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Souvenirs

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Souvenirs

Poésies de la collection souvenirs

    L

    Louise Ackermann

    @louiseAckermann

    Le fantôme D’un souffle printanier l’air tout à coup s’embaume. Dans notre obscur lointain un spectre s’est dressé, Et nous reconnaissons notre propre fantôme Dans cette ombre qui sort des brumes du passé. Nous le suivons de loin, entraînés par un charme A travers les débris, à travers les détours, Retrouvant un sourire et souvent une larme Sur ce chemin semé de rêves et d’amours. Par quels champs oubliés et déjà voilés d’ombre Cette poursuite vaine un moment nous conduit Vers plus d’un mont désert, dans plus d’un vallon sombre, Le fantôme léger nous égare après lui. Les souvenirs dormants de la jeunesse éteinte S’éveillent sous ses pas d’un sommeil calme et doux ; Ils murmurent ensemble ou leur chant ou leur plainte. Dont les échos mourants arrivent jusqu’à nous. Et ces accents connus nous émeuvent encore. Mais à nos yeux bientôt la vision décroît ; Comme l’ombre d’Hamlet qui fuit et s’évapore, Le spectre disparaît en criant : Souviens-toi !

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    Louise Colet

    Louise Colet

    @louiseColet

    Souviens-toi de moi Pars, puisque la gloire t'appelle ! Mais lorsque tu t'enivres d'elle, Oh ! du moins, souviens-toi de moi ! Quand la louange autour de toi Se répand douce à ton oreille, Ah ! que mon image s'éveille Dans ton cœur, souviens-toi de moi ! D'autres femmes te seront chères. D'autres bras pourront t'enlacer, Et tous les biens que tu préfères Sur tes pas viendront se presser ; Mais si celles que ton cœur aime Sont heureuses auprès de toi, En goûtant le bonheur suprême, Oh ! toujours souviens-toi de moi ! La nuit, quand ta vue est charmée Par ton étoile bien-aimée, Alors, oh ! souviens-toi de moi. Pense qu'elle brilla sur toi Un soir où nous étions ensemble ; Et quand sur ton front elle tremble, Oh ! toujours souviens-toi de moi. Lorsque dans l'été tu reposes Tes yeux sur les mourantes roses Que nous aimions tant autrefois, Lorsque leur parfum t'environne, Songe à cette heure où sous mes doigts Je t'en formais une couronne Puis les effeuillais avec toi ; Et toujours souviens-toi de moi. Puis, quand le vent du nord résonne, Et que les feuilles de l'automne Glissent éparses près de toi, Alors, oh ! souviens-toi de moi. Lorsque tu contemples dans l'âtre La flamme ondoyante et bleuâtre, Oh ! toujours souviens-toi de moi ! Si des chants de mélancolie Tout à coup viennent te frapper, Si tu sens ton âme amollie Dans une larme s'échapper ; Si ton souvenir te murmure L'harmonie enivrante et pure Que j'entendais auprès de toi, Oh ! pleure, et souviens-toi de moi !

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    Marcel Proust

    Marcel Proust

    @marcelProust

    Je contemple souvent le ciel de ma mémoire Le temps efface tout comme effacent les vagues Les travaux des enfants sur le sable aplani Nous oublierons ces mots si précis et si vagues Derrière qui chacun nous sentions l’infini. Le temps efface tout il n’éteint pas les yeux Qu’ils soient d’opale ou d’étoile ou d’eau claire Beaux comme dans le ciel ou chez un lapidaire Ils brûleront pour nous d’un feu triste ou joyeux. Les uns joyaux volés de leur écrin vivant Jetteront dans mon coeur leurs durs reflets de pierre Comme au jour où sertis, scellés dans la paupière Ils luisaient d’un éclat précieux et décevant. D’autres doux feux ravis encor par Prométhée Étincelle d’amour qui brillait dans leurs yeux Pour notre cher tourment nous l’avons emportée Clartés trop pures ou bijoux trop précieux. Constellez à jamais le ciel de ma mémoire Inextinguibles yeux de celles que j’aimai Rêvez comme des morts, luisez comme des gloires Mon coeur sera brillant comme une nuit de Mai. L’oubli comme une brume efface les visages Les gestes adorés au divin autrefois, Par qui nous fûmes fous, par qui nous fûmes sages Charmes d’égarement et symboles de foi. Le temps efface tout l’intimité des soirs Mes deux mains dans son cou vierge comme la neige Ses regards caressants mes nerfs comme un arpège Le printemps secouant sur nous ses encensoirs. D’autres, les yeux pourtant d’une joyeuse femme, Ainsi que des chagrins étaient vastes et noirs Épouvante des nuits et mystère des soirs Entre ces cils charmants tenait toute son âme Et son coeur était vain comme un regard joyeux. D’autres comme la mer si changeante et si douce Nous égaraient vers l’âme enfouie en ses yeux Comme en ces soirs marins où l’inconnu nous pousse. Mer des yeux sur tes eaux claires nous naviguâmes Le désir gonflait nos voiles si rapiécées Nous partions oublieux des tempêtes passées Sur les regards à la découverte des âmes. Tant de regards divers, les âmes si pareilles Vieux prisonniers des yeux nous sommes bien déçus Nous aurions dû rester à dormir sous la treille Mais vous seriez parti même eussiez-vous tout su Pour avoir dans le coeur ces yeux pleins de promesses Comme une mer le soir rêveuse de soleil Vous avez accompli d’inutiles prouesses Pour atteindre au pays de rêve qui, vermeil, Se lamentait d’extase au-delà des eaux vraies Sous l’arche sainte d’un nuage cru prophète Mais il est doux d’avoir pour un rêve ces plaies Et votre souvenir brille comme une fête.

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    Marceline Desbordes-Valmore

    Marceline Desbordes-Valmore

    @marcelineDesbordesValmore

    Le souvenir Ô délire d'une heure auprès de lui passée, Reste dans ma pensée ! Par toi tout le bonheur que m'offre l'avenir Est dans mon souvenir. Je ne m'expose plus à le voir, à l'entendre, Je n'ose plus l'attendre, Et si je puis encor supporter l'avenir, C'est par le souvenir. Le temps ne viendra pas pour guérir ma souffrance, Je n'ai plus d'espérance ; Mais je ne voudrais pas, pour tout mon avenir, Perdre le souvenir !

