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Jules Laforgue

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Jules Laforgue né le 16 août 1860 à Montevideo et mort le 20 août 1887 à Paris, est un poète franco-uruguayen symboliste. Connu pour être un des inventeurs du vers libre, il mêle, en une vision pessimiste du monde, mélancolie, humour et familiarité du style parlé.

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Poésies

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    L’hiver qui vient Blocus sentimental ! Messageries du Levant !… Oh, tombée de la pluie ! Oh ! tombée de la nuit, Oh ! le vent !… La Toussaint, la Noël et la Nouvelle Année, Oh, dans les bruines, toutes mes cheminées !… D’usines…. On ne peut plus s’asseoir, tous les bancs sont mouillés ; Crois-moi, c’est bien fini jusqu’à l’année prochaine, Tant les bancs sont mouillés, tant les bois sont rouillés, Et tant les cors ont fait ton ton, ont fait ton taine !… Ah, nuées accourues des côtes de la Manche, Vous nous avez gâté notre dernier dimanche. Il bruine ; Dans la forêt mouillée, les toiles d’araignées Ploient sous les gouttes d’eau, et c’est leur ruine. Soleils plénipotentiaires des travaux en blonds Pactoles Des spectacles agricoles, Où êtes-vous ensevelis ? Ce soir un soleil fichu gît au haut du coteau Gît sur le flanc, dans les genêts, sur son manteau, Un soleil blanc comme un crachat d’estaminet Sur une litière de jaunes genêts De jaunes genêts d’automne. Et les cors lui sonnent ! Qu’il revienne…. Qu’il revienne à lui ! Taïaut ! Taïaut ! et hallali ! Ô triste antienne, as-tu fini !… Et font les fous !… Et il gît là, comme une glande arrachée dans un cou, Et il frissonne, sans personne !… Allons, allons, et hallali ! C’est l’Hiver bien connu qui s’amène ; Oh ! les tournants des grandes routes, Et sans petit Chaperon Rouge qui chemine !… Oh ! leurs ornières des chars de l’autre mois, Montant en don quichottesques rails Vers les patrouilles des nuées en déroute Que le vent malmène vers les transatlantiques bercails !… Accélérons, accélérons, c’est la saison bien connue, cette fois. Et le vent, cette nuit, il en a fait de belles ! Ô dégâts, ô nids, ô modestes jardinets ! Mon coeur et mon sommeil : ô échos des cognées !… Tous ces rameaux avaient encor leurs feuilles vertes, Les sous-bois ne sont plus qu’un fumier de feuilles mortes ; Feuilles, folioles, qu’un bon vent vous emporte Vers les étangs par ribambelles, Ou pour le feu du garde-chasse, Ou les sommiers des ambulances Pour les soldats loin de la France. C’est la saison, c’est la saison, la rouille envahit les masses, La rouille ronge en leurs spleens kilométriques Les fils télégraphiques des grandes routes où nul ne passe. Les cors, les cors, les cors – mélancoliques !… Mélancoliques !… S’en vont, changeant de ton, Changeant de ton et de musique, Ton ton, ton taine, ton ton !… Les cors, les cors, les cors !… S’en sont allés au vent du Nord. Je ne puis quitter ce ton : que d’échos !… C’est la saison, c’est la saison, adieu vendanges !… Voici venir les pluies d’une patience d’ange, Adieu vendanges, et adieu tous les paniers, Tous les paniers Watteau des bourrées sous les marronniers, C’est la toux dans les dortoirs du lycée qui rentre, C’est la tisane sans le foyer, La phtisie pulmonaire attristant le quartier, Et toute la misère des grands centres. Mais, lainages, caoutchoucs, pharmacie, rêve, Rideaux écartés du haut des balcons des grèves Devant l’océan de toitures des faubourgs, Lampes, estampes, thé, petits-fours, Serez-vous pas mes seules amours !… (Oh ! et puis, est-ce que tu connais, outre les pianos, Le sobre et vespéral mystère hebdomadaire Des statistiques sanitaires Dans les journaux ?) Non, non ! C’est la saison et la planète falote ! Que l’autan, que l’autan Effiloche les savates que le Temps se tricote ! C’est la saison, oh déchirements ! c’est la saison ! Tous les ans, tous les ans, J’essaierai en choeur d’en donner la note.

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    Air de biniou Non, non, ma pauvre cornemuse, Ta complainte est pas si oiseuse ; Et Tout est bien une méprise, Et l’on peut la trouver mauvaise ; Et la Nature est une épouse Qui nous carambole d’extases, Et puis, nous occit, peu courtoise, Dès qu’on se permet une pause. Eh bien ! qu’elle en prenne à son aise, Et que tout fonctionne à sa guise ! Nous, nous entretiendrons les Muses. Les neuf immortelles Glaneuses ! (Oh ! pourrions-nous pas, par nos phrases, Si bien lui retourner les choses, Que cette marâtre jalouse N’ait plus sur nos rentes de prise?)

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    Aquarelle en cinq minutes Oh ! oh ! le temps se gâte, L’orage n’est pas loin, Voilà que l’on se hâte De rentrer les foins !… L’abcès perce ! Vl’à l’averse ! O grabuges Des déluges !…. Oh ! ces ribambelles D’ombrelles !…. Oh ! cett’ Nature En déconfiture ! …. Sur ma fenêtre, Un fuchsia A l’air paria Se sent renaître….

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    Arabesques de malheur Nous nous aimions comme deux fous ; On s’est quittés sans en parler. (Un spleen me tenait exilé Et ce spleen me venait de tout.) Que ferons-nous, moi, de mon âme, Elle de sa tendre jeunesse ! Ô vieillissante pécheresse, Oh ! que tu vas me rendre infâme ! Des ans vont passer là-dessus ; On durcira chacun pour soi ; Et plus d’une fois, je m’y vois, On ragera :  » Si j’avais su ! « …. Oh ! comme on fait claquer les portes, Dans ce Grand Hôtel d’anonymes ! Touristes, couples légitimes, Ma Destinée est demi-morte !…. – Ses yeux disaient :  » Comprenez-vous !  » Comment ne comprenez-vous pas ! «  Et nul n’a pu le premier pas ; On s’est séparés d’un air fou. Si on ne tombe pas d’un même Ensemble à genoux, c’est factice, C’est du toc. Voilà la justice Selon moi, voilà comment j’aime.

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    Au large Comme la nuit est lointainement pleine De silencieuse infinité claire ! Pas le moindre écho des gens de la terre, Sous la Lune méditerranéenne ! Voilà le Néant dans sa pâle gangue, Voilà notre Hostie et sa Sainte-Table, Le seul bras d’ami par l’Inconnaissable, Le seul mot solvable en nos folles langues ! Au-delà des cris choisis des époques, Au-delà des sens, des larmes, des vierges, Voilà quel astre indiscutable émerge, Voilà l’immortel et seul soliloque ! Et toi, là-bas, pot-au-feu, pauvre Terre ! Avec tes essais de mettre en rubriques Tes reflets perdus du Grand Dynamique, Tu fais un métier ah ! bien sédentaire !

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    Ballade de retour Le Temps met Septembre en sa hotte, Adieu, les clairs matins d'été ! Là-bas, l'Hiver tousse et grelotte En son ulster de neige ouaté. Quand les casinos ont jeté Leurs dernières tyroliennes, La plage est triste en vérité ! Revenez-nous, Parisiennes ! Toujours l'océan qui sanglote Contre les brisants irrités, Le vent d'automne qui marmotte Sa complainte à satiété, Un ciel gris à perpétuité, Des averses diluviennes, Cela doit manquer de gaieté ! Revenez-nous, Parisiennes !

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    Clair de lune Penser qu’on vivra jamais dans cet astre, Parfois me flanque un coup dans l’épigastre. Ah ! tout pour toi, Lune, quand tu t’avances Aux soirs d’août par les féeries du silence ! Et quand tu roules, démâtée, au large A travers les brisants noirs des nuages ! Oh ! monter, perdu, m’étancher à même Ta vasque de béatifiants baptêmes ! Astre atteint de cécité, fatal phare Des vols migrateurs des plaintifs Icares ! Oeil stérile comme le suicide, Nous sommes le congrès des las, préside ; Crâne glacé, raille les calvities De nos incurables bureaucraties ; O pilule des léthargies finales, Infuse-toi dans nos durs encéphales ! O Diane à la chlamyde très-dorique, L’Amour cuve, prend ton carquois et pique Ah ! d’un trait inoculant l’être aptère, Les coeurs de bonne volonté sur terre ! Astre lavé par d’inouïs déluges, Qu’un de tes chastes rayons fébrifuges, Ce soir, pour inonder mes draps, dévie, Que je m’y lave les mains de la vie !

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    Complainte de l'ange incurable Je t'expire mes Cœurs bien barbouillés de cendres ; Vent esquinté de toux des paysages tendres ! Où vont les gants d'avril, et les rames il'an tan ? L'âme des hérons fous sanglote sur l'étang. Et vous, tendres D'antan ? Le hoche-queue pépie aux écluses gelées ; L'amante va, fouettée aux plaintes des allées. Sais-tu bien, folle pure, où sans châle tu vas ? — Passant oublié des yeux gais, j'aime là-bas... — En allées Là-bas ! Le long des marbriers (Encore un beau commerce !) Patauge aux défoncés un convoi, sous l'averse. Un trou, qu'asperge un prêtre âgé qui se morfond. Bâille à ce libéré de l'être ; et voici qu'on Le déverse Au fond. Les moulins décharnés, ailes nier allègres. Vois, s'en font les grands bras du haut des coteaux maigres ! Ci-gît n'importe qui. Seras-tu différent. Diaphane d'amour, ô Chevalier-Errant ? Claque, ô maigre Errant ! Hurler avec les loups, aimer nos demoiselles, Serrer ces mains sauçant dans de vagues vaisselles ! Mon pauvre vieux, il le faut pourtant ! et puis, va. Vivre est encor le meilleur parti ici-bas. Non ! vaisselles D'ici-bas ! Au-delà plus sûr que la Vérité ! des ailes D'Hostie ivre et ravie aux cités sensuelles ! Quoi ! Ni Dieu, ni l'art, ni ma Sœur Fidèle ; mais Des ailes ! par le blanc suffoquant ! à jamais, Ah ! des ailes À jamais ! — Tant il est vrai que la saison dite d'automne N'est aux cœurs mal fichas rien moins que folichonne.

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    Complainte de l'automne monotone Automne, automne, adieux de l'Adieu ! La tisane bout, noyant mon feux ; Le vent s'époumonne A reverdir la bûche où mon grand cœur tisonne. Est-il de vrais yeux ? Nulle ne songe à m'aimer un peu. Milieux aptères, Ou sans divans ; Regards levants, Deuils solitaires, Vers des Sectaires ! Le vent, la pluie, oh ! le vent, la pluie ! Antigone, écartez mon rideau ; Cet ex-ciel tout suie, Fond-il decrescendo, statu quo, crescendo ? Le vent qui s'ennuie, Retourne-t-il bien les parapluies ? Amours, gibiers ! Aux jours de givre. Rêver sans livre, Dans les terriers Chauds de fumiers ! Plages, chemins de fer, ciels, bois morts. Bateaux croupis dans les feuilles d'or. Le quart aux étoiles, Paris grasseyant par chic aux prises de voiles : De trop poignants cors M'ont hallalisé ces chers décors. Meurtres, alertes, Rêves ingrats ! En croix, les bras ; Roses ouvertes, Divines pertes ! Le soleil mort, tout nous abandonne. Il se crut incompris. Qu'il est loin ! Vent pauvre, aiguillonne Ces convois de martyrs se prenant à témoins ! La terre, si bonne. S'en va, pour sûr, passer cet automne. Nuits sous-marines ! Pourpres forêts. Torrents de frais. Bancs en gésines, Tout s'illumine ! — Allons, fumons une pipette de tabac, En feuilletant un de ces si vieux almanachs. En rêvant de la petite qui unirait Aux charmes de l'œillet ceux du chardonneret.

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    Complainte de l'époux outragé Qu'alliez-vous faire à la Mad'leine, Corbleu, ma moitié, — Qu'alliez-vous faire à la Mad'leine ? — J'allais prier pour qu'un fils nous vienne, Mon Dieu, mon ami ; J'allais prier pour qu'un fils nous vienne. — Vous vous teniez dans un coin, debout, Corbleu, ma moitié ! Vous vous teniez dans un coin debout. — Pas d'ehaise économis' trois sous, Mon Dieu, mon ami ; Pas d'ehaise économis' trois sous. — D'un officier, j'ai vu la tournure, Corbleu, ma moitié ! D'un officier, j'ai vu la tournure. — C'était ce Christ grandeur nature. Mon Dieu, mon ami ; C'était ce Christ grandeur nature. — Les Christs n'ont pas la croix d'honneur, Corbleu, ma moitié ! Les Christs n'ont pas la croix d'honneur. — C'était la plaie du Calvaire, au cœur. Mon Dieu, mon ami ; C'était la plaie du calvaire au cœur. — Les Christs n'ont qu'au flanc seul la plaie Corbleu, ma moitié ! Les Christs n'ont qu'au flanc seul la plaie ! — C'était une goutte envolée, Mon Dieu, mon ami ; C'était une goutte envolée. — Aux Crucifix on n'parl' jamais, Corbleu, ma moitié ! Aux Crucifix on n'parl' jamais ? — C'était du trop d'amour qu'j'avais. Mon Dieu, mon ami, C'était du trop d'amour qu'j'avais ! Et moi j'te brûl'rai la cervelle, Corbleu, ma moitié. Et moi j'te brûl'rai la cervelle ! — Lui, il aura mon âme immortelle. Mon Dieu, mon ami. Lui, il aura mon âme immortelle !

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    Complainte de la lune en province Ah! la belle pleine Lune, Grosse comme une fortune ! La retraite sonne au loin, Un passant, monsieur l’adjoint ; Un clavecin joue en face, Un chat traverse la place : La province qui s’endort ! Plaquant un dernier accord, Le piano clôt sa fenêtre. Quelle heure peut-il bien être ? Calme Lune, quel exil ! Faut-il dire : ainsi soit-il ? Lune, ô dilettante Lune, À tous les climats commune, Tu vis hier le Missouri, Et les remparts de Paris, Les fiords bleus de la Norvège, Les pôles, les mers, que sais-je ?

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    Complainte de l’oubli des morts Mesdames et Messieurs, Vous dont la mère est morte, C’est le bon fossoyeux Qui gratte à votre porte. Les morts C’est sous terre ; Ça n’en sort Guère. Vous fumez dans vos bocks, Vous soldez quelque idylle, Là-bas chante le coq, Pauvres morts hors des villes ! Grand-papa se penchait, Là, le doigt sur la tempe, Sœur faisait du crochet, Mère montait la lampe. Les morts C’est discret, Ça dort Trop au frais. Vous avez bien dîné, Comment va cette affaire ? Ah ! les petits mort-nés Ne se dorlotent guère ! Notez, d’un trait égal, Au livre de la caisse, Entre deux frais de bal : Entretien tombe et messe. C’est gai, Cette vie ; Hein, ma mie, Ô gué ? Mesdames et Messieurs, Vous dont la sœur est morte, Ouvrez au fossoyeux Qui claque à votre porte ; Si vous n’avez pitié, Il viendra (sans rancune) Vous tirer par les pieds, Une nuit de grand lune ! Importun Vent qui rage ! Les défunts ? Ça voyage….

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    Complainte des nostalgies préhistoriques La nuit bruine sur les villes. Mal repu des gains machinais. On dîne ; et, gonflé d'idéal, Chacun sirote son idylle. Ou furtive, ou facile. Echos des grands soirs primitifs ! Couchants aux flambantes usines, Rude paix des sols en gésine. Cri jailli là-bas d'un massif, Violuptés à vif ! Dégringolant une vallée, Heurter, dans des coquelicots, Une enfant bestiale et brûlée Qui suce, en blaguant les échos, De juteux abricots. Livrer aux langueurs des soirées Sa toison où du cristal luit. Pourlécher ses lèvres sucrées. Nous barbouiller le corps de fruits Et lutter comme essui ! Un moment, béer, sans rien dire, Inquiets d'une étoile là-haut ; Puis, sans but, bien gentils satyres, Nous prendre aux premiers sanglots Fraternels des crapauds. Et, nous délcvrant de l'extase, Oh ! devant la lune en son plein, Là-bas, comme un bloc de topaze. Fous, nous renverser sur les reins. Riant, battant des mains ! La nuit bruine sur les villes : Se raser le masque, s'orner D'un frac deuil, avec art dîner, Puis, parmi des vierges débiles. Prendre un air imbécile.

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    Complainte des pianos qu'on entend dans les quartiers aisés Menez l'âme que les Lettres ont bien nourrie, Les pianos, les pianos, dans les quartiers aisés ! Premiers soirs, sans pardessus, chaste flânerie, Aux complaintes des nerfs incompris ou brisés. Ces enfants, à quoi rêvent-elles, Dans les ennuis des ritournelles ? — « Préaux des soirs, Christ des dortoirs ! « Tu t'en vas et tu nous laisses, Tu nous laiss's et tu t'en vas, Défaire et refaire ses tresses. Broder d'étemel canevas. » Jolie ou vague ? triste ou sage ? encore pure ? Ô jours, tout m'est égal ? ou, monde, moi je veux ? Et si vierge, du moins, de la bonne blessure. Sachant quels gras couchants ont les plus blancs aveux ? Mon Dieu, à quoi donc rêvent-elles ? A des Roland, à des dentelles ? — « Cœurs en prisons. Lentes saisons ! « Tu t'en vas et tu nous quittes. Tu nous quitt's et tu t'en vas ! Couvents gris, chœurs de Sulamites, Sur nos seins nuls croisons nos bras. » Fatales clés de l'être un beau jour apparues ; Psitt ! aux hérédités en ponctuels ferments. Dans le bal incessant de nos étranges rues ; Ah ! pensionnats, théâtres, journaux, romans ! Allez, stériles ritournelles, La vie est vraie et criminelle. — « Rideaux tirés, Peut-on entrer ? « Tu t'en vas et tu nous laisses. Tu nous laiss's et tu t'en vas, La source des frais rosiers baisse, Vraiment ! Et lui qui ne vient pas... » Il viendra ! Vous serez les pauvres cœurs en faute. Fiancés au remords comme aux essais sans fond. Et les suffisants cœurs cossus, n'ayant d'autre hôte Qu'un train-train pavoisé d'estime et de chiffons. Mourir ? peut-être brodent-elles, Pour un oncle à dot des bretelles ? — « Jamais ! Jamais ! Si tu savais ! « Tu t'en vas et tu nous quittes, Tu nous quitt's et tu t'en vas. Mais tu nous reviendras bien vite Guérir mon beau mal, n'est-ce pas ? » Et c'est vrai ! l'Idéal les faits divaguer toutes. Vigne bohème, même en ces quartiers aisés. La vie est là ; le pur flacon des vives gouttes Sera, comme il convient, d'eau propre baptisé. Aussi, bientôt, se joueront-elles De plus exactes ritournelles. « — Seul oreiller ! Mur familier ! « Tu t'en vas et tu nous laisses. Tu nous laiss's et tu t'en vas. Que ne suis-je morte à la messe ! Ô mois, ô linges, ô repas ! »

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    Complainte des printemps Permettez, ô sirène. Voici que votre haleine Embaume la verveine; C'est l'printemps qui s'amène ! — Ce système, en effet, ramène le printemps, Avec son impudent cortège d'excitants. Otez donc ces mitaines ; Et n'ayez, inhumaine, Que mes soupirs pour traîne : Ous'qu'il y a de la gêne... — Ah ! yeux bleus méditant sur l'ennui de leur art ! Et vous, jeunes divins, aux soirs crus de hasard ! Du géant à la naine. Vois, tout bon sire entraîne Quelque contemporaine, Prendre l'air, par hygiène... — Mais vous saignez ainsi pour l'amour de l'exil ! Pour l'amour de l'Amour ! D'ailleurs, ainsi soit-il... T'ai-je fait de la peine ? Oh ! vicas vers les fontaines Où tournent les phalènes Des Nuits Elyséennes ! — Pimbêche aux yeux vaincus, bellâtre aux beaux jarrets, Donnez votre fumier à la fleur du Regret. Voilà que son haleine N'embaum' plus la verveine ! Drôle de phénomène... Hein, à l'année prochaine ? — Vierges d'hier, ce soir traîneuses de fœtus, À genoux ! voici l'heure où se plaint l'Angélus. Nous n'irons plus au bois, Les pins sont éternels, les cors ont des appels !... Neiges des pâles mois, Vous serez mon missel ! — Jusqu'au jour de dégel.

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    Complainte du pauvre corps humain L’Homme et sa compagne sont serfs De corps, tourbillonnants cloaques Aux mailles de harpes de nerfs Serves de tout et que détraque Un fier répertoire d’attaques. Voyez l’homme, voyez ! Si ça n’fait pas pitié ! Propre et correct en ses ressorts, S’assaisonnant de modes vaines, Il s’admire, ce brave corps, Et s’endimanche pour sa peine, Quand il a bien sué la semaine. Et sa compagne ! allons, Ma bell’, nous nous valons. Faudrait le voir, touchant et nu Dans un décor d’oiseaux, de roses ; Ses tics réflexes d’ingénu, Ses plis pris de mondaines poses ; Bref, sur beau fond vert, sa chlorose. Voyez l’Homme, voyez ! Si ça n’fait pas pitié ! Les Vertus et les Voluptés Détraquant d’un rien sa machine, Il ne vit que pour disputer Ce domaine à rentes divines Aux lois de mort qui le taquinent. Et sa compagne ! allons, Ma bell’, nous nous valons. Il se soutient de mets pleins d’art, Se drogue, se tond, se parfume, Se truffe tant, qu’il meurt trop tard ; Et la cuisine se résume En mille infections posthumes. Oh ! ce couple, voyