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François Coppée

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François Coppée, né le 26 janvier 1842 à Paris et mort le 23 mai 1908 dans la même ville, est un poète, dramaturge et romancier français. Coppée fut le poète populaire et sentimental de Paris et de ses faubourgs, des tableaux de rue intimistes du monde des humbles. Poète de la tristesse à la vue des oiseaux qui meurent en hiver (La Mort des oiseaux), du souvenir d'une première rencontre amoureuse (« Septembre, au ciel léger »), de la nostalgie d'une autre existence (« Je suis un pâle enfant du vieux Paris ») ou de la beauté du crépuscule (« Le crépuscule est triste et doux »), il rencontra un grand succès populaire.

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Poésies

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    Premières larmes Pâle sous la céruse et les cheveux trop noirs, L'illustre premier rôle encor jeune aux chandelles, L'homme à femmes, malgré son âge adoré d'elles, Obtient, comme au beau temps, des effets de mouchoirs. Et, depuis des milliers et des milliers de soirs, Froid comme un glaive et sûr de tant de cœurs fidèles, Il prodigue, Antony de centaines d'Adèles, Ses sanglots simulés et ses faux désespoirs. Pourtant la sciatique est à la fin venue. Horreur ! Elle le cloue aux pieds de l'ingénue Qui, pour qu'il se relève, aide le vieux barbon. Alors l'acteur, gâté par quarante ans d'éloge, Court se cacher et fondre en larmes dans sa loge. — C'est la première fois qu'il pleure pour de bon.

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    Ruines du coeur Mon coeur était jadis comme un palais romain, Tout construit de granits choisis, de marbres rares. Bientôt les passions, comme un flot de barbares, L’envahirent, la hache ou la torche à la main. Ce fut une ruine alors. Nul bruit humain. Vipères et hiboux. Terrains de fleurs avares. Partout gisaient, brisés, porphyres et carrares ; Et les ronces avaient effacé le chemin. Je suis resté longtemps, seul, devant mon désastre. Des midis sans soleil, des minuits sans un astre, Passèrent, et j’ai, là, vécu d’horribles jours ; Mais tu parus enfin, blanche dans la lumière, Et, bravement, afin de loger nos amours, Des débris du palais j’ai bâti ma chaumière.

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    Rythme des vagues J’étais assis devant la mer sur le galet. Sous un ciel clair, les flots d’un azur violet, Après s’être gonflés en accourant du large, Comme un homme accablé d’un fardeau s’en décharge, Se brisaient devant moi, rythmés et successifs. J’observais ces paquets de mer lourds et massifs Qui marquaient d’un hourra leurs chutes régulières Et puis se retiraient en râlant sur les pierres. Et ce bruit m’enivrait; et, pour écouter mieux, Je me voilai la face et je fermai les yeux. Alors, en entendant les lames sur la grève Bouillonner et courir, et toujours, et sans trêve S’écrouler en faisant ce fracas cadencé, Moi, l’humble observateur du rythme, j’ai pensé Qu’il doit être en effet une chose sacrée, Puisque Celui qui sait, qui commande et qui crée, N’a tiré du néant ces moyens musicaux, Ces falaises aux rocs creusés pour les échos, Ces sonores cailloux, ces stridents coquillages Incessamment heurtés et roulés sur les plages Par la vague, pendant tant de milliers d’hivers, Que pour que l’Océan nous récitât des vers.

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    Rédemption Pour aimer une fois encor, mais une seule, Je veux, libertin repentant, La vierge qui, rêveuse aux genoux d’une aïeule, Sans m’avoir jamais vu m’attend. Elle est pieuse et sage, elle dit ses prières Tous les soirs et tous les matins, Et ne livre jamais aux doigts des chambrières Ses modestes cheveux châtains. Quelquefois, le dimanche, en robe étroite et grise, Elle sort au bras d’un vieillard, Laissant errer la vague extase et la surprise Innocente de son regard. Et les oisifs n’ont point de pensers d’infamies Devant ses yeux calmes et doux, Lorsque dans les jardins, chez les fleurs, ses amies, Elle arrive à ses rendez-vous. Elle est ainsi, n’aimant que les choses fleuries, Préférant, pour passer le soir, Les patients travaux de ses tapisseries Aux sourires de son miroir. Elle a le charme exquis de tout ce qui s’ignore, Elle est blanche, elle a dix-sept ans, Elle rayonne, elle a la clarté de l’aurore Comme elle a l’âge du printemps. Les heures des longs jours pour elle passent brèves Et, s’exhalant comme un parfum, Elle voit chaque nuit des blancheurs dans ses rêves, Et toute sa vie en est un. Telle elle est, ou du moins je la devine telle, Lys candide, cygne ingénu. Je la cherche, et bientôt, quand j’aurai dit : « C’est elle ! » Quand elle m’aura reconnu, Je veux lui donner tout, ma vie et ma pensée, Ma gloire et mon orgueil, et veux Choisir pour la nommer enfin ma fiancée Une nuit propice aux aveux. Elle viendra s’asseoir sur un vieux banc de pierre, Au fond du parc inexploré, Et me regardera sans baisser la paupière, Et moi, je m’agenouillerai. Doucement, dans mes mains, je presserai les siennes Comme on tient des oiseaux captifs, Et je lui conterai des choses très anciennes, Les choses des cœurs primitifs. Elle m’écoutera, pensive et sans rien dire, Mais fixant sur moi ses grands yeux, Avec tout ce qu’on peut mettre dans un sourire D’amour pur et religieux. Et ses yeux me diront, éloquences muettes, Ce que disent à demi-voix Les amants dont on voit les claires silhouettes Blanchir l’obscurité des bois. Et sans bruit, pour que seul, oh ! seul, je puisse entendre L’ineffable vibration, Jusqu’à moi son baiser descendra, grave et tendre Comme une bénédiction. Et quand elle aura, pure, à ma coupable lèvre Donné le baiser baptismal, Sans doute je pourrai guérir enfin ma fièvre Et t’expulser, regret du mal. Oui, bien qu’autour de moi plane toujours et rôde L’épouvante de mon passé, Que mon lit garde encor ta place toute chaude, Ô désir vainement chassé, Je pourrai, je pourrai, Nixe horrible, Sirène, Secouer enfin la langueur De mes sens et purger, ô femme, la gangrène Dont tu m’as saturé le cœur, Ainsi que fait du fard brûlant dont il se grime L’histrion, chanteur d’opéras, Ou comme un spadassin essuie, après le crime, L’épée atroce sous son bras !

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    Réponse — « Mais je l'ai vu si peu ! » — disiez-vous l'autre jour. Et moi, vous ai-je vue en effet davantage ? En un moment mon cœur s'est donné sans partage. Ne pouvez-vous ainsi m'aimer à votre tour ? Pour monter d'un coup d'aile au sommet de la tour, Pour emplir de clartés l'horizon noir d'orage, Et pour nous enchanter de son puissant mirage, Quel temps faut-il à l'aigle, à l'éclair, à l'amour ? Je vous ai vue à peine et vous m'êtes ravie ! Mais à vous mériter je consacre ma vie Et du sombre avenir j'accepte le défi. Pour s'aimer faut-il donc tellement se connaître, Puisque, pour allumer le feu qui me pénètre, Chère âme, un seul regard de vos yeux a suffi ?

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    Septembre au ciel léger taché de cerfs-volants Septembre au ciel léger taché de cerfs-volants Est favorable à la flânerie à pas lents, Par la rue, en sortant de chez la femme aimée, Après un tendre adieu dont l’âme est parfumée. Pour moi, je crois toujours l’aimer mieux et bien plus Dans ce mois-ci, car c’est l’époque où je lui plus. L’après-midi, je vais souvent la voir en fraude ; Et, quand j’ai dû quitter la chambre étroite et chaude Après avoir promis de bientôt revenir, Je m’en vais devant moi, distrait. Le Souvenir Me fait monter au coeur ses effluves heureuses ; Et de mes vêtements et de mes mains fiévreuses Se dégage un arôme exquis et capiteux, Dont je suis à la fois trop fier et trop honteux Pour en bien définir la volupté profonde, – Quelque chose comme une odeur qui serait blonde.

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    Solitude Je sais une chapelle horrible et diffamée, Dans laquelle autrefois un prêtre s’est pendu. Depuis ce sacrilège effroyable on a dû La tenir pour toujours aux fidèles fermée. Plus de croix sur l’autel, plus de cierge assidu, Plus d’encensoir perdant son âme parfumée. Sous les arceaux déserts une funèbre armée De feuilles mortes court en essaim éperdu. Ma conscience est cette église de scandales ; Mes remords affolés bondissent sur les dalles ; Le doute, qui faisait mon orgueil, me punit. Obstiné sans grandeur, je reste morne et sombre, Et ne puis même pas mettre mon âme à l’ombre Du grand geste de Christ qui plane et qui bénit.

