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Souvenirs

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Souvenirs

Poésies de la collection souvenirs

    Alain Bosquet

    Alain Bosquet

    @alainBosquet

    En souvenir de Nerval Je suis l'autre et le Même et celui qui invente le bel Absent pour à la fois se remplacer par l'Inconnu et se confondre dans la peur avec le Nul et l'Innommable. Ô jeu pervers ! n'importe qui se veut Abstrait : si le dégoût de notre entendement nous dédouble, celui de notre corps sans corps exerce un tel ravage dans chaque mot ! De quel affreux Non-être l'Être serait-il le refus ? Je suis l'Inachevé qui demande une grâce : un homme aux mille chairs pourrait-il effacer la mienne, cette insulte au gratuit ? Je serais, ne le comprenant pas, l'Inverse, avec un peu de sang que coagule la mémoire, ô veuvage en mal de quelque Veuf !

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    A

    Albert Mérat

    @albertMerat

    Tu peux bien ne pas revenir Tu peux bien ne pas revenir Si c’est à présent ton envie ; Mais redoute mon souvenir, Qui, malgré toi, t’aura suivie Dans les songes des nuits d’été Des étoiles étaient écloses. Ton pied cher, sans but arrêté. A perdu le chemin des roses Il n’est de loin pas de retour. Les sources claires sont taries Où tu mirais ton pauvre amour... Les petites fleurs sont flétries !

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Ton souvenir est comme un livre Ton Souvenir est comme un livre bien aimé, Qu'on lit sans cesse, et qui jamais n'est refermé, Un livre où l'on vit mieux sa vie, et qui vous hante D'un rêve nostalgique, où l'âme se tourmente. Je voudrais, convoitant l'impossible en mes vœux, Enfermer dans un vers l'odeur de tes cheveux ; Ciseler avec l'art patient des orfèvres Une phrase infléchie au contour de tes lèvres ; Emprisonner ce trouble et ces ondes d'émoi Qu'en tombant de ton âme, un mot propage en moi ; Dire quelle mer chante en vagues d'élégie Au golfe de tes seins où je me réfugie ; Dire, oh surtout ! tes yeux doux et tièdes parfois Comme une après-midi d'automne dans les bois ; De l'heure la plus chère enchâsser la relique, Et, sur le piano, tel soir mélancolique, Ressusciter l'écho presque religieux D'un ancien baiser attardé sur tes yeux.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A George Sand (VI) Porte ta vie ailleurs, ô toi qui fus ma vie ; Verse ailleurs ce trésor que j’avais pour tout bien. Va chercher d’autres lieux, toi qui fus ma patrie, Va fleurir, ô soleil, ô ma belle chérie, Fais riche un autre amour et souviens-toi du mien. Laisse mon souvenir te suivre loin de France ; Qu’il parte sur ton coeur, pauvre bouquet fané, Lorsque tu l’as cueilli, j’ai connu l’Espérance, Je croyais au bonheur, et toute ma souffrance Est de l’avoir perdu sans te l’avoir donné.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    À Madame M. N Je vous ai vue enfant, maintenant que j'y pense, Fraîche comme une rose et le cœur dans les yeux. Je vous ai vu bambin, boudeur et paresseux ; Vous aimiez lord Byron, les grands vers et la danse. Ainsi nous revenaient les jours de notre enfance, Et nous parlions déjà le langage des vieux ; Ce jeune souvenir riait entre nous deux, Léger comme un écho, gai comme l'espérance. Le lâche craint le temps parce qu'il fait mourir ; Il croit son mur gâté lorsqu'une fleur y pousse. O voyageur ami, père du souvenir !

