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Charles-Augustin Sainte-Beuve

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Charles-Augustin Sainte-Beuve est un critique littéraire et écrivain français né le 23 décembre 1804 à Boulogne-sur-Mer (Pas de Calais) et mort le 13 octobre 1869 à Paris. Représentant du romantisme, il est réputé pour ses critiques littéraires et la méthode d'écriture qu'il a employée.

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Poésies

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    Espérance Quand le dernier reflet d’automne A fui du front chauve des bois ; Qu’aux champs la bise monotone Depuis bien des jours siffle et tonne, Et qu’il a neigé bien des fois ; Soudain une plus tiède haleine A-t-elle passé sous le ciel : Soudain, un matin, sur la plaine, De brumes et de glaçons pleine, Luit-il un rayon de dégel : Au soleil, la neige s’exhale ; La glèbe se fond à son tour ; Et sous la brise matinale, Comme aux jours d’ardeur virginale, La terre s’enfle encor d’amour. L’herbe, d’abord inaperçue, Reluit dans le sillon ouvert ; La sève aux vieux troncs monte et sue ; Aux flancs de la roche moussue Perce déjà le cresson vert. Le lierre, après la neige blanche, Reparaît aux crêtes des murs ; Point de feuille, au bois, sur la branche ; Mais le suc en bourgeons s’épanche, Et les rameaux sont déjà mûrs. Le sol rend l’onde qu’il recèle ; Et le torrent longtemps glacé Au front des collines ruisselle, Comme des pleurs aux yeux de celle Dont le désespoir a passé.

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    Chacun en sa beauté Chacun en sa beauté vante ce qui le touche, L'amant voit des attraits où n'en voit point l'époux ; Mais que d'autres, narguant les sarcasmes jaloux, Vantent un poil follet au-dessus d'une bouche ; D'autres, sur des seins blancs un point comme une mouche ; D'autres, des cils bien noirs à des yeux bleus bien doux, Ou sur un cou de lait des cheveux d'un blond roux ; Moi, j'aime en deux beaux yeux un sourire un peu louche : C'est un rayon mouillé ; c'est un soleil dans l'eau, Qui nage au gré du vent dont frémit le bouleau ; C'est un reflet de lune aux rebords d'un nuage ; C'est un pilote en mer, par un ciel obscurci, Qui s'égare, se trouble, et demande merci, Et voudrait quelque dieu, protecteur du voyage.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    La voilà, pauvre Mère, a Paris arrivée La voilà, pauvre mère, à Paris arrivée Avec ses deux enfants, sa fidèle couvée ! Veuve, et chaste, et sévère, et toute au deuil pieux, Elle les a, seize ans, élevés sous ses yeux En province, en sa ville immense et solitaire, Déserte à voir, muette autant qu'un monastère, Où croît l'herbe au pavé, la triste fleur au mur, Au coeur le souvenir long, sérieux et sûr. Mais aujourd'hui qu'il faut que son fils se décide À quelque état, jeune homme et docile et timide. Elle n'a pas osé le laisser seul venir ; Elle le veut encor sous son aile tenir ; Elle veut le garder de toute impure atteinte, Veiller en lui toujours l'image qu'elle a peinte (Sainte image d'un père !), et les devoirs écrits Et la pudeur puisée à des foyers chéris ; Elle est venue. En vain chez sa fille innocente, L'ennui s'émeut parfois d'une compagne absente, Et l'habitude aimée agite son lien : La mère, elle est sans plainte et ne regrette rien. Mais si son fils, dehors qu'appelle quelque étude, Est sorti trop long-temps pour son inquiétude, Si le soir, auprès d'elle, il rentre un peu plus tard, Sous sa question simple observez son regard ! Pauvre mère! elle est sûre, et pourtant sa voix tremble. Ô trésor de douleurs, — de bonheurs tout ensemble ! Car, passé ce moment, et le calme remis, Comme aux soirs de province, avec quelques amis Retrouvés ici même, elle jouit d'entendre (Cachant du doigt ses pleurs) sa fille, voix si tendre, Légère, qui s'anime en éclat argenté, Au piano, — le seul meuble avec eux apporté.

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    Le calme Ma muse dort comme une marmotte de mon pays... Comme il vous plaira , ma verve ; ce qu'il y a de sûr, C'est que je ne ferai rien sans vous. Jean-François Ducis. Souvent un grand désir de choses inconnues, D'enlever mon essor aussi haut que les nues, De ressaisir dans l'air des sons évanouis, D'entendre, de chanter mille chants inouïs, Me prend à mon réveil ; et voilà ma pensée Qui, soudain rejetant l'étude commencée, Et du grave travail, la veille interrompu, Détournant le regard comme un enfant repu, Caresse avec transport sa belle fantaisie Et veut partir, voguer en pleine poésie. À l'instant le navire appareille : et d'abord Les câbles sont tirés, les ancres sont à bord, La poulie a crié ; la voile suspendue Ne demande qu'un souffle à la brise attendue, Et sur le pont tremblant tous mes jeunes nochers S'interrogent déjà vers l'horizon penchés. Adieu, rivage, adieu ! — Mais la mer est dormante, Plus dormante qu'un lac ; mieux vaudrait la tourmente ! Mais d'en haut, ce jour-là, nul souffle ne répond ; La voile pend au mât et traîne sur le pont. Debout, croisant les bras, le pilote, à la proue, Contemple cette eau verte où pas un flot ne joue, Et que rasent parfois de leur vol lourd et lent Le cormoran plaintif et le gris goéland. Tout le jour il regarde, inquiet du voyage, S'il verra dans le ciel remuer un nuage, Ou frissonner au vent son beau pavillon d'or ; Et quand tombe la nuit, morne, il regarde encor La quille où s'épaissit une verdâtre écume, Et la pointe du mât qui se perd dans la brume.

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    Le château de Bothwell Dans les tours de Bothwell, prisonnier autrefois, Plus d'un brave oubliait (tant cette Clyde est belle !) De pleurer son malheur et sa cause fidèle. Moi-même, en d'autres temps, je vins là ; — Je vous vois Dans ma pensée encor, flots courants, sous vos bois ! Mais, quoique revenu près des bords que j'appelle, Je ne puis rendre aux lieux de visite nouvelle. — Regret ! — Passé léger, m'allez-vous être un poids ?... Mieux vaut remercier une ancienne journée, Pour la joie au soleil librement couronnée, Que d'aigrir son désir contre un présent jaloux. Le Sommeil t'a donné son pouvoir sur les songes, Mémoire ; tu les fais vivants et les prolonges ; Ce que tu sais aimer est-il donc loin de nous ?

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    Le dernier vœu Vierge longtemps rêvée, amante, épouse, amie. Charmant fantôme, à qui mon enfance endormie Dut son premier réveil ; Qui bien des fois mêlas, jeune et vive Inconnue, À nos jeux innocents la caresse ingénue De ton baiser vermeil ; Qui depuis, moins folâtre et plus belle avec l'âge, De loin me souriais dans l'onde de la plage, Dans le nuage errant ; Dont j'entendais la voix, de nuit, quand tout repose, Et dont je respirais sur le sein de la rose Le soupir odorant ; Étoile fugitive et toujours poursuivie ; Ange mystérieux, qui marchais dans ma vie, Me montrant le chemin, Et qui, d'en haut, penchant ton cou frais de rosée, Un doigt vers l'avenir, à mon âme épuisée Semblais dire : Demain ! — Demain n'est pas venu ; je n'ose plus l'attendre. Mais si pourtant encor, fantôme doux et tendre, Demain pouvait venir ; Si je pouvais atteindre ici-bas ton image, D'un cœur rempli de toi mettre à tes pieds l'hommage, Ô vierge, et t'obtenir !... Ah ! ne l'espère point ;... ne crains point que je veuille Entre tes doigts fleuris sécher la verte feuille Du bouton que tu tiens, Verser un souffle froid sur tes destins rapides, Un poison dans ton miel, et dans tes jours limpides L'amertume des miens. Un mal longtemps souffert me consume et me tue ; Le chêne, dont toujours l'enfance fut battue Par d'affreux ouragans, Le tronc nu, les rameaux tout noircis, n'est pas digne D'enlacer en ses bras et d'épouser la vigne Aux festons élégants. Non ; c'en est fait, jamais ! ni son regard timide, Où de l'astre d'amour tremble un rayon humide, Ni son chaste entretien, Propos doux comme une onde, ardents comme une flamme, Serments, soupirs, baisers, son beau corps, sa belle âme, Non, rien, je ne veux rien ! Rien, excepté l'aimer, l'adorer en silence ; Le soir, quand le zéphir plus mollement balance Les rameaux dans les bois, Suivre de loin ses pas sur l'herbe défleurie, Épier les détours où fuit sa rêverie, L'entrevoir quelquefois ; Et puis la saluer, lui sourire au passage, Et, par elle chargé d'un frivole message, Obéir en volant ; Dans un mouchoir perdu retrouver son haleine, Baiser son gant si fin ou l'amoureuse laine Qui toucha son cou blanc ; Mais surtout, cher objet d'une plainte éternelle, Autour de toi veiller, te couvrir de mon aile, Prier pour ton bonheur, Comme, auprès du berceau d'une fille chérie, Une veuve à genoux veille dans l'ombre et prie La mère du Seigneur ! Ce sont là tous mes vœux, et j'en fais un encore : Qu'un jeune homme, à l'œil noir, dont le front se décore D'une mâle beauté ; Qui rougit en parlant ; au cœur noble et fidèle ; Le même que souvent j'ai vu s'asseoir près d'elle Et lire à son côté ; Qu'un soir il la rencontre au détour d'une allée, Surprise, et cachant mal l'émotion voilée De son sein palpitant ; Qu'alors un regard vienne au regard se confondre, Écho parti d'une âme et pressé de répondre À l'âme qui l'attend ! Aimez-vous, couple heureux, et profitez de l'heure ; Pour plus d'un affligé qui souffre seul et pleure Ce soir semblera long ; Allez ; l'ombre épaissie a voilé la charmille, Et les sons de l'archet appellent la famille Aux danses du salon. Confiez vos soupirs aux forêts murmurantes, Et, la main dans la main, avec des voix mourantes Parlez longtemps d'amour ; Que d'ineffables mots, mille ardeurs empressées, Mille refus charmants gravent dans vos pensées L'aveu du premier jour ! Et moi, qui la verrai revenir solitaire, Passer près de sa mère, et rougir, et se taire, Et n'oser regarder ; Qui verrai son beau sein nager dans les délices, Et de ses yeux brillants les humides calices Tout prêts à déborder ; Comme un vieillard, témoin des plaisirs d'un autre âge, Qui sourit en pleurant et ressent moins l'outrage De la caducité, Me laissant, un instant, ravir à son ivresse, J'adoucirai ma peine et noierai ma tristesse En sa félicité.

