Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Lys Ô balançoire! ô lys! clysopompes d'argent! Dédaigneux des travaux, dédaigneux des famines ! L'Aurore vous emplit d'un amour détergent ! Une douceur de ciel beurre vos étamines !Arthur Rimbaud
Arthur Rimbaud est un poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille. Bien que brève, son œuvre poétique est caractérisée par une prodigieuse densité thématique et stylistique, faisant de lui une des figures majeures de la littérature française. Arthur Rimbaud écrit ses premiers poèmes à 15 ans. Après une brève phase d'initiation, par assimilation du style des grands poètes contemporains (Charles Baudelaire, Victor Hugo, Théodore de Banville...), développant déjà une franche originalité dans l'approche de thèmes classiques (« Le Dormeur du val », « Vénus Anadyomène »), il cherche à dépasser ces influences en développant ses propres conceptions théoriques, déclarant que le poète doit se faire « voyant », c'est-à-dire chercher et décrire l'inconnu par delà les perceptions humaines usuelles, quitte à y sacrifier sa propre intégrité mentale ou physique. Dès lors, il se met à innover radicalement en matière d'audace formelle, jusqu'à aborder le genre du poème en prose, alors à ses balbutiements (parsemant ses œuvres d'apophtegmes énigmatiques, comme « changer la vie », « posséder la vérité dans une âme et un corps » ou « il faut être absolument moderne », qui seront repris comme des slogans par les poètes du XXe siècle, en particulier le mouvement surréaliste). Il entretient parallèlement une aventure amoureuse tumultueuse avec le poète Paul Verlaine, qui influence profondément son œuvre. Vers l'âge de 20 ans, il renonce subitement à la littérature, n'ayant alors publié qu'un seul ouvrage à compte d'auteur — Une saison en enfer — et quelques poèmes épars dans des revues confidentielles, ce qui contribue encore à son mythe. Il se consacre alors dans un premier temps à l'apprentissage de plusieurs langues, puis, mû par ses idées marginales, anti-bourgeoises et libertaires, choisit une vie aventureuse, dont les pérégrinations l'amènent jusqu'en Abyssinie, où il devient négociant (quincaillerie, bazar, vêtements, café, etc.) et explorateur. Sa tentative d'armer Ménélik avec l'aval du Consul de France s'avère désastreuse pour lui ; son unique « trafic d'armes » n'a véritablement qu'une incidence politique symbolique, mais contribue à sa légende. De cette seconde vie, exotique, les seuls écrits connus consistent en près de 180 lettres (correspondance familiale et professionnelle) et quelques descriptions géographiques. Des poèmes comme Le Bateau ivre, Le Dormeur du val ou Voyelles comptent parmi les plus célèbres de la poésie française. La précocité de son génie, sa carrière littéraire fulgurante, sa vie brève et aventureuse contribuent à forger sa légende et faire de lui l'un des géants de la littérature mondiale.
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@arthurRimbaud
Lys Ô balançoire! ô lys! clysopompes d'argent! Dédaigneux des travaux, dédaigneux des famines ! L'Aurore vous emplit d'un amour détergent ! Une douceur de ciel beurre vos étamines !@arthurRimbaud
L'angelot maudit Toits bleuâtres et portes blanches Comme en de nocturnes dimanches, Au bout de la ville sans bruit La Rue est blanche, et c'est la nuit. La Rue a des maisons étranges Avec des persiennes d'Anges. Mais, vers une borne, voici Accourir, mauvais et transi, Un noir Angelot qui titube, Ayant trop mangé de jujube. Il fait caca : puis disparaît : Mais son caca maudit paraît, Sous la lune sainte qui vaque, De sang sale un léger cloaque!@arthurRimbaud
L’étoile a pleuré rose… L’étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles, L’infini roulé blanc de ta nuque à tes reins La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles Et l’Homme saigné noir à ton flanc souverain.@arthurRimbaud
L’eternité Elle est retrouvée. Quoi ? – L’Eternité. C’est la mer allée Avec le soleil. Ame sentinelle, Murmurons l’aveu De la nuit si nulle Et du jour en feu. Des humains suffrages, Des communs élans Là tu te dégages Et voles selon. Puisque de vous seules, Braises de satin, Le Devoir s’exhale Sans qu’on dise : enfin. Là pas d’espérance, Nul orietur. Science avec patience, Le supplice est sûr. Elle est retrouvée. Quoi ? – L’Eternité. C’est la mer allée Avec le soleil.@arthurRimbaud