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    À mon Frère, revenant d'Italie Ainsi, mon cher, tu t'en reviens Du pays dont je me souviens Comme d'un rêve, De ces beaux lieux où l'oranger Naquit pour nous dédommager Du péché d'Ève. Tu l'as vu, ce ciel enchanté Qui montre avec tant de clarté Le grand mystère ; Si pur, qu'un soupir monte à Dieu Plus librement qu'en aucun lieu Qui soit sur terre. Tu les as vus, les vieux manoirs De cette ville aux palais noirs Qui fut Florence, Plus ennuyeuse que Milan Où, du moins, quatre ou cinq fois l'an, Cerrito danse. Tu l'as vue, assise dans l'eau, Portant gaiement son mezzaro, La belle Gênes, Le visage peint, l'oeil brillant, Qui babille et joue en riant Avec ses chaînes.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Lucie Mes chers amis, quand je mourrai, Plantez un saule au cimetière. J’aime son feuillage éploré ; La pâleur m’en est douce et chère, Et son ombre sera légère À la terre où je dormirai. Un soir, nous étions seuls, j’étais assis près d’elle ; Elle penchait la tête, et sur son clavecin Laissait, tout en rêvant, flotter sa blanche main. Ce n’était qu’un murmure : on eût dit les coups d’aile D’un zéphyr éloigné glissant sur des roseaux, Et craignant en passant d’éveiller les oiseaux. Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques Sortaient autour de nous du calice des fleurs. Les marronniers du parc et les chênes antiques Se berçaient doucement sous leurs rameaux en pleurs. Nous écoutions la nuit ; la croisée entr’ouverte Laissait venir à nous les parfums du printemps ; Les vents étaient muets, la plaine était déserte ; Nous étions seuls, pensifs, et nous avions quinze ans. Je regardais Lucie. – Elle était pâle et blonde. Jamais deux yeux plus doux n’ont du ciel le plus pur Sondé la profondeur et réfléchi l’azur. Sa beauté m’enivrait ; je n’aimais qu’elle au monde. Mais je croyais l’aimer comme on aime une soeur, Tant ce qui venait d’elle était plein de pudeur ! Nous nous tûmes longtemps ; ma main touchait la sienne. Je regardais rêver son front triste et charmant, Et je sentais dans l’âme, à chaque mouvement, Combien peuvent sur nous, pour guérir toute peine, Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur, Jeunesse de visage et jeunesse de coeur. La lune, se levant dans un ciel sans nuage, D’un long réseau d’argent tout à coup l’inonda. Elle vit dans mes yeux resplendir son image ; Son sourire semblait d’un ange : elle chanta. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fille de la douleur, harmonie ! harmonie ! Langue que pour l’amour inventa le génie ! Qui nous vins d’Italie, et qui lui vins des cieux ! Douce langue du coeur, la seule où la pensée, Cette vierge craintive et d’une ombre offensée, Passe en gardant son voile et sans craindre les yeux ! Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire Dans tes soupirs divins, nés de l’air qu’il respire, Tristes comme son coeur et doux comme sa voix ? On surprend un regard, une larme qui coule ; Le reste est un mystère ignoré de la foule, Comme celui des flots, de la nuit et des bois ! – Nous étions seuls, pensifs ; je regardais Lucie. L’écho de sa romance en nous semblait frémir. Elle appuya sur moi sa tête appesantie. Sentais-tu dans ton coeur Desdemona gémir, Pauvre enfant ? Tu pleurais ; sur ta bouche adorée Tu laissas tristement mes lèvres se poser, Et ce fut ta douleur qui reçut mon baiser. Telle je t’embrassai, froide et décolorée, Telle, deux mois après, tu fus mise au tombeau ; Telle, ô ma chaste fleur ! tu t’es évanouie. Ta mort fut un sourire aussi doux que ta vie, Et tu fus rapportée à Dieu dans ton berceau. Doux mystère du toit que l’innocence habite, Chansons, rêves d’amour, rires, propos d’enfant, Et toi, charme inconnu dont rien ne se défend, Qui fis hésiter Faust au seuil de Marguerite, Candeur des premiers jours, qu’êtes-vous devenus ? Paix profonde à ton âme, enfant ! à ta mémoire ! Adieu ! ta blanche main sur le clavier d’ivoire, Durant les nuits d’été, ne voltigera plus… Mes chers amis, quand je mourrai, Plantez un saule au cimetière. J’aime son feuillage éploré ; La pâleur m’en est douce et chère, Et son ombre sera légère À la terre où je dormirai.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Sur trois marches de marbre rose Depuis qu'Adam, ce cruel homme, A perdu son fameux jardin, Où sa femme, autour d'une pomme, Gambadait sans vertugadin, Je ne crois pas que sur la terre Il soit un lieu d'arbres planté Plus célébré, plus visité, Mieux fait, plus joli, mieux hanté, Mieux exercé dans l'art de plaire, Plus examiné, plus vanté, Plus décrit, plus lu, plus chanté, Que l'ennuyeux parc de Versailles. Ô dieux ! ô bergers ! ô rocailles ! Vieux Satyres, Termes grognons, Vieux petits ifs en rangs d'oignons, Ô bassins, quinconces, charmilles ! Boulingrins pleins de majesté, Où les dimanches, tout l'été, Bâillent tant d'honnêtes familles ! Fantômes d'empereurs romains, Pâles nymphes inanimées Qui tendez aux passants les mains, Par des jets d'eau tout enrhumées ! Tourniquets d'aimables buissons, Bosquets tondus où les fauvettes Cherchent en pleurant leurs chansons, Où les dieux font tant de façons Pour vivre à sec dans leurs cuvettes ! Ô marronniers ! n'ayez pas peur ; Que votre feuillage immobile, Me sachant versificateur, N'en demeure pas moins tranquille. Non, j'en jure par Apollon Et par tout le sacré vallon, Par vous, Naïades ébréchées, Sur trois cailloux si mal couchées, Par vous, vieux maîtres de ballets, Faunes dansant sur la verdure, Par toi-même, auguste palais, Qu'on n'habite plus qu'en peinture, Par Neptune, sa fourche au poing, Non, je ne vous décrirai point. Je sais trop ce qui vous chagrine ; De Phoebus je vois les effets : Ce sont les vers qu'on vous a faits Qui vous donnent si triste mine. Tant de sonnets, de madrigaux, Tant de ballades, de rondeaux, Où l'on célébrait vos merveilles, Vous ont assourdi les oreilles, Et l'on voit bien que vous dormez Pour avoir été trop rimés.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Tristesse J'ai perdu ma force et ma vie, Et mes amis et ma gaieté ; J'ai perdu jusqu'à la fierté Qui faisait croire à mon génie. Quand j'ai connu la Vérité, J'ai cru que c'était une amie ; Quand je l'ai comprise et sentie, J'en étais déjà dégoûté. Et pourtant elle est éternelle, Et ceux qui se sont passés d'elle Ici-bas ont tout ignoré. Dieu parle, il faut qu'on lui réponde. Le seul bien qui me reste au monde Est d'avoir quelquefois pleuré.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    La vigne et la maison (IV) Efface ce séjour, ô Dieu ! de ma paupière, Ou rends-le-moi semblable à celui d'autrefois, Quand la maison vibrait comme un grand cœur de pierre De tous ces cœurs joyeux qui battaient sous ses toits !