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    Le silence Je ne suis pas de ceux pour qui les causeries, Au coin du feu, l'hiver, ont de grandes douceurs ; Car j'ai pour tous voisins d'intrépides chasseurs Rêvant de chiens dressés, de meutes aguerries, Et des fermiers causant jachères et prairies, Et le juge de paix avec ses vieilles sœurs, Deux revêches beautés parlant de ravisseurs , Portraits comme on en voit sur les tapisseries. Oh ! combien je préfère à ce caquet si vain, Tout le soir, du silence, — un silence sans fin ; Être assis sans penser, sans désir, sans mémoire ; Et, seul, sur mes chenets, m'éclairant aux tisons, Écouter le vent battre, et gémir les cloisons, Et le fagot flamber, et chanter ma bouilloire !

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    Le soir de la jeunesse À mon ami ***. Oui, vous avez franchi la jeunesse brûlante ; Vous avez passé l'âge où chaque heure est trop lente, Où, tout rêvant, on court le front dans l'avenir, Et déjà s'ouvre à vous l'âge du souvenir. Oui, l'amour a pour vous mêlé joie et souffrance ; Vous l'avez ressenti souvent sans espérance, Vous l'avez quelquefois inspiré sans bonheur ; Vos lèvres ont tari le philtre empoisonneur. Oui, bien des fois, les nuits, errant à l'aventure Sur vos grands monts, au sein de la verte nature ; Suivant, sous les pins noirs, les sentiers obscurcis, Au bord croulant d'un roc vous vous êtes assis, Et vous avez tiré des plaintes de votre âme, Comme au bord de l'abîme un cerf en pleurs qui brame Oui, vous avez souvent revu, depuis, ces lieux, Les mêmes qu'autrefois, mais non plus à vos yeux, Car vous n'étiez plus seul ; et la nuit étoilée, Et la sèche bruyère encore échevelée, Les longs sapins ombreux, les noirs sentiers des bois, Tout prenait sous vos pas des couleurs et des voix ; Et lorsqu'après avoir marché longtemps ensemble, Elle attachée à vous comme la feuille au tremble, Vous tombiez sous un arbre, où la lune à l'entour Répandait ses rayons comme des pleurs d'amour, Et qu'elle vous parlait de promesse fidèle Et de s'aimer toujours l'un l'autre ; alors, près d'elle, Sentant sur votre front ses beaux cheveux courir, Vous avez clos les yeux et désiré mourir. Oui, vous avez goûté les délices amères ; Et quand il a fallu rompre avec ces chimères, Votre cœur s'est brisé, mais vous avez vaincu ; La raison vigilante au rêve a survécu ; Et maintenant, debout, à votre âme enfin libre Dans la région calme assurant l'équilibre, Et sur un axe fixe aux cieux la balançant, Vous lui tracez sa marche avec un doigt puissant ; Vous lui dites d'aller où vont les nobles astres, En cet Océan pur, serein et sans désastres, Où Kant, Platon, Leibnitz, enchaînant leur essor, Aux pieds de l'Éternel roulent leurs sphères d'or ; Et vous ne craignez pas que cette flamme esclave, Ce volcan mal éteint qui couve sons la lave, Ne s'éveille en sursaut, et comme un noir torrent N'inonde l'astre entier de son feu dévorant ? C'est bien, et je vous crois ; mais prenez garde encore, Veillez sur vous, veillez, de la nuit à l'aurore, De l'aurore à la nuit. — Mais si parfois, le soir, Sous les blancs orangers vous aimez vous asseoir, Oh ! ne promenez pas votre âme curieuse De la blonde aux yeux bleus à la brune rieuse ; — Mais ne prolongez pas le frivole entretien, Quand, près d'un doux visage et votre œil sous le sien, Votre haleine mêlée aux parfums de sa bouche, Votre main effleurant la martre qui vous touche, Oubliant à loisir le Portique et Platon, Vous causez d'un bijou, d'un bal ou d'un feston ; — Mais, rarement au soir, quand la tête oppressée Se fatigue et fléchit sous sa haute pensée, Bien rarement, ouvrez, pour respirer l'air pur, La persienne qui cache un horizon d'azur, De peur qu'une guitare, une molle romance Soupirée au jardin, un doux air qu'on commence Et qu'on n'achève pas, quelque fantôme blanc Qui se glisse à travers le feuillage tremblant, Ne viennent, triomphant d'un cœur qui les délie, Toute la nuit troubler votre philosophie ; — Jamais surtout, berçant votre esprit suspendu, Sur la fraîche ottomane en désordre étendu, Un roman à la main, jamais ne passez l'heure À gémir, à pleurer avec l'amant qui pleure ; Car vous en souffrirez ; car, à certain moment, Vous jetterez le livre, et dans l'égarement Vous vous consumerez en émotions vaines ; De votre front brûlant se gonfleront les veines ; De votre cœur brisé les lambeaux frémiront, Et pour se réunir encor s'agiteront. Tel le serpent, trahi sous l'herbe qui le cache, Et qu'a tranché soudain un pitre à coups de hache Il se dresse, il se tord en cent tronçons cuisants, Et rejoint ses anneaux au soleil tout luisants. — Veillez sur vous, veillez ; la défaite est cruelle : Si vous saviez, hélas ! ce qu'en un cœur rebelle Enfantent de tourments les transports sans espoir, Les rêves sans objet et des regrets au soir ! Oh ! point d'élude alors qui charme et qui console, Arrosant d'un parfum chaque jour qui s'envole ; Point d'avenir alors, ni d'oubli : l'on est seul, Seul en son souvenir comme en un froid linceul. L'âme bientôt se fond, et déborde, et s'écoule, Pareil au raisin mûr que le vendangeur foule ; On s'incline au soleil, on jaunit sous ses feux, Et chaque heure en fuyant argente nos cheveux. Ainsi l'arbre, trop tôt dépouillé par l'automne : On dirait à le voir qu'il s'afflige et s'étonne, Et qu'à terre abaissant ses rameaux éplorés Il réclame ses fleurs ou ses beaux fruits dorés. Les bras toujours croisés, debout, penchant la tête, Convive sans parole, on assiste à la fête. On est comme un pasteur frappé d'enchantement, Immobile à jamais près d'un fleuve écumant, Qui, jour et nuit, le front incliné sur la rive, Tirant un même son de sa flûte plaintive, Semble un roseau de plus au milieu des roseaux, Et qui passe sa vie à voir passer les eaux.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    Le songe Quand autrefois dans cette arène, Où tout mortel suit son chemin, En coureur que la gloire entraîne, Je m'élançais, l'âme sereine, Un flambeau brillant à la main ; Des Muses belliqueux élève, Quand je rêvais nobles assauts, Couronne et laurier, lyre et glaive, Étendards poudreux qu'on enlève, Baisers cueillis sous des berceaux ; Partout vainqueur, amant, poète, Pensais-je, hélas ! que mon flambeau Au lieu de triomphe et de fête, N'éclairerait que ma défaite Et mes ennuis jusqu'au tombeau ? La destinée à ma jeunesse Semblait sourire avec amour ; J'aimais la vie avec ivresse, Ainsi qu'on aime une maîtresse Avant la fin du premier jour. Il a fui, mon rêve éphémère... Tel, d'un sexe encore incertain, Un bel enfant près de sa mère Poursuit la flatteuse chimère De son doux rêve du matin. Tout s'éveille, et, lui, dort encore ; Déjà pourtant il n'est plus nuit ; L'aube blanchit devant l'Aurore ; Sous l'œil du Dieu qui la dévore, L'Aurore rougit et s'enfuit. Il dort son sommeil d'innocence ; Avec l'aube son front blanchit ; Puis par degrés il se nuance Avec l'Aurore qui s'avance Et qui bientôt s'y réfléchit. Un voile couvre sa prunelle Et cache le ciel à ses yeux ; Maison songe le lui révèle ; En songe, son âme étincelle Des rayons qui peignent les cieux. Ô coule, coule, onde nouvelle, Suis mollement ton cours vermeil ! Peux-tu jamais couler plus belle Que sous la grotte maternelle, Aux premiers rayons du soleil ? Que j'aime ce front sans nuage, Qu'arrose un plus frais coloris ! Bel enfant, quel charmant présage Parmi les fleurs de ton visage Fait soudain éclore un souris ? Dans la vie encore ignorée As-tu cru voir un bonheur pur ? Un ange te l'a-t-il montrée Brillante, sereine, azurée, À travers ses ailes d'azur ? Ou quelque bonne fée Urgèle, Promettant palais et trésor Au filleul mis sous sa tutelle, Pour te promener t'aurait-elle Ravi sur son nuage d'or ? Mais le soleil suit sa carrière, Et voilà qu'un rayon lancé De l'enfant perce la paupière ; Ses yeux s'ouvrent à la lumière ; Il pleure... le songe est passé !