L’homme juste Le Juste restait droit sur ses hanches solides : Un rayon lui dorait l’épaule ; des sueurs Me prirent : » Tu veux voir rutiler les bolides ? Et, debout, écouter bourdonner les flueurs D’astres lactés, et les essaims d’astéroïdes ? » Par des farces de nuit ton front est épié, Ô juste ! Il faut gagner un toit. Dis ta prière, La bouche dans ton drap doucement expié ; Et si quelque égaré choque ton ostiaire, Dis : Frère, va plus loin, je suis estropié ! » Et le juste restait debout, dans l’épouvante Bleuâtre des gazons après le soleil mort : » Alors, mettrais-tu tes genouillères en vente, Ô Vieillard ? Pèlerin sacré ! barde d’Armor ! Pleureur des Oliviers ! main que la pitié gante ! » Barbe de la famille et poing de la cité, Croyant très doux : ô coeur tombé dans les calices, Majestés et vertus, amour et cécité, Juste ! plus bête et plus dégoûtant que les lices ! Je suis celui qui souffre et qui s’est révolté ! » Et ça me fait pleurer sur mon ventre, ô stupide, Et bien rire, l’espoir fameux de ton pardon ! Je suis maudit, tu sais ! je suis soûl, fou, livide, Ce que tu veux ! Mais va te coucher, voyons donc, Juste ! je ne veux rien à ton cerveau torpide. » C’est toi le Juste, enfin, le Juste ! C’est assez ! C’est vrai que ta tendresse et ta raison sereines Reniflent dans la nuit comme des cétacés, Que tu te fais proscrire et dégoises des thrènes Sur d’effroyables becs-de-cane fracassés ! » Et c’est toi l’oeil de Dieu ! le lâche ! Quand les plantes Froides des pieds divins passeraient sur mon cou, Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes ! Socrates et Jésus, Saints et Justes, dégoût ! Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes ! » J’avais crié cela sur la terre, et la nuit Calme et blanche occupait les cieux pendant ma fièvre. Je relevai mon front : le fantôme avait fui, Emportant l’ironie atroce de ma lèvre… – Vents nocturnes, venez au Maudit ! Parlez-lui, Cependant que silencieux sous les pilastres D’azur, allongeant les comètes et les noeuds D’univers, remuement énorme sans désastres, L’ordre, éternel veilleur, rame aux cieux lumineux Et de sa drague en feu laisse filer les astres ! Ah ! qu’il s’en aille, lui, la gorge cravatée De honte, ruminant toujours mon ennui, doux Comme le sucre sur la denture gâtée. – Tel que la chienne après l’assaut des fiers toutous, Léchant son flanc d’où pend une entraille emportée. Qu’il dise charités crasseuses et progrès… – J’exècre tous ces yeux de Chinois ou daines, Puis qui chante : nana, comme un tas d’enfants près De mourir, idiots doux aux chansons soudaines : Ô Justes, nous chierons dans vos ventres de grès !@arthurRimbaud
L’idole Obscur et froncé comme un oeillet violet Il respire, humblement tapi parmi la mousse Humide encor d’amour qui suit la fuite douce Des Fesses blanches jusqu’au coeur de son ourlet. Des filaments pareils à des larmes de lait Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse, À travers de petits caillots de marne rousse Pour s’aller perdre où la pente les appelait. Mon Rêve s’aboucha souvent à sa ventouse ; Mon âme, du coït matériel jalouse, En fit son larmier fauve et son nid de sanglots. C’est l’olive pâmée, et la flûte caline, C’est le tube où descend la céleste praline : Chanaan féminin dans les moiteurs enclos ! Albert Mérat P.V – A.R.@arthurRimbaud
L’orgie parisienne ou Paris se repeuple Ô lâches, la voilà ! dégorgez dans les gares ! Le soleil expia de ses poumons ardents Les boulevards qu’un soir comblèrent les Barbares. Voilà la Cité belle assise à l’occident ! Allez ! on préviendra les reflux d’incendie, Voilà les quais ! voilà les boulevards ! voilà Sur les maisons, l’azur léger qui s’irradie Et qu’un soir la rougeur des bombes étoila. Cachez les palais morts dans des niches de planches ! L’ancien jour effaré rafraîchit vos regards. Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches, Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards ! Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes, Le cri des maisons d’or vous réclame. Volez ! Mangez ! Voici la nuit de joie aux profonds spasmes Qui descend dans la rue, ô buveurs désolés, Buvez ! Quand la lumière arrive intense et folle, Foulant à vos côtés les luxes ruisselants, Vous n’allez pas baver, sans geste, sans parole, Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs, Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes ! Écoutez l’action des stupides hoquets Déchirants ! Écoutez, sauter aux nuits ardentes Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais ! Ô cœurs de saleté, Bouches épouvantables, Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs ! Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables… Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs ! Ouvrez votre narine aux superbes nausées ! Trempez de poisons forts les cordes de vos cous ! Sur vos nuques d’enfants baissant ses mains croisées Le Poète vous dit : ô lâches, soyez fous ! Parce que vous fouillez le ventre de la Femme, Vous craignez d’elle encore une convulsion Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme Sur sa poitrine, en une horrible pression. Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques, Qu’est-ce que ça peut faire à la putain Paris, Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques ? Elle se secouera de vous, hargneux pourris ! Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles, Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus, La rouge courtisane aux seins gros de batailles, Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus ! Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères, Paris ! quand tu reçus tant de coups de couteau, Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires Un peu de la bonté du fauve renouveau, Ô cité douloureuse, ô cité quasi morte, La tête et les deux seins jetés vers l’Avenir Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes, Cité que le Passé sombre pourrait bénir : Corps remagnétisé pour les énormes peines, Tu rebois donc la vie effroyable ! tu sens Sourdre le flux des vers livides en tes veines, Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants ! Et ce n’est pas mauvais. Tes vers, tes vers livides Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès Que les Stryx n’éteignaient l’œil des Cariatides Où des pleurs d’or astral tombaient des bleus degrés. Quoique ce soit affreux de te revoir couverte Ainsi ; quoiqu’on n’ait fait jamais d’une cité Ulcère plus puant à la Nature verte, Le Poète te dit : « Splendide est ta Beauté ! » L’orage a sacré ta suprême poésie ; L’immense remuement des forces te secourt ; Ton œuvre bout, ta mort gronde, Cité choisie ! Amasse les strideurs au cœur du clairon lourd. Le Poète prendra le sanglot des Infâmes, La haine des Forçats, la clameur des maudits : Et ses rayons d’amour flagelleront les Femmes. Ses strophes bondiront, voilà ! voilà ! bandits ! — Société, tout est rétabli : les orgies Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars : Et les gaz en délire aux murailles rougies Flambent sinistrement vers les azurs blafards ! Mai 1871@arthurRimbaud
L’éclatante victoire de Sarrebrück Remportée aux cris de Vive l’Empereur ! (Gravure belge brillamment coloriée, se vend à Charleroi, 35 centimes.) Au milieu, l’Empereur, dans une apothéose Bleue et jaune, s’en va, raide, sur son dada Flamboyant ; très heureux, ? car il voit tout en rose, Féroce comme Zeus et doux comme un papa ; En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste Près des tambours dorés et des rouges canons, Se lèvent gentiment. Pitou remet sa veste, Et, tourné vers le Chef, s’étourdit de grands noms À droite, Dumanet, appuyé sur la crosse De son chassepot sent frémir sa nuque en brosse, Et : « Vive l’Empereur !! » – Son voisin reste coi… Un schako surgit, comme un soleil noir… – Au centre, Boquillon, rouge et bleu, très naïf, sur son ventre Se dresse, et, – présentant ses derrières « De quoi ?… » Octobre 1870.@arthurRimbaud
Ma bohème Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ; Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées ! Mon unique culotte avait un large trou. – Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. – Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ; Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !@arthurRimbaud
