faites armer tous vos valets ! Courez où le ciel vous ordonne, Car voici le signal que donne La Tour-de-l’horloge au Palais. Par l’espoir du butin ces hordes animées. Agitant à la main des torches allumées, Au lugubre signal se hâtent d’accourir : Ils vont. Ceux qui voudraient, d’une main impuissante, Écarter des poignards la pointe menaçante. Tombent ; ceux qui dormaient s’éveillent pour mourir. Troupes au massacre aguerries, Bedeaux, sacristains et curés, Moines de toutes confréries. Capucins, Carmes, Prémontrés, Excitant la fureur civile, En tout sens parcourent la ville Armés d’un glaive et d’un missel. Et vont plaçant des sentinelles Du Louvre au palais des Tournelles De Saint-Lazare à Saint-Marcel. Parmi les tourbillons d’une épaisse fumée Que répand en flots noirs la résine enflammée, A la rouge clarté du feu des pistolets, On voit courir des gens à sinistre visage, Et comme des oiseaux de funeste présage, Les clercs du Parlement et des deux Châtelets. Invoquant les saints et les saintes, Animés par les quarteniers, Ils jettent les femmes enceintes Par-dessus le Pont-aux-Meuniers. Dans les cours, devant les portiques. Maîtres, écuyers, domestiques. Tous sont égorgés sans merci : Heureux qui peut dans ce carnage, Traversant la Seine à la nage. Trouver la porte de Bussi ! C’est par là que, trompant leur fureur meurtrière, Avertis à propos, le vidame Perrière, De Fontenay, Caumont, et de Montgomery, Pressés qu’ils sont de fuir, sans casque, sans cuirasse. Échappent aux soldats qui courent sur leur trace Jusque sous les remparts de Montfort-l’Amaury. Et toi, dont la crédule enfance, Jeune Henri le Navarrois. S’endormit, faible et sans défense, Sur la foi que donnaient les rois ; L’espérance te soit rendue : Une clémence inattendue A pour toi suspendu l’arrêt ; Vis pour remplir ta destinée, Car ton heure n’est pas sonnée, Et ton assassin n’est pas prêt ! Partout des toits rompus et des portes brisées, Des cadavres sanglants jetés par les croisées, A des corps mutilés des femmes insultant ; De bourgeois, d’écoliers, des troupes meurtrières. Des blasphèmes, des pleurs, des cris et des prières. Et des hommes hideux qui s’en allaient chantant : « Valois et Lorraine Et la double croix ! L’hérétique apprenne Le pape et ses droits ! Tombant sous le glaive. Que l’impie élève Un bras impuissant ; Archers de Lausanne, Que la pertuisane S’abreuve de sang ! Croyez-en l’oracle Des corbeaux passants, Et le grand miracle Des Saints-Innocents. A nos cris de guerre On a vu naguère, Malgré les chaleurs, Surgir une branche D’aubépine franche Couverte de fleurs ! Honni qui pardonne ! Allez sans effroi, C’est Dieu qui l’ordonne, C’est Dieu, c’est le roi ! Le crime s’expie ; Plongez à l’impie Le fer au côté Jusqu’à la poignée ; Saignez ! la saignée Est bonne en été ! » V Aux fenêtres du Louvre, on voyait le roi. « Tue, Par la mort Dieu ! que l’hydre enfin soit abattue ! Qu’est-ce ? Ils veulent gagner le faubourg Saint-Germain ? J’y mets empêchement : et, si je ne m’abuse, Ce coup est bien au droit. — George, une autre arquebuse, Et tenez toujours prête une mèche à la main. Allons, tout va bien : Tue ! — Ah. Cadet de Lorraine, Allez-vous-en quérir les filles de la reine. Voici Dupont, que vient d’abattre un Écossais : Vous savez son affaire ? Aussi bien, par la messe, Le cas était douteux, et je vous fais promesse Qu’elles auront plaisir à juger le procès. Je sais comment la meute en plaine est gouvernée ; Comment il faut chasser, en quel temps de l’année. Aux perdrix, aux faisans, aux geais, aux étourneaux ; Comment on doit forcer la fauve en son repaire ; Mais je n’ai point songé, par l’âme de mon père, A mettre en mon traité la chasse aux huguenots ! »