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    Les passions, la guerre Les passions, la guerre ; une âme en frénésie, Qu'un éclatant forfait renverse du devoir ; Du sang ; des rois bannis, misérables à voir ; Ce n'est pas là-dedans qu'est toute poésie. De soins plus doux, la Muse est quelquefois saisie ; Elle aime aussi la paix, les champs, l'air frais du soir, Un penser calme et fort, mêlé de nonchaloir ; Le lait pur des pasteurs lui devient ambroisie. Assise au bord d'une eau qui réfléchit les cieux, Elle aime la tristesse et ses élans pieux ; Elle aime les parfums d'une âme qui s'exhale, La marguerite éclose, et le sentier fuyant, Et quand novembre étend sa brume matinale, Une fumée au loin qui monte en tournoyant. Septembre 1829.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    Oh ! que la vie est longue À Madame Victor Hugo Notre bonheur n'est qu'un malheur plus ou moins consolé. Jean-François Ducis. Oh ! que la vie est longue aux longs jours de l'été, Et que le temps y pèse à mon cœur attristé ! Lorsque midi surtout a versé sa lumière, Que ce n'est que chaleur et soleil et poussière ; Quand il n'est plus matin et que j'attends le soir, Vers trois heures, souvent, j'aime à vous aller voir ; Et là vous trouvant seule, ô mère et chaste épouse ! Et vos enfants au loin épars sur la pelouse, Et votre époux absent et sorti pour rêver, J'entre pourtant ; et Vous, belle et sans vous lever, Me dites de m'asseoir ; nous causons ; je commence À vous ouvrir mon cœur, ma nuit, mon vide immense, Ma jeunesse déjà dévorée à moitié, Et vous me répondez par des mots d'amitié ; Puis revenant à vous, Vous si noble et si pure, Vous que, dès le berceau, l'amoureuse nature Dans ses secrets desseins avait formée exprès Plus fraîche que la vigne au bord d'un antre frais, Douce comme un parfum et comme une harmonie ; Fleur qui deviez fleurir sous les pas du génie ; Nous parlons de vous-même, et du bonheur humain, Comme une ombre, d'en haut, couvrant votre chemin, De vos enfants bénis que la joie environne, De l'époux votre orgueil, votre illustre couronne ; Et quand vous avez bien de vos félicités Épuisé le récit, alors vous ajoutez Triste, et tournant au ciel votre noire prunelle : « Hélas ! non, il n'est point ici-bas de mortelle Qui se puisse avouer plus heureuse que moi ; Mais à certains moments, et sans savoir pourquoi, Il me prend des accès de soupirs et de larmes ; Et plus autour de moi la vie épand ses charmes, Et plus le monde est beau, plus le feuillage vert, Plus le ciel bleu, l'air pur, le pré de fleurs couvert, Plus mon époux aimant comme au premier bel âge, Plus mes enfants joyeux et courant sous l'ombrage, Plus la brise légère et n'osant soupirer, Plus aussi je me sens ce besoin de pleurer. » C'est que même au-delà des bonheurs qu'on envie Il reste à désirer dans la plus belle vie ; C'est qu'ailleurs et plus loin notre but est marqué ; Qu'à le chercher plus bas on l'a toujours manqué ; C'est qu'ombrage, verdure et fleurs, tout cela tombe, Renaît, meurt pour renaître enfin sur une tombe ; C'est qu'après bien des jours, bien des ans révolus, Ce ciel restera bleu quand nous ne serons plus ; Que ces enfants, objets de si chères tendresses, En vivant oublieront vos pleurs et vos caresses ; Que toute joie est sombre à qui veut la sonder, Et qu'aux plus clairs endroits, et pour trop regarder Le lac d'argent, paisible, au cours insaisissable, On découvre sous l'eau de la boue et du sable. Mais comme au lac profond et sur son limon noir Le ciel se réfléchit, vaste et charmant à voir, Et, déroulant d'en haut la splendeur de ses voiles, Pour décorer l'abîme, y sème les étoiles, Tel dans ce fond obscur de notre humble destin Se révèle l'espoir de l'éternel matin ; Et quand sous l'œil de Dieu l'on s'est mis de bonne heure, Quand on s'est fait une âme où la vertu demeure ; Quand, morts entre nos bras, les parents révérés Tous bas nous ont bénis avec des mots sacrés ; Quand nos enfants, nourris d'une douceur austère, Continueront le bien après nous sur la terre ; Quand un chaste devoir a réglé tous nos pas, Alors on peut encore être heureux ici-bas ; Aux instants de tristesse on peut, d'un œil plus ferme, Envisager la vie et ses biens et leur terme, Et ce grave penser, qui ramène au Seigneur, Soutient l'âme et console au milieu du bonheur. Mai 1829.