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    Tristement Obsédé par ces mots, le veuvage et l'automne, Mon rêve n'en veut pas d'autres pour exprimer Cette mélancolie immense et monotone Qui m'ôte tout espoir et tout désir d'aimer. Il évoque sans cesse une très-longue allée De platanes géants dépouillés à demi, Dans laquelle une femme en grand deuil et voilée S'avance lentement sur le gazon blêmi. Ses longs vêtements noirs lui faisant un sillage Traînent en bruissant dans le feuillage mort ; Elle suit du regard la fuite d'un nuage Sous le vent déjà froid et qui chasse du nord. Elle songe à l'absent qui lui disait : Je t'aime ! Et, sous le grand ciel bas qui n'a plus un rayon, S'aperçoit qu'avec la dernière chrysanthème Hier a disparu le dernier papillon. Elle chemine ainsi dans l'herbe qui se fane, Bien lasse de vouloir, bien lasse de subir, Et toujours sur ses pas les feuilles de platane Tombent avec un bruit triste comme un soupir. – En vain, pour dissiper ces images moroses, J'invoque ma jeunesse et ce splendide été. Je doute du soleil, je ne crois plus aux roses, Et je vais le front bas, comme un homme hanté. Et j'ai le cœur si plein d'automne et de veuvage Que je rêve toujours, sous ce ciel pur et clair, D'une figure en deuil dans un froid paysage Et des feuilles tombant au premier vent d'hiver.

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    Un rêve de bonheur… Un rêve de bonheur qui souvent m’accompagne, C’est d’avoir un logis donnant sur la campagne, Près des toits, tout au bout du faubourg prolongé, Où je vivrais ainsi qu’un ouvrier rangé. C’est là, me semble-t-il, qu’on ferait un bon livre. En hiver, l’horizon des coteaux blancs de givre ; En été, le grand ciel et l’air qui sent les bois ; Et les rares amis, qui viendraient quelquefois Pour me voir, de très loin, pourraient me reconnaître, Jouant du flageolet, assis à ma fenêtre.

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    Un évangile En ce temps-là, Jésus, seul avec Pierre, errait Sur la rive du lac, près de Génésareth, À l’heure où le brûlant soleil de midi plane, Quand ils virent, devant une pauvre cabane, La veuve d’un pêcheur, en longs voiles de deuil, Qui s’était tristement assise sur le seuil, Retenant dans ses yeux la larme qui les mouille, Pour bercer son enfant et filer sa quenouille. Non loin d’elle, cachés par des figuiers touffus, Le Maître et son ami voyaient sans être vus. Soudain, un de ces vieux dont le tombeau s’apprête, Un mendiant, portant un vase sur sa tête, Vint à passer et dit à celle qui filait: « Femme, je dois porter ce vase plein de lait Chez un homme logé dans le prochain village; Mais tu le vois, je suis faible et brisé par l’âge, Les maisons sont encore à plus de mille pas, Et je sens bien que, seul, je n’accomplirai pas Ce travail, que l’on doit me payer une obole. » La femme se leva sans dire une parole, Laissa, sans hésiter, sa quenouille de lin, Et le berceau d’osier où pleurait l’orphelin, Prit le vase, et s’en fut avec le misérable. Et Pierre dit: « Il faut se montrer secourable, Maître! mais cette femme a bien peu de raison D’abandonner ainsi son fils et sa maison, Pour le premier venu qui s’en va sur la route. À ce vieux mendiant, non loin d’ici, sans doute, Quelque passant eût pris son vase et l’eût porté. » Mais Jésus répondit à Pierre: « En vérité, Quand un pauvre a pitié d’un plus pauvre, mon père Veille sur sa demeure et veut qu’elle prospère. Cette femme a bien fait de partir sans surseoir. » Quand il eut dit ces mots, le Seigneur vint s’asseoir Sur le vieux banc de bois, devant la pauvre hutte. De ses divines mains, pendant une minute, Il fila la quenouille et berça le petit; Puis se levant, il fit signe à Pierre et partit. Et, quand elle revint à son logis, la veuve, À qui de sa bonté Dieu donnait cette preuve, Trouva sans deviner jamais par quel ami, Sa quenouille filée et son fils endormi.