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Le lac Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ? Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu'elle devait revoir, Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre Où tu la vis s'asseoir ! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés, Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ; On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Les voiles Quand j’étais jeune et fier et que j’ouvrais mes ailes, Les ailes de mon âme à tous les vents des mers, Les voiles emportaient ma pensée avec elles, Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers. Je voyais dans ce vague où l’horizon se noie Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin Des continents de vie et des îles de joie Où la gloire et l’amour m’appelaient de la main. J’enviais chaque nef qui blanchissait l’écume, Heureuse d’aspirer au rivage inconnu, Et maintenant, assis au bord du cap qui fume, J’ai traversé ces flots et j’en suis revenu. Et j’aime encor ces mers autrefois tant aimées, Non plus comme le champ de mes rêves chéris, Mais comme un champ de mort où mes ailes semées De moi-même partout me montrent les débris. Cet écueil me brisa, ce bord surgit funeste, Ma fortune sombra dans ce calme trompeur ; La foudre ici sur moi tomba de l’arc céleste Et chacun de ces flots roule un peu de mon coeur.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Milly ou la terre natale Pourquoi le prononcer, ce nom de la patrie ? Dans son brillant exil mon cœur en a frémi ; Il résonne de loin dans mon âme attendrie, Comme les pas connus ou la voix d’un ami. Montagnes que voilait le brouillard de l’automne, Vallons que tapissait le givre du matin, Saules dont l’émondeur effeuillait la couronne, Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain, Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide, Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide, Et, leur urne à la main, s’entretenaient du jour, Chaumière où du foyer étincelait la flamme, Toit que le pèlerin aimait à voir fumer; Objets inanimés, avez-vous donc une âme Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Souvenir En vain le jour succède au jour, Ils glissent sans laisser de trace ; Dans mon âme rien ne t'efface, Ô dernier songe de l'amour ! Je vois mes rapides années S'accumuler derrière moi, Comme le chêne autour de soi Voit tomber ses feuilles fanées. Mon front est blanchi par le temps ; Mon sang refroidi coule à peine, Semblable à cette onde qu'enchaîne Le souffle glacé des autans. Mais ta jeune et brillante image, Que le regret vient embellir, Dans mon sein ne saurait vieillir Comme l'âme, elle n'a point d'âge. Non, tu n'as pas quitté mes yeux ; Et quand mon regard solitaire Cessa de te voir sur la terre, Soudain je te vis dans les cieux. Là, tu m'apparais telle encore Que tu fus à ce dernier jour, Quand vers ton céleste séjour Tu t'envolas avec l'aurore. Ta pure et touchante beauté Dans les cieux même t'a suivie ; Tes yeux, où s'éteignait la vie, Rayonnent d'immortalité ! Du zéphyr l'amoureuse haleine Soulève encor tes longs cheveux ; Sur ton sein leurs flots onduleux Retombent en tresses d'ébène, L'ombre de ce voile incertain Adoucit encor ton image, Comme l'aube qui se dégage Des derniers voiles du matin. Du soleil la céleste flamme Avec les jours revient et fuit ; Mais mon amour n'a pas de nuit, Et tu luis toujours sur mon âme. C'est toi que j'entends, que je vois, Dans le désert, dans le nuage ; L'onde réfléchit ton image ; Le zéphyr m'apporte ta voix. Tandis que la terre sommeille, Si j'entends le vent soupirer, Je crois t'entendre murmurer Des mots sacrés à mon oreille. Si j'admire ces feux épars Qui des nuits parsèment le voile, Je crois te voir dans chaque étoile Qui plaît le plus à mes regards. Et si le souffle du zéphyr M'enivre du parfum des fleurs. Dans ses plus suaves odeurs C'est ton souffle que je respire. C'est ta main qui sèche mes pleurs, Quand je vais, triste et solitaire, Répandre en secret ma prière Près des autels consolateurs. Quand je dors, tu veilles dans l'ombre ; Tes ailes reposent sur moi ; Tous mes songes viennent de toi, Doux comme le regard d'une ombre. Pendant mon sommeil, si ta main De mes jours déliait la trame, Céleste moitié de mon âme, J'irais m'éveiller dans ton sein ! Comme deux rayons de l'aurore, Comme deux soupirs confondus, Nos deux âmes ne forment plus Qu'une âme, et je soupire encore !