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    Pensée d'août Assis sur le versant des coteaux modérés D'où l'œil domine l'Oise et s'étend sur les prés ; Avant le soir, après la chaleur trop brûlante, À cette heure d'été déjà plus tiède et lente ; Au doux chant, mais déjà moins nombreux, des oiseaux ; En bas voyant glisser si paisibles les eaux, Et la plaine brillante avec des places d'ombres, Et les seuls peupliers coupant de rideaux sombres L'intervalle riant, les marais embellis Qui vont vers Gouvieux finir au bois du Lys, Et plus loin, par-delà prairie et moisson mûre Et tout ce gai damier de glèbe et de verdure, Le sommet éclairé qui borne le regard Et qu'après deux mille ans on dit Camp de César, Comme si ce grand nom que toute foule adore Jusqu'au vallon de paix devait régner encore !... M'asseyant là, moi-même à l'âge où mon soleil, Où mon été décline, à la saison pareil ; À l'âge où l'on s'est dit dans la fête où l'on passe : « La moitié, sans mentir, est plus jeune et nous chasse » – Rêvant donc, j'interroge, au tournant des hameaux, La vie humaine entière, et son vide et ses maux ; Si peu de bons recours où, lassé, l'on s'appuie ; Où, la jeune chaleur trop tôt évanouie, On puise le désir et la force d'aller, De croire au bien encor, de savoir s'immoler Pour quelqu'un hors de soi, pour quelque chose belle. Aux champs, à voir le sol nourricier et fidèle, Et cet ensemble uni d'accords réjouissants, Comment désespérer ? Et pourtant, je le sens, Le mal, l'ambition, la ruse et le mensonge, Faux honneur, vertu fausse, et que souvent prolonge L'histoire ambitieuse autant que le César, Grands et petits calculs coupés de maint hasard, Voilà ce qui gouverne et la ville et le monde. Où donc sauver du bien l'arche sainte sur l'onde ? Où sauver la semence ? En quel coin se ranger ? Et quel sens a la vie en ce triste danger ? Surtout le premier feu passé de la jeunesse, Son foyer dissipé de rêve et de promesse, Après l'expérience et le mal bien connu, Que faire ? Où reporter son effort soutenu ? Durant cette partie aride et monotone Qui, bien avant l'hiver, dès le premier automne Commence dans la vie ; et quand par pauvreté, Malheur, faute (oh ! je sais plus d'un sort arrêté), Tout espoir de choisir la chaste jeune fille Et de recommencer sa seconde famille Dont il sera le chef, à l'homme est refusé, Où se prendre ? Où guérir un cœur trop vite usé ? En cette heure de calme, en ce lieu d'innocence, Dans ce fond de lointain et de prochain silence, La réponse est distincte, et je l'entends venir Du ciel et de moi-même, et tout s'y réunir. Oh oui ! ce qui pour l'homme est le point véritable, La source salutaire avec le rocher stable, Ce qui peut l'empêcher ou bien de s'engourdir Aux pesanteurs du corps, ou bien de s'enhardir, S'il est grand et puissant, à l'orgueilleuse idée Qu'il pose ensuite au monde en idole fardée Et dans laquelle il veut à tout jamais se voir, Ce qu'il faut, c'est à l'âme un malheur, un devoir ? – Un malheur (et jamais il ne tarde à s'en faire), Un malheur bien reçu, quelque douleur sévère Qui tire du sommeil et du dessèchement, Nous arrache aux appâts frivoles du moment, Aux envieux retours, aux aigreurs ressenties, Mette bas d'un seul coup tant de folles orties Dont avant peu s'étouffe un champ dans sa longueur, Et rouvre un bon sillon avec peine et sueur ! – Un devoir accepté, dont l'action n'appelle Ni l'applaudissement ni le bruit après elle, Qui ne soit que constance et sacrifice obscur, Sacrifice du goût le plus cher, le plus pur, Tel que l'honneur mondain jamais ne le réclame, Mais voulu, mais réglé dans le monde de l'âme. Et c'est ainsi qu'il faut, au ciel avant le soir, À son cœur demander un malheur, un devoir ! Marèze avait atteint à très peu près cet âge Où le flot qui poussait s'arrête et se partage. Jusqu'à trente-trois ans il avait persisté Avec zèle et succès au sentier adopté, Sentier sombre et mortel aux chimères légères. Il tenait, comme on dit, un cabinet d'affaires ; De finance ou de droit il débrouillait les cas, Et son conseil prudent disait les résultats. Mais Marèze cachait sous ce zèle authentique Un esprit libre et grand, peut-être poétique, Ou politique aussi, mais capable à son jour D'arriver s'il voulait, et de luire alentour. À sa tache, où le don inoccupé se gâte, Trop longtemps engagé, tout bas il avait hâte De clore et de sortir, et de recommencer Une vie autre et vraie, appliquée à penser. Plus rien n'allait gêner son être en renaissance : Son cabinet vendu lui procurait aisance ; Sa sœur avait famille en un lointain pays, Et son père et sa mère étaient morts obéis ; Car l'abri paternel qui protège et domine S'abattant, on est maître, hélas ! sur sa colline. Dans ce frais pavillon au volet entr'ouvert, Où la lune en glissant dans la lampe se perd, Devant ce Spasimo comme une autre lumière Dont la paroi du fond s'éclaire tout entière, Près des rayons de cèdre où brillent à leur rang, Le poète d'hier aisément inspirant, L'ancien que moins on suit, plus il convient d'entendre, Que fait Marèze ? Il veille et se dit d'entreprendre. Depuis un an passé qu'il marche vers son vœu, Le joug est jeté loin ; il s'en ressouvient peu, Que pour mieux posséder sa pensée infinie. Cet esprit qu'aussi bien on saluerait génie, Retardé jusque là, mais toujours exercé, Arrive aux questions plus ferme et plus pressé. Poète et sage, il rêve alliance nouvelle ; Lamartine l'émeut, Montesquieu le rappelle ; Il veut être lui-même, et que nul n'ait porté Plus d'élévation dans la réalité. Solennel est ce soir, car son âme qui gronde Sent voltiger plus près et sa forme et son monde. Marèze est sur la pente ; il va gravir là-haut, Où tant de glorieux montent comme à l'assaut, Disant Humanité pour leur cri de victoire, Nommés les bienfaiteurs, commençant par le croire, Et qui, forts de trop faire et de régénérer, Finissent par soi-même et soi seuls s'adorer. Mais on frappe ; une femme entre et se précipite : – « Ô mon frère ! » – « Ô ma sœur ! » – Explosion subite ; Joie et pleurs, questions, les deux mains que l'on prend, Et tout un long récit qui va comme un torrent : Un mari mort, des Noirs en révolte, la ville Livrée au feu trois jours par un chef imbécile, La fuite avec sa fille au port voisin, si bien Qu'elle n'a plus qu'un frère au monde pour soutien. Marèze entend : d'un geste il répond et console, Il baise au front l'enfant, beauté déjà créole, Et comme à ces discours on oublierait la nuit, Jusqu'au lit du repos lui-même les conduit. Le voilà seul. – Allons ! ose, naissant génie ; Il faut à ton baptême annoncer l'agonie. Dix ans s'étaient passés à comprimer l'essor, À mériter ton jour ; donc, recommence encor ! Devant ces vers du maître harmonieux et sage, Devant ce Raphaël et sa sublime page, Au plus mourant soupir du chant du rossignol, Au plus fuyant rayon où s'égarait ton vol, Dis-toi bien : Tout ce beau n'est que faste et scandale Si j'hésite, et si l'ombre à l'action s'égale. Marèze un seul instant n'avait pas hésité ; Il s'est dit seulement, dans sa force excité, Que peut-être il saurait, son œuvre commencée, Nourrir enfant et sœur du lait de sa pensée. Il hésite, il espère en ce sens, et bientôt, L'anise éteignant la nuit, son œil plus las se clôt. Au matin un réveil l'attendait qui l'achève. Une ancienne cliente à lui, madame Estève, Avait, par son conseil, confié le plus clair D'une honnête fortune à quelque premier clerc Établi depuis peu, jusqu'alors sans reproche ; Mais le voilà qui part, maint portefeuille en poche. La pauvre dame est là, hors d'elle, racontant. Marèze y perd aussi, peu de chose pourtant. Mais il se croit lié d'équité rigoureuse À celle qu'un conseil a faite malheureuse. Courage ! il rendra tout; il soutiendra sa sœur, Il mariera sa nièce; et sans plus de longueur, Il court chez un ami : tout juste un commis manque. Commis le lendemain il entre en cette banque ; Et là, remprisonné dans les ais d'un bureau, Sans verdure à ses yeux que le vert du rideau, Il vit, il y blanchit, régulier, sans murmure, Heureux encor le soir d'une simple lecture À côté de sa sœur, – un poète souvent Qu'un retour étouffé lui rend trop émouvant, Et sa voix s'interrompt ;... – lecture plus sacrée À l'âme délicate et tout le jour sevrée ! Il a gagné pourtant en bonheur : jusque là, Plus d'un mystère étrange, et que Dieu nous voila, Avait mis au défi son âme partagée. La vérité nous fuit par l'orgueil outragée. Mais alors, comme au prix d'un sacrifice cher, Sans plus qu'il y pensât en Prométhée amer, De vertus en vertus, chaque jour, goutte à goutte, La croyance, en filtrant, emporta tout son doute ; La persuasion distilla sa saveur, Et la pudique foi lui souffla la ferveur. – Doudun (exemple aussi) n'est pas, comme Marèze, De ceux qui sentiraient leur âme mieux à l'aise À briller au soleil et mouvoir les humains Qu'à compter pas à pas les chardons des chemins Il chemine et se croit tout en plein dans sa trace. Très doux entre les doux et les humbles de race, Il n'a garde de plus, ne prévaut sur pas un ; Celui seul qui se baisse a connu son parfum ; La racine en tient plus, et la fleur dissimule. Son prix, son nom nommé lui serait un scrupule. Enfant, simple écolier, se dérobant au choix, Avant qu'il eût son rang il se passait des mois ; Il n'en tâchait pas moins, sans languir ni se plaindre, Mais comme au fond craignant de paraître et d'atteindre. Jeune homme, étroitement casé, non rétréci, Coeur chaste à l'amitié, n'eut-il donc pas aussi Quelque passion tendre, humble et, je le soupçonne, Muette, et que jamais il n'ouvrit à personne, Mais pour qui sa rougeur parle encore aujourd'hui, Si l'objet par hasard est touché devant lui ? Avant tout il avait sa mère bien aimée, Infirme plus que vieille, assez accoutumée À l'aisance, aux douceurs, et dont le mal réel Demandait pour l'esprit éveil continuel. Il la soigna longtemps, et lui, l'épargne même, Pour adoucir les soirs de la saison suprême, N'eut crainte d'emprunter des sommes par deux fois, S'obérant à toujours; mais ce fut là, je crois, Ce qui, sa mère morte, a soutenu son zèle Et prolongé pour lui le but qui venait d'elle : Car à cet âge, avec ces natures, l'effort Souvent manque, au-dedans s'amollit le ressort ; Le vrai motif cessant, on s'en crée un bizarre, Et la source sans lit dans les cailloux s'égare. Doudun, que maint caillou séduit, s'en est sauvé ; Le soin pieux domine, et tout est relevé. En plein faubourg, là-haut, au coin de la mansarde, Dans deux chambres au nord, que l'étoile regarde ; À cinq heures rentrant, ou, l'été, matinal ; Un grand terrain en face et le triste canal (Car, presque chaque jour allant au cimetière, Il s'est logé plus près), voyez ! sa vie entière, Son culte est devant vous : un unique fauteuil Où dix ans s'est assis l'objet saint de son deuil, Un portrait au-dessus ; puis quelque porcelaine Où la morte buvait, qu'une fois la semaine Il essuie en tremblant ; des Heures en velours Où la morte priait, dont il use toujours ! Le maigre pot de fleurs, aussi la vieille chatte : Piété sans dédain, la seule délicate ! Comme écho de sa vie, il se dit à mi-voix Quelque air des jours anciens qui voudrait le hautbois, Quelque sentimentale et bonne mélodie, Paroles de Sedaine, autrefois applaudie Des mères, que chantait la sienne au clavecin. Comme Jean-Jacque aussi, dont il sait le Devin, Il copie, et par là dégrève un peu sa dette, Chaque heure d'un denier, Sois équité discrète A taxé ce travail de ses soirs, mais si bas, Que, s'il fallait offrir, on ne l'oserait pas. Au-delà sa pudeur est sourde à rien entendre ; Et quand l'ingrat travail a quelque page tendre, Agréable, on dirait qu'en recevant son dû Il se croit trop payé du charme inattendu. – Hier ses chefs le marquaient pour avancer en place ; Il se fait moins capable, empressé qu'on l'efface. Ô vous qui vous portez, entre tous, gens de cœur ; Qui l'êtes, – non pas seuls, – et qui, d'un air vainqueur, Écraseriez Doudun et cette élite obscure, Leur demandant l'audace et les piquant d'injure ; Ne les méprisez pas, ces frères de vertu, Qui vous laissent l'arène et le lot combattu ! Si dans l'ombre et la paix leur coeur timide habite, Si le sillon pour eux est celui qu'on évite, Que guerres et périls s'en viennent les saisir ; Ils ont chef Catinat, le héros sans désir ! Et cette âme modique, à plaisir