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    Alexis-Félix Arvers

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    La vengeance Quand j’entrai dans la vie, au sortir de l’enfance, A cet âge innocent où l’homme sans défense, Inquiet, sans appui, cherche un guide indulgent, Et, demandant au ciel un ami qui l’entende. Sent qu’il a si besoin d’une main qu’on lui tende Et d’un regard encourageant ; Toi seule, armant ta voix d’une affreuse ironie, As fait sur un enfant peser ta tyrannie : A tes rires amers que tu m’as immolé ! Par un plaisir cruel prolongeant ma souffrance, Ta bouche comme un crime a puni l’ignorance Et tes dédains m’ont accablé. Sais-tu que se venger est bien doux ? Mon courage A supporté l’affront et dévoré l’outrage : Comme une ombre importune attachée à tes pas J’ai su te fatiguer par ma fausse tendresse, J’ai su tromper ton cœur, j’ai su feindre l’ivresse D’un amour que je n’avais pas. Te souviens-tu d’abord comme ta résistance Par de cruels mépris éprouva ma constance. Mais je pleurai, je crois, je parlai de mourir… Et puis, on ne peut pas toujours être rebelle ; A s’entendre sans fin répéter qu’on est belle, Il faut pourtant bien s’attendrir. Grâce au ciel ! ma victoire est enfin assurée ; Au mépris d’un époux et de la foi jurée. Enfin, tu t’es livrée à moi, tu m’appartiens ! J’ai senti dans ma main frémir ta main tremblante Et mes baisers errants sur ta bouche brûlante Se sont mêlés avec les tiens ! Et bien ! sache à présent, et que ton cœur se brise. Sache que je te hais et que je te méprise, Sache bien que jamais je ne voulus t’avoir Que pour pouvoir un jour en face te maudire. Rire de tes tourments, à mon tour, et te dire Tout ce que je souffre à te voir ! As-tu donc pu jamais, malheureuse insensée, Croire que ton image occupait ma pensée ? Connais-moi maintenant et comprends désormais Quelle horreur me poussait, quelle rage m’enflamme, Et ce qu’il m’a fallu de haine au fond de l’âme Pour te dire que je t’aimais ? J’ai donc bien réussi, je t’ai donc bien frappée ; Par un adolescent ta vanité trompée A pu croire aux serments que ma voix te jurait ! Malgré cet œil perçant, malgré ce long usage, Tu n’as donc jamais rien trouvé sur mon visage Qui trahît cet affreux secret ? Je te lègue en fuyant, une honte éternelle. Je veux que le remords, active sentinelle. S’attache à sa victime, et veille à tes côtés, Qu’il expie à la fois mes chagrins, mes injures Et cette horrible gêne et ces mille parjures Que la vengeance m’a coûtés. C’est bien. Je suis content : j’ai passé mon envie ; D’un souvenir amer j’empoisonne ta vie. Va-t’en ! pour me fléchir ces cris sont superflus. Va-t’en ! pleure à jamais ta honte et ta faiblesse Et songe bien au moins que c’est moi qui te laisse Et que c’est moi qui ne veux plus !