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    A

    André Frénaud

    @andreFrenaud

    Le souvenir vivant de Joseph F. pêcheur de collioure En revenant de Collioure le plus long jour de l'année, tellement insuffisant pour s'épancher avec l'ami nouveau. Malhabiles nous sommes à nous atteindre, les hommes, malgré la promesse entrevue dans l'eau du regard. La pêche est à portée, mais on prend toujours si peu. Richesses furtives qui ne parviennent pas à s'échanger. Cœurs obscurcis par trop de navigations douloureuses. Cœurs secrets, plus difficiles à gagner que les poissons. En vain le clapotis figé par la nuit s'efforce de retenir le train qui s'allonge dans le matin lent. Nous sommes si loin déjà de la lueur de la rencontre, emportés dans le quotidien, sans certitude de retour. Mais à jamais le souvenir de cet homme comme un fer obstiné, dans un coin inaperçu du cœur me blessera d'une blessure, comme est la droiture, merveilleuse.

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    A

    André Lemoyne

    @andreLemoyne

    Vieux logis Dans un cher souvenir de vos jeunes années, Ne regrettez-vous pas ces hautes cheminées Où l'âtre, réjoui par un grand feu de bois, Réchauffait, en flambant, nos maisons d'autrefois ? Ne regrettez-vous pas ces vieilles cheminées Dans l'épaisseur des murs en granit maçonnées, Qui portaient sur trois rangs de nombreux andouillers Dont les fusils de chasse ornaient les râteliers. Près du feu sommeillait un grand chien débonnaire Qui poursuivait en rêve un lièvre imaginaire, Et sans rouvrir les yeux jappait à demi-voix, Comme s'il bondissait à travers champs et bois. Si, partis avant jour, tous les beaux chiens de race, Courant loin du logis, s'éparpillaient en chasse, Alors, très prudemment, de gros chats arrondis S'y prélassaient, heureux d'un si chaud paradis. Quand le sarment jetait ses gerbes d'étincelles Au dressoir miroitant des antiques vaisselles, Comme un riche éventail en ordre s'étageant, Plats de cuivre et d'étain semblaient d'or et d'argent. Aux murs le Juif-Errant d'une ancienne gravure, Sans pouvoir se coucher, pas même sur la dure, De son pas éternel marchait dans un brouillard ; Ailleurs, mais à cheval, Jeanne d'Arc et Bayard. Quand soufflait un vent noir roulant des feuilles mortes, Si quelque infortuné, le soir, frappait aux portes, Un pauvre, un voyageur perdu dans son chemin : « Entrez, lui disait-on. Restez jusqu'à demain. »