enfouie, Ce fugitif qui craint tout éclair dans sa vie, Qu'à l'un des jours d'essor, de soleil rayonnant, Comme on en a chacun, il rencontre au tournant Du prochain boulevard quelque ami de collège Qui depuis a pris gloire et que le bruit assiège, Sympathique talent resté sincère et bon, Oh ! les voilà bien vite aux nuances du ton. L'artiste est entendu tout bas du solitaire : Quel facile unisson aux cordes de mystère ! Que d'échanges subtils au passage compris ! Et cette âme qui va diminuant son prix, Comme elle est celle encor que devrait le génie Vouloir pour juge en pleurs, pour cliente bénie ! Mais ce n'est pas aux doux et chastes seulement, Aux intègres de cœur, que contre un flot dormant Un malheur vient rouvrir les voiles desserrées Et remorquer la barque au-delà des marées. Un seul devoir tombant dans un malheur sans fond Jette à l'âme en désastre un câble qui répond ; Fait digue à son endroit aux vagues les plus hautes ; Arrête sur un point les ruines des fautes ; Et nous peut rattacher, en ces ans décisifs, Demi-déracinés, aux rameaux encor vifs. Ramon de Santa-Cruz, un homme de courage Et d'ardeur, avait, jeune, épuisé maint otage, Les flots des passions et ceux de l'Océan. Commandant un vaisseau sous le dernier roi Jean En Portugal, ensuite aux guérillas d'Espagne, Le Brésil et les mers et la rude montagne L'avaient vu tour à tour héroïque d'effort ; Mais l'âme forte avait plus d'un vice du fort. Pour l'avoir trop aidé, proscrit du roi son maître ; À Bordeaux, – marié, – des torts communs peut-être, Ses âpretés surtout et ses fougues de sang Éloignèrent sa femme après un seul enfant. À Paris, de projets en projets, et pour vivre, Ayant changé son nom, il entreprit un livre, Quelque Atlas Brésilien-Espagnol-et-naval ;... Alors je le connus ; – mais l'affaire allant mal, Il courut de ces mots qu'à la légère ou sème, Et j'en avais conçu prévention moi-même. Pourtant quelqu'un m'apprit ses abîmes secrets Et l'ayant dû chez lui trouver le jour d'après, Oh ! je fus bien touché ! – Tout d'abord à sa porte Affiches, prospectus, avis de toute sorte, Engagement poli d'entrer et de tourner : Comme c'était au soir, il me fallut sonner. Une dame fort vieille, et de démarche grande Et lente, ouvrit, et dit sur ma simple demande Son fils absent : c'était la mère de Ramon. Mais quand j'eus expliqué mon objet et mon nom : « Attendez, attendez ; seulement il repose, Car il sort tout le jour ; mais, à moins d'une cause, J'évite d'avertir. » Elle entra, je suivis, Déjà touché du ton dont elle a dit mon fils. Pendant qu'elle annonçait au-dedans ma venue, Je parcourais de l'œil cette antichambre nue, Et la pièce du fond, et son grillage en bois Mis en hâte, et rien autre, et le gris des murs froids. Au salon vaste et haut qu'un peu de luxe éclaire, L'ombre est humide encore au mois caniculaire ; La dame s'en plaignit doucement : j'en souffris, Songeant à quels soleils burent leurs ans mûris. Mais rien ne m'émut tant que lorsqu'une parole Soulevant quelque point d'étiquette espagnole, – D'étiquette de cour, – Ramon respectueux Se tourna vers sa mère, interrogeant des yeux. Oh ! dans ce seul regard, muette déférence, Que d'éveils à la fois, quel appel de souffrance À celle qui savait ce pur détail royal Pour l'avoir pratiqué dans un Escurial ! Et du trouble soudain où mon âme en fut mise, Sans aller saluer la vieille dame assise, Tout causant au hasard, du salon je sortis, Et je m'en ressouvins et je m'en repentis, Craignant de n'avoir pas assez marqué d'hommage ; Car tout aux malheureux est signe et témoignage. Et depuis lors, souvent, je me suis figuré Quels étaient ces longs soirs entre l'homme ulcéré De Rio, de Biscaye et des bandes armées, Et des fureurs de cœur encor mal enfermées, Proscrit qui veut son ciel, père qui veut son fils, – Entre elle et lui, navrés ensemble et radoucis. Oh ! si toujours, malgré l'amertume et l'entrave, Il maintint sur ce point cette piété grave, Qu'il ait été béni ! Que son roc sans fléchir Ait pu fondre au-dedans, et son front s'assagir ! Qu'il ait revu l'enfant que de lui l'on sépare, Et Lisbonne, meilleure au moins que sa Navarre ! Un but auprès de soi, hors de soi, pour quelqu'un, Un seul devoir constant ; – hélas ! moins que Doudun, Que Ramon et Marèze, Aubignié le poète L'a compris, et son cœur aujourd'hui le regrette ; Poète, car il l'est par le vœu du loisir, Par l'infini du rêve et l'obstiné désir. En son fertile Maine, aux larges flots de Loire, Bocagère et facile il se montrait la gloire, Se disant qu'aux chansons on l'aurait sur ses pas Comme Annette des champs dont l'amour ne ment pas. Tandis qu'après René planait l'astre d'Elvire, Jean-Jacques et Bernardin composaient son délire, Et tardif, ignorant ce monde aux rangs pressés, Il s'égarait sans fin aux lieux déjà laissés. Vainement les parents voulaient l'état solide : Pour lui, c'était assez si, l'Émile pour guide, Le havresac au dos, léger, pour de longs mois, Il partait vers les monts et les lacs et les bois, Pèlerin défilant ses grains de fantaisie, – Fantassin valeureux de libre poésie. Aux rochers, aux vallons, combien il en semait ! Aux buissons, à midi, sous lesquels il dormait ! Combien alors surtout en surent les nuages ! Infidèles témoins, si l'on n'a d'autres gages ; Car prenant le plus beau du projet exhalé, Ils ne reviennent plus, et tout s'en est allé. La fable des enfants parle encore aux poètes : Rêveurs, rêveurs, semez aux chemins que vous faites Autre chose en passant que ces miettes de pain : Les oiseaux après vous mangeraient le chemin ! Du moins, si visitant, comme il fit, ces contrées, Grandes, et du génie une fois éclairées, Meillerie et Clarens, noms solennels et doux, Bosquets qu'un enchanteur fit marcher devant nous, – S'il gravit tour à tour à la cime éternelle, Redescendit au lac, demanda la brunelle  l'île de Saint-Pierre, et d'un cœur palpitant, Aux Charmettes cueillit la pervenche en montant, S'il revit l'œil en pleurs ce qu'avait vu le maître, Que ne l'a-t-il donné quelquefois à connaître, D'un vers rajeunissant, qui charme avec détour, Et laisse aussi sa trace aux lieux de son amour ? C'est qu'à moins du pur don unique, incomparable, L'effort seul initie à la forme durable, Secret du bien-parler que d'un Virgile apprend Même un Dante, et qui fuit tout vaporeux errant. Aubignié, sans dédain, effleura le mystère Et ne l'atteignit pas. Que d'essais il dut taire, Au hasard amassés ! Et les ans s'écoulaient ; Les plaintes des parents, plus hautes, s'y mêlaient ; Les dégoûts, les fiertés, une âme déjà lasse, L'éloignaient chaque jour des sentiers où l'on passe ; Il n'en suivit jamais. S'il tente quelque abord, Tout lui devient refus, et son rêve est plus fort, Puis, plus on tarde, et plus est pénible l'entrée : La jeunesse débute, et sa rougeur agrée ; Elle ose, on lui pardonne, on l'aide à revenir : Mais, quand la ride est faite, il faut mieux se tenir. La main se tend moins vite à la main déjà rude. Bref, d'essais en ennuis, d'ennuis en vague étude, Des parents rejeté, qui, d'abord complaisants, Bientôt durs, à la fin se sont faits méprisants, Aubignié, ce cœur noble et d'un passé sans tache, Usé d'un lent malheur qu'aucun devoir n'attache, Ne sait plus d'autre asile à ses cuisants affronts, À ses gênes hélas ! que quand aux bûcherons Des forêts d'Oberman, et les aidant lui-même, Il va demander gîte, ajournant tout poème, Ou toujours amusé du poème incertain Qu'il y vit une fois flotter à son matin. De Jean-Jacque il se dit la gloire commencée Tard : – rappel infidèle ! – Âme à jamais lassée ! Vous dont j'ai là trahi le malheur, oh ! pardon ! Ami, vous qui n'avez rien que d'honnête et bon, Et de grand en motif au but qui vous oppresse, An fantôme, il est temps, cessez toute caresse. Rejoignez, s'il se peut, à des efforts moins hauts, Quelque prochain devoir qui tire fruit des maux, Et d'où l'amour de tous redescende et vous gagne, – Afin que revenant au soir par la campagne, Sans faux éclair au front et sans leurre étranger, Il vous soit doux de voir les blés qu'on va charger Et chaque moissonneur sur sa gerbe complète ; Et là haut, pour lointain à l'âme satisfaite, Au sommet du coteau dont on suit le penchant, Les arbres détachés dans le clair du couchant.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    Premier amour Printemps, que me veux-tu ? pourquoi ce doux sourire, Ces fleurs dans tes cheveux et ces boutons naissants ? Pourquoi dans les bosquets cette voix qui soupire, Et du soleil d'avril ces rayons caressants ? Printemps si beau, ta vue attriste ma jeunesse ; De biens évanouis tu parles à mon coeur ; Et d'un bonheur prochain ta riante promesse M'apporte un long regret de mon premier bonheur. Un seul être pour moi remplissait la nature ; En ses yeux je puisais la vie et l'avenir ; Au souffle harmonieux de sa voix calme et pure, Vers un plus frais matin je croyais rajeunir. Ô combien je l'aimais ! et c'était en silence ! De son front virginal arrosé de pudeur, De sa bouche où nageait tant d'heureuse indolence, Mon souffle aurait terni l'éclatante candeur. Par instants j'espérais. Bonne autant qu'ingénue, Elle me consolait du sort trop inhumain ; Je l'avais vue un jour rougir à ma venue, Et sa main par hasard avait touché ma main.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    Quand l'avenir pour moi n'a pas une espérance Quand l'avenir pour moi n'a pas une espérance, Quand pour moi le passé n'a pas un souvenir, Où puisse, dans son vol qu'elle a peine à finir, Un instant se poser mon âme en défaillance ; Quand un jour pur jamais n'a lui sur mon enfance, Et qu'à vingt ans ont fui, pour ne plus revenir, L'Amour aux ailes d'or, que je croyais tenir, Et la Gloire emportant les hymnes de la France ; Quand ma Pauvreté seule, au sortir du berceau, M'a pour toujours marqué de son terrible sceau, Qu'elle a brisé mes voeux, enchaîné ma jeunesse, Pourquoi ne pas mourir ? de ce monde trompeur Pourquoi ne pas sortir sans colère et sans peur, Comme on laisse un ami qui tient mal sa promesse.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    Quand le poète en pleurs Quand le Poète en pleurs, à la main une lyre, Poursuivant les beautés dont son cœur est épris, À travers les rochers, les monts, les prés fleuris Les nuages, les vents, mystérieux empire, S'élance, et plane seul, et qu'il chante et soupire, La foule en bas souvent, qui veut rire à tout prix, S'attroupe, et l'accueillant au retour par des cris, Le montre au doigt ; et tous, pauvre insensé, d'en rire ! Mais tous ces cris, Poète, et ces rires d'enfants, Et ces mépris si doux aux rivaux triomphants, Que t'importe, si rien n'obscurcit ta pensée, Pure, aussi pure en toi qu'un rayon du matin, Que la goutte de pleurs qu'une vierge a versée, Ou la pluie en avril sur la ronce et le thym ? Septembre 1829.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    Reposez-vous et remerciez Ayant monté longtemps d'un pas lourd et pesant Les rampes, au sommet désiré du voyage, Près du chemin gravi, bordé de fin herbage, Oh ! qui n'aime à tomber d'un cœur reconnaissant ? Qui ne s'y coucherait, délassé, se berçant Aux propos entre amis, ou seul, au cri sauvage Du faucon, près de là perdu dans le nuage, — Nuage du matin, et qui bientôt descend ? Mais, le corps étendu, n'oublions pas que l'âme, De même que l'oiseau monte sans agiter Son aile, ou qu'au torrent, sans fatiguer sa rame, Le poisson sait tout droit en flèche remonter, — L'âme (la foi l'aidant et les grâces propices) Peut monter son air pur, ses torrents, ses délices ! * Sommet situé en Écosse.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    Sainte Thérèse à Jésus crucifié Ce qui m'excite à t'aimer, ô mon Dieu, Ce n'est pas l'heureux ciel que mon espoir devance, Ce qui m'excite à t'épargner l'offense, Ce n'est pas l'enfer sombre et l'horreur de son feu ! C'est toi, mon Dieu, toi par ton libre vœu Cloué sur cette croix où t'atteint l'insolence ; C'est ton saint corps sous l'épine et la lance, Où tous les aiguillons de la mort sont en jeu. Voilà ce qui m'éprend, et d'amour si suprême, Ô mon Dieu, que, sans ciel même, je t'aimerais ; Que, même sans enfer, encor je te craindrais ! Tu n'as rien à donner, mon Dieu, pour que je t'aime ; Car, si profond que soit mon espoir, en l'ôtant, Mon amour irait seul, et t'aimerait autant !