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    M

    Mohammed Maïmouni

    @mohammedMaimouni

    Je me souviens ou je vis Un homme vit ce que je me remémore à l'instant : des feuilles tombent du haut d'un arbre craquent dans mon oreille et caressent le dos de ma main Je ne sais si je me souviens de cela si je le vis ou si quelqu'un d'autre le vit dans un autre temps Les feuilles des peupliers croisent des vents qui ne soufflent pas à l'époque des arbres Elles les caressent les attirent vers le temps vivant les remplissent d'action sans savoir si ce sont là les vents présents ou leur simple souvenir !

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    Pablo Neruda

    Pablo Neruda

    @pabloNeruda

    Je me souviens de toi telle Je me souviens de toi telle que tu étais en ce dernier automne: un simple béret gris avec le cœur en paix. Dans tes yeux combattaient les feux du crépuscule. Et les feuilles tombaient sur les eaux de ton âme. Enroulée à mes bras comme un volubilis, les feuilles recueillaient ta voix lente et paisible. Un bûcher de stupeur où ma soif se consume. Douce jacinthe bleue qui se tord sur mon âme. je sens tes yeux qui vont et l’automne est distant: béret gris, cris d’oiseau, coeur où l’on est chez soi et vers eux émigraient mes désirs si profonds et mes baisers tombaient joyeux comme des braises. Le ciel vu d’un bateau. Les champs vus des collines: lumière, étang de paix, fumée, ton souvenir. Au-delà de tes yeux brûlaient les crépuscules. Sur ton âme tournaient les feuilles de l’automne.

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    Paul Verlaine

    Paul Verlaine

    @paulVerlaine

    Les chères mains qui furent miennes Les chères mains qui furent miennes, Toutes petites, toutes belles, Après ces méprises mortelles Et toutes ces choses païennes, Après les rades et les grèves, Et les pays et les provinces, Royales mieux qu'au temps des princes, Les chères mains m'ouvrent les rêves. Mains en songe, mains sur mon âme, Sais-je, moi, ce que vous daignâtes, Parmi ces rumeurs scélérates, Dire à cette âme qui se pâme ? Ment-elle, ma vision chaste D'affinité spirituelle, De complicité maternelle, D'affection étroite et vaste ? Remords si cher, peine très bonne, Rêves bénis, mains consacrées, Ô ces mains, ces mains vénérées, Faites le geste qui pardonne !

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    Paul Verlaine

    Paul Verlaine

    @paulVerlaine

    Nevermore Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne Faisait voler la grive à travers l'air atone, Et le soleil dardait un rayon monotone Sur le bois jaunissant où la bise détone. Nous étions seul à seule et marchions en rêvant, Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent. Soudain, tournant vers moi son regard émouvant " Quel fut ton plus beau jour ? " fit sa voix d'or vivant, Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique. Un sourire discret lui donna la réplique, Et je baisai sa main blanche, dévotement. - Ah ! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées ! Et qu'il bruit avec un murmure charmant Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !

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    Paul-Jean Toulet

    Paul-Jean Toulet

    @paulJeanToulet

    En souvenir des grandes Indes En souvenir des grandes Indes, Harmonieux décor, La Rafette nourrit d'accord Un paon et quatre dindes. Et l'on croirait - tous ces échos Gloussants, l'autre qui grince - D'un préfet d'or, dans sa province, Borné de radicaux.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Ciel, air et vents, plains et monts découverts Ciel, air et vents, plains et monts découverts, Tertres vineux et forêts verdoyantes, Rivages torts et sources ondoyantes, Taillis rasés et vous bocages verts, Antres moussus à demi-front ouverts, Prés, boutons, fleurs et herbes roussoyantes, Vallons bossus et plages blondoyantes, Et vous rochers, les hôtes de mes vers, Puis qu’au partir, rongé de soin et d’ire, A ce bel oeil Adieu je n’ai su dire, Qui près et loin me détient en émoi, Je vous supplie, Ciel, air, vents, monts et plaines, Taillis, forêts, rivages et fontaines, Antres, prés, fleurs, dites-le-lui pour moi.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Il faut laisser maisons et vergers et jardins Il faut laisser maisons et vergers et jardins, Vaisselles et vaisseaux que l’artisan burine, Et chanter son obsèque en la façon du cygne, Qui chante son trépas sur les bords méandrins. C’est fait j’ai dévidé le cours de mes destins, J’ai vécu, j’ai rendu mon nom assez insigne, Ma plume vole au ciel pour être quelque signe Loin des appas mondains qui trompent les plus fins. Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne En rien comme il était, plus heureux qui séjourne D’homme fait nouvel ange auprès de Jésus-Christ, Laissant pourrir çà-bas sa dépouille de boue Dont le sort, la fortune, et le destin se joue, Franc des liens du corps pour n’être qu’un esprit.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Quand je suis vingt ou trente mois Quand je suis vingt ou trente mois Sans retourner en Vendômois, Plein de pensées vagabondes, Plein d'un remords et d'un souci, Aux rochers je me plains ainsi, Aux bois, aux antres et aux ondes. Rochers, bien que soyez âgés De trois mil ans, vous ne changez Jamais ni d'état ni de forme ; Mais toujours ma jeunesse fuit, Et la vieillesse qui me suit, De jeune en vieillard me transforme. Bois, bien que perdiez tous les ans En l'hiver vos cheveux plaisants, L'an d'après qui se renouvelle, Renouvelle aussi votre chef ; Mais le mien ne peut derechef R'avoir sa perruque nouvelle. Antres, je me suis vu chez vous Avoir jadis verts les genoux, Le corps habile, et la main bonne ; Mais ores j'ai le corps plus dur, Et les genoux, que n'est le mur Qui froidement vous environne. Ondes, sans fin vous promenez Et vous menez et ramenez Vos flots d'un cours qui ne séjourne ; Et moi sans faire long séjour Je m'en vais, de nuit et de jour, Au lieu d'où plus on ne retourne.

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    P

    Pierre Lamy

    @pierreLamy

    Kayak de nuit Au large de Penmarc'h, dans la lumière grise, Le jour était déjà parti comme un voleur. Sur la mer anthracite, une légère brise Sentait bon l’algue fauve et les ajoncs en fleur. Que faisaient dans la nuit ma nacelle de toile Et moi, faux inuit, insoucieux des lois ? J’avais mis simplement le cap sur une étoile, Ainsi s'orientaient les marins d’autrefois. En rupture d'estran depuis le crépuscule, Je n'avais pour dessein qu'un peu me dérouiller. A servir nuitamment mon vaisseau minuscule, Je me sentais éclore un cœur d'aventurier. Chaque coup de pagaie ouvrait des étincelles Dans les flots ténébreux mais riches de plancton. Le nez de mon esquif s'ornant autant d'icelles, Dans ma tête chantaient trois vers de mirliton.

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    P

    Pierre-Jean de Béranger

    @pierreJeanDeBeranger

    Les souvenirs du peuple On parlera de sa gloire Sous le chaume bien longtemps. L'humble toit, dans cinquante ans, Ne connaîtra plus d'autre histoire. Là viendront les villageois Dire alors à quelque vieille Par des récits d'autrefois, Mère, abrégez notre veille. Bien, dit-on, qu'il nous ait nui, Le peuple encor le révère, Oui, le révère. Parlez-nous de lui, grand-mère ; Parlez-nous de lui. (bis) Mes enfants, dans ce village, Suivi de rois, il passa. Voilà bien longtemps de ça ; Je venais d'entrer en ménage. À pied grimpant le coteau Où pour voir je m'étais mise, Il avait petit chapeau Avec redingote grise. Près de lui je me troublais, Il me dit : Bonjour, ma chère, Bonjour, ma chère. - Il vous a parlé, grand-mère ! Il vous a parlé ! L'an d'après, moi, pauvre femme, À Paris étant un jour, Je le vis avec sa cour Il se rendait à Notre-Dame. Tous les coeurs étaient contents ; On admirait son cortège. Chacun disait : Quel beau temps ! Le ciel toujours le protège. Son sourire était bien doux ; D'un fils Dieu le rendait père, Le rendait père. - Quel beau jour pour vous, grand-mère ! Quel beau jour pour vous ! Mais, quand la pauvre Champagne Fut en proie aux étrangers, Lui, bravant tous les dangers, Semblait seul tenir la campagne. Un soir, tout comme aujourd'hui, J'entends frapper à la porte ; J'ouvre, bon Dieu ! c'était lui Suivi d'une faible escorte. Il s'assoit où me voilà, S'écriant : Oh ! quelle guerre ! Oh ! quelle guerre ! - Il s'est assis là, grand-mère ! Il s'est assis là ! J'ai faim, dit-il ; et bien vite Je sers piquette et pain bis Puis il sèche ses habits, Même à dormir le feu l'invite. Au réveil, voyant mes pleurs, Il me dit : Bonne espérance ! Je cours de tous ses malheurs Sous Paris venger la France. Il part ; et comme un trésor J'ai depuis gardé son verre, Gardé son verre. - Vous l'avez encor, grand-mère ! Vous l'avez encor ! Le voici. Mais à sa perte Le héros fut entraîné. Lui, qu'un pape a couronné, Est mort dans une île déserte. Longtemps aucun ne l'a cru ; On disait : Il va paraître. Par mer il est accouru ; L'étranger va voir son maître. Quand d'erreur on nous tira, Ma douleur fut bien amère ! Fut bien amère ! - Dieu vous bénira, grand-mère ; Dieu vous bénira. (bis)

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    R

    Rene Depestre

    @reneDepestre

    En souvenir s'elio Vittorini La mère-oiseau qui donne la lumière lave les assiettes avec de la cendre : elle les plonge dans l'eau chaude et les rince ensuite à l'eau froide tout en chantant, à mi-voix, de vieux airs qui parlent du vin d'hiver dans la montagne qui sent l'enfance et le melon ouvert sur la table, parfum ancien de la vie. La mère-oiseau de la lumière est moitié femme moitié melon qui chante sans paroles. Une belle femme aux cheveux châtain très clair, elle porte les gros souliers de l'homme qu'elle a aimé avant les mains qu'elle a en ce moment : des mains d'homme qui abat des arbres, usées, grandes, vidées de toute lumière de femme. La mère-oiseau musicien de la nuit n'a plus dans les mains la chanson qu'il faut pour retenir près de son sang l'esprit et la chaleur de l'homme. Elle a le cceur et le visage d'où naissent encore tendresse et douceur pour la chair des hommes qui ont besoin de douces mains, la nuit, pour rouvrir en eux l'odeur des melons de l'enfance. La mère-oiseau de la lumière en chantant pense à ses mains informes, à ses vieux souliers d'homme, au rude temps d'hiver de la montagne. La mère-oiseau de l'air pense au fils en exil et qui, dans la ville étrangère, doit, la nuit, dans l'odeur des melons et du train de l'enfance, demander à des mains la joie et la douceur et la tendresse des femmes qui enseignent à aimer à leurs mains que toi, moi, chaque homme perdu, nous nommons partout nos reines des Indes pour la lumière et le melon de l'enfance qu'à nous toucher nous donne leur chant d'oiseau.

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    R

    Rene Depestre

    @reneDepestre

    En souvenir de Stefan Zweig Allégresse du matin, hosanna ! parole d'un mimosa, mon tremplin. Allégresse du matin, ivresse, quel balcon ai-je encor sur l'espoir ? quand tu mets ta main brûlante sur l'épaule nue de mes années d'exil, quand tout ton sang - copain de mon sang -s'éloigne en riant des rives du suicide, emporté par le courant du matin, en vainqueur de ses quatre plaies du soir !

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Ce qui dure Le présent se fait vide et triste, Ô mon amie, autour de nous ; Combien peu de passé subsiste ! Et ceux qui restent changent tous. Nous ne voyons plus sans envie Les yeux de vingt ans resplendir, Et combien sont déjà sans vie Des yeux qui nous ont vus grandir ! Que de jeunesse emporte l'heure, Qui n'en rapporte jamais rien ! Pourtant quelque chose demeure : Je t'aime avec mon cœur ancien, Mon vrai cœur, celui qui s'attache Et souffre depuis qu'il est né, Mon cœur d'enfant, le cœur sans tache Que ma mère m'avait donné ; Ce cœur où plus rien ne pénètre, D'où plus rien désormais ne sort ; Je t'aime avec ce que mon être A de plus fort contre la mort ; Et, s'il peut braver la mort même, Si le meilleur de l'homme est tel Que rien n'en périsse, je t'aime Avec ce que j'ai d'immortel.

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Jours lointains Nous recevions sa visite assidue ; J'étais enfant. Jours lointains ! Depuis lors La porte est close et la maison vendue : Les foyers vendus sont des morts. Quand j'entendais son pas de demoiselle, Adieu mes jeux ! Courant sur son chemin, J'allais, les yeux levés tout grands vers elle, Glisser ma tête sous sa main. Et quelle joie inquiète et profonde Si je sentais une caresse au front ! Cette main-là, pas de lèvres au monde En douceur ne l'égaleront. Je me souviens de mes tendresses vagues, Des aveux fous que je jurais d'oser, Lorsque, tout bas, rien qu'aux chatons des bagues Je risquais un fuyant baiser. Elle a passé, bouclant ma chevelure, Prenant ma vie ; et, comme inoccupés, Ses doigts m'ont fait une étrange brûlure, Par l'âge de mon cœur trompés. Comme l'aurore étonne la prunelle, L'éveille à peine, et c'est déjà le jour : Ainsi la grâce au cœur naissant nouvelle L'émeut, et c'est déjà l'amour.

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    Rosemonde Gerard

    Rosemonde Gerard

    @rosemondeGerard

    Azur au Pays Basque C’est la saison divine et fraîche Où l’on croit tout ce qu’on vous dit; L’air est bleu comme une dépêche, Le ciel bleu comme un paradis; Le saule défend que l’on pleure; Le soleil dit: «N’allez jamais Chercher midi à quatorze heures »; Les petits arbres des sommets Semblent rangés par des archanges Sur une table de gazon; Chaque oranger a dix oranges, Chaque village a dix maisons; Dans l’arbre une voix infinie Ne va durer que quelques jours; Les cigales ont du génie; La rose est la fleur de l’amour; Les plus méchants barreaux des grilles Ont des sourires de jasmin; L’école des petites filles Donne sept ans au vieux chemin; Le ciel tendre n’a pas un voile; Les peupliers ce soir pourront Chanter la romance à l’étoile Qu’ils touchent presque avec leur front; La lumière n’a pas un masque, Et la campagne dit: «Vraiment, Il n’y a que ce pays basque Qui soit si triste et si charmant…» Demain la fête d’Espelette Vendra ses raisins andalous; Si la montagne est violette C’est que le vent vient d’Itxassou… Quelle douceur! quelle faiblesse! Un insecte miraculeux Prétend qu’à jamais on le laisse Dormir au fond d’un iris bleu; L’ortie a rentré tous ses ongles; Dans l’herbe qui monte aux genoux On lit Le livre de la Jungle Au milieu des gueules-de-loup; La couleuvre, dans les pervenches, N’est plus qu’un collier endormi; On se confie aux moindres branches; Les animaux sont des amis; Le soleil aux balcons s’attarde; Les maisons ne sont plus soudain Que des images qu’on regarde, Car on habite les jardins; Un chant tremblant comme un mensonge Passe au loin dans le soir tombant. Les cœurs s’embarquent sur les songes… Un manteau reste sur un banc… Et tous les ciels, toutes les roses, Prennent, pour mieux nous attendrir, Cet aspect déchirant des choses Qui deviendront des souvenirs!

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    Rosemonde Gerard

    Rosemonde Gerard

    @rosemondeGerard

    Le passé Ô Passé, miroir bleuâtre, Qu’il ne faut pas trop pencher; Pauvre drame de théâtre Qu’on ne peut plus retoucher… Le jardin avait des arbres Qui, tous, fleurissaient soudain; Et les fleurs jonchaient les marbres Qui logeaient dans le jardin. Quel enchantement demeure Dans le parc extasié? Est-ce le parfum d’une heure? Ou le parfum d’un rosier? Quel est ce rêve ineffable, Qui se cache au coin d’un bois? Est-ce une lettre, une fable? Ou le refrain d’une voix? Un agneau couleur de neige Passe dans l’air étonné En disant: « Comment l’aurais-je Su si je n’étais pas né?… » Chaque souvenir ressemble À l’instant qui lui fait mal… Quel est ce tulle qui tremble? C’est une robe de bal. La valse qui veut renaître S’aventure en chancelant… Fallait-il à la fenêtre Pencher un cœur si brûlant? La rose qu’on croyait morte Vient de refleurir soudain… Fallait-il ouvrir la porte Qui donnait sur ce jardin? Les minutes les plus folles Font danser des coins de ciel… Fallait-il, sur des paroles, Construire un rêve éternel? Dans l’ombre de la mémoire Quel désordre et quel danger! C’est un peu comme une armoire Que l’on voudrait mieux ranger… Fallait-il, sur cette route, Suivre un vent passionné?… Non, peut-être… Mais, sans doute, Peut-il être pardonné Le cœur à la tendre écorce Qui, du matin jusqu’au soir, Fit, avec sa faible force, Tout ce qu’il pouvait pouvoir!