Matinée d'ivresse Ô mon Bien ! Ô mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! chevalet féerique ! Hourra pour l'œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendus à l'ancienne inharmonie. O maintenant, nous si digne de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés : cette promesse, cette démence ! L'élégance, la science, la violence ! On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit, — ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, — cela finit par une débandade de parfums. Rire des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d'ici, sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace. Petite veille d'ivresse, sainte ! quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifié. Nous t'affirmons, méthode ! Nous n'oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours. Voici le temps des Assassins.@arthurRimbaud
Michel et Christine Zut alors, si le soleil quitte ces bords ! Fuis, clair déluge ! Voici l’ombre des routes. Dans les saules, dans la vieille cour d’honneur, L’orage d’abord jette ses larges gouttes. Ô cent agneaux, de l’idylle soldats blonds, Des aqueducs, des bruyères amaigries, Fuyez ! plaine, déserts, prairie, horizons Sont à la toilette rouge de l’orage ! Chien noir, brun pasteur dont le manteau s’engouffre, Fuyez l’heure des éclairs supérieurs ; Blond troupeau, quand voici nager ombre et soufre, Tâchez de descendre à des retraits meilleurs. Mais moi, Seigneur ! voici que mon esprit vole, Après les cieux glacés de rouge, sous les Nuages célestes qui courent et volent Sur cent Solognes longues comme un railway. Voilà mille loups, mille graines sauvages Qu’emporte, non sans aimer les liserons, Cette religieuse après-midi d’orage Sur l’Europe ancienne où cent hordes iront ! Après, le clair de lune ! partout la lande, Rougis et leurs fronts aux cieux noirs, les guerriers Chevauchent lentement leurs pâles coursiers ! Les cailloux sonnent sous cette fière bande ! – Et verrai-je le bois jaune et le val clair, L’Epouse aux yeux bleus, l’homme au front rouge, ô Gaule, Et le blanc Agneau Pascal, à leurs pieds chers, – Michel et Christine, – et Christ ! – fin de l’Idylle.@arthurRimbaud
Morts de Quatre-vingt-douze Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize, Qui, pâles du baiser fort de la liberté, Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse Sur l’âme et sur le front de toute humanité ; Hommes extasiés et grands dans la tourmente, Vous dont les coeurs sautaient d’amour sous les haillons, Ô Soldats que la Mort a semés, noble Amante, Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons ; Vous dont le sang lavait toute grandeur salie, Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d’Italie, Ô million de Christs aux yeux sombres et doux ; Nous vous laissions dormir avec la République, Nous, courbés sous les rois comme sous une trique. – Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !@arthurRimbaud
Mémoire I L'eau claire ; comme le sel des larmes d'enfance, L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes ; la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes sous les murs dont quelque pucelle eut la défense ; L'ébat des anges ; - Non... le courant d'or en marche, meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle sombre, ayant le Ciel bleu pour ciel-de-lit, appelle pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche. II Eh ! l'humide carreau tend ses bouillons limpides ! L'eau meuble d'or pâle et sans fond les couches prêtes. Les robes vertes et déteintes des fillettes font les saules, d'où sautent les oiseaux sans brides. Plus pure qu'un louis, jaune et chaude paupière le souci d'eau - ta foi conjugale, ô l'Épouse ! - au midi prompt, de son terne miroir, jalouse au ciel gris de chaleur la Sphère rose et chère. III Madame se tient trop debout dans la prairie prochaine où neigent les fils du travail ; l'ombrelle aux doigts ; foulant l'ombelle ; trop fière pour elle ; des enfants lisant dans la verdure fleurie leur livre de maroquin rouge ! Hélas, Lui, comme mille anges blancs qui se séparent sur la