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    Une femme seule Dans le salon bourgeois où je l'ai rencontrée, Ses yeux doux et craintifs, son front d'ange proscrit, M'attirèrent d'abord vers elle, et l'on m'apprit Que d'un mari brutal elle était séparée. Elle venait encor chez ces anciens amis, Dont la maison avait vu grandir son enfance Et qui, malgré le bruit dont le monde s'offense, Au préjugé cruel ne s'étaient point soumis, Mais elle savait bien, résignée et très-douce, Qu'on ne la recevait qu'en petit comité, Et s'attendait toujours, dans sa tranquillité, Au mot qui congédie, à l'accueil qui repousse. Donc, les soirs sans dîner ni bal au piano, Elle venait broder près de l'âtre, en famille, Et c'est là que, devant son air de jeune fille, Je m'étonnai de voir à son doigt un anneau. Stoïque, elle acceptait son étrange veuvage, Sans arrière-pensée et très naïvement ; Pour prouver qu'elle était fidèle à son serment, Sa main avait gardé le signe d'esclavage. Elle était pâle et brune, elle avait vingt-cinq ans. Le sang veinait de bleu ses mains longues et fières, Et, nerveux, les longs cils de ses chastes paupières Voilaient ses regards bruns de battements fréquents. Ni bijou, ni ruban. Nulle marque de joie. Jamais la moindre fleur dans le bandeau châtain ; Et le petit col blanc, étroit et puritain, Tranchait seul sur le deuil de la robe de soie Brodant très-lentement et d'un geste assoupli Et ne se doutant pas que l'ombre transfigure, Sa place dans la chambre était la plus obscure ; Elle parlait à peine et désirait l'oubli. Mais, à la question banale qu'on adresse Quand elle répondait quelques mots en passant, Cela faisait du mal d'entendre cet accent Brisé par la douleur et fait pour la tendresse, Cette voix lente et pure, et lasse de prier, Qu'interrompait jadis la forte voix d'un maître Et qu'une insulte, hélas ! un bras levé peut-être, De honte et de terreur un jour firent crier. Quand un petit enfant présentait à la ronde Son front à nos baisers, oh ! comme lentement, Mélancoliquement et douloureusement, Ses lèvres s'appuyaient sur cette tête blonde ! Mais aussitôt après ce trop cruel plaisir, Comme elle reprenait son travail au plus vite ! Et sur ses traits alors quelle rougeur subite, En songeant au regret qu'on avait pu saisir ! Car je m'apercevais, quoiqu'on fût bon pour elle, Qu'on la plaignît d'avoir fait un si mauvais choix, Que ce monde aux instincts timorés et bourgeois Conservait une crainte, après tout naturelle. J'avais bien remarqué que son humble regard Tremblait d'être heurté par un regard qui brille, Qu'elle n'allait jamais près d'une jeune fille Et ne levait les yeux que devant un vieillard. – Jeune homme qui pourrais aimer la pauvre femme Et qui la trouveras quelque jour sur tes pas, Ne la regarde pas et ne lui parle pas. Ne te fais pas aimer, car ce serait infâme ! Va, je connais l'adresse et les subtilités Du sophisme, aussi bien que tu peux les connaître. Je sais que son œil brûle et que sa voix pénètre, Et quel sang bondira dans vos cœurs révoltés. Je sais qu'elle succombe et qu'elle est sans défense, Qu'elle meurtrit son sein devant le crucifix, Qu'elle t'adorerait comme un dieu, comme un fils ; Je sais que ta victoire est certaine d'avance. Oui, pour toi je suis sûr qu'elle sacrifierait Son unique trésor, l'honneur pur et fidèle, Et que tu voudrais vivre et mourir auprès d'elle. – C'est bien. Mais je suis sûr aussi qu'elle en mourrait.

