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Arthur Rimbaud

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Arthur Rimbaud est un poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille. Bien que brève, son œuvre poétique est caractérisée par une prodigieuse densité thématique et stylistique, faisant de lui une des figures majeures de la littérature française. Arthur Rimbaud écrit ses premiers poèmes à 15 ans. Après une brève phase d'initiation, par assimilation du style des grands poètes contemporains (Charles Baudelaire, Victor Hugo, Théodore de Banville...), développant déjà une franche originalité dans l'approche de thèmes classiques (« Le Dormeur du val », « Vénus Anadyomène »), il cherche à dépasser ces influences en développant ses propres conceptions théoriques, déclarant que le poète doit se faire « voyant », c'est-à-dire chercher et décrire l'inconnu par delà les perceptions humaines usuelles, quitte à y sacrifier sa propre intégrité mentale ou physique. Dès lors, il se met à innover radicalement en matière d'audace formelle, jusqu'à aborder le genre du poème en prose, alors à ses balbutiements (parsemant ses œuvres d'apophtegmes énigmatiques, comme « changer la vie », « posséder la vérité dans une âme et un corps » ou « il faut être absolument moderne », qui seront repris comme des slogans par les poètes du XXe siècle, en particulier le mouvement surréaliste). Il entretient parallèlement une aventure amoureuse tumultueuse avec le poète Paul Verlaine, qui influence profondément son œuvre. Vers l'âge de 20 ans, il renonce subitement à la littérature, n'ayant alors publié qu'un seul ouvrage à compte d'auteur — Une saison en enfer — et quelques poèmes épars dans des revues confidentielles, ce qui contribue encore à son mythe. Il se consacre alors dans un premier temps à l'apprentissage de plusieurs langues, puis, mû par ses idées marginales, anti-bourgeoises et libertaires, choisit une vie aventureuse, dont les pérégrinations l'amènent jusqu'en Abyssinie, où il devient négociant (quincaillerie, bazar, vêtements, café, etc.) et explorateur. Sa tentative d'armer Ménélik avec l'aval du Consul de France s'avère désastreuse pour lui ; son unique « trafic d'armes » n'a véritablement qu'une incidence politique symbolique, mais contribue à sa légende. De cette seconde vie, exotique, les seuls écrits connus consistent en près de 180 lettres (correspondance familiale et professionnelle) et quelques descriptions géographiques. Des poèmes comme Le Bateau ivre, Le Dormeur du val ou Voyelles comptent parmi les plus célèbres de la poésie française. La précocité de son génie, sa carrière littéraire fulgurante, sa vie brève et aventureuse contribuent à forger sa légende et faire de lui l'un des géants de la littérature mondiale.

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    Jeune goinfre Casquette, De moire, Quéquette D’ivoire, Toilette Très noire, Paul guette L’armoire, Projette Languette Sur poire, S’apprête, Baguette, Et foire. A. R.

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    Sensation Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers, Picoté par les blés, fouler l’herbe menue : Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue. Je ne parlerai pas, je ne penserai rien : Mais l’amour infini me montera dans l’âme, Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien, Par la Nature, – heureux comme avec une femme. Mars 1870

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    Jeune ménage La chambre est ouverte au ciel bleu turquin ; Pas de place : des coffrets et des huches ! Dehors le mur est plein d’aristoloches Où vibrent les gencives des lutins. Que ce sont bien intrigues de génies Cette dépense et ces désordres vains ! C’est la fée africaine qui fournit La mûre, et les résilles dans les coins. Plusieurs entrent, marraines mécontentes, En pans de lumière dans les buffets, Puis y restent ! le ménage s’absente Peu sérieusement, et rien ne se fait. Le marié a le vent qui le floue Pendant son absence, ici, tout le temps. Même des esprits des eaux, malfaisants Entrent vaguer aux sphères de l’alcôve. La nuit, l’amie oh, la lune de miel Cueillera leur sourire et remplira De mille bandeaux de cuivre le ciel. Puis ils auront affaire au malin rat. – S’il n’arrive pas un feu follet blême, Comme un coup de fusil, après des vêpres. – O spectres saints et blancs de Bethléem, Charmez plutôt le bleu de leur fenêtre ! 27 juin 1872.

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    La chambrée de nuit Rêve On a faim dans la chambrée – C’est vrai… Émanations, explosions. Un génie : « Je suis le gruère ! » – Lefêbvre « Keller ! » Le génie « Je suis le Brie ! » – Les soldats coupent sur leur pain : « C’est la vie ! » Le génie. – « Je suis le Roquefort ! » – « Ça s’ra not’ mort !… » Je suis le gruère Et le Brie !… etc. Valse On nous a joints, Lefèbvre et moi, etc.

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    La maline Dans la salle à manger brune, que parfumait Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise Je ramassais un plat de je ne sais quel met Belge, et je m’épatais dans mon immense chaise. En mangeant, j’écoutais l’horloge, – heureux et coi. La cuisine s’ouvrit avec une bouffée, – Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi, Fichu moitié défait, malinement coiffée Et, tout en promenant son petit doigt tremblant Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc, En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue, Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m’aiser ; – Puis, comme ça, – bien sûr, pour avoir un baiser, – Tout bas :  » Sens donc, j’ai pris ‘une’ froid sur la joue… « 

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    La rivière de Cassis La Rivière de Cassis roule ignorée En des vaux étranges : La voix de cent corbeaux l’accompagne, vraie Et bonne voix d’anges : Avec les grands mouvements des sapinaies Quand plusieurs vents plongent. Tout roule avec des mystères révoltants De campagnes d’anciens temps ; De donjons visités, de parcs importants : C’est en ces bords qu’on entend Les passions mortes des chevaliers errants : Mais que salubre est le vent ! Que le piéton regarde à ces claires-voies : Il ira plus courageux. Soldats des forêts que le Seigneur envoie, Chers corbeaux délicieux ! Faites fuir d’ici le paysan matois Qui trinque d’un moignon vieux.