route, s'éloigne par delà la montagne ! Elle, toute froide, et noire, court ! après le départ de l'homme ! IV Regret des bras épais et jeunes d'herbe pure ! Or des lunes d'avril au coeur du saint lit ! Joie des chantiers riverains à l'abandon, en proie aux soirs d'août qui faisaient germer ces pourritures ! Qu'elle pleure à présent sous les remparts ! l'haleine des peupliers d'en haut est pour la seule brise. Puis, c'est la nappe, sans reflets, sans source, grise : un vieux, dragueur, dans sa barque immobile, peine. V Jouet de cet oeil d'eau morne, je n'y puis prendre, ô canot immobile ! oh ! bras trop courts ! ni l'une ni l'autre fleur : ni la jaune qui m'importune, là ; ni la bleue, amie à l'eau couleur de cendre. Ah ! la poudre des saules qu'une aile secoue ! Les roses des roseaux dès longtemps dévorées ! Mon canot, toujours fixe ; et sa chaîne tirée Au fond de cet oeil d'eau sans bords, - à quelle boue ?@arthurRimbaud
Nuit en enfer J’ai avalé une fameuse gorgée de poison. – Trois fois béni soit le conseil qui m’est arrivé ! – Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j’étouffe, je ne puis crier. C’est l’enfer, l’éternelle peine ! Voyez comme le feu se relève ! Je brûle comme il faut. Va, démon ! J’avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, le salut. Puis-je décrire la vision, l’air de l’enfer ne soufre pas les hymnes ! C’était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je ? Les nobles ambitions ! Et c’est encore la vie ! – Si la damnation est éternelle ! Un homme qui veut se mutiler est bien damné, n’est-ce pas ? Je me crois en enfer, donc j’y suis. C’est l’exécution du catéchisme. Je suis esclave de mon baptême. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Pauvre innocent ! – L’enfer ne peut attaquer les païens. – C’est la vie encore ! Plus tard, les délices de la damnation seront plus profondes. Un crime, vite, que je tombe au néant, de par la loi humaine. Tais-toi, mais tais-toi !… C’est la honte, le reproche, ici: Satan qui dit que le feu est ignoble, que ma colère est affreusement sotte. – Assez !… Des erreurs qu’on me souffle, magies, parfums, faux, musiques puériles. – Et dire que je tiens la vérité, que je vois la justice: j’ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection… Orgueil. – La peau de ma tête se dessèche. Pitié ! Seigneur, j’ai peur. J’ai soif, si soif ! Ah ! l’enfance, l’herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze… le diable est au clocher, à cette heure. Marie ! Sainte-Vierge !… – Horreur de ma bêtise. Là-bas, ne sont-ce pas des âmes honnêtes, qui me veulent du bien… Venez… J’ai un oreiller sur la bouche, elles ne m’entendent pas, ce sont des fantômes. Puis, jamais personne ne pense à autrui. Qu’on n’approche pas. Je sens le roussi, c’est certain. Les hallucinations sont innombrables. C’est bien ce que j’ai toujours eu: plus de foi en l’histoire, l’oubli des principes. Je m’en tairai: poëtes et visionnaires seraient jaloux. Je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer. Ah ça ! l’horloge de la vie s’est arrêtée tout à l’heure. Je ne suis plus au monde. – La théologie est sérieuse, l’enfer est certainement en bas – et le ciel en haut. – Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes. Que de malices dans l’attention dans la campagne… Satan, Ferdinand, court avec les graines sauvages… Jésus marche sur les ronces purpurines, sans les courber… Jésus marchait sur les eaux irritées. La lanterne nous le montra debout, blanc et des tresses brunes, au flanc d’une vague d’émeraude… Je vais dévoiler tous les mystères: mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories. Écoutez !