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    Vous avez jeunesse avec beauté Madame, vous avez jeunesse avec beauté, Un esprit délicat cher au cœur du Poète, Un noble esprit viril, qui, portant haut la tête, Au plus fort de l'orage a toujours résisté ; Aujourd'hui vous avez, sous un toit écarté, Laissant là pour jamais et le monde et la fête, Près d'un époux chéri sur qui votre œil s'arrête, Le foyer domestique et la félicité ; Et chaque fois qu'errant, las de ma destinée, Je viens, et que j'appuie à votre cheminée Mon front pesant, chargé de son nuage noir, Je sens que s'abîmer en soi-même est folie, Qu'il est des maux passés que le bonheur oublie, Et qu'en voulant on peut dès ici bas s'asseoir. Le 8 février 1830.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    À Alfred de Musset Il n'est pas mort, Ami, ce poète en mon âme ; Il n'est pas mort, Ami, tu le dis, je le crois. II ne dort pas, il veille, étincelle sans flamme ; La flamme, je l'étouffe, et je retiens ma voix. Que dire et que chanter quand la plage est déserte, Quand les flots des jours pleins sont déjà retirés, Quand l'écume flétrie, et partout l'algue verte, Couvrent au loin ces bords, au matin si sacrés ? Que dire des soupirs que la jeunesse enfuie Renfonce à tous instants à ce cœur non soumis ? Que dire des banquets où s'égaya la vie, Et des premiers plaisirs, et des premiers amis ? L'Amour vint, sérieux pour moi dans son ivresse. Sous les fleurs tu chantais, raillant ses dons jaloux. Enfin, un jour, tu crus ! moi, j'y croyais sans cesse ; Sept ans se sont passés !... Alfred, y croyons-nous ? L'une, ardente, vous prend dans sa soif, et vous jette Comme un fruit qu'on méprise après l'avoir séché. L'autre, tendre et croyante, un jour devient muette, Et pleure, et dit que l'astre, en son ciel, s'est couché. Le mal qu'on savait moins se révèle à toute heure, Inhérent à la terre, irréparable et lent. On croyait tout changer, il faut que tout demeure. Railler, maudire alors, amer et violent, À quoi bon ? — Trop sentir, c'est bien souvent se taire, C'est refuser du chant l'aimable guérison, C'est vouloir dans son cœur tout son deuil volontaire, C'est enchaîner sa lampe aux murs de sa prison ! Mais cependant, Ami, si ton luth qui me tente, Si ta voix d'autrefois se remet à briller, Si ton frais souvenir dans ta course bruyante, Ton cor de gai chasseur me revient appeler, Si de toi quelque accent léger, pourtant sensible, Comme aujourd'hui, m'apporte un écho du passé, S'il revient éveiller à ce cœur accessible Ce qu'il cache dans l'ombre et qu'il n'a pas laissé, Soudain ma voix renaît, mon soupir chante encore, Mon pleur, comme au matin, s'échappe harmonieux, Et, tout parlant d'ennuis qu'il vaut mieux qu'on dévore, Le désir me reprend de les conter aux cieux.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    À deux absents Couple heureux et brillant, vous qui m'avez admis Dès longtemps comme un hôte à vos foyers amis, Qui m'avez laissé voir, en votre destinée Triomphante, et d'éclat partout environnée, Le cours intérieur de vos félicités, Voici deux jours bientôt que je vous ai quittés ; Deux jours, que seul, et l'âme en caprices ravie, Loin de vous dans les bois j'essaie un peu la vie ; Et déjà sous ces bois et dans mon vert sentier J'ai senti que mon cœur n'était pas tout entier. J'ai senti que vers vous il revenait fidèle Comme au pignon chéri revient une hirondelle, Comme un esquif au bord qu'il a longtemps gardé ; Et, timide, en secret, je me suis demandé Si, durant ces deux jours, tandis qu'à vous je pense, Vous auriez seulement remarqué mon absence. Car sans parler du flot qui gronde à tout moment, Et de votre destin qu'assiège incessamment La Gloire aux mille voix, comme une mer montante, Et des concerts tombant de la nue éclatante Où déjà par le front vous plongez à demi ; Doux bruits, moins doux pourtant que la voix d'un ami ; Vous, noble époux ; vous, femme, à la main votre aiguille, À vos enfants ; chaque soir, en famille, Vous livrez aux doux riens vos deux cœurs reposés, Vous vivez l'un dans l'autre et vous vous suffisez. Et si quelqu'un survient dans votre causerie, Qui sache la comprendre et dont l'œil vous sourie, Il écoute, il s'assied, il devise avec vous, Et les enfants joyeux vont entre ses genoux ; Et s'il en vient un autre, puis un autre (Car chacun se fait gloire et bonheur d'être votre), Comme des voyageurs sous l'antique palmier, Ils sont les bienvenus ainsi que le premier. Ils passent ; mais sans eux votre existence est pleine, Et l'ami le plus cher, absent, vous manque à peine. Le monde n'est pour vous, radieux et vermeil, Qu'un atome de plus dans votre beau soleil, Et l'Océan immense aux vagues apaisées Qu'une goutte de plus dans vos fraîches rosées ; Et bien que le cœur sûr d'un ami vaille mieux Que l'Océan, le monde et les astres des cieux, Ce cœur d'ami n'est rien devant la plainte amère D'un nouveau-né souffrant ; et pour vous, père et mère, Une larme, une toux, le front un peu pâli D'un enfant adoré, met le reste en oubli. C'est la loi, c'est le vœu de la sainte Nature ; En nous donnant le jour : « Va, pauvre créature, Va, dit-elle, et prends garde au sortir de mes mains De trébucher d'abord dans les sentiers humains. Suis ton père et ta mère, attentif et docile ; Ils te feront longtemps une route facile ; Enfant, tant qu'ils vivront, tu ne manqueras pas, Et leur ardent amour veillera sur tes pas, Puis, quand ces nœuds du sang relâchés avec l'âge T'auront laissé, jeune homme, au tiers de ton voyage, Avant qu'ils soient rompus et qu'en ton cœur fermé S'ensevelisse, un jour, le bonheur d'être aimé, Hâte-toi de nourrir quelque pure tendresse, Qui, plus jeune que toi, t'enlace et te caresse ; À tes nœuds presque usés joins d'autres nœuds plus forts ; Car que faire ici-bas, quand les parents sont morts, Que faire de son âme orpheline et voilée, À moins de la sentir d'autre part consolée, D'être père, et d'avoir des enfants à son tour Que d'un amour jaloux on couve nuit et jour ? » Ainsi veut la Nature, et je l'ai méconnue ; Et quand la main du Temps sur ma tête est venue, Je me suis trouvé seul, et j'ai beaucoup gémi, Et je me suis assis sous l'arbre d'un ami.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    @charlesAugustinSainteBeuve