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    Une sainte À ma mère C’est une vieille fille en cheveux blancs ; elle est Pâle et maigre ; un antique et grossier chapelet S’égrène, machinal, sous ses doigts à mitaines. Sans cesse remuant ses lèvres puritaines D’où tombent les Pater noster et les Ave, Et laissant son tricot de laine inachevé, Droite, elle prie, assise au coin d’un feu de veuve, Dans sa robe de deuil rigide et toujours neuve. Le logis est glacé comme elle. Le cordeau Semble avoir aligné les plis droits du rideau, Que blêmit le reflet pâle d’un jour d’automne ; Et, s’il vient un rayon de soleil, il détonne Et sur le sol découpe un grand carré brutal. Le lit est étriqué comme un lit d’hôpital. L’heure marche sans bruit sous son globe de verre. Tout est froid, triste, gris, monotone et sévère ; Et près du crucifix penché comme un fruit mûr, Deux béquilles d’enfant, en croix, pendent au mur. C’est une histoire simple et très mélancolique Que raconte l’étrange et lugubre relique : Les baisers sur les mains froides des vieux parents ; La bénédiction tremblante des mourants ; Et puis deux orphelins tout seuls, le petit frère Infirme, étiolé, qui souffre et qui se serre, Frileux, contre le sein d’un ange aux cheveux blonds ; La grande sœur, si pâle avec ses voiles longs, Qui, la veille, devant le linceul et le cierge, Jurait aux parents morts, à Jésus, à la Vierge, D’être une mère au pauvre enfant, frêle roseau ; Ce sont les petits bras tendus hors du berceau, La douleur apaisée un instant par un conte, L’insomnie et la voix de l’horloge qui compte L’heure très lentement, les réveils pleins d’effrois, Les soins donnés, les pieds nus sur les carreaux froids, Les baisers appuyés sur la trace des larmes, Et la tisane offerte, et les folles alarmes, Et le petit malade à l’aurore n’offrant Qu’un front plus pâle et qu’un sourire plus navrant. Ce dévoûment obscur a duré dix années, Beauté, jeunesse, fleurs loin du soleil fanées, Tout fut sacrifié sans plainte et sans regret ; Et quand, par les beaux soirs, un instant elle ouvrait À la brise de mai charmante et parfumée La fenêtre toujours par prudence fermée Et laissait ses regards errer à l’horizon, Une toux de l’enfant refermait sa prison. Elle est libre aujourd’hui. C’est une pauvre vieille, Toujours en deuil, dévote, ascétique, pareille Aux béguines qu’on voit errer dans le couvent. Libre ! Pauvre âme simple et douce ! Bien souvent Elle songe, très triste, à son cher esclavage, Et, tout bas, d’une voix sourde, presque sauvage, Elle dit : « Il est mort ! » Puis elle s’attendrit, Et reprend : « Il avait déjà beaucoup d’esprit. Quand il était méchant, il m’appelait madame. Il est mort ! Le bon Dieu l’a pris. Sa petite âme À des ailes. Il est un ange au paradis. Sans quoi serait-il mort ? Quelquefois je me dis Que Dieu prend les enfants pour en faire des anges. Puis il avait des mots et des regards étranges : Peut-être qu’il était ange avant d’être né ? Tes pleurs de chaque jour, ô pauvre condamné, Valent bien tous les longs Oremus qu’on prodigue. Puis un signe de croix était une fatigue Pour son bras. Il savait sourire, et non prier. Il est mort ! Une nuit, je l’entendis crier. J’accourus, je penchai la tête vers sa couche, Et sa dernière haleine a passé sur ma bouche, Et depuis ce temps-là je n’ai plus de gaîté. Le lendemain, des gens sombres l’ont emporté. Pauvre martyr ! Sa bière était toute petite ! J’ai laissé sur son cœur sa médaille bénite. Cela fera plaisir au bon Dieu, n’est-ce pas ? Il est au Ciel. Hélas ! est-il heureux là-bas ? Les anges, on se fait parfois de ces chimères, Ont-ils soin des enfants aussi bien que les mères ? Je doute. Pardonnez, Seigneur, à mon regret ! » Et baissant ses grands yeux où l’âme transparaît, Elle active le cours rythmique et monotone De son lent chapelet. Et le soleil d’automne, Qui dore les carreaux de ses rayons tremblants, Met de vagues lueurs parmi ses cheveux blancs.