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    A

    Antoine de Latour

    @antoineDeLatour

    Adieu Tu pars !... deux jours hélas, et tu n'es plus pour nous Qu'un de ces souvenirs solitaires et doux Dont le cœur s'empare en silence. Pourquoi donc venais-tu si tu devais nous fuir ? Hélas ! mes jours sereins au nonchalant loisir Ne renaîtront pas de l'absence. Ah ! je devais penser (mais comment le pouvoir Quand je laissais mes yeux s'égarer chaque soir Sur cette place où tu reposes) Que l'amour ici-bas n'a que de courts instants, Que la vie est un songe, et qu'avec le printemps Hélas ! s'en vont toutes les roses. Tu t'en vas donc aussi !... Pars, s'il est quelque bord Où tu sois plus aimée, où plus d'âmes d'abord Recherchent ton heureux empire, Où tu puisses ravir, sans effort et sans art, Plus de regards d'amour avec un seul regard, Plus de cœurs avec un sourire. Tu pars ! je les maudis ces lieux où tu n'es plus, Et cependant jamais ne furent répandus Plus de trésors sur les campagnes, Jamais Dieu n'épancha de son sein paternel Parfums plus purs aux fleurs, plus mol azur au ciel, Plus douce rosée aux montagnes. Tu parus, aussitôt tout s'embellit de toi ; Tu parus, et le jour devint plus doux pour moi, Et la nuit devint plus sereine... Adieu, gloire, avenir ! Oh ! j'aurais tout donné Pour sentir un moment sur mon front incliné L'ombre de tes cheveux d'ébène. Tu n'étais pas venue et déjà cependant Je ne sais quel parfum de ton nom s'exhalant Allait devant ta renommée ; Et le jour où sur moi s'abaissèrent tes yeux... Où t'avais-je donc vue ? En quel songe des cieux ? Je crus déjà t'avoir aimée. Oh ! comme lentement vont se traîner les mois ! Plus de brise dans l'air, plus d'ombre sous les bois, De rêverie au bord des fleuves !... Encore si ta voix eût laissé sur mon cœur Tomber un de ces mots d'ineffable douceur Qui consolent les âmes veuves ! Ce mot eût fait éclore un magique univers Où pour l'entretenir de mes regrets si chers J'aurais enseveli ma vie ; Ainsi pour se bercer d'une image d'amour Le cygne sous son aile en attendant le jour, Ramène sa tête endormie. Mais pas même ce mot ! A l'heure du départ Ma furtive douleur s'exhalant à l'écart Évitera jusqu'à ta vue, Et quand de ton exil tu reviendras enfin, Ton œil indifférent retrouvera le mien Sans y chercher la bienvenue.

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    A

    Antoine de Latour

    @antoineDeLatour

    Souvenir Que voulez-vous de moi, sylphe de ma colline ? A mes tristes combats venez-vous m'arracher ? Ah ! ce n'est plus l'enfant que votre main divine Berçait déjà rêveur, au pied de son rocher. Depuis que loin de vous mon pied, hélas ! chemine, Si longtemps et si loin je l'ai laissé marcher, Qu'aujourd'hui vainement mon oreille s'incline, Pour écouter encore l'appel de mon clocher. Pourtant à mon oreille il était doux et tendre, Quand sous les châtaigniers il venait me surprendre, Et qu'il mêlait sa plainte aux chansons de mes sœurs. Moi, je chantais aussi, mais ce chant de ma joie, En traversant l'orage où mon cœur fut en proie, Y prit, je le sens trop, l'amertume des pleurs.