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    Alexis-Félix Arvers

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    La vie Amis, accueillez-moi, j’arrive dans la vie. Dépensons l’existence au gré de notre envie : Vivre, c’est être libre, et pouvoir à loisir Abandonner son âme à l’attrait du plaisir ; C’est chanter, s’enivrer des cieux, des bois, de l’onde, Ou, parmi les tilleuls, suivre une vierge blonde ! — C’est bien là le discours d’un enfant. Écoutez : Vous avez de l’esprit. — Trop bon. — Et méritez Qu’un ami plus mûr vienne, en cette circonstance, D’un utile conseil vous prêter l’assistance. Il ne faut pas se faire illusion ici ; Avant d’être poète, et de livrer ainsi Votre âme à tout le feu de l’ardeur qui l’emporte. Avez-vous de l’argent ? — Que sais-je ?et que m’importe ? — Il importe beaucoup ; et c’est précisément Ce qu’il faut, avant tout, considérer. — Vraiment ? — S’il fut des jours heureux, où la voix des poètes Enchaînait à son gré les nations muettes, Ces jours-là ne sont plus, et depuis bien longtemps : Est-ce un bien, est-ce un mal, je l’ignore, et n’entends Que vous prouver un fait, et vous faire comprendre Que si le monde est tel, tel il faut bien le prendre. Le poète n’est plus l’enfant des immortels, A qui l’homme à genoux élevait des autels ; Ce culte d’un autre âge est perdu dans le nôtre, Et c’est tout simplement un homme comme un autre. Si donc vous n’avez rien, travaillez pour avoir ; Embrassez un état : le tout est de savoir Choisir, et sans jamais regarder en arrière, D’un pas ferme et hardi poursuivre sa carrière. — Et ce monde idéal que je me figurais ! Et ces accents lointains du cor dans les forêts ! Et ce bel avenir, et ces chants d’innocence ! Et ces rêves dorés de mon adolescence ! Et ces lacs, et ces mers, et ces champs émaillés, Et ces grands peupliers, et ces fleurs ! — Travaillez. Apprenez donc un peu, jeune homme, à vous connaître : Vous croyez que l’on n’a que la peine de naître, Et qu’on est ici-bas pour dormir, se lever, Passer, les bras croisés, tout le jour à rêver ; C’est ainsi qu’on se perd, c’est ainsi qu’on végète : Pauvre, inutile à tous, le monde vous rejette : Contre la faim, le froid, on lutte, on se débat Quelque temps, et l’on va mourir sur un grabat. Ce tableau n’est pas gai, ce discours n’est pas tendre. C’est vrai ; mais j’ai voulu vous faire bien entendre, Par amitié pour vous, et dans votre intérêt, Où votre poésie un jour vous conduirait. Cet homme avait raison, au fait : j’ai dû me taire. Je me croyais poète, et me voici notaire. J’ai suivi ses conseils, et j’ai, sans m’effrayer, Subi le lourd fardeau d’une charge à payer. Je dois être content : c’est un très bel office ; C’est magnifique, à part même le bénéfice. On a bonne maison, on reçoit les jeudis ; On a des clercs, qu’on loge en haut, dans un taudis. Il est vrai que l’état n’est pas fort poétique. Et rien n’est positif comme l’acte authentique. Mais il faut pourtant bien se faire une raison, Et tous ces contes bleus ne sont plus de saison : Il faut que le notaire, homme d’exactitude, D’un travail assidu se fasse l’habitude ; Va, malheureux ! et si quelquefois il advient Qu’un riant souvenir d’enfance vous revient, Si vous vous rappelez que la voix des génies Vous berçait, tout petit, de vagues harmonies ; Si, poursuivant encor un bonheur qu’il rêva. L’esprit vers d’autres temps veut se retourner : Va ! Est-ce avec tout cela qu’on mène son affaire ? N’as-tu pas ce matin un testament à faire ? Le client est fort mal, et serait en état, Si tu tardais encor, de mourir intestat. Mais j’ai trente-deux ans accomplis ; à mon âge Il faut songer pourtant à se mettre en ménage ; Il faut faire une fin, tôt ou tard. Dans le temps. J’y songeais bien aussi, quand j’avais dix-huit ans. Je voyais chaque nuit, de la voûte étoilée, Descendre sur ma couche une vierge voilée ; Je la sentais, craintive, et cédant à mes vœux. D’un souffle caressant effleurer mes cheveux ; Et cette vision que j’avais tant rêvée. Sur la terre, une fois, je l’avais retrouvée. Oh ! qui me les rendra ces rapides instants, Et ces illusions d’un amour de vingt ans ! L’automne à la campagne, et ses longues soirées, Les mères, dans un coin du salon retirées, Ces regards pleins de feu, ces gestes si connus, Et ces airs si touchants que j’ai tous retenus ? Tout à coup une voix d’en haut l’a rappelée : Cette vie est si triste ! elle s’en est allée ; Elle a fermé les yeux, sans crainte, sans remords ; Mais pensent-ils encore à nous ceux qui sont morts ? Il s’agit bien ici d’un amour platonique ! Me voici marié : ma femme est fille unique ; Son père est épicier-droguiste retiré, Et riche, qui plus est : je le trouve à mon gré. Il n’est correspondant d’aucune académie. C’est vrai ; mais il est rond, et plein de bonhomie : Et puis j’aime ma femme, et je crois en effet, En demandant sa main, avoir sagement fait. Est-il un sort plus doux, et plus digne d’envie ? On passe, au coin du feu, tranquillement sa vie : On boit, on mange, on dort, et l’on voit arriver Des enfants qu’il faut mettre en nourrice, élever, Puis établir enfin : puis viennent les années, Les rides au visage et les couleurs fanées, Puis les maux, puis la goutte. On vit comme cela Cinquante ou soixante ans, et puis on meurt. Voilà.

