Titre : En souvenir s'elio Vittorini
Auteur : Rene Depestre
La mère-oiseau qui donne la lumière
lave les assiettes avec de la cendre :
elle les plonge dans l'eau chaude
et les rince ensuite à l'eau froide
tout en chantant, à mi-voix, de vieux airs
qui parlent du vin d'hiver dans la montagne
qui sent l'enfance et le melon ouvert
sur la table, parfum ancien de la vie.
La mère-oiseau de la lumière est moitié
femme moitié melon qui chante sans paroles.
Une belle femme aux cheveux châtain très clair,
elle porte les gros souliers de l'homme qu'elle a
aimé avant les mains qu'elle a en ce moment :
des mains d'homme qui abat des arbres, usées,
grandes, vidées de toute lumière de femme.
La mère-oiseau musicien de la nuit n'a plus
dans les mains la chanson qu'il faut pour retenir
près de son sang l'esprit et la chaleur de l'homme.
Elle a le cceur et le visage d'où naissent encore
tendresse et douceur pour la chair des hommes
qui ont besoin de douces mains, la nuit, pour
rouvrir en eux l'odeur des melons de l'enfance.
La mère-oiseau de la lumière en chantant
pense à ses mains informes, à ses vieux souliers
d'homme, au rude temps d'hiver de la montagne.
La mère-oiseau de l'air pense au fils en exil
et qui, dans la ville étrangère, doit, la nuit,
dans l'odeur des melons et du train de l'enfance,
demander à des mains la joie et la douceur
et la tendresse des femmes qui enseignent à aimer
à leurs mains que toi, moi, chaque homme perdu,
nous nommons partout nos reines des
Indes
pour la lumière et le melon de l'enfance
qu'à nous toucher nous donne leur chant d'oiseau.