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    Larme Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises, Je buvais, accroupi dans quelque bruyère Entourée de tendres bois de noisetiers, Par un brouillard d’après-midi tiède et vert. Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise, Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert. Que tirais-je à la gourde de colocase ? Quelque liqueur d’or, fade et qui fait suer. Tel, j’eusse été mauvaise enseigne d’auberge. Puis l’orage changea le ciel, jusqu’au soir. Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches, Des colonnades sous la nuit bleue, des gares. L’eau des bois se perdait sur des sables vierges, Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares… Or ! tel qu’un pêcheur d’or ou de coquillages, Dire que je n’ai pas eu souci de boire ! Mai 1872

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    Le balai C’est un humble balai de chiendent, trop dur Pour une chambre ou pour la peinture d’un mur. L’usage en est navrant et ne vaut pas qu’on rie. Racine prise à quelque ancienne prairie Son crin inerte sèche : et son manche a blanchi. Tel un bois d’île à la canicule rougi. La cordelette semble une tresse gelée. J’aime de cet objet la saveur désolée Et j’en voudrais laver tes larges bords de lait, Ô Lune où l’esprit de nos Sœurs mortes se plaît. Arthur Rimbaud

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    Le bateau ivre Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles, Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. J’étais insoucieux de tous les équipages, Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais. Dans les clapotements furieux des marées, Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants, Je courus ! Et les Péninsules démarrées N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l’oeil niais des falots ! Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures, L’eau verte pénétra ma coque de sapin Et des taches de vins bleus et des vomissures Me lava, dispersant gouvernail et grappin. Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème De la Mer, infusé d’astres, et lactescent, Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême Et ravie, un noyé pensif parfois descend ; Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Et rhythmes lents sous les rutilements du jour, Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres, Fermentent les rousseurs amères de l’amour ! Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes Et les ressacs et les courants : je sais le soir, L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes, Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ! J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques, Illuminant de longs figements violets, Pareils à des acteurs de drames très antiques Les flots roulant au loin leurs frissons de volets ! J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, Baisers montant aux yeux des mers avec lenteurs, La circulation des sèves inouïes, Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs ! J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries Hystériques, la houle à l’assaut des récifs, Sans songer que les pieds lumineux des Maries Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs ! J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux ! J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan ! Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces, Et les lointains vers les gouffres cataractant ! Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises ! Échouages hideux au fond des golfes bruns Où les serpents géants dévorés des punaises Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums ! J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants. – Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants. Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux… Presque île, ballottant sur mes bords les querelles Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds. Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles Des noyés descendaient dormir, à reculons ! Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau ; Libre, fumant, monté de brumes violettes, Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur Qui porte, confiture exquise aux bons poètes, Des lichens de soleil et des morves d’azur ; Qui courais, taché de lunules électriques, Planche folle, escorté des hippocampes noirs, Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ; Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais, Fileur éternel des immobilités bleues, Je regrette l’Europe aux anciens parapets ! J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur : – Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles, Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ? Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes. Toute lune est atroce et tout soleil amer : L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes. Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer ! Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache Noire et froide où vers le crépuscule embaumé Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche Un bateau frêle comme un papillon de mai. Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames, Enlever leur sillage aux porteurs de cotons, Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes, Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

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    Le buffet C’est un large buffet sculpté ; le chêne sombre, Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ; Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ; Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries, De linges odorants et jaunes, de chiffons De femmes ou d’enfants, de dentelles flétries, De fichus de grand’mère où sont peints des griffons ; – C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits. – Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires, Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.

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    Le châtiment de tartufe Tisonnant, tisonnant son coeur amoureux sous Sa chaste robe noire, heureux, la main gantée, Un jour qu’il s’en allait, effroyablement doux, Jaune, bavant la foi de sa bouche édentée, Un jour qu’il s’en allait,  » Oremus « , – un Méchant Le prit rudement par son oreille benoîte Et lui jeta des mots affreux, en arrachant Sa chaste robe noire autour de sa peau moite ! Châtiment !… Ses habits étaient déboutonnés, Et le long chapelet des péchés pardonnés S’égrenant dans son coeur, Saint Tartufe était pâle !… Donc, il se confessait, priait, avec un râle ! L’homme se contenta d’emporter ses rabats… – Peuh ! Tartufe était nu du haut jusques en bas !

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    Le coeur supplicié Mon triste cœur bave à la poupe … Mon cœur est plein de caporal! Ils y lancent des jets de soupe, Mon triste cœur bave à la poupe… Sous les quolibets de la troupe Qui lance un rire général, Mon triste cœur bave à la poupe, Mon cœur est plein de caporal! Ithyphalliques et pioupiesques Leurs insultes l’ont dépravé; À la vesprée, ils font des fresques Ithyphalliques et pioupiesques; Ô flots abracadabrantesques, Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé! Ithyphalliques et pioupiesques, Leurs insultes l’ont dépravé. Quand ils auront tari leurs chiques, Comment agir, ô cœur volé? Ce seront des refrains bachiques Quand ils auront tari leurs chiques! J’aurai des sursauts stomachiques Si mon cœur triste est ravalé! Quand ils auront tari leurs chiques, Comment agir, ô cœur volé?

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    Le cœur volé Mon triste coeur bave à la poupe, Mon coeur couvert de caporal : Ils y lancent des jets de soupe, Mon triste coeur bave à la poupe : Sous les quolibets de la troupe Qui pousse un rire général, Mon triste coeur bave à la poupe, Mon coeur couvert de caporal ! Ithyphalliques et pioupiesques Leurs quolibets l'ont dépravé ! Au gouvernail on voit des fresques Ithyphalliques et pioupiesques. Ô flots abracadabrantesques, Prenez mon coeur, qu'il soit lavé ! Ithyphalliques et pioupiesques Leurs quolibets l'ont dépravé ! Quand ils auront tari leurs chiques, Comment agir, ô coeur volé ? Ce seront des hoquets bachiques Quand ils auront tari leurs chiques : J'aurai des sursauts stomachiques, Moi, si mon coeur est ravalé : Quand ils auront tari leurs chiques Comment agir, ô coeur volé ?