… J’ai tous les talents ! – Il n’y a personne ici et il y a quelqu’un: je ne voudrais pas répandre mon trésor. – Veut-on des chants nègres, des danses de houris ? Veut-on que je disparaisse, que je plonge à la recherche de l’anneau ? Veut-on ? Je ferai de l’or, des remèdes. Fiez-vous donc à moi, la foi soulage, guide, guérit. Tous, venez, – même les petits enfants, – que je vous console, qu’on répande pour vous son coeur, – le coeur merveilleux ! – Pauvres hommes, travailleurs ! Je ne demande pas de prières; avec votre confiance seulement, je serai heureux. – Et pensons à moi. Ceci me fait peu regretter le monde. J’ai de la chance de ne pas souffrir plus. Ma vie ne fut que folies douces, c’est regrettable. Bah ! faisons toutes les grimaces imaginables. Décidément, nous sommes hors du monde. Plus aucun son. Mon tact a disparu. Ah ! mon château, ma Saxe, mon bois de saules. Les soirs, les matins, les nuits, les jours… Suis-je las ! Je devrais avoir mon enfer pour la colère, mon enfer pour l’orgueil, – et l’enfer de la caresse; un concert d’enfers. Je meurs de lassitude. C’est le tombeau, je m’en vais aux vers, horreur de l’horreur ! Satan, farceur, tu veux me dissoudre, avec tes charmes. Je réclame. Je réclame ! un coup de fourche, une goutte de feu. Ah ! remonter à la vie ! Jeter les yeux sur nos difformités. Et ce poison, ce baiser mille fois maudit ! Ma faiblesse, la cruauté du monde ! Mon dieu, pitié, cachez-moi, je me tiens trop mal ! – Je suis caché et je ne le suis pas. C’est le feu qui se relève avec son damné.@arthurRimbaud
Ophélie I Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles La blanche Ophélia flotte comme un grand lys, Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles... - On entend dans les bois lointains des hallalis. Voici plus de mille ans que la triste Ophélie Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir. Voici plus de mille ans que sa douce folie Murmure sa romance à la brise du soir.@arthurRimbaud
Oraison du soir Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier, Empoignant une chope à fortes cannelures, L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures. Tels que les excréments chauds d’un vieux colombier, Mille Rêves en moi font de douces brûlures : Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier Qu’ensanglante l’or jeune et sombre des coulures. Puis, quand j’ai ravalé mes rêves avec soin, Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes, Et me recueille, pour lâcher l’âcre besoin : Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes, Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin, Avec l’assentiment des grands héliotropes.@arthurRimbaud
Ouvriers Ô cette chaude matinée de février. Le Sud inopportun vint relever nos souvenirs d'indigents absurdes, notre jeune misère. Henrika avait une jupe de coton à carreau blanc et brun, qui a dû être portée au siècle dernier, un bonnet à rubans, et un foulard de soie. C'était bien plus triste qu'un deuil. Nous faisions un tour dans la banlieue. Le temps était couvert, et ce vent du Sud excitait toutes les vilaines odeurs des jardins ravagés et des prés desséchés.@arthurRimbaud
Paris Al. Godillot, Gambier, Galopeau, Wolf-Pleyel, — Ô Robinets ! — Menier, — O Christs ! — Leperdriel ! Kinck, Jacob, Bonbonnel ! Veuillot, Tropmann, Augier ! Gill, Mendès, Manuel, Guido Gonin ! — Panier Des Grâces ! L’Hérissé ! Cirages onctueux ! Pains vieux, spiritueux ! Aveugles ! — puis, qui sait ? — Sergents de ville, Enghiens Chez soi. — Soyons chrétiens !@arthurRimbaud
Patience Aux branches claires des tilleuls Meurt un maladif hallali. Mais des chansons spirituelles Voltigent partout les groseilles. Que notre sang rie en nos veines, Voici s’enchevêtrer les vignes. Le ciel est joli comme un ange, Azur et Onde communient. Je sors ! Si un rayon me blesse, Je succomberai sur la mousse. Qu’on patiente et qu’on s’ennuie, C’est si simple !… Fi de ces peines ! Je veux que l’été dramatique Me lie à son char de fortune. Que par toi beaucoup, ô Nature, — Ah ! moins nul et moins seul ! je meure. Au lieu que les bergers, c’est drôle, Meurent à peu près par le monde. Je veux bien que les saisons m’usent. À toi, Nature ! je me rends, Et ma faim et toute ma soif ; Et, s’il te plaît, nourris, abreuve. Rien de rien ne m’illusionne ; C’est rire aux parents qu’au soleil ; Mais moi je ne veux rire à rien, Et libre soit cette infortune.@arthurRimbaud
