Titre : Une sainte
Auteur : François Coppée Recueil : Le Reliquaire, 1866
À ma mère
C’est une vieille fille en cheveux blancs ; elle est
Pâle et maigre ; un antique et grossier chapelet
S’égrène, machinal, sous ses doigts à mitaines.
Sans cesse remuant ses lèvres puritaines
D’où tombent les Pater noster et les Ave,
Et laissant son tricot de laine inachevé,
Droite, elle prie, assise au coin d’un feu de veuve,
Dans sa robe de deuil rigide et toujours neuve.
Le logis est glacé comme elle. Le cordeau
Semble avoir aligné les plis droits du rideau,
Que blêmit le reflet pâle d’un jour d’automne ;
Et, s’il vient un rayon de soleil, il détonne
Et sur le sol découpe un grand carré brutal.
Le lit est étriqué comme un lit d’hôpital.
L’heure marche sans bruit sous son globe de verre.
Tout est froid, triste, gris, monotone et sévère ;
Et près du crucifix penché comme un fruit mûr,
Deux béquilles d’enfant, en croix, pendent au mur.
C’est une histoire simple et très mélancolique
Que raconte l’étrange et lugubre relique :
Les baisers sur les mains froides des vieux parents ;
La bénédiction tremblante des mourants ;
Et puis deux orphelins tout seuls, le petit frère
Infirme, étiolé, qui souffre et qui se serre,
Frileux, contre le sein d’un ange aux cheveux blonds ;
La grande sœur, si pâle avec ses voiles longs,
Qui, la veille, devant le linceul et le cierge,
Jurait aux parents morts, à Jésus, à la Vierge,
D’être une mère au pauvre enfant, frêle roseau ;
Ce sont les petits bras tendus hors du berceau,
La douleur apaisée un instant par un conte,
L’insomnie et la voix de l’horloge qui compte
L’heure très lentement, les réveils pleins d’effrois,
Les soins donnés, les pieds nus sur les carreaux froids,
Les baisers appuyés sur la trace des larmes,
Et la tisane offerte, et les folles alarmes,
Et le petit malade à l’aurore n’offrant
Qu’un front plus pâle et qu’un sourire plus navrant.
Ce dévoûment obscur a duré dix années,
Beauté, jeunesse, fleurs loin du soleil fanées,
Tout fut sacrifié sans plainte et sans regret ;
Et quand, par les beaux soirs, un instant elle ouvrait
À la brise de mai charmante et parfumée
La fenêtre toujours par prudence fermée
Et laissait ses regards errer à l’horizon,
Une toux de l’enfant refermait sa prison.
Elle est libre aujourd’hui.
C’est une pauvre vieille,
Toujours en deuil, dévote, ascétique, pareille
Aux béguines qu’on voit errer dans le couvent.
Libre ! Pauvre âme simple et douce ! Bien souvent
Elle songe, très triste, à son cher esclavage,
Et, tout bas, d’une voix sourde, presque sauvage,
Elle dit : « Il est mort ! » Puis elle s’attendrit,
Et reprend : « Il avait déjà beaucoup d’esprit.
Quand il était méchant, il m’appelait madame.
Il est mort ! Le bon Dieu l’a pris. Sa petite âme
À des ailes. Il est un ange au paradis.
Sans quoi serait-il mort ? Quelquefois je me dis
Que Dieu prend les enfants pour en faire des anges.
Puis il avait des mots et des regards étranges :
Peut-être qu’il était ange avant d’être né ?
Tes pleurs de chaque jour, ô pauvre condamné,
Valent bien tous les longs Oremus qu’on prodigue.
Puis un signe de croix était une fatigue
Pour son bras. Il savait sourire, et non prier.
Il est mort ! Une nuit, je l’entendis crier.
J’accourus, je penchai la tête vers sa couche,
Et sa dernière haleine a passé sur ma bouche,
Et depuis ce temps-là je n’ai plus de gaîté.
Le lendemain, des gens sombres l’ont emporté.
Pauvre martyr ! Sa bière était toute petite !
J’ai laissé sur son cœur sa médaille bénite.
Cela fera plaisir au bon Dieu, n’est-ce pas ?
Il est au Ciel. Hélas ! est-il heureux là-bas ?
Les anges, on se fait parfois de ces chimères,
Ont-ils soin des enfants aussi bien que les mères ?
Je doute. Pardonnez, Seigneur, à mon regret ! »
Et baissant ses grands yeux où l’âme transparaît,
Elle active le cours rythmique et monotone
De son lent chapelet. Et le soleil d’automne,
Qui dore les carreaux de ses rayons tremblants,
Met de vagues lueurs parmi ses cheveux blancs.