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    Le dormeur du Val C'est un trou de verdure où chante une rivière, Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

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    Le forgeron Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant D’ivresse et de grandeur, le front large , riant Comme un clairon d’airain, avec toute sa bouche, Et prenant ce gros-là dans son regard farouche, Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour Que le Peuple était là, se tordant tout autour, Et sur les lambris d’or traînait sa veste sale. Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle Pâle comme un vaincu qu’on prend pour le gibet, Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait Car ce maraud de forge aux énormes épaules Lui disait de vieux mots et des choses si drôles, Que cela l’empoignait au front, comme cela ! « Donc, Sire, tu sais bien , nous chantions tra la la Et nous piquions les bœufs vers les sillons des autres : Le Chanoine au soleil disait ses patenôtres Sur des chapelets clairs grenés de pièces d’or Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor Et l’un avec la hart, l’autre avec la cravache Nous fouaillaient – Hébétés comme des yeux de vache, Nos yeux ne pleuraient pas ; nous allions, nous allions, Et quand nous avions mis le pays en sillons, Quand nous avions laissé dans cette terre noire Un peu de notre chair… nous avions un pourboire Nous venions voir flamber nos taudis dans la nuit Nos enfants y faisaient un gâteau fort bien cuit. « Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises, C’est entre nous. J’admets que tu me contredises. Or, n’est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin Dans les granges entrer des voitures de foin Enormes ? De sentir l’odeur de ce qui pousse, Des vergers quand il pleut un peu, de l’herbe rousse ? De voir les champs de blé, les épis pleins de grain, De penser que cela prépare bien du pain ?… Oui, l’on pourrait, plus fort , au fourneau qui s’allume, Chanter joyeusement en martelant l’enclume, Si l’on était certain qu’on pourrait prendre un peu, Étant homme, à la fin !, de ce que donne Dieu ! – Mais voilà, c’est toujours la même vieille histoire ! « Oh je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire, Quand j’ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau Qu’un homme vienne là, dague sous le manteau, Et me dise : « Maraud , ensemence ma terre ! » Que l’on arrive encor, quand ce serait la guerre, Me prendre mon garçon comme cela, chez moi ! – Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi, Tu me dirais : Je veux !.. – Tu vois bien, c’est stupide. Tu crois que j’aime à voir ta baraque splendide, Tes officiers dorés, tes mille chenapans, Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons : Ils ont rempli ton nid de l’odeur de nos filles Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles Et nous dir i ons : C’est bien : les pauvres à genoux ! Nous dorer i ons ton Louvre en donnant nos gros sous ! Et tu te soûlera i s, tu fera i s belle fête. – Et ces Messieurs rir aie nt, les reins sur notre tête ! « Non. Ces saletés-là datent de nos papas ! Oh ! Le Peuple n’est plus une putain. Trois pas Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière Cette bête suait du sang à chaque pierre Et c’était dégoûtant, la Bastille debout Avec ses murs lépreux qui nous rappelaient tout Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre ! – Citoyen ! citoyen ! c’était le passé sombre Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour ! Nous avions quelque chose au cœur comme l’amour. Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines. Et, comme des chevaux, en soufflant des narines Nous marchions, nous chantions, et ça nous battait là…. Nous allions au soleil, front haut,-comme cela -, Dans Paris accourant devant nos vestes sales. Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous étions pâles, Sire, nous étions soûls de terribles espoirs : Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs, Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne, Les piques à la main ; nous n’eûmes pas de haine, – Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux ! « Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous ! Le flot des ouvriers a monté dans la rue, Et ces maudits s’en vont, foule toujours accrue Comme des revenants, aux portes des richards. Moi, je cours avec eux assommer les mouchards : Et je vais dans Paris le marteau sur l’épaule, Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle, Et, si tu me riais au nez, je te tuerais ! – Puis, tu dois y compter, tu te feras des frais Avec tes avocats , qui prennent nos requêtes Pour se les renvoyer comme sur des raquettes Et, tout bas, les malins ! Nous traitant de gros sots ! Pour mitonner des lois, ranger des de petits pots Pleins de menus décrets , de méchantes droguailles S’amuser à couper proprement quelques tailles, Puis se boucher le nez quand nous passons près d’eux, – Ces chers avocassiers qui nous trouvent crasseux ! Pour débiter là-bas des milliers de sornettes ! Et ne rien redouter sinon les baïonnettes, Nous en avons assez, de tous ces cerveaux plats ! Ils embêtent le peuple . Ah ! ce sont là les plats Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces, Quand nous cassons déjà les sceptres et les crosses !.. » Puis il le prend au bras, arrache le velours Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule, La foule épouvantable avec des bruits de houle, Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer, Avec ses bâtons forts et ses piques de fer, Ses clameurs , ses grands cris de halles et de bouges, Tas sombre de haillons taché de bonnets rouges ! L’Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout Au R oi pâle , suant qui chancelle debout, Malade à regarder cela ! « C’est la Crapule, Sire. ça bave aux murs, ça roule , ça pullule … – Puisqu’ils ne mangent pas, Sire, ce sont les gueux ! Je suis un forgeron : ma femme est avec eux, Folle ! Elle vient chercher du pain aux Tuileries ! – On ne veut pas de nous dans les boulangeries. J’ai trois petits. Je suis crapule. – Je connais Des vieilles qui s’en vont pleurant sous leurs bonnets Parce qu’on leur a pris leur garçon ou leur fille : C’est la crapule. – Un homme était à la bastille, D’autres étaient forçats, c’étaient des citoyens Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens : On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose Qui leur fait mal, allez ! C’est terrible, et c’est cause Que se sentant brisés, que, se sentant damnés, Ils viennent maintenant hurler sous votre nez ! Crapule. – Là-dedans sont des filles, infâmes Parce que, – vous saviez que c’est faible, les femmes, Messeigneurs de la cour, – que sa veut toujours bien,- Vous avez sali leur âme, comme rien ! Vos belles, aujourd’hui, sont là. C’est la crapule. « Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brûle Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont, Et dans ce travail-là sentent crever leur front Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Hommes ! Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes Pour les grands temps nouveaux où l’on voudra savoir, Où l’Homme forgera du matin jusqu’au soir, Où, lentement vainqueur, il chassera la chose Poursuivant les grands buts, cherchant les grandes causes, Et montera sur Tout, comme sur un cheval ! Oh ! nous sommes contents, nous aurons bien du mal, Tout ce qu’on ne sait pas, c’est peut-être terrible : Nous pendrons nos marteaux, nous passerons au crible Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant ! Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant De vivre simplement, ardemment, sans rien dire De mauvais, travaillant sous l’auguste sourire D’une femme qu’on aime avec un noble amour : Et l’on travaillerait fièrement tout le jour, Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne : Et l’on se trouverait fort heureux ; et personne Oh ! personne, surtout, ne vous ferait plier !… On aurait un fusil au-dessus du foyer…. ……………………………………………. « Oh ! mais l’air est tout plein d’une odeur de bataille Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille ! » Fin de la version courte Oh ! mais l’air est tout plein d’une odeur de bataille ! Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille ! Il reste des mouchards et des accapareurs. Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs Où nous nous sentons grands, oh ! si grands ! Tout à l’heure Je parlais de devoir calme, d’une demeure… Regarde donc le ciel ! C’est trop petit pour nous, Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux ! Regarde donc le ciel ! Je rentre dans la foule, Dans la grande canaille effroyable, qui roule, Sire, tes vieux canons sur les sales pavés : Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés Et si, devant nos cris, devant notre vengeance, Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France Poussent leurs régiments en habits de gala, Eh bien, n’est-ce pas, vous tous? Merde à ces chiens-là ! Il reprit son marteau sur l’épaule. La foule Près de cet homme-là se sentait l’âme saoule, Et, dans la grande cour, dans les appartements, Où Paris haletait avec des hurlements, Un frisson secoua l’immense populace. Alors, de sa main large et superbe de crasse, Bien que le roi ventru suat, le Forgeron, Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !

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    Le loup criait Le loup criait sous les feuilles En crachant les belles plumes De son repas de volailles : Comme lui je me consume. Les salades, les fruits N’attendent que la cueillette ; Mais l’araignée de la haie Ne mange que des violettes. Que je dorme ! que je bouille Aux autels de Salomon. Le bouillon court sur la rouille, Et se mêle au Cédron.

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    Le mal Tandis que les crachats rouges de la mitraille Sifflent tout le jour par l’infini du ciel bleu ; Qu’écarlates ou verts, près du Roi qui les raille, Croulent les bataillons en masse dans le feu ; Tandis qu’une folie épouvantable broie Et fait de cent milliers d’hommes un tas fumant ; – Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie, Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !… – Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées Des autels, à l’encens, aux grands calices d’or ; Qui dans le bercement des hosannah s’endort, Et se réveille, quand des mères, ramassées Dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir, Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

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    Les assis Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs, Le sinciput plaqué de hargnosités vagues Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ; Ils ont greffé dans des amours épileptiques Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques S’entrelacent pour les matins et pour les soirs ! Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges, Sentant les soleils vifs percaliser leur peau, Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges, Tremblant du tremblement douloureux du crapaud. Et les Sièges leur ont des bontés : culottée De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ; L’âme des vieux soleils s’allume, emmaillotée Dans ces tresses d’épis où fermentaient les grains. Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes, Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour, S’écoutent clapoter des barcarolles tristes, Et leurs caboches vont dans des roulis d’amour. – Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage… Ils surgissent, grondant comme des chats giflés, Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés. Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves, Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors, Et leurs boutons d’habit sont des prunelles fauves Qui vous accrochent l’oeil du fond des corridors ! Puis ils ont une main invisible qui tue : Au retour, leur regard filtre ce venin noir Qui charge l’oeil souffrant de la chienne battue, Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir. Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales, Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever Et, de l’aurore au soir, des grappes d’amygdales Sous leurs mentons chétifs s’agitent à crever. Quand l’austère sommeil a baissé leurs visières, Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés, De vrais petits amours de chaises en lisière Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ; Des fleurs d’encre crachant des pollens en virgule Les bercent, le long des calices accroupis Tels qu’au fil des glaïeuls le vol des libellules – Et leur membre s’agace à des barbes d’épis.

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    Les chercheuses de poux Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes, Implore l'essaim blanc des rêves indistincts, Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes Avec de frêles doigts aux ongles argentins.

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    Les effarés Noirs dans la neige et dans la brume, Au grand soupirail qui s’allume, Leurs culs en rond A genoux, cinq petits, -misère!- Regardent le boulanger faire Le lourd pain blond… Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte grise, et qui l’enfourne Dans un trou clair. Ils écoutent le bon pain cuire. Le boulanger au gras sourire Chante un vieil air. Ils sont blottis, pas un ne bouge Au souffle du soupirail rouge Chaud comme un sein. Et quand, pendant que minuit sonne, Façonné, pétillant et jaune, On sort le pain, Quand, sous les poutres enfumées Chantent les croûtes parfumées Et les grillons, Quand ce trou chaud souffle la vie; Ils ont leur âme si ravie Sous leurs haillons, Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres petits pleins de givre, -Qu’ils sont là, tous, Collant leurs petits museaux roses Au grillage, chantant des choses, Entre les trous, Mais bien bas, -comme une prière… Repliés vers cette lumière Du ciel rouvert, -Si fort, qu’ils crèvent leur culotte -Et que leur lange blanc tremblotte Au vent d’hiver…

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    Les mains de Jeanne-Marie Jeanne-Marie a des mains fortes, Mains sombres que l’été tanna, Mains pâles comme des mains mortes. – Sont-ce des mains de Juana ? Ont-elles pris les crèmes brunes Sur les mares des voluptés ? Ont-elles trempé dans des lunes Aux étangs de sérénités ? Ont-elles bu des cieux barbares, Calmes sur les genoux charmants ? Ont-elles roulé des cigares Ou trafiqué des diamants ? Sur les pieds ardents des Madones Ont-elles fané des fleurs d’or ? C’est le sang noir des belladones Qui dans leur paume éclate et dort. Mains chasseresses des diptères Dont bombinent les bleuisons Aurorales, vers les nectaires ? Mains décanteuses de poisons ? Oh ! quel Rêve les a saisies Dans les pandiculations ? Un rêve inouï des Asies, Des Khenghavars ou des Sions ? – Ces mains n’ont pas vendu d’oranges, Ni bruni sur les pieds des dieux : Ces mains n’ont pas lavé les langes Des lourds petits enfants sans yeux. Ce ne sont pas mains de cousine Ni d’ouvrières aux gros fronts Que brûle, aux bois puant l’usine, Un soleil ivre de goudrons. Ce sont des ployeuses d’échines, Des mains qui ne font jamais mal, Plus fatales que des machines, Plus fortes que tout un cheval ! Remuant comme des fournaises, Et secouant tous ses frissons, Leur chair chante des Marseillaises Et jamais les Eleisons ! Ça serrerait vos cous, ô femmes Mauvaises, ça broierait vos mains, Femmes nobles, vos mains infâmes Pleines de blancs et de carmins. L’éclat de ces mains amoureuses Tourne le crâne des brebis ! Dans leurs phalanges savoureuses Le grand soleil met un rubis ! Une tache de populace Les brunit comme un sein d’hier ; Le dos de ces Mains est la place Qu’en baisa tout Révolté fier ! Elles ont pâli, merveilleuses, Au grand soleil d’amour chargé, Sur le bronze des mitrailleuses À travers Paris insurgé ! Ah ! quelquefois, ô Mains sacrées, À vos poings, Mains où tremblent nos Lèvres jamais désenivrées, Crie une chaîne aux clairs anneaux ! Et c’est un soubresaut étrange Dans nos êtres, quand, quelquefois, On veut vous déhâler, Mains d’ange, En vous faisant saigner les doigts ! Arthur Rimbaud, Poésies  