    À Madame *** Madame, il est donc vrai, vous n'avez pas voulu, Vous n'avez pas voulu comprendre mon doux rêve ; Votre voix m'a glacé d'une parole brève, Et vos regards distraits dans mes yeux ont mal lu. Madame, il m'est cruel de vous avoir déplu : Tout mon espoir s'éteint et mon malheur s'achève ; Mais vous, qu'en votre cœur nul regret ne s'élève, Ne dites pas : « Peut-être il aurait mieux valu... » Croyez avoir bien fait ; et, si pour quelque peine Vous pleurez, que ce soit pour un peigne d'ébène, Pour un bouquet perdu, pour un ruban gâté ! Ne connaissez jamais de peine plus amère ; Que votre enfant vermeil joue à votre côté, Et pleure seulement de voir pleurer sa mère !

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    À mon ami Leroux « Ma barque est tout-à-l'heure aux bornes de la vie ; Le ciel devient plus sombre et le flot plus dormant ; Je touche aux bords où vont chercher leur jugement Celui qui marche droit et celui qui dévie. Oh ! quelle ombre ici-bas mon âme a poursuivie ! Elle s'est fait de l'Art un monarque, un amant, Une idole, un veau d'or, un oracle qui ment : Tout est creux et menteur dans ce que l'homme envie. Aux abords du tombeau qui pour nous va s'ouvrir, Ô mon âme craignons de doublement mourir ; Laissons-là ces tableaux qu'un faux brillant anime ; Plus de marbre qui vole en éclats sous mes doigts ! Je ne sais qu'adorer l'adorable victime Qui, pour nous recevoir, a mis les bras en croix. » Ainsi vieux et mourant s'écriait Michel-Ange ; Et son marbre à ses yeux était comme la fange, Et sa peinture immense attachée aux autels, Toute sainte aujourd'hui qu'elle semble aux mortels, Lui semblait un rideau qui cache la lumière ; Détrompé de la gloire, il voulait voir derrière, Et se sentait petit sous l'ombre du tombeau : C'est bien, et ce mépris chez toi, grand homme, est beau ! Tu te trompais pourtant. — Oui, le plaisir s'envole, La passion nous ment, la gloire est une idole, Non pas l'Art ; l'Art sublime, éternel et divin, Luit comme la Vertu ; le reste seul est vain. Avant, ô Michel-Ange ; avant que les années Eussent fait choir si bas tes forces prosternées, Raidi tes bras d'athlète, et voilé d'un brouillard Les couleurs et le jour au fond de ton regard, Dis-nous, que faisais-tu ? Parle haut et rappelle Tant de travaux bénis, et plus d'une chapelle Tout entière bâtie et peinte de tes mains, Et les groupes en marbre, et les cris des Romains Quand, admis et tombant à genoux dans l'enceinte, Ils adoraient de Dieu partout la marque empreinte, Lisaient leur jugement écrit sur les parois, Baisaient les pieds d'un Christ descendu de la croix, Et, priant, et pleurant, et se frappant la tête, Confessaient leurs péchés à la voix du prophète ; Car tu fus un prophète, un archange du ciel, Et ton nom a dit vrai comme pour Raphael. Et Dante aussi, Milton et son aïeul Shakespeare, Rubens, Rembrandt, Mozart, rois chacun d'un empire, Tous ces mortels choisis, qui, dans l'humanité, Réfléchissent le ciel par quelque grand côté, Iront-ils, au moment d'adorer face à face Le soleil éternel devant qui tout s'efface, Appeler feu follet l'astre qui les conduit, Ou l'ardente colonne en marche dans leur nuit ? Moïse, chargé d'ans et prêt à rendre l'âme, Des foudres du Sina renia-t-il la flamme ? Quand de Jérusalem le temple fut ouvert, Qui donc méprisa l'arche et l'autel du désert ? Salomon pénitent, à qui son Dieu révèle Les parvis lumineux d'une Sion nouvelle, Et qui, les yeux remplis de l'immense clarté, Ne voit plus ici-bas qu'ombre et que vanité, Lui qui nomme en pitié chaque chose frivole, Appelle-t-il jamais le vrai temple une idole ? Oh ! non pas, Salomon ; l'idole est dans le cœur ; L'idole est d'aimer trop la vigne et sa liqueur, D'aimer trop les baisers des jeunes Sulamites ; L'idole est de bâtir au Dieu des Édomites, De croire en son orgueil, de couronner ses sens, D'irriter, tout le jour, ses désirs renaissants, D'assoupir de parfums son âme qu'on immole ; Mais bâtir au Seigneur, ce n'est pas là l'idole. Le Seigneur qui, jaloux de l'œuvre de ses mains, Pour animer le monde y créa les humains, Parmi ces nations, dans ces tribus sans nombre, Sur qui passent les ans mêlés de jour et d'ombre, À des temps inégaux suscite par endroits Quelques rares mortels, grands, plus grands que les rois ; Avec un sceau brillant sur leurs têtes sublimes, Comme il fît au désert les hauts lieux et les cimes. Mais les hauts lieux, les monts que chérit le soleil, Qu'il abandonne tard et retrouve au réveil, Connaissent, chaque nuit, des heures de ténèbres, Et l'horreur se déchaîne en leurs antres funèbres, Tandis que sur ces fronts hauts comme des sommets, Le mystique Soleil ne se couche jamais. Sans doute, dans la vie, à travers le voyage, Il s'y pose souvent plus d'un triste nuage, Mais le Soleil divin tâche de l'écarter, Et le dore, ou le perce, ou le fait éclater. Ces mortels ont des nuits brillantes et sans voiles ; Ils comprennent les flots, entendent les étoiles, Savent les noms des fleurs, et pour eux l'univers N'est qu'une seule idée en symboles divers. Et comme en mille jets la matière lancée Exprime aux yeux humains l'éternelle pensée, Eux aussi, pleins du Dieu qu'on ne peut enfermer, En des œuvres d'amour cherchent à l'exprimer. L'un a la harpe, et l'orgue et l'austère harmonie ; L'autre en pleurs, comme un cygne, exhale son génie, Ou l'épanché en couleurs ; ou suspend dans les cieux Et fait monter le marbre en hymne glorieux. Tous, ouvriers divins, sous l'œil qui les contemple, Bâtissent du Très-Haut et décorent le temple. Quelques-uns seulement, et les moindres d'entre eux, Grands encor, mais marqués d'un signe moins heureux, S'épuisent à vouloir, et l'ingrate matière En leurs mains répond mal à leur pensée entière ; Car bien tard dans le jour le Seigneur leur parla ; Leur feu couva longtemps ; — et je suis de ceux-là. D'abord j'errais aveugle, et cette œuvre du monde Me cachait les secrets de son âme profonde ; Je n'y voyais que sons, couleurs, formes, chaos, Parure bigarrée et parfois noirs fléaux ; Et, comme un nain chétif, en mon orgueil risible, Je me plaisais à dire : où donc est l'invisible ? Mais, quand des grands mortels par degrés j'approchai, Je me sentis de honte et de respect touché ; Je contemplai leur front sous sa blanche auréole, Je lus dans leur regard, j'écoutai leur parole ; Et comme je les vis mêler à leurs discours Dieux, l'âme et l'invisible, et se montrer toujours L'arbre mystérieux au pacifique ombrage, Qui, par-delà les mers, couvre l'autre rivage, — Tel qu'un enfant, au pied d'une haie ou d'un mur, Entendant des passants vanter un figuier mûr, Une rose, un oiseau qu'on aperçoit derrière, Se parler de bosquets, de jets-d'eau, de volière, Et de cygnes nageant en un plein réservoir, — Je leur dis : Prenez-moi dans vos bras, je veux voir. J'ai vu, Seigneur, j'ai cru ; j'adore tes merveilles, J'en éblouis mes yeux, j'en emplis mes oreilles, Et, par moments, j'essaie à mes sourds compagnons, À ceux qui n'ont pas vu, de bégayer tes noms. Paix à l'artiste saint, puissant, infatigable, Qui, lorsqu'il touche au terme et que l'âge l'accable, Au bord de son tombeau s'asseyant pour mourir Et cherchant le chemin qu'il vient de parcourir, Y voit d'un art pieux briller la trace heureuse, Compte de monuments une suite nombreuse, Et se rend témoignage, à la porte du ciel, Que sur chaque degré sa main mit un autel ! Il n'a plus à monter ; il passe sans obstacle Du parvis et du seuil au premier tabernacle ; Un Séraphin ailé par la main le conduit ; Tout embaume alentour, et frémit, et reluit ; Aux lambris, aux plafonds qu'un jour céleste éclaire, Il reconnaît de l'Art l'immuable exemplaire ; Il rentre, on le reçoit comme un frère exilé ; — C'est ton lot, Michel-Ange, et Dieu t'a consolé ! Septembre 1829.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    À mon ami Ulric Guttinguer Depuis que de mon Dieu la bonté paternelle Baigna mon cœur enfant de tendresse et de pleurs, Alluma le désir au fond de ma prunelle, Et me ceignit le front de pudiques couleurs ; Et qu'il me dit d'aller vers les filles des hommes Comme une mère envoie un enfant dans un pré Ou dans un verger mûr, et des fleurs ou des pommes Lui permet de cueillir la plus belle à son gré ; Bien souvent depuis lors, inconstant et peu sage. En ce doux paradis j'égarais mes amours ; À chaque fruit charmant qui tremblait au passage, Tenté de le cueillir, je retardais toujours. Puis, j'en voyais un autre et je perdais mémoire : C'étaient des seins dorés et plus blonds qu'un miel pur ; D'un front pâli j'aimais la chevelure noire ; Des yeux bleus m'ont séduit à leur paisible azur. J'ai, changeant tour-à-tour de faiblesse et de flamme, Suivi bien des regards, adoré bien des pas, Et plus d'un soir, rentrant, le désespoir dans l'âme, Un coup-d'œil m'atteignit que je ne cherchais pas. Caprices ! vœux légers ! Lucile, Natalie, Toi qui mourus, Emma, fantômes chers et doux. Et d'autres que je sais et beaucoup que j'oublie, Que de fois pour toujours je me crus tout à vous ! Mais comme un Ilot nouveau chasse le flot sonore, Comme passent des voix dans un air embaumé, Comme l'aube blanchit et meurt à chaque aurore. Ainsi rien ne durait... et je n'ai point aimé. Non jamais, non l'amour, l'amour vrai, sans mensonge. Ses purs ravissements en un cœur ingénu, Et l'unique pensée où sa vertu nous plonge, Et le choix éternel.... je ne l'ai pas connu ! Et si, trouvant en moi cet ennui que j'évite, Retombé dans le vide et las des longs loisirs, Pour dévorer mes jours et les tarir plus vite, J'ai rabaissé mon âme aux faciles plaisirs ; Si, touché des cris sourds de la chair qui murmure. Sans attendre, ô mon Dieu, le fruit vermeil et frais, J'ai mordu dans la cendre et dans la pourriture, Comme un enfant glouton, pour m'assoupir après ; Pardonne à mon délire, à l'affreuse pensée D'une mort sans réveil et d'une nuit sans jour, À mon vœu de m'éteindre en ma joie insensée ; Pardonne. — Tout cela, ce n'était pas l'amour. Mais, depuis quelques soirs et vers l'heure où l'on rêve, Je rencontre en chemin une blanche beauté ; Elle est là quand je passe, et son front se relève, Et son œil sur le mien semble s'être arrêté. Comme un jeune Asphodèle, au bord d'une eau féconde, Elle penche à la brise et livre ses parfums ; Sa main, comme un beau lys, joue à sa tête blonde ; Sa prunelle rayonne à travers des cils bruns. Comme sur un gazon, sur sa tempe bleuâtre Les flots de ses cheveux sont légers à couler ; Dans le vase, à travers la pâleur de l'albâtre, On voit trembler la lampe et l'âme étinceler. Souvent en vous parlant, quelque rêveuse image Tout-à-coup sur son front et dans ses yeux voilés Passe, plus prompte à fuir qu'une ombre de nuage, Qui par un jour serein court aux cimes des blés. Ses beaux pieds transparents, nés pour fouler la rose, Plus blancs que le satin qui les vient enfermer, Plus doux que la senteur dont elle les arrose, Je les ai vus.... Mon Dieu, fais que je puisse aimer ! Aimer, c'est croire en toi, c'est prier avec larmes Pour l'angélique fleur éclose en notre nuit, C'est veiller quand tout dort et respirer ses charmes, Et chérir sur son front ta grâce qui reluit ; C'est, quand autour de nous le genre humain en troupe S'agite éperdument pour le plaisir amer. Et sue, et boit ses pleurs dans le vin de sa coupe. Et se rue à la mort comme un fleuve à la mer, C'est trouver en soi seul ces mystiques fontaines, Ces torrents de bonheur qu'a chantés un saint Roi ; C'est passer du désert aux régions certaines, Tout entiers l'un à l'autre, et tous les deux dans toi : C'est être chaste et sobre, et doux avec courage ; C'est ne maudire rien quand ta main a béni ; C'est croire au ciel serein, à l'éclair dans l'orage ; C'est vouloir qu'ici bas tout ne soit pas fini ; C'est, lorsqu'au froid du soir, aux approches de l'ombre, Le couple voyageur s'est assis pour gémir, Et que la mort sortant, comme un hôtelier sombre, Au plus lassé des deux a crié de dormir ; C'est, pour l'inconsolé qui poursuit solitaire, Être mort et dormir dans le même tombeau ; Plus que jamais c'est vivre au-delà de la terre, C'est voir en songe un ange avec un saint flambeau. Juillet 1819.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    À mon ami Victor Hugo Entends-tu ce long bruit doux comme une harmonie, Ce cri qu'à l'univers arrache le génie Trop longtemps combattu, Cri tout d'un coup sorti de la foule muette, Et qui porte à la gloire un nom de grand poète, Noble ami, l'entends-tu ? À l'étroit en ce monde où rampent les fils d'Ève, Tandis que, l'œil au ciel, tu montes où t'enlèves, Ton essor souverain, Que ton aile se joue aux flancs des noirs nuages, Lutte avec les éclairs, ou qu'à plaisir tu nages Dans un éther serein ; Poussant ton vol sublime et planant, solitaire, Entre les voix d'en haut et l'écho de la terre, Dis-moi, jeune vainqueur, Dis-moi, nous entends-tu ? la clameur solennelle Va-t-elle dans la nue enfler d'orgueil ton aile Et remuer ton cœur ? Ou bien, sans rien sentir de ce vain bruit qui passe, Plein des accords divins, le regard dans l'espace Fixé sur un soleil, Plonges-tu, pour l'atteindre, en des flots de lumière, Et bientôt, t'y posant, laisses-tu ta paupière S'y fermer au sommeil ? Oh ! moi, je l'entends bien ce monde qui t'admire. Cri puissant ! qu'il m'enivre, ami ; qu'il me déchire ! Qu'il m'est cher et cruel ! Pour moi, pauvre déchu, réveillé d'un doux songe, L'aigle saint n'est pour moi qu'un vautour qui me ronge Sans m'emporter au ciel ! Comme, un matin d'automne, on voit les hirondelles Accourir en volant au rendez-vous fidèles, Et sonner le départ ; Aux champs, sur un vieux mur, près de quelque chapelle, On s'assemble, et la voix des premières appelle Celles qui viennent tard. Mais si, non loin de là, quelque jeune imprudente, Qui va rasant le sol de son aile pendante, S'est prise dans la glu, Captive, elle entend tout : en bruyante assemblée On parle du voyage, et la marche est réglée Et le départ conclu ; On s'envole ; ô douleur ! adieu plage fleurie ; Adieu printemps naissant de cette autre patrie Si belle en notre hiver ! Il faut rester, subir la saison de détresse, Et l'enfant sans pitié qui frappe et qui caresse, Et la cage de fer. C'est mon emblème, ami ;... mais si, comme un bon frère, Du sein de ta splendeur à mon destin contraire Tu veux bien compatir ; Si tu lis en mon cœur ce que je n'y puis lire, Et si ton amitié devine sur ma lyre Ce qui n'en peut sortir ; C'est assez, c'est assez : jusqu'à l'heure où mon âme, Secouant son limon et rallumant sa flamme À la nuit des tombeaux, Je viendrai, le dernier et l'un des plus indignes, Te rejoindre, au milieu des aigles et des cygnes, Ô toi l'un des plus beaux !

