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Titre : Le poète

Auteur : Alexis-Félix Arvers Recueil : Mes heures perdues, 1833

Qui peut empêcher l’hirondelle, Quand vient la saison des frimas, D’aller chercher à tire d’aile D’autres cieux et d’autres climats ? Qui peut, lorsque l’heure est venue, Empêcher au sein de la nue — Le jour éteint de s’arrêter Sur les derniers monts qu’il colore ? L’amant d’aimer, la fleur d’éclore Et le poète de chanter ? Le transport d’un pieux délire A lui d’abord s’est révélé, Et des sons lointains d’une lyre Son premier rêve fut troublé : Tel que Janus aux deux visages Dont l’œil plongeait sur tous les âges, Le ciel ici-bas l’a placé Comme un enseignement austère, Comme un prophète sur la terre De l’avenir et du passé. Mais hélas ! pour qu’il accomplisse Sa tâche au terrestre séjour, Il faudra qu’un nouveau supplice Vienne l’éprouver chaque jour ; Que des choses de cette vie Et de tous ces biens qu’on envie Il ne connaisse que les pleurs ; Que brûlé d’une ardeur secrète Il soit au fond de sa retraite Visité par tous les malheurs. Il faut que les chants qu’il apporte Soient repoussés par le mépris ; Qu’il frappe, et qu’on ferme la porte ; Qu’il parle et ne soit point compris : Que nul de lui ne se souvienne, Que jamais un ami ne vienne Guider la nuit ses pas errants ; Qu’il épuise la coupe amère Qu’il soit renié de sa mère. Et méconnu de ses parents. Il faut qu’il sache le martyre ; Il faut qu’il sente le couteau Levé sur sa tête et qu’on tire Au sort les parts de son manteau ; Il faut qu’il sache le naufrage. Le poète est beau dans l’orage, Le poète est beau dans les fers ; Et sa voix est bien plus touchante Lorsqu’elle est plaintive, et ne chante Que les malheurs qu’il a soufferts. Il faut qu’il aime, qu’il connaisse Tout ce qu’on éprouve en aimant, Et tour à tour meure et renaisse Dans un étroit embrassement ; Qu’en ses bras, naïve et sans crainte, Aux charmes d’une douce étreinte Une vierge au cœur innocent. Silencieuse, s’abandonne, Belle du bonheur qu’elle donne Et du bonheur qu’elle ressent. Et que bientôt la vierge oublie Ces transports et ces doux instants ; Que d’une autre image remplie, Elle vive heureuse et longtemps ; Que, si cette amour effacée Quelque jour s’offre à sa pensée, Ce soit comme un hôte imprévu. Comme un rayon pendant l’orage, Comme un ami du premier âge Qu’on se ressouvient d’avoir vu. Éprouvé par la destinée. Il entrevoit des temps meilleurs, Il sait qu’il doit de sa journée Recevoir le salaire ailleurs ; Car loin de tous les yeux profanes, Un ange aux ailes diaphanes Vint au milieu de ses ennuis Lui révéler que cette vie Doit finir, pour être suivie De jours qui n’auront pas de nuits. Qu’un autre, épris d’une ardeur sainte, Les yeux tournés vers l’avenir, S’élance pour franchir l’enceinte Qui ne peut plus le contenir : Qu’il poursuive une renommée Qui par tout l’univers semée Retentisse chez nos neveux ; Mêlée aux tempêtes civiles, Qu’au seuil des grands, au sein des villes. Sa voix résonne : moi, je veux Dans le silence et le mystère, Loin du monde, loin des méchants, Que l’on m’ignore, et que la terre Ne sache de moi que mes chants : A l’œil curieux de l’envie Soigneux de dérober ma vie Et la trace de tous mes pas. Je me sauverai de l’orage ; Comme ces oiseaux sous l’ombrage, Qu’on entend et qu’on ne voit pas.