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    Les pauvres à l’église Parqués entre des bancs de chêne, aux coins d’église Qu’attiédit puamment leur souffle, tous leurs yeux Vers le chœur ruisselant d’orrie et la maîtrise Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux ; Comme un parfum de pain humant l’odeur de cire, Heureux, humiliés comme des chiens battus, Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire, Tendent leurs oremus risibles et têtus. Aux femmes, c’est bien bon de faire des bancs lisses, Après les six jours noirs où Dieu les fait souffrir ! Elles bercent, tordus dans d’étranges pelisses, Des espèces d’enfants qui pleurent à mourir : Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe, Une prière aux yeux et ne priant jamais, Regardent parader mauvaisement un groupe De gamines avec leurs chapeaux déformés. Dehors, le froid, la faim, l’homme en ribote : C’est bon. Encore une heure ; après, les maux sans noms ! — Cependant, alentour, geint, nasille, chuchote Une collection de vieilles à fanons ; Ces effarés y sont et ces épileptiques Dont on se détournait hier aux carrefours ; Et, fringalant du nez dans des missels antiques Ces aveugles qu’un chien introduit dans les cours. Et tous, bavant la foi mendiante et stupide, Récitent la complainte infinie à Jésus Qui rêve en haut, jauni par le vitrail livide, Loin des maigres mauvais et des méchants pansus, Loin des senteurs de viande et d’étoffes moisies, Farce prostrée et sombre aux gestes repoussants ; — Et l’oraison fleurit d’expressions choisies, Et les mysticités prennent des tons pressants, Quand, des nefs où périt le soleil, plis de soie Banals, sourires verts, les Dames des quartiers Distingués, — ô Jésus ! — les malades du foie Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers. 1871

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    Les poètes de sept ans À M. P. Demeny Et la Mère, fermant le livre du devoir, S’en allait satisfaite et très fière, sans voir, Dans les yeux bleus et sous le front plein d’éminences L’âme de son enfant livrée aux répugnances. Tout le jour il suait d’obéissance ; très Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits, Semblaient prouver en lui d’âcres hypocrisies. Dans l’ombre des couloirs aux tentures moisies, En passant il tirait la langue, les deux poings À l’aine, et dans ses yeux fermés voyait des points. Une porte s’ouvrait sur le soir : à la lampe On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe, Sous un golfe de jour pendant du toit. L’été Surtout, vaincu, stupide, il était entêté À se renfermer dans la fraîcheur des latrines : Il pensait là, tranquille et livrant ses narines. Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet Derrière la maison, en hiver, s’illunait, Gisant au pied d’un mur, enterré dans la marne Et pour des visions écrasant son œil darne, Il écoutait grouiller les galeux espaliers. Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue, Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue Sous des habits puant la foire et tout vieillots, Conversaient avec la douceur des idiots ! Et si, l’ayant surpris à des pitiés immondes, Sa mère s’effrayait ; les tendresses, profondes, De l’enfant se jetaient sur cet étonnement. C’était bon. Elle avait le bleu regard, – qui ment ! À sept ans, il faisait des romans, sur la vie Du grand désert, où luit la Liberté ravie, Forêts, soleils, rives, savanes ! – Il s’aidait De journaux illustrés où, rouge, il regardait Des Espagnoles rire et des Italiennes. Quand venait, l’œil brun, folle, en robes d’indiennes, À Huit ans, – la fille des ouvriers d’à côté, La petite brutale, et qu’elle avait sauté, Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses, Et qu’il était sous elle, il lui mordait les fesses, Car elle ne portait jamais de pantalons ; – Et, par elle meurtri des poings et des talons, Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. Il craignait les blafards dimanches de décembre, Où, pommadé, sur un guéridon d’acajou, Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ; Des rêves l’oppressaient chaque nuit dans l’alcôve. Il n’aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu’au soir fauve, Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg Où les crieurs, en trois roulements de tambour, Font autour des édits rire et gronder les foules. – Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles Lumineuses, parfums sains, pubescences d’or, Font leur remuement calme et prennent leur essor ! Et comme il savourait surtout les sombres choses, Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes, Haute et bleue, âcrement prise d’humidité, Il lisait son roman sans cesse médité, Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées, De fleurs de chair aux bois sidérals déployées, Vertige, écroulements, déroutes et pitié ! – Tandis que se faisait la rumeur du quartier, En bas, – seul, et couché sur des pièces de toile Écrue, et pressentant violemment la voile ! 26 mai 1871