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    Alexis-Félix Arvers

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    Le livre de mon coeur La Porte-Saint-Martin va donner des Mystères Où Paris tout entier se hâte d’accourir. Tout manque, les balcons, les loges, les parterres ; J’ai pourtant une place et je vais vous l’offrir. Ce théâtre où jadis je vous ai rencontrée Me rappelle un passé bien cruel et bien doux. C’était un soir d’été, douce et chaude soirée ; Je m’en souviens encor : vous en souvenez-vous ? Que de choses depuis ! — La vie est ainsi faite. Je voulais vous avoir, vous n’avez pas voulu Et j’ouvris devant vous oublieuse et distraite Le livre de mon cœur où vous n’avez rien lu. Eh bien, il est au moins un bienfait que j’implore, Triste et suprême appel que vous fera ma voix, Qu’une dernière fois je vous revoie encore Aux lieux où je vous vis pour la première fois ! Comme un oiseau blessé qui vient, l’aile meurtrie, Mourir près de son nid, au bord de son ruisseau. Qu’ainsi mon pauvre amour, brisé par vous, Marie. Vienne chercher sa tombe auprès de son berceau !

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    Alexis-Félix Arvers

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    Le poète Qui peut empêcher l’hirondelle, Quand vient la saison des frimas, D’aller chercher à tire d’aile D’autres cieux et d’autres climats ? Qui peut, lorsque l’heure est venue, Empêcher au sein de la nue — Le jour éteint de s’arrêter Sur les derniers monts qu’il colore ? L’amant d’aimer, la fleur d’éclore Et le poète de chanter ? Le transport d’un pieux délire A lui d’abord s’est révélé, Et des sons lointains d’une lyre Son premier rêve fut troublé : Tel que Janus aux deux visages Dont l’œil plongeait sur tous les âges, Le ciel ici-bas l’a placé Comme un enseignement austère, Comme un prophète sur la terre De l’avenir et du passé. Mais hélas ! pour qu’il accomplisse Sa tâche au terrestre séjour, Il faudra qu’un nouveau supplice Vienne l’éprouver chaque jour ; Que des choses de cette vie Et de tous ces biens qu’on envie Il ne connaisse que les pleurs ; Que brûlé d’une ardeur secrète Il soit au fond de sa retraite Visité par tous les malheurs. Il faut que les chants qu’il apporte Soient repoussés par le mépris ; Qu’il frappe, et qu’on ferme la porte ; Qu’il parle et ne soit point compris : Que nul de lui ne se souvienne, Que jamais un ami ne vienne Guider la nuit ses pas errants ; Qu’il épuise la coupe amère Qu’il soit renié de sa mère. Et méconnu de ses parents. Il faut qu’il sache le martyre ; Il faut qu’il sente le couteau Levé sur sa tête et qu’on tire Au sort les parts de son manteau ; Il faut qu’il sache le naufrage. Le poète est beau dans l’orage, Le poète est beau dans les fers ; Et sa voix est bien plus touchante Lorsqu’elle est plaintive, et ne chante Que les malheurs qu’il a soufferts. Il faut qu’il aime, qu’il connaisse Tout ce qu’on éprouve en aimant, Et tour à tour meure et renaisse Dans un étroit embrassement ; Qu’en ses bras, naïve et sans crainte, Aux charmes d’une douce étreinte Une vierge au cœur innocent. Silencieuse, s’abandonne, Belle du bonheur qu’elle donne Et du bonheur qu’elle ressent. Et que bientôt la vierge oublie Ces transports et ces doux instants ; Que d’une autre image remplie, Elle vive heureuse et longtemps ; Que, si cette amour effacée Quelque jour s’offre à sa pensée, Ce soit comme un hôte imprévu. Comme un rayon pendant l’orage, Comme un ami du premier âge Qu’on se ressouvient d’avoir vu. Éprouvé par la destinée. Il entrevoit des temps meilleurs, Il sait qu’il doit de sa journée Recevoir le salaire ailleurs ; Car loin de tous les yeux profanes, Un ange aux ailes diaphanes Vint au milieu de ses ennuis Lui révéler que cette vie Doit finir, pour être suivie De jours qui n’auront pas de nuits. Qu’un autre, épris d’une ardeur sainte, Les yeux tournés vers l’avenir, S’élance pour franchir l’enceinte Qui ne peut plus le contenir : Qu’il poursuive une renommée Qui par tout l’univers semée Retentisse chez nos neveux ; Mêlée aux tempêtes civiles, Qu’au seuil des grands, au sein des villes. Sa voix résonne : moi, je veux Dans le silence et le mystère, Loin du monde, loin des méchants, Que l’on m’ignore, et que la terre Ne sache de moi que mes chants : A l’œil curieux de l’envie Soigneux de dérober ma vie Et la trace de tous mes pas. Je me sauverai de l’orage ; Comme ces oiseaux sous l’ombrage, Qu’on entend et qu’on ne voit pas.