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    A

    Antoine de Latour

    @antoineDeLatour

    Souvenir de Mai Un matin que, troublé de sa mélancolie, Mon cœur péniblement portait le poids du jour, Je suivais le chemin, méditant la folie A qui nous avons fait ce beau nom de l'amour. Et je me demandais si jusqu'à la dernière Elle tourmenterait mes heures, ici-bas, Comme ce vent du nord qui va, dans sa colère, Inclinant tour à tour les arbres sur mes pas. Et je n'osais plonger mes regards dans l'allée, De peur de voir au fond m'apparaître soudain L'image que toujours mes vers gardent voilée, Et que depuis longtemps j'adore de si loin. Et c'est vous que j'ai vue... et blanche et reposée, Vous étiez là, lisant : un saule vous couvrait, Et sur votre front pur secouant sa rosée, La haie harmonieuse entre nous murmurait. Et ce tableau si doux de paix et d'innocence, Amie, a fait rentrer le calme dans mon cœur, Et j'aurais bien voulu, dans ma reconnaissance, Effeuiller à vos pieds tout ce jardin en fleur. Ainsi, dans cette vie agitée et flottante, Quand nous nous croyons seuls et désertés de tous, Par-delà le mur sombre ou la haie odorante, Un ange du Seigneur passe à côté de nous.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Chanson de la plus haute tour Oisive jeunesse À tout asservie, Par délicatesse J'ai perdu ma vie. Ah! que le temps vienne Où les cœurs s'éprennent. Je me suis dit : laisse, Et qu'on ne te voie : Et sans la promesse De plus hautes joies. Que rien ne t'arrête Auguste retraite.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Jadis, si je me souviens bien «Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. — Et je l'ai trouvée amère. — Et je l'ai injuriée. Je me suis armé contre la justice. Je me suis enfui. O sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié ! Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce. J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie. Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot. Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit. La charité est cette clef. — Cette inspiration prouve que j'ai rêvé ! «Tu resteras hyène, etc.», se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. «Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux. » Ah! j'en ai trop pris: — Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Ô saisons, ô châteaux Ô saisons ô châteaux, Quelle âme est sans défauts ? Ô saisons, ô châteaux, J'ai fait la magique étude Du Bonheur, que nul n'élude. Ô vive lui, chaque fois Que chante son coq gaulois. Mais ! je n'aurai plus d'envie, Il s'est chargé de ma vie. Ce Charme ! il prit âme et corps. Et dispersa tous efforts. Que comprendre à ma parole ? Il fait qu'elle fuie et vole ! Ô saisons, ô châteaux ! Et, si le malheur m'entraîne, Sa disgrâce m'est certaine. Il faut que son dédain, las ! Me livre au plus prompt trépas ! - Ô Saisons, ô Châteaux !

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    C

    Caroline Baucher

    @carolineBaucher

    Le boulevard du temps Le boulevard d’antan Connaissez- vous la rue d’antan : on y croise beaucoup d’autre fois. Ceux, qui, autre fois, me faisais croire à l’espoir. Avec le temps, l’espoir a pris d’autres chemins. Connaissez- vous la rue d’antan, celle où il y avait tant de plus tard ; celle, où maintenant, se noient les avants dans les torrents de regret. Le regret de regretter tant de choses Connaissez-vous la rue d’antan, celle où il y a tant de parfums qui chantent le passé : celle où tant de fleurs se sont fanées au bord de mes yeux Connaissez -vous la rue d’antan, celle où il y a tant de sens interdits, par ceux qui m’ont volé mon innocence : cette réalité si irréelle qui brise tant de vie. Connaissez-vous la rue des autres fois, celle pavée de temps jadis, celle où le temps avait tous son temps pour penser à demain ; ces demains qui sont déjà hier. Connaissez-vous le boulevard u temps ?