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    Les premières communions I Vraiment, c’est bête, ces églises de villages Où quinze laids marmots, encrassant les piliers, Écoutent, grasseyant les divins babillages, Un noir grotesque dont fermentent les souliers. Mais le soleil éveille, à travers les feuillages, Les vieilles couleurs des vitraux ensoleillés, La pierre sent toujours la terre maternelle, Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux Dans la campagne en rut qui frémit, solennelle, Portant, près des blés lourds, dans les sentiers séreux, Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle, Des nœuds de mûriers noirs et de rosiers furieux. Tous les cent ans on rend ces granges respectables Par un badigeon d’eau bleue et de lait caillé. Si des mysticités grotesques sont notables Près de la Notre-Dame ou du saint empaillé, Des mouches sentant bon l’auberge et les étables Se gorgent de cire au plancher ensoleillé. L’enfant se doit surtout à la maison, famille Des soins naïfs, des bons travaux abrutissants. Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille Où le Prêtre du Christ plaqua ses doigts puissants. On paie au Prêtre un toit ombré d’une charmille Pour qu’il laisse au soleil tous ces fronts bruissants. Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes Sous le Napoléon ou le Petit Tambour, Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes Tirent la langue avec un excessif amour Et qui joindront aux jours de science deux cartes, Ces deux seuls souvenirs lui restent du grand jour. Les filles vont toujours à l’église, contentes De s’entendre appeler garces par les garçons Qui font du genre, après messe et vêpres chantantes, Eux, qui sont destinés au chic des garnisons, Ils narguent au café les maisons importantes, Blousés neuf et gueulant d’effroyables chansons. Cependant le curé choisit, pour les enfances, Des dessins ; dans son clos, les vêpres dites, quand L’air s’emplit du lointain nasillement des danses, Il se sent, en dépit des célestes défenses. Les doigts de pied ravis et le mollet marquant… — La nuit vient, noir pirate aux ciel noir débarquant. II Le prêtre a distingué, parmi les catéchistes Congrégés des faubourgs ou des riches quartiers, Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes, Front jaune. Ses parents semblent de doux portiers. Au grand jour, la marquant parmi les catéchistes, Dieu fera, sur son front, neiger ses bénitiers. La veille du grand jour, l’enfant se fait malade Mieux qu’à l’église haute aux funèbres rumeurs. D’abord le frisson vient, le lit n’étant pas fade, Un frisson surhumain qui retourne : Je meurs… Et, comme un vol d’amour fait à ses sœurs stupides, Elle compte, abattue et les mains sur son cœur, Ses Anges, ses Jésus et ses Vierges nitides, Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur. Adonaï !… — Dans les terminaisons latines Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils Et tachés du sang pur des célestes poitrines, De grands linges neigeux tombent sur les soleils. Pour ses virginités présentes et futures Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission ; Mais plus que les lys d’eau, plus que les confitures Tes pardons sont glacés, ô Reine de Sion. III Puis la Vierge n’est plus que la Vierge du livre ; Les mystiques élans se cassent quelquefois, Et vient la pauvreté des images que cuivre L’ennui, l’enluminure atroce et les vieux bois. Des curiosités vaguement impudiques Épouvantent le rêve aux chastes bleuités Qui sont surpris autour des célestes tuniques Du linge dont Jésus voile ses nudités. Elle veut, elle veut pourtant, l’âme en détresse, Le front dans l’oreiller creusé par les cris sourds, Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse Et bave… — L’ombre emplit les maisons et les cours, Et l’enfant ne peut plus. Elle s’agite et cambre Les reins, et d’une main ouvre le rideau bleu Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu. IV À son réveil, — minuit, — la fenêtre était blanche Devant le soleil bleu des rideaux illunés ; La vision la prit des langueurs du Dimanche, Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez, Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse, Pour savourer en Dieu son amour revenant, Elle eut soif de la nuit où s’exalte et s’abaisse Le cœur, sous l’œil des cieux doux, en les devinant ; De la nuit, Vierge-Mère impalpable, qui baigne Tous les jeunes émois de ses silences gris ; Elle eut soif de la nuit forte où le cœur qui saigne Écoute sans témoin sa révolte sans cris. Et, faisant la victime et la petite épouse, Son étoile la vit, une chandelle aux doigts, Descendre dans la cour où séchait une blouse, Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits. V Elle passa sa nuit Sainte dans des latrines. Vers la chandelle, aux trous du toit, coulait l’air blanc, Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines En deçà d’une cour voisine s’écroulant. La lucarne faisait un cœur de lueur vive Dans la cour où les cieux bas plaquaient d’ors vermeils Les vitres ; les pavés puant l’eau de lessive Souffraient l’ombre des toits bordés de noirs sommeils. VI Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes Et ce qu’il lui viendra de haine, ô sales fous, Dont le travail divin déforme encore les mondes Quand la lèpre, à la fin, rongera ce corps doux, Et quand, ayant rentré tous ces nœuds d’hystéries Elle verra, sous les tristesses du bonheur, L’amant rêver au blanc million des Maries Au matin de la nuit d’amour, avec douleur ! VII Sais-tu que je t’ai fait mourir ? J’ai pris ta bouche, Ton cœur, tout ce qu’on a, tout ce que vous avez, Et moi je suis malade. Oh ! je veux qu’on me couche Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés ! J’étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines, Il me bonda jusqu’à la gorge de dégoûts ; Tu baisais mes cheveux profonds comme les laines, Et je me laissais faire !… Oh ! va… c’est bon pour vous, Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse Est, dans sa conscience, aux ignobles terreurs La plus prostituée et la plus douloureuse Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs. Car ma communion première est bien passée ! Tes baisers, je ne puis jamais les avoir bus. Et mon cœur et ma chair par ta chair embrassée Fourmillent du baiser putride de Jésus… VIII Alors l’âme pourrie et l’âme désolée Sentiront ruisseler tes malédictions. — Ils avaient couché sur ta haine inviolée, Échappés, pour la mort, des justes passions. Christ, ô Christ, éternel voleur des énergies, Dieu qui, pour deux mille ans, vouas, à ta pâleur, Cloués au sol, de honte et de céphalalgies, Ou renversés, les fronts des Femmes de douleur. Juillet 1871