Première soirée Elle était fort déshabillée Et de grands arbres indiscrets Aux vitres jetaient leur feuillée Malinement, tout près, tout près. Assise sur ma grande chaise, Mi-nue, elle joignait les mains. Sur le plancher frissonnaient d’aise Ses petits pieds si fins, si fins. – Je regardai, couleur de cire Un petit rayon buissonnier Papillonner dans son sourire Et sur son sein, – mouche au rosier. – Je baisai ses fines chevilles. Elle eut un doux rire brutal Qui s’égrenait en claires trilles, Un joli rire de cristal. Les petits pieds sous la chemise Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! » – La première audace permise, Le rire feignait de punir ! – Pauvrets palpitants sous ma lèvre, Je baisai doucement ses yeux : – Elle jeta sa tête mièvre En arrière : « Oh ! c’est encor mieux ! Monsieur, j’ai deux mots à te dire… » – Je lui jetai le reste au sein Dans un baiser, qui la fit rire D’un bon rire qui voulait bien… – Elle était fort déshabillée Et de grands arbres indiscrets Aux vitres jetaient leur feuillée Malinement, tout près, tout près.@arthurRimbaud
Qu’est-ce pour nous mon coeur… Qu’est-ce pour nous, mon cœur, que les nappes de sang Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris De rage, sanglots de tout enfer renversant Tout ordre ; et l’Aquilon encor sur les débris Et toute vengeance ? Rien !… — Mais si, toute encor, Nous la voulons ! Industriels, princes, sénats, Périssez ! puissance, justice, histoire, à bas ! Ça nous est dû. Le sang ! le sang ! la flamme d’or ! Tout à la guerre, à la vengeance, à la terreur, Mon esprit ! Tournons dans la Morsure : Ah ! passez, Républiques de ce monde ! Des empereurs, Des régiments, des colons, des peuples, assez ! Qui remuerait les tourbillons de feu furieux, Que nous et ceux que nous nous imaginons frères ? À nous ! Romanesques amis : ça va nous plaire. Jamais nous ne travaillerons, ô flots de feux ! Europe, Asie, Amérique, disparaissez. Notre marche vengeresse a tout occupé, Cités et campagnes ! — Nous serons écrasés ! Les volcans sauteront ! et l’océan frappé… Oh ! mes amis ! — mon cœur, c’est sûr, ils sont des frères : Noirs inconnus, si nous allions ! allons ! allons ! Ô malheur ! je me sens frémir, la vieille terre, Sur moi de plus en plus à vous ! la terre fond, Ce n’est rien ! j’y suis ! j’y suis toujours.@arthurRimbaud
Rages de Césars L’homme pâle, le long des pelouses fleuries, Chemine, en habit noir, et le cigare aux dents : L’Homme pâle repense aux fleurs des Tuileries – Et parfois son oeil terne a des regards ardents… Car l’Empereur est soûl de ses vingt ans d’orgie ! Il s’était dit : » Je vais souffler la liberté Bien délicatement, ainsi qu’une bougie ! « La liberté revit ! Il se sent éreinté ! Il est pris. – Oh ! quel nom sur ses lèvres muettes Tressaille ? Quel regret implacable le mord ? On ne le saura pas. L’Empereur a l’oeil mort. Il repense peut-être au Compère en lunettes… – Et regarde filer de son cigare en feu, Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu.@arthurRimbaud
Voyelles A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes : A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes, Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; U, cycles, vibrements divins des mers virides, Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ; O, suprême Clairon plein des strideurs étranges, Silences traversés des Mondes et des Anges : — O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !@arthurRimbaud
État de siège ? Le pauvre postillon, sous le dais de fer blanc, Chauffant une engelure énorme sous son gant, Suit son lourd omnibus parmi la rive gauche, Et de son aine en flamme écarte la sacoche. Et, tandis que, douce ombre où des gendarmes sont, L’honnête intérieur regarde au ciel profond La lune se bercer parmi la verte ouate, Malgré l’édit et l’heure encore délicate, Et que l’omnibus rentre à l’Odéon, impur Le débauché glapit au carrefour obscur ! FRANÇOIS COPPÉE. A. R.@arthurRimbaud
Ô saisons, ô châteaux Ô saisons ô châteaux, Quelle âme est sans défauts ? Ô saisons, ô châteaux, J'ai fait la magique étude Du Bonheur, que nul n'élude. Ô vive lui, chaque fois Que chante son coq gaulois. Mais ! je n'aurai plus d'envie, Il s'est chargé de ma vie. Ce Charme ! il prit âme et corps. Et dispersa tous efforts. Que comprendre à ma parole ? Il fait qu'elle fuie et vole ! Ô saisons, ô châteaux ! Et, si le malheur m'entraîne, Sa disgrâce m'est certaine. Il faut que son dédain, las ! Me livre au plus prompt trépas ! - Ô Saisons, ô Châteaux !