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    C

    Catulle Mendès

    @catulleMendes

    Le poète se souvient d'une fleur... Cueillie au printemps Une rose d'un mois d'avril Sous une étoile qui regarde Éveilla, malice ou mégarde, Mon désir pas encor viril. C'est ta bouche au rose grésil Qui fut pour ton page, Hildegarde, Une rose d'un mois d'avril Sous une étoile qui regarde. J'ai connu les deuils, le péril, Depuis, et l'angoisse hagarde ! Mais qu'importe, puisque je garde Fraîche en mon vieux coeur puéril Une rose d'un mois d'avril !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans. Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans, De vers, de billets doux, de procès, de romances, Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances, Cache moins de secrets que mon triste cerveau. C'est une pyramide, un immense caveau, Qui contient plus de morts que la fosse commune. - Je suis un cimetière abhorré de la lune, Où comme des remords se traînent de longs vers Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers. Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées, Où gît tout un fouillis de modes surannées, Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher, Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché. Rien n'égale en longueur les boiteuses journées, Quand sous les lourds flocons des neigeuses années L'ennui, fruit de la morne incuriosité, Prend les proportions de l'immortalité. - Désormais tu n'es plus, ô matière vivante ! Qu'un granit entouré d'une vague épouvante, Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux ; Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux, Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    J'aime le souvenir de ces époques nues J'aime le souvenir de ces époques nues, Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues. Alors l'homme et la femme en leur agilité Jouissaient sans mensonge et sans anxiété, Et, le ciel amoureux leur caressant l'échine, Exerçaient la santé de leur noble machine. Cybèle alors, fertile en produits généreux, Ne trouvait point ses fils un poids trop onéreux, Mais, louve au coeur gonflé de tendresses communes, Abreuvait l'univers à ses tétines brunes. L'homme, élégant, robuste et fort, avait le droit D'être fier des beautés qui le nommaient leur roi ; Fruits purs de tout outrage et vierges de gerçures, Dont la chair lisse et ferme appelait les morsures ! Le Poète aujourd'hui, quand il veut concevoir Ces natives grandeurs, aux lieux où se font voir La nudité de l'homme et celle de la femme, Sent un froid ténébreux envelopper son âme Devant ce noir tableau plein d'épouvantement. Ô monstruosités pleurant leur vêtement ! Ô ridicules troncs ! torses dignes des masques ! Ô pauvres corps tordus, maigres, ventrus ou flasques, Que le dieu de l'Utile, implacable et serein, Enfants, emmaillota dans ses langes d'airain ! Et vous, femmes, hélas ! pâles comme des cierges, Que ronge et que nourrit la débauche, et vous, vierges, Du vice maternel traînant l'hérédité Et toutes les hideurs de la fécondité ! Nous avons, il est vrai, nations corrompues, Aux peuples anciens des beautés inconnues : Des visages rongés par les chancres du coeur, Et comme qui dirait des beautés de langueur ; Mais ces inventions de nos muses tardives N'empêcheront jamais les races maladives De rendre à la jeunesse un hommage profonde, - A la sainte jeunesse, à l'air simple, au doux front, A l'oeil limpide et clair ainsi qu'une eau courante, Et qui va répandant sur tout, insouciante Comme l'azur du ciel, les oiseaux et les fleurs, Ses parfums, ses chansons et ses douces chaleurs !

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    Charles Baudelaire

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    L'horloge Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit : "Souviens-toi ! Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d'effroi Se planteront bientôt comme dans une cible, Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ; Chaque instant te dévore un morceau du délice A chaque homme accordé pour toute sa saison. Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois, Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde ! Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor ! (Mon gosier de métal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !

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    Charles Baudelaire

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    L'amour du mensonge Quand je te vois passer, ô ma chère indolente, Au chant des instruments qui se brise au plafond Suspendant ton allure harmonieuse et lente, Et promenant l'ennui de ton regard profond ; Quand je contemple, aux feux du gaz qui le colore, Ton front pâle, embelli par un morbide attrait, Où les torches du soir allument une aurore, Et tes yeux attirants comme ceux d'un portrait, Je me dis : Qu'elle est belle ! et bizarrement fraîche ! Le souvenir massif, royale et lourde tour, La couronne, et son coeur, meurtri comme une pêche, Est mûr, comme son corps, pour le savant amour. Es-tu le fruit d'automne aux saveurs souveraines ? Es-tu vase funèbre attendant quelques pleurs, Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines, Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs ? Je sais qu'il est des yeux, des plus mélancoliques Qui ne recèlent point de secrets précieux ; Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques, Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux ! Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence, Pour réjouir un coeur qui fuit la vérité ? Qu'importe ta bêtise ou ton indifférence ? Masque ou décor, salut ! J'adore ta beauté.

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    Charles Baudelaire

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    L'ennemi Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils ; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. Voilà que j'ai touché l'automne des idées, Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux Pour rassembler à neuf les terres inondées, Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux. Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? - Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie, Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

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    Charles Baudelaire

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    La chevelure Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d’autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum. J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève ! Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts : Un port retentissant où mon âme peut boire A grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur. Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé ! Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m’enivre ardemment des senteurs confondues De l’huile de coco, du musc et du goudron. Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?

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