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    Les remembrances du vieillard idiot Pardon, mon père! Jeune, aux foires de campagne, Je cherchais, non le tir banal où tout coup gagne, Mais l’endroit plein de cris où les ânes, le flanc Fatigué, déployaient ce long tube sanglant Que je ne comprends pas encore!… Et puis ma mère, Dont la chemise avait une senteur amère Quoique fripée au bas et jaune comme un fruit, Ma mère qui montait au lit avec un bruit – Fils du travail pourtant, – ma mère, avec sa cuisse De femme mûre, avec ses reins très gros où plisse Le linge, me donna ces chaleurs que l’on tait!… Une honte plus crue et plus calme, c’était Quand ma petite soeur, au retour de la classe, Ayant usé longtemps ses sabots sur la glace, Pissait, et regardait s’échapper de sa lèvre D’en bas, serrée et rose, un fil d’urine mièvre!… Ô pardon! Je songeais à mon père parfois: Le soir, le jeu de cartes et les mots plus grivois, Le voisin, et moi qu’on écartait, choses vues… – Car un père est troublant! – et les choses conçues!… Son genou, câlineur parfois; son pantalon Dont mon doigt désirait ouvrir la fente,… – oh! non! – Pour avoir le bout, gros, noir et dur, de mon père, Dont la pileuse main me berçait!… Je veux taire Le pot, l’assiette à manche, entrevue au grenier, Les almanachs couverts en rouge, et le panier De charpie, et la Bible, et les lieux, et la bonne, La Sainte-Vierge et le crucifix… Oh! Personne Ne fut si fréquemment troublé, comme étonné! Et maintenant, que le pardon me soit donné: Puisque les sens infects m’ont mis de leurs victimes, Je me confesse de l’aveu des jeunes crimes!… … Puis! – qu’il me soit permis de parler au Seigneur! Pourquoi la puberté tardive et le malheur Du gland tenace et trop consulté? Pourquoi l’ombre Si lente au bas du ventre? et ces terreurs sans nombre Comblant toujours la joie ainsi qu’un gravier noir? – Moi j’ai toujours été stupéfait! Quoi savoir? … Pardonné?… Reprenez la chancelière bleue, Mon père. Ô cette enfance!… … …- et tirons-nous la queue!. François Coppée. A. R.

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    Les reparties de Nina LUI – Ta poitrine sur ma poitrine, Hein ? nous irions, Ayant de l’air plein la narine, Aux frais rayons Du bon matin bleu, qui vous baigne Du vin de jour ?… Quand tout le bois frissonnant saigne Muet d’amour De chaque branche, gouttes vertes, Des bourgeons clairs, On sent dans les choses ouvertes Frémir des chairs : Tu plongerais dans la luzerne Ton blanc peignoir, Rosant à l’air ce bleu qui cerne Ton grand oeil noir, Amoureuse de la campagne, Semant partout, Comme une mousse de champagne, Ton rire fou : Riant à moi, brutal d’ivresse, Qui te prendrais Comme cela, – la belle tresse, Oh ! – qui boirais Ton goût de framboise et de fraise, O chair de fleur ! Riant au vent vif qui te baise Comme un voleur ; Au rose, églantier qui t’embête Aimablement : Riant surtout, ô folle tête, À ton amant !…. ……………………………………………….. – Ta poitrine sur ma poitrine, Mêlant nos voix, Lents, nous gagnerions la ravine, Puis les grands bois !… Puis, comme une petite morte, Le coeur pâmé, Tu me dirais que je te porte, L’oeil mi-fermé… Je te porterais, palpitante, Dans le sentier : L’oiseau filerait son andante Au Noisetier… Je te parlerais dans ta bouche.. J’irais, pressant Ton corps, comme une enfant qu’on couche, Ivre du sang Qui coule, bleu, sous ta peau blanche Aux tons rosés : Et te parlant la langue franche – ….. Tiens !… – que tu sais… Nos grands bois sentiraient la sève, Et le soleil Sablerait d’or fin leur grand rêve Vert et vermeil ……………………………………………….. Le soir ?… Nous reprendrons la route Blanche qui court Flânant, comme un troupeau qui broute, Tout à l’entour Les bons vergers à l’herbe bleue, Aux pommiers tors ! Comme on les sent tout une lieue Leurs parfums forts ! Nous regagnerons le village Au ciel mi-noir ; Et ça sentira le laitage Dans l’air du soir ; Ca sentira l’étable, pleine De fumiers chauds, Pleine d’un lent rythme d’haleine, Et de grands dos Blanchissant sous quelque lumière ; Et, tout là-bas, Une vache fientera, fière, À chaque pas… – Les lunettes de la grand-mère Et son nez long Dans son missel ; le pot de bière Cerclé de plomb, Moussant entre les larges pipes Qui, crânement, Fument : les effroyables lippes Qui, tout fumant, Happent le jambon aux fourchettes Tant, tant et plus : Le feu qui claire les couchettes Et les bahuts : Les fesses luisantes et grasses Du gros enfant Qui fourre, à genoux, dans les tasses, Son museau blanc Frôlé par un mufle qui gronde D’un ton gentil, Et pourlèche la face ronde Du cher petit….. Que de choses verrons-nous, chère, Dans ces taudis, Quand la flamme illumine, claire, Les carreaux gris !… – Puis, petite et toute nichée, Dans les lilas Noirs et frais : la vitre cachée, Qui rit là-bas…. Tu viendras, tu viendras, je t’aime ! Ce sera beau. Tu viendras, n’est-ce pas, et même… Elle – Et mon bureau ?

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    Les soeurs de charité Le jeune homme dont l'oeil est brillant, la peau brune, Le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu, Et qu'eût, le front cerclé de cuivre, sous la lune Adoré, dans la Perse, un Génie inconnu, Impétueux avec des douceurs virginales Et noires, fier de ses premiers entêtements, Pareil aux jeunes mers, pleurs de nuits estivales, Qui se retournent sur des lits de diamants ; Le jeune homme, devant les laideurs de ce monde, Tressaille dans son coeur largement irrité, Et plein de la blessure éternelle et profonde, Se prend à désirer sa soeur de charité. Mais, ô Femme, monceau d'entrailles, pitié douce, Tu n'es jamais la Soeur de charité, jamais, Ni regard noir, ni ventre où dort une ombre rousse, Ni doigts légers, ni seins splendidement formés. Aveugle irréveillée aux immenses prunelles, Tout notre embrassement n'est qu'une question : C'est toi qui pends à nous, porteuse de mamelles, Nous te berçons, charmante et grave Passion. Tes haines, tes torpeurs fixes, tes défaillances, Et les brutalités souffertes autrefois, Tu nous rends tout, ô Nuit pourtant sans malveillances, Comme un excès de sang épanché tous les mois. - Quand la femme, portée un instant, l'épouvante, Amour, appel de vie et chanson d'action, Viennent la Muse verte et la Justice ardente Le déchirer de leur auguste obsession. Ah ! sans cesse altéré des splendeurs et des calmes, Délaissé des deux Soeurs implacables, geignant Avec tendresse après la science aux bras almes, Il porte à la nature en fleur son front saignant. Mais la noire alchimie et les saintes études Répugnent au blessé, sombre savant d'orgueil ; Il sent marcher sur lui d'atroces solitudes. Alors, et toujours beau, sans dégoût du cercueil, Qu'il croie aux vastes fins, Rêves ou Promenades Immenses, à travers les nuits de Vérité, Et t'appelle en son âme et ses membres malades, Ô Mort mystérieuse, ô soeur de charité.