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    R

    Régis Boury

    @regisBoury

    Les dunes Les dunes ont oublié nos cris Les chemins, nos pieds Le pétrin, nos mains Les greniers, nos jeux Les cuisines, nos envies Les amantes, nos baisers Les mamans, nos vies Les souvenirs, nos yeux. Les dunes m'ont oublié C'est vrai : Elles ont grandi... Pourtant Moi Je me souviens D'elles, Les dunes. 11 octobre 1994

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    Rémi Belleau

    Rémi Belleau

    @remiBelleau

    La douceur d'un amoureux Je ne voie rien qui ne me refigure Ce front, cet œil, ce cheveu jaunissant, Et ce tétin en bouton finissant, Bouton de rose encor en sa verdure. Son beau sourcil est la juste vouture (*) D'un arc Turquois, et le rayon hissant Du point du jour est son œil languissant, Son sein, le sein qui surpasse nature. Quand j'oy (*) le bruit des argentins ruisseaux, Je pense ouïr mille discours nouveaux, Qu'Amour compose en sa bouche de basme (*). Si c'est le vent, il me fait souvenir De la douceur d'un amoureux soupir, En soupirant qui me vient piller l'âme. * Vouture : Voûte, arcade. * J'oy : Entendre, écouter. * Basme : Baume.

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    S

    Sophie d'Arbouville

    @sophieDarbouville

    La grand-mère Dansez, fillettes du village, Chantez vos doux refrains d'amour : Trop vite, hélas ! un ciel d'orage Vient obscurcir le plus beau jour. En vous voyant, je me rappelle Et mes plaisirs et mes succès ; Comme vous, j'étais jeune et belle, Et, comme vous, je le savais. Soudain ma blonde chevelure Me montra quelques cheveux blancs… J'ai vu, comme dans la nature, L'hiver succéder au printemps. Dansez, fillettes du village, Chantez vos doux refrains d'amour ; Trop vite, hélas ! un ciel d'orage Vient obscurcir le plus beau jour. Naïve et sans expérience, D'amour je crus les doux serments, Et j'aimais avec confiance… On croit au bonheur à quinze ans ! Une fleur, par Julien cueillie, Était le gage de sa foi ; Mais, avant qu'elle fût flétrie, L'ingrat ne pensait plus à moi ! Dansez, fillettes du Village, Chantez vos doux refrains d'amour ; Trop vite, hélas ! un ciel d'orage Vient obscurcir le plus beau jour. À vingt ans, un ami fidèle Adoucit mon premier chagrin ; J'étais triste, mais j'étais belle, Il m'offrit son cœur et sa main. Trop tôt pour nous vint la vieillesse ; Nous nous aimions, nous étions vieux… La mort rompit notre tendresse… Mon ami fut le plus heureux !

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    T

    Théophile de Viau

    @theophileDeViau

    Lettre à son frère Je verrai ces bois verdissants Où nos îles et l'herbe fraîche Servent aux troupeaux mugissants Et de promenoir et de crèche. L'aurore y trouve à son retour L'herbe qu'ils ont mangée le jour, Je verrai l'eau qui les abreuve, Et j'orrai plaindre les graviers Et repartir l'écho du fleuve Aux injures des mariniers. ... Je verrai sur nos grenadiers Leurs rouges pommes entrouvertes, Où le Ciel, comme à ses lauriers, Garde toujours des feuilles vertes. Je verrai ce touffu jasmin Qui fait ombre à tout le chemin D'une assez spacieuse allée, Et la parfume d'une fleur Qui conserve dans la gelée Son odorat et sa couleur. Je reverrai fleurir nos prés ; Je leur verrai couper les herbes ; Je verrai quelque temps après Le paysan couché sur les gerbes ; Et, comme ce climat divin Nous est très libéral de vin, Après avoir rempli la grange, Je verrai du matin au soir, Comme les flots de la vendange Écumeront dans le pressoir...

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    Théophile Gautier

    Théophile Gautier

    @theophileGautier

    Le château du souvenir La main au front, le pied dans l'âtre, Je songe et cherche à revenir, Par delà le passé grisâtre, Au vieux château du Souvenir. Une gaze de brume estompe Arbres, maisons, plaines, coteaux, Et l'oeil au carrefour qui trompe En vain consulte les poteaux. J'avance parmi les décombres De tout un monde enseveli, Dans le mystère des pénombres, A travers des limbes d'oubli. Mais voici, blanche et diaphane, La Mémoire, au bord du chemin, Qui me remet, comme Ariane, Son peloton de fil en main. Désormais la route est certaine ; Le soleil voilé reparaît, Et du château la tour lointaine Pointe au-dessus de la forêt. Sous l'arcade où le jour s'émousse, De feuilles, en feuilles tombant, Le sentier ancien dans la mousse Trace encor son étroit ruban. Mais la ronce en travers s'enlace ; La liane tend son filet, Et la branche que je déplace Revient et me donne un soufflet. Enfin au bout de la clairière, Je découvre du vieux manoir Les tourelles en poivrière Et les hauts toits en éteignoir. Sur le comble aucune fumée Rayant le ciel d'un bleu sillon ; Pas une fenêtre allumée D'une figure ou d'un rayon. Les chaînes du pont sont brisées ; Aux fossés la lentille d'eau De ses taches vert-de-grisées Étale le glauque rideau. Des tortuosités de lierre Pénètrent dans chaque refend, Payant la tour hospitalière Qui les soutient... en l'étouffant. Le porche à la lune se ronge, Le temps le sculpte à sa façon, Et la pluie a passé l'éponge Sur les couleurs de mon blason. Tout ému, je pousse la porte Qui cède et geint sur ses pivots ; Un air froid en sort et m'apporte Le fade parfum des caveaux. L'ortie aux morsures aiguës, La bardane aux larges contours, Sous les ombelles des ciguës, Prospèrent dans l'angle des cours. Sur les deux chimères de marbre, Gardiennes du perron verdi, Se découpe l'ombre d'un arbre Pendant mon absence grandi. Levant leurs pattes de lionne Elles se mettent en arrêt. Leur regard blanc me questionne, Mais je leur dis le mot secret. Et je passe. - Dressant sa tête, Le vieux chien retombe assoupi, Et mon pas sonore inquiète L'écho dans son coin accroupi. [...]