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    Alexis-Félix Arvers

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    Le retour de la bien-aimée I Que ces vallons déserts, que ces vastes prairies Où j’allais promener mes tristes rêveries, Que ces rivages frais, que ces bois, que ces champs, Que tout prenne une voix et retrouve des chants Et porte jusqu’au sein de Ta Toute Puissance Un hymne de bonheur et de reconnaissance ! Celle, qui dans un chaste et pur embrassement, A reçu mon amour et mon premier serment, Celle à qui j’ai juré de consacrer ma vie Par d’injustes parents m’avait été ravie ; Ils avaient repoussé mes pleurs, et les ingrats Avaient osé venir l’arracher de mes bras ; Et jaloux de m’ôter la dernière espérance Qui pût me soutenir et calmer ma souffrance, Un message trompeur nous avait informés Que sur un bord lointain ses yeux s’étaient fermés. Celui qui fut aimé, celui qui put connaître Ce bonheur enivrant de confondre son être, De vivre dans un autre, et de ne plus avoir Que son cœur pour sentir, et que ses yeux pour voir, Celui-là pourra seul deviner et comprendre Ce qu’une voix humaine est impuissante à rendre ; Celui-là saura seul tout ce que peut souffrir Un homme, et supporter de tourments sans mourir. Mais la main qui sur moi s’était appesantie Semble de mes malheurs s’être enfin repentie. Leur cœur s’est attendri, soit qu’un pouvoir caché, Que sais-je ? Ou que la voix du remords l’ait touché. Celle que je pleurais, que je croyais perdue, Elle vit ! elle vient ! et va m’être rendue ! Ne demandez donc plus, amis, pourquoi je veux Qu’on mêle ces boutons de fleurs dans mes cheveux. Non ! Je n’ai point souffert et mes douleurs passées En cet heureux instant sont toutes effacées ; Que sont tous mes malheurs, que sont tous mes ennuis. Et ces rêves de deuil qui tourmentaient mes nuits ? Et moi ! J’osais du ciel accuser la colère ! Je reconnais enfin sa bonté tutélaire. Et je bénis ces maux d’un jour qui m’ont appris Que mes yeux ne devaient la revoir qu’à ce prix ! II Quel bonheur est le mien ! Pourtant — ces deux années Changent bien des projets et bien des destinées ; — Je ne puis me celer, à parler franchement, Que ce retour me gêne un peu, dans ce moment. Certes, le souvenir de notre amour passé N’est pas un seul instant sorti de ma pensée ; Mais enfin je ne sais comment cela s’est fait : Invité cet hiver aux bals chez le préfet. J’ai vu sa fille aînée, et par étourderie Risqué de temps en temps quelque galanterie : Je convins aux parents, et fus bientôt admis Dans cette intimité qu’on réserve aux amis. J’y venais tous les soirs, je faisais la lecture, Je présentais la main pour monter en voiture ; Dans nos réunions en petit comité, Toujours près de la fille, assis à son côté. Je me rendais utile à tout, j’étais son page. Et quand elle chantait, je lui tournais la page. Enfin, accoutumé chaque jour à la voir. 60 Que sais-je ? J’ai rendu, sans m’en apercevoir, Et bien innocemment, des soins, que je soupçonne N’être pas dédaignés de la jeune personne : Si bien que je ne sais trop comment m’arranger : On jase, et les parents pourront bien exiger Que j’ôte ce prétexte à la rumeur publique, Et, quelque beau matin, vouloir que je m’explique. C’est ma faute, après tout, je me suis trop pressé, Et, comme un débutant, je me suis avancé. Mais, d’un autre côté, comment prévoir… ? N’importe, Mes serments sont sacrés, et mon amour l’emporte, J’irai demain trouver le père, et s’il vous plaît,- Je lui raconterai la chose comme elle est. — C’est bien ! — Mais que va-t-on penser, que va-t-on dire ? Le monde est si méchant, et si prompt à médire ! — Je le brave ! et s’il faut, je verserai mon sang… Oui : mais toujours est-il que c’est embarrassant. III Comme tout ici-bas se flétrit et s’altère, Et comme les malheurs changent un caractère ! J’ai cherché vainement, et n’ai point retrouvé Cette aimable candeur qui m’avait captivé. Celle que j’avais vue autrefois si craintive. Dont la voix résonnait si douce et si plaintive, Hautaine, au parler bref, et parfois emporté, A rejeté bien loin cette timidité. A moi, qui n’ai vécu, n’ai souffert que pour elle. Est-ce qu’elle n’a pas déjà cherché querelle ? Jetant sur le passé des regards curieux, Elle m’a demandé d’un air impérieux Si, pendant tout ce temps que j’ai passé loin d’elle. Mon cœur à sa mémoire était resté fidèle : Et de quel droit, bon Dieu ? Nous n’étions point liés. Et nous aurions très bien pu nous être oubliés ! J’avais juré, promis ! — Qu’est-ce que cela prouve ? Tous les jours, en amour, on jure ; et lorsqu’on trouve Quelque distraction, on laisse rarement Perdre l’occasion de trahir son serment : Il n’est pas défendu d’avoir un cœur sensible, Et ce n’est point du « tout un crime irrémissible. Et puis d’ailleurs, après ce que j’ai découvert. Entre nous, soyons franc, parlons à cœur ouvert : J’en avais fait mon deuil, et la pauvre exilée S’est bien de son côté quelque peu consolée ; Et si je persistais à demander sa main. C’était par conscience, et par respect humain ; Je m’étais étourdi. Mais elle a, la première. Fait ouvrir, par bonheur, mes yeux à la lumière, Et certes, j’aime mieux encore, à beaucoup près, Qu’elle se soit ainsi montrée avant qu’après. Car enfin, rien n’est fait, au moins, et le notaire N’a point à nos serments prêté son ministère. — Mais quels emportements ! quels pleurs ! car elle croit Exiger une dette et réclamer un droit. Or il faut en finir : quoi qu’elle dise ou fasse, J’en ai pris mon parti ; j’irai lui dire en face, — Quoi ? — Que son caractère est à n’y pas tenir. — Elle avait bien besoin aussi de revenir ! Nous étions si bien tous, quand son humeur altière Vint troubler le repos d’une famille entière ! On nous la disait morte ; et je croirais aussi Qu’il vaudrait beaucoup mieux que cela fût ainsi.

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    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    L’amour caché Mon âme a son secret, ma vie a son mystère, Un amour éternel en un moment conçu : Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire, Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su. Hélas ! j’aurai passé près d’elle inaperçu, Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire. Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre, N’osant rien demander et n’ayant rien reçu. Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre, Elle suit son chemin, distraite et sans entendre Ce murmure d’amour élevé sur ses pas. À l’austère devoir, pieusement fidèle, Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle  » Quelle est donc cette femme ?  » et ne comprendra pas.

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    Alexis-Félix Arvers

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    L’immortalité La mort vient dégager de la vile matière Notre esprit, souffle de la pur divinité, Et l’ombre des tombeaux nous cache une lumière Dont nos yeux ne pourraient soutenir la clarté. La mort vient délivrer notre âme prisonnière Et lui faire connaître enfin la liberté, Nous mourons, c’est la vie ; et notre heure dernière Est le premier moment de l’immortalité. Ah ! ne redoutons pas de tomber dans l’abîme Où paraît s’engloutir à jamais l’être humain, Le trépas nous promet l’éternel lendemain ; Et par un privilège éclatant et sublime, Quand il meurt ici-bas, l’homme naît dans le ciel Car Dieu le fait mourir pour le rendre immortel.

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    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    Ospitalità Dans des vers immortels que vous savez sans doute, Dante acceptant d’un prince et le toit et l’appui, Des chagrins de l’exil abreuvé goutte à goutte, Nous a montré son coeur tout plein d’un sombre ennui ; Et combien est amer, pour celui qui le goûte, Le pain de l’étranger, et tout ce qu’il en coûte De monter et descendre à l’escalier d’autrui… Moi, qui ne le vaux pas, j’ai trouvé mieux que lui. Ici, malgré ces vers de funèbre présage, J’ai trouvé le pain bon, et meilleur le visage, Et l’opulent bien-être et les plaisirs permis. C’est que Dante, égaré dans des sphères trop hautes, Avait un protecteur, et que moi j’ai des hôtes ; C’est qu’il avait un maître et que j’ai des amis.

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    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    Pourtant, si tu m'aimais Pourtant, si tu m'aimais ! si cette raillerie Avait jeté racine et germé sourdement ; Si, moi qui me jouais, si tu m'avais, Marie, De la bouche et du cœur appelé ton amant ! Si je t'avais trompée, et si j'avais su rendre Si puissant et si doux mon sourire moqueur. Que ton âme crédule ait pu se laisser prendre Aux semblants d'un amour qui n'est point dans mon cœur, Malheur à tous les deux ! Tôt ou tard l'imposture Rapportera ses fruits d'angoisse et de douleur ; Et toi, qui n'a rien fait, toi, pauvre créature, Tu prendras comme moi ta moitié du malheur. Et si j'avais dit vrai ; cependant, quand j'y songe... Ô femme ! vois un peu ce que c'est que de nous ! Pour peu que cette voix, qui riait du mensonge. Eût de torrents d'amour inondé tes genoux ! Comme un berceau d'enfant à la branche fleurie, Si j'avais suspendu mon bonheur à tes pas, Malheur, encor malheur ! car cette fois, Marie, Hélas ! ce serait toi qui ne m'aimerais pas ! Était-ce donc ta loi, pitoyable nature. De reculer toujours le but que j'entrevois, Et de ne mettre au cœur de chaque créature Qu'un désir sans espoir, et qu'un écho sans voix. Ô malédiction ! était-ce ton envie De n'accomplir jamais qu'une part du souhait, Et le seul avenir est-il pour cette vie, De haïr qui nous aime, ou d'aimer qui nous hait.

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    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    Sonnet à mon ami R J'avais toujours rêvé le bonheur en ménage, Comme un port où le cœur, trop longtemps agité, Vient trouver, à la fin d'un long pèlerinage, Un dernier jour de calme et de sérénité. Une femme modeste, à peu près de mon âge Et deux petits enfants jouant à son côté ; Un cercle peu nombreux d'amis du voisinage, Et de joyeux propos dans les beaux soirs d'été. J'abandonnais l'amour à la jeunesse ardente Je voulais une amie, une âme confidente, Où cacher mes chagrins, qu'elle seule aurait lus ; Le ciel m'a donné plus que je n'osais prétendre ; L'amitié, par le temps, a pris un nom plus tendre, Et l'amour arriva qu'on ne l'attendait plus.

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