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    Les soirs d’été… Les soirs d’été, sous l’oeil ardent des devantures Quand la sève frémit sous les grilles obscures Irradiant au pied des grêles marronniers, Hors de ces groupes noirs, joyeux ou casaniers, Suceurs du brûle-gueule ou baiseurs du cigare, Dans le Kiosque mi-pierre étroit où je m’égare, – Tandis qu’en haut rougoie une annonce d’Ibled, – Je songe que l’hiver figera le Tibet D’eau propre qui bruit, apaisant l’onde humaine, – Et que l’âpre aquilon n’épargne aucune veine. François Coppée. A. Rimbaud.

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    Les stupra Les anciens animaux saillissaient, même en course, Avec des glands bardés de sang et d’excrément. Nos pères étalaient leur membre fièrement Par le pli de la gaine et le grain de la bourse. Au moyen âge pour la femelle, ange ou pource, Il fallait un gaillard de solide grément ; Même un Kléber, d’après la culotte qui ment Peut-être un peu, n’a pas dû manquer de ressource. D’ailleurs l’homme au plus fier mammifère est égal ; L’énormité de leur membre à tort nous étonne ; Mais une heure stérile a sonné : le cheval

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    Les étrennes des orphelins I La chambre est pleine d’ombre ; on entend vaguement De deux enfants le triste et doux chuchotement. Leur front se penche, encore alourdi par le rêve, Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève… – Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ; Leur aile s’engourdit sous le ton gris des cieux ; Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse, Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse, Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant… II Or les petits enfants, sous le rideau flottant, Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure. Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure… Ils tressaillent souvent à la claire voix d’or Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor Son refrain métallique en son globe de verre… – Puis, la chambre est glacée… on voit traîner à terre, Épars autour des lits, des vêtements de deuil L’âpre bise d’hiver qui se lamente au seuil Souffle dans le logis son haleine morose ! On sent, dans tout cela, qu’il manque quelque chose… – Il n’est donc point de mère à ces petits enfants, De mère au frais sourire, aux regards triomphants ? Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée, D’exciter une flamme à la cendre arrachée, D’amonceler sur eux la laine et l’édredon Avant de les quitter en leur criant : pardon. Elle n’a point prévu la froideur matinale, Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?… – Le rêve maternel, c’est le tiède tapis, C’est le nid cotonneux où les enfants tapis, Comme de beaux oiseaux que balancent les branches, Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !… – Et là, – c’est comme un nid sans plumes, sans chaleur, Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ; Un nid que doit avoir glacé la bise amère… III Votre coeur l’a compris : – ces enfants sont sans mère. Plus de mère au logis ! – et le père est bien loin !… – Une vieille servante, alors, en a pris soin. Les petits sont tout seuls en la maison glacée ; Orphelins de quatre ans, voilà qu’en leur pensée S’éveille, par degrés, un souvenir riant… C’est comme un chapelet qu’on égrène en priant : – Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes ! Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes Dans quelque songe étrange où l’on voyait joujoux, Bonbons habillés d’or, étincelants bijoux, Tourbillonner, danser une danse sonore, Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore ! On s’éveillait matin, on se levait joyeux, La lèvre affriandée, en se frottant les yeux… On allait, les cheveux emmêlés sur la tête, Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête, Et les petits pieds nus effleurant le plancher, Aux portes des parents tout doucement toucher… On entrait !… Puis alors les souhaits… en chemise, Les baisers répétés, et la gaîté permise ! IV Ah ! c’était si charmant, ces mots dits tant de fois ! – Mais comme il est changé, le logis d’autrefois : Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée, Toute la vieille chambre était illuminée ; Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer, Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer… – L’armoire était sans clefs !… sans clefs, la grande armoire ! On regardait souvent sa porte brune et noire… Sans clefs !… c’était étrange !… on rêvait bien des fois Aux mystères dormant entre ses flancs de bois, Et l’on croyait ouïr, au fond de la serrure Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure… – La chambre des parents est bien vide, aujourd’hui Aucun reflet vermeil sous la porte n’a lui ; Il n’est point de parents, de foyer, de clefs prises : Partant, point de baisers, point de douces surprises ! Oh ! que le jour de l’an sera triste pour eux ! – Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus, Silencieusement tombe une larme amère, Ils murmurent :  » Quand donc reviendra notre mère ? «  V Maintenant, les petits sommeillent tristement : Vous diriez, à les voir, qu’ils pleurent en dormant, Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible ! Les tout petits enfants ont le coeur si sensible ! – Mais l’ange des berceaux vient essuyer leurs yeux, Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux, Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close, Souriante, semblait murmurer quelque chose… – Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond, Doux geste du réveil, ils avancent le front, Et leur vague regard tout autour d’eux se pose… Ils se croient endormis dans un paradis rose… Au foyer plein d’éclairs chante gaîment le feu… Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ; La nature s’éveille et de rayons s’enivre… La terre, demi-nue, heureuse de revivre, A des frissons de joie aux baisers du soleil… Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre, La bise sous le seuil a fini par se taire … On dirait qu’une fée a passé dans cela ! … – Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris… Là, Près du lit maternel, sous un beau rayon rose, Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose… Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs, De la nacre et du jais aux reflets scintillants ; Des petits cadres noirs, des couronnes de verre, Ayant trois mots gravés en or :  » A NOTRE MÈRE ! « 

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