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Souvenir d'enfance À Joseph, comte de S Cuncta supercilio. HORACE. Dans une grande fête, un jour, au Panthéon, J'avais sept ans, je vis passer Napoléon. Pour voir cette figure illustre et solennelle, Je m'étais échappé de l'aile maternelle ; Car il tenait déjà mon esprit inquiet. Mais ma mère aux doux yeux, qui souvent s'effrayait En m'entendant parler guerre, assauts et bataille, Craignait pour moi la foule, à cause de ma taille. Et ce qui me frappa, dans ma sainte terreur, Quand au front du cortège apparut l'empereur, Tandis que les enfants demandaient à leurs mères Si c'est là ce héros dont on fait cent chimères, Ce ne fut pas de voir tout ce peuple à grand bruit, Le suivre comme on suit un phare dans la nuit Et se montrer de loin, sur la tête suprême, Ce chapeau tout usé plus beau qu'un diadème, Ni, pressés sur ses pas, dix vassaux couronnés Regarder en tremblant ses pieds éperonnés, Ni ses vieux grenadiers, se faisant violence, Des cris universels s'enivrer en silence ; Non, tandis qu'à genoux la ville tout en feu, Joyeuse comme on est lorsqu'on n'a qu'un seul vœu Qu'on n'est qu'un même peuple et qu'ensemble on respire, Chantait en chœur : VEILLONS AU SALUT DE L'EMPIRE ! Ce qui me frappa, dis-je, et me resta gravé, Même après que le cri sur la route élevé Se fut évanoui dans ma jeune mémoire, Ce fut de voir, parmi ces fanfares de gloire, Dans le bruit qu'il faisait, cet homme souverain Passer muet et grave ainsi qu'un dieu d'airain. Et le soir, curieux, je le dis à mon père, Pendant qu'il défaisait son vêtement de guerre, Et que je me jouais sur son dos indulgent De l'épaulette d'or aux étoiles d'argent. Mon père secoua la tête sans réponse. Mais souvent une idée en notre esprit s'enfonce ; Ce qui nous a frappés nous revient par moments, Et l'enfance naïve a ses étonnements. Le lendemain, pour voir le soleil qui s'incline, J'avais suivi mon père en haut de la colline Qui domine Paris du côté du levant, Et nous allions tous deux, lui pensant, moi rêvant. Cet homme en mon esprit restait comme un prodige, Et, parlant à mon père : Ô mon père, lui dis-je, Pourquoi notre empereur, cet envoyé de Dieu, Lui qui fait tout mouvoir et qui met tout en feu, A-t-il ce regard froid et cet air immobile ? Mon père dans ses mains prit ma tête débile, Et me montrant au loin l'horizon spacieux : « Vois, mon fils, cette terre, immobile à tes yeux, Plus que l'air, plus que l'onde et la flamme, est émue, Car le germe de tout dans son ventre remue. Dans ses flancs ténébreux, nuit et jour en rampant Elle sent se plonger la racine, serpent Qui s'abreuve aux ruisseaux des sèves toujours prêtes, Et fouille et boit sans cesse avec ses mille têtes. Mainte flamme y ruisselle, et tantôt lentement Imbibe le cristal qui devient diamant, Tantôt, dans quelque mine éblouissante et sombre, Allume des monceaux d'escarboucles sans nombre, Ou, s'échappant au jour, plus magnifique encor, Au front du vieil Etna met une aigrette d'or. Toujours l'intérieur de la terre travaille. Son flanc universel incessamment tressaille. Goutte à goutte, et sans bruit qui réponde à son bruit, La source de tout fleuve y filtre dans la nuit. Elle porte à la fois, sur sa face où nous sommes, Les blés et les cités, les forêts et les hommes. Vois, tout est vert au loin, tout rit, tout est vivant. Elle livre le chêne et le brin d'herbe au vent. Les fruits et les épis la couvrent à cette heure. Eh bien ! déjà, tandis que ton regard l'effleure, Dans son sein que n'épuise aucun enfantement, Les futures moissons tremblent confusément. « Ainsi travaille, enfant, l'âme active et féconde Du poète qui crée et du soldat qui fonde. Mais ils n'en font rien voir. De la flamme à pleins bords Qui les brûle au dedans, rien ne luit au dehors. Ainsi Napoléon, que l'éclat environne Et qui fit tant de bruit en forgeant sa couronne, Ce chef que tout célèbre et que pourtant tu vois, Immobile et muet, passer sur le pavois, Quand le peuple l'étreint, sent en lui ses pensées, Qui l'étreignent aussi, se mouvoir plus pressées. « Déjà peut-être en lui mille choses se font, Et tout l'avenir germe en son cerveau profond. Déjà, dans sa pensée immense et clairvoyante, L'Europe ne fait plus qu'une France géante, Berlin, Vienne, Madrid, Moscou, Londres, Milan, Viennent rendre à Paris hommage une fois l'an, Le Vatican n'est plus que le vassal du Louvre, La terre à chaque instant sous les vieux trônes s'ouvre Et de tous leurs débris sort pour le genre humain Un autre Charlemagne, un autre globe en main. Et, dans le même esprit où ce grand dessein roule, Des bataillons futurs déjà marchent en foule, Le conscrit résigné, sous un avis fréquent, Se dresse, le tambour résonne au front du camp, D'ouvriers et d'outils Cherbourg couvre sa grève, Le vaisseau colossal sur le chantier s'élève, L'obusier rouge encor sort du fourneau qui bout, Une marine flotte, une armée est debout ! Car la guerre toujours l'illumine et l'enflamme, Et peut-être déjà, dans la nuit de cette âme, Sous ce crâne, où le monde en silence est couvé, D'un second Austerlitz le soleil s'est levé ! » Plus tard, une autre fois, je vis passer cet homme, Plus grand dans son Paris que César dans sa Rome. Des discours de mon père alors. je me souvins. On l'entourait encor d'honneurs presque divins, Et je lui retrouvai, rêveur à son passage, Et la même pensée et le même visage. Il méditait toujours son projet surhumain. Cent aigles l'escortaient en empereur romain. Ses régiments marchaient, enseignes déployées ; Ses lourds canons, baissant leurs bouches essuyées, Couraient, et, traversant la foule aux pas confus, Avec un bruit d'airain sautaient sur leurs affûts. Mais bientôt, au soleil, cette tête admirée Disparut dans un flot de poussière dorée ; Il passa. Cependant son nom sur la cité Bondissait, des canons aux cloches rejeté ; Son cortège emplissait de tumultes les rues ; Et, par mille clameurs de sa présence accrues, Par mille cris de joie et d'amour furieux, Le peuple saluait ce passant glorieux. Novembre 1830.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

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    Tristesse d'Olympio Les champs n'étaient point noirs, les cieux n'étaient pas mornes. Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes Sur la terre étendu, L'air était plein d'encens et les prés de verdures Quand il revit ces lieux où par tant de blessures Son cœur s'est répandu ! L'automne souriait ; les coteaux vers la plaine Penchaient leurs bois charmants qui jaunissaient à peine ; Le ciel était doré ; Et les oiseaux, tournés vers celui que tout nomme, Disant peut-être à Dieu quelque chose de l'homme, Chantaient leur chant sacré ! Il voulut tout revoir, l'étang près de la source, La masure où l'aumône avait vidé leur bourse, Le vieux frêne plié, Les retraites d'amour au fond des bois perdues, L'arbre où dans les baisers leurs âmes confondues Avaient tout oublié ! Il chercha le jardin, la maison isolée, La grille d'où l'œil plonge en une oblique allée, Les vergers en talus. Pâle, il marchait. – Au bruit de son pas grave et sombre, Il voyait à chaque arbre, hélas ! se dresser l'ombre Des jours qui ne sont plus ! Il entendait frémir dans la forêt qu'il aime Ce doux vent qui, faisant tout vibrer en nous-même, Y réveille l'amour, Et, remuant le chêne ou balançant la rose, Semble l'âme de tout qui va sur chaque chose Se poser tour à tour ! Les feuilles qui gisaient dans le bois solitaire, S'efforçant sous ses pas de s'élever de terre, Couraient dans le jardin ; Ainsi, parfois, quand l'âme est triste, nos pensées S'envolent un moment sur leurs ailes blessées, Puis retombent soudain. Il contempla longtemps les formes magnifiques Que la nature prend dans les champs pacifiques ; Il rêva jusqu'au soir ; Tout le jour il erra le long de la ravine, Admirant tour à tour le ciel, face divine, Le lac, divin miroir ! Hélas ! se rappelant ses douces aventures, Regardant, sans entrer, par-dessus les clôtures, Ainsi qu'un paria, Il erra tout le jour. Vers l'heure où la nuit tombe, Il se sentit le cœur triste comme une tombe, Alors il s'écria : « Ô douleur ! j'ai voulu, moi dont l'âme est troublée, Savoir si l'urne encor conservait la liqueur, Et voir ce qu'avait fait cette heureuse vallée De tout ce que j'avais laissé là de mon cœur ! « Que peu de temps suffit pour changer toutes choses ! Nature au front serein, comme vous oubliez ! Et comme vous brisez dans vos métamorphoses Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés ! « Nos chambres de feuillage en halliers sont changées ! L'arbre où fut notre chiffre est mort ou renversé ; Nos roses dans l'enclos ont été ravagées Par les petits enfants qui sautent le fossé ! « Un mur clôt la fontaine où, par l'heure échauffée, Folâtre, elle buvait en descendant des bois ; Elle prenait de l'eau dans sa main, douce fée, Et laissait retomber des perles de ses doigts ! « On a pavé la route âpre et mal aplanie, Où, dans le sable pur se dessinant si bien, Et de sa petitesse étalant l'ironie, Son pied charmant semblait rire à côté du mien ! « La borne du chemin, qui vit des jours sans nombre, Où jadis pour m'attendre elle aimait à s'asseoir, S'est usée en heurtant, lorsque la route est sombre, Les grands chars gémissants qui reviennent le soir. « La forêt ici manque et là s'est agrandie. De tout ce qui fut nous presque rien n'est vivant ; Et, comme un tas de cendre éteinte et refroidie, L'amas des souvenirs se disperse à tout vent ! « N'existons-nous donc plus ? Avons-nous eu notre heure ? Rien ne la rendra-t-il à nos cris superflus ? L'air joue avec la branche au moment où je pleure ; Ma maison me regarde et ne me connaît plus. « D'autres vont maintenant passer où nous passâmes. Nous y sommes venus, d'autres vont y venir ; Et le songe qu'avaient ébauché nos deux âmes, Ils le continueront sans pouvoir le finir ! « Car personne ici-bas ne termine et n'achève ; Les pires des humains sont comme les meilleurs ; Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve. Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs. « Oui, d'autres à leur tour viendront, couples sans tache, Puiser dans cet asile heureux, calme, enchanté, Tout ce que la nature à l'amour qui se cache Mêle de rêverie et de solennité ! « D'autres auront nos champs, nos sentiers, nos retraites ; Ton bois, ma bien-aimée, est à des inconnus. D'autres femmes viendront, baigneuses indiscrètes, Troubler le flot sacré qu'ont touché tes pieds nus ! « Quoi donc ! c'est vainement qu'ici nous nous aimâmes ! Rien ne nous restera de ces coteaux fleuris Où nous fondions notre être en y mêlant nos flammes ! L'impassible nature a déjà tout repris. « Oh ! dites-moi, ravins, frais ruisseaux, treilles mûres, Rameaux chargés de nids, grottes, forêts, buissons, Est-ce que vous ferez pour d'autres vos murmures ? Est-ce que vous direz à d'autres vos chansons ? « Nous vous comprenions tant ! doux, attentifs, austères, Tous nos échos s'ouvraient si bien à votre voix ! Et nous prêtions si bien, sans troubler vos mystères, L'oreille aux mots profonds que vous dites parfois ! « Répondez, vallon pur, répondez, solitude, Ô nature abritée en ce désert si beau, Lorsque nous dormirons tous deux dans l'attitude Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau ; « Est-ce que vous serez à ce point insensible De nous savoir couchés, morts avec nos amours, Et de continuer votre fête paisible, Et de toujours sourire et de chanter toujours ? « Est-ce que, nous sentant errer dans vos retraites, Fantômes reconnus par vos monts et vos bois, Vous ne nous direz pas de ces choses secrètes Qu'on dit en revoyant des amis d'autrefois ? « Est-ce que vous pourriez, sans tristesse et sans plainte, Voir nos ombres flotter où marchèrent nos pas, Et la voir m'entraîner, dans une morne étreinte, Vers quelque source en pleurs qui sanglote tout bas ? « Et s'il est quelque part, dans l'ombre où rien ne veille, Deux amants sous vos fleurs abritant leurs transports, Ne leur irez-vous pas murmurer à l'oreille : – Vous qui vivez, donnez une pensée aux morts ! « Dieu nous prête un moment les prés et les fontaines, Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds Et les cieux azurés et les lacs et les plaines, Pour y mettre nos cœurs, nos rêves, nos amours ! « Puis il nous les retire. Il souffle notre flamme ; Il plonge dans la nuit l'antre où nous rayonnons ; Et dit à la vallée, où s'imprima notre âme, D'effacer notre trace et d'oublier nos noms. « Eh bien ! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages ! Herbe, use notre seuil ! ronce, cache nos pas ! Chantez, oiseaux ! ruisseaux, coulez ! croissez, feuillages ! Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas. « Car vous êtes pour nous l'ombre de l'amour même ! Vous êtes l'oasis qu'on rencontre en chemin ! Vous êtes, ô vallon, la retraite suprême Où nous avons pleuré nous tenant par la main ! « Toutes les passions s'éloignent avec l'âge, L'une emportant son masque et l'autre son couteau, Comme un essaim chantant d'histrions en voyage Dont le groupe décroît derrière le coteau. « Mais toi, rien ne t'efface, amour ! toi qui nous charmes, Toi qui, torche ou flambeau, luis dans notre brouillard ! Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes ; Jeune homme on te maudit, on t'adore vieillard. « Dans ces jours où la tête au poids des ans s'incline, Où l'homme, sans projets, sans but, sans visions, Sent qu'il n'est déjà plus qu'une tombe en ruine Où gisent ses vertus et ses illusions ; « Quand notre âme en rêvant descend dans nos entrailles, Comptant dans notre cœur, qu'enfin la glace atteint, Comme on compte les morts sur un champ de batailles, Chaque douleur tombée et chaque songe éteint, « Comme quelqu'un qui cherche en tenant une lampe, Loin des objets réels, loin du monde rieur, Elle arrive à pas lents par une obscure rampe Jusqu'au fond désolé du gouffre intérieur ; « Et là, dans cette nuit qu'aucun rayon n'étoile, L'âme, en un repli sombre où tout semble finir, Sent quelque chose encor palpiter sous un voile... C'est toi qui dors dans l'ombre, ô sacré souvenir ! » Le 21 octobre 1837.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Ô mes lettres d'amour Ô mes lettres d'amour, de vertu, de jeunesse, C'est donc vous ! Je m'enivre encore à votre ivresse ; Je vous lis à genoux. Souffrez que pour un jour je reprenne votre âge ! Laissez-moi me cacher, moi, l'heureux et le sage, Pour pleurer avec vous !

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    Voltaire

    Voltaire

    @voltaire

    A Mme du Châtelet L'un des plus beaux poèmes de Voltaire, À Mme du Châtelet, est un texte d'amour qu'il a écrit pour Émilie du Châtelet. Ils se rencontrent en 1733 et elle fût pendant quinze ans sa maitresse et sa muse. Ce poème est composé de neuf quatrains en octosyllabes avec des rimes embrassées et croisées. Si vous voulez que j’aime encore, Rendez-moi l’âge des amours ; Au crépuscule de mes jours Rejoignez, s’il se peut, l’aurore. Des beaux lieux où le dieu du vin Avec l’Amour tient son empire, Le Temps, qui me prend par la main, M’avertit que je me retire. De son inflexible rigueur Tirons au moins quelque avantage. Qui n’a pas l’esprit de son âge, De son âge a tout le malheur. Laissons à la belle jeunesse Ses folâtres emportements. Nous ne vivons que deux moments : Qu’il en soit un pour la sagesse. Quoi ! pour toujours vous me fuyez, Tendresse, illusion, folie, Dons du ciel, qui me consoliez Des amertumes de la vie !

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    Evariste de Parny

    Evariste de Parny

    @evaristeDeParny

    Souvenir Déjà la nuit s'avance, et du sombre Orient Ses voiles par degrés dans les airs se déploient. Sommeil, doux abandon, image du néant, Des maux de l'existence heureux délassement, Tranquille oubli des soins où les hommes se noient ; Et vous, qui nous rendez à nos plaisirs passés, Touchante illusion, Déesse des mensonges, Venez dans mon asile, et sur mes yeux lassés Secouez les pavots et les aimables songes. Voici l'heure où trompant les surveillants jaloux, Je pressais dans mes bras ma maîtresse timide. Voici l'alcôve sombre où d'une aile rapide L'essain des voluptés volait au rendez-vous. Voici le lit commode où l'heureuse licence Remplaçait par degrés la mourante pudeur. Importune vertu, fable de notre enfance, Et toi, vain préjugé, fantôme de l'honneur, Combien peu votre voix se fait entendre au cœur ! La nature aisément vous réduit au silence ; Et vous vous dissipez au flambeau de l'amour Comme un léger brouillard aux premiers feux du jour. Moments délicieux, où nos baisers de flamme, Mollement égarés, se cherchent pour s'unir ! Où de douces fureurs s'emparant de notre âme Laissent un libre cours au bizarre désir ! Moments plus enchanteurs, mais prompts à disparaître, Où l'esprit échauffé, les sens, et tout notre être Semblent se concentrer pour hâter le plaisir ! Vous portez avec vous trop de fougue et d'ivresse ; Vous fatiguez mon cœur qui ne peut vous saisir, Et vous fuyez sur-tout avec trop de vitesse ; Hélas ! on vous regrette, avant de vous sentir ! Mais, non ; l'instant qui suit est bien plus doux encore. Un long calme succède au tumulte des sens ; Le feu qui nous brûlait par degrés s'évapore ; La volupté survit aux pénibles élans ; Sur sa félicité l'âme appuie en silence ; Et la réflexion, fixant la jouissance, S'amuse à lui prêter un charme plus flatteur. Amour, à ces plaisirs l'effort de ta puissance Ne saurait ajouter qu'un peu plus de lenteur.

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