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    À mon ami Émile Deschamps Voici quatre-vingts ans, — plus ou moins, — qu'un curé, On plutôt un vicaire, au comté de Surrey Vivait, chétif et pauvre, et père de famille ; C'était un de ces cœurs dont l'excellence brille Sur le front, dans les yeux, dans le geste et la voix ; Gibbon nous dit qu'il l'eut pour maître dix-huit mois, Et qu'il garda toujours souvenir du digne homme. Or le révérend John Kirkby, comme il le nomme, À son élève enfant a souvent raconté Qu'ayant vécu d'abord, dans un autre comté, — Le Cumberland, je crois, — en été, solitaire, Volontiers il allait, loin de son presbytère, Rêver sur une plage où la mer mugissait ; Et que là, sans témoins, simple il se délassait À contempler les flots, le ciel et la verdure ; À s'enivrer longtemps de l'éternel murmure ; Et quand il avait bien tout vu, tout admiré, À chercher à ses pieds sur le sable doré, Pour rapporter joyeux, de retour au village, À ses enfants chéris maint brillant coquillage. Un jour surtout, un jour qu'en ce beau lieu rêvant, Assis sur un rocher, le pauvre desservant Voyait sous lui la mer, comme un coursier qui fume, S'abattre et se dresser, toute blanche d'écume ; En son âme bientôt par un secret accord, Et soit qu'il se sentît faible et seul sur ce bord, Suspendu sur l'abîme ; ou soit que dans cette onde Il crût voir le tableau de la vie en ce monde ; Soit que ce bruit excite à tristement penser ; — En son âme il se mit, hélas ! à repasser Les chagrins et les maux de son humble misère ; Qu'à peine sa famille avait le nécessaire ; Que la rente, et la dîme, et les meilleurs profits Allaient au vieux Recteur, qui n'avait point de fils ; Que, lui, courait, prêchait dans tout le voisinage, Et ne gagnait que juste à nourrir son ménage ; Et pensant de la sorte, au bord de cette mer, Ses pleurs amèrement tombaient au flot amer. Ce fut très peu de temps après cette journée, Que, s'efforçant de fuir la misère obstinée, Il quitta sa paroisse et son comté natal, Et vint en Surreyshire, où le sort moins fatal Le soulagea d'abord du plus lourd de sa chaîne Et lui fit quelque aisance après si dure gêne. Dans la maison Gibbon logé, soir et matin Il disait la prière, enseignait le latin Au fils ; puis, le dimanche et les grands jours qu'on chaume, II prêchait à l'église et chantait haut le psaume. Une fois, par malheur (car il manque au portrait De dire que notre homme était un peu distrait, Distrait comme Abraham Adams ou Primerose), Un jour donc, à l'église, il n'omit autre chose Que de prier tout haut pour Georges II, le Roi ! Les temps étaient douteux ; chacun tremblait pour soi ; Kirkby fut chassé vite, et plaint, selon l'usage. Ce qu'il devint, lui veuf, quatre enfants en bas âge, Et suspect, je l'ignore, et Gibbon n'en dit rien. Il quitta le pays ; mais ce que je sais bien, C'est que, dût son destin rester dur et sévère, Toujours il demeura bon chrétien, tendre père, Soumis à son devoir, esclave de l'honneur, Et qu'il mourut béni, bénissant le Seigneur. Et maintenant pourquoi réveiller la mémoire De cet homme, et tirer de l'oubli cette histoire ? Pourquoi ? dans quel dessein ? surtout en ce moment Où la France, poussant un long gémissement, Et retombée en proie aux factions parjures, Assemble ses enfants autour de ses blessures ? Que nous fait aujourd'hui ce défunt d'autrefois ? Des pleurs bons à verser sous l'ombrage des bois, En suivant à loisir sa chère rêverie, Se peuvent-ils mêler aux pleurs de la patrie ? Pourtant, depuis huit jours, ce vicaire inconnu M'est, sans cesse et partout, à l'âme revenu : Tant nous tient le caprice, et tant la fantaisie Est souveraine aux cœurs épris de poésie ! — Et d'ailleurs ce vicaire, homme simple et pieux, Qui passa dans le monde à pas silencieux Et souffrit en des temps si semblables aux nôtres, Ne vaut-il pas qu'on pense à lui, plus que bien d'autres ? Oh ! que si tous nos chefs, à leur tête le Roi, Les élus du pays, les gardiens de la loi, Nos généraux fameux et blanchis à la guerre, Nos prélats, — enfin tous, — pareils à ce vicaire, Et chacun dans le poste où Dieu le fit asseoir, En droiture de cœur remplissaient leur devoir, Oh ! qu'on ne verrait plus la France désarmée Remettre en jeu bonheur, puissance et renommée, Et, saignante, vouloir et ne pouvoir guérir, Et l'abîme d'hier chaque jour se rouvrir ! Août 1829.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    À Victor Hugo Votre génie est grand, Ami ; votre penser Monte, comme Élysée, au char vivant d'Élie ; Nous sommes devant vous comme un roseau qui plie ; Votre souffle en passant pourrait nous renverser. Mais vous prenez bien garde, Ami, de nous blesser ; Noble et tendre, jamais votre amitié n'oublie Qu'un rien froisse souvent les cœurs et les délie ; Votre main sait chercher la nôtre et la presser. Comme un guerrier de fer, un vaillant homme d'armes, S'il rencontre, gisant, un nourrisson en larmes, Il le met dans son casque et le porte en chemin, Et de son gantelet le touche avec caresses ; La nourrice serait moins habile aux tendresses ; La mère n'aurait pas une si douce main. Octobre 1829.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

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    @charlesAugustinSainteBeuve

    Ô laissez-vous aimer À Madame ***. Ô laissez-vous aimer !... ce n'est pas un retour, Ce n'est pas un aveu que mon ardeur réclame ; Ce n'est pas de verser mon âme dans votre âme, Ni de vous enivrer des langueurs de l'amour ; Ce n'est pas d'enlacer en mes bras le contour De ces bras, de ce sein ; d'embraser de ma flamme Ces lèvres de corail si fraîches ; non, madame, Mon feu pour vous est pur, aussi pur que le jour. Mais seulement, le soir, vous parler à la fête, Et tout bas, bien longtemps, vers vous penchant la tête, Murmurer de ces riens qui vous savent charmer ; Voir vos yeux indulgents plus mollement reluire ; Puis prendre votre main, et, courant, vous conduire À la danse légère... ô laissez-vous aimer !

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