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    François Coppée

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    Vieux soulier En mai, par une pure et chaude après-midi, Je cheminais au bord du doux fleuve attiédi Où se réfléchissait la fuite d’un nuage. Je suivais lentement le chemin de halage Tout en fleurs, qui descend en pente vers les eaux. Des peupliers à droite, à gauche des roseaux; Devant moi, les détours de la rivière en marche Et, fermant l’horizon, un pont d’une seule arche. Le courant murmurait, en inclinant les joncs, Et les poissons, avec leurs sauts et leurs plongeons, Sans cesse le ridaient de grands cercles de moire. Le loriot et la fauvette à tête noire Se répondaient parmi les arbres en rideau; Et ces chansons des nids joyeux et ce bruit d’eau Accompagnaient ma douce et lente flânerie. Soudain, dans le gazon de la berge fleurie, Parmi les boutons d’or qui criblaient le chemin, J’aperçus à mes pieds, – premier vestige humain Que j’eusse rencontré dans ce lieu solitaire, – Sous l’herbe et se mêlant déjà presque à la terre, Un soulier laissé là par quelque mendiant. C’était un vieux soulier, sale, ignoble, effrayant, Éculé du talon, bâillant de la semelle, Laid comme la misère et sinistre comme elle, Qui jadis fut sans doute usé par un soldat, Puis, chez le savetier, bien qu’en piteux état, Fut à quelque rôdeur vendu dans une échoppe; Un de ces vieux souliers qui font le tour d’Europe Et qu’un jour, tout meurtri, sanglant, estropié, Le pied ne quitte pas, mais qui quittent le pied. Quel poème navrant dans cette morne épave! Le boulet du forçat ou le fer de l’esclave Sont-ils plus lourds que toi, soulier du vagabond ? Pourquoi t’a-t-on laissé sous cette arche de pont? L’eau doit être profonde ici? Cette rivière N’a-t-elle pas été mauvaise conseillère Au voyageur si las et de si loin venu? Réponds! S’en alla-t-il, en traînant son pied nu, Mendier des sabots à la prochaine auberge? Ou bien, après t’avoir perdu sur cette berge, Ce pauvre, abandonné même par ses haillons, Est-il allé savoir au sein des tourbillons Si l’on n’a plus besoin, quand on dort dans le fleuve, De costume décent et de chaussure neuve? En vain je me défends du dégoût singulier Que j’éprouve à l’aspect ale ce mauvais soulier, Trouvé sur mon chemin, tout seul, dans la campagne. 11 est infâme, il a l’air de venir du bagne; Il est rouge, l’averse ayant lavé le cuir; Et je rêve de meurtre, et j’entends quelqu’un fuir Loin d’un homme râlant dans une rue obscure Et dont les clous sanglants ont broyé la figure! Abominable objet sous mes pas rencontré, Rebut du scélérat ou du désespéré, Tu donnes le frisson. Tout en toi me rappelle, Devant les fleurs, devant la nature si belle, Devant les cieux où court le doux vent aromal, Devant le bon soleil, l’éternité du mal. Tu me dis devant eux, triste témoin sincère, Que le monde est rempli de vice et de misère Et que ceux dont les pieds saignent sur les chemins, O malheur! sont bien près d’ensanglanter leurs mains. – Sois maudit, instrument de crime ou de torture! Mais qu’est-ce que cela peut faire à la nature? Voyez, il disparaît sous l’herbe des sillons; Hideux, il ne fait pas horreur aux papillons; La terre le reprend, il verdit sous la mousse, Et dans le vieux soulier une fleur des champs pousse.

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    François Coppée

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    Vitrail À Paul Verlaine. Sur un fond d’or pâli, les saints rouges et bleus Qu’un plomb noir délimite en dessins anguleux, Croisant les bras, levant au ciel un œil étrange : Marc, brun, près du lion ; Mathieu, roux, près de l’ange Et Jean, tout rose, avec l’oiseau des empereurs ; Luc, et son bœuf, qui fait songer aux laboureurs Dont le Messie aux Juifs parle en ses paraboles : Tous désignant d’un doigt rigide les symboles Écrits sur un feuillet à demi déroulé ; Notre Dame la Vierge, au front immaculé, Présentant sur ses bras Jésus, le divin Maître, Qui lève ses deux doigts pour bénir, comme un prêtre ; Le bon Dieu, blanc vieillard qu’entourent les élus Inclinés sous le vol des Chérubins joufflus ; Et le Christ, abreuvé de fiel et de vinaigre, Cambrant sur le bois noir son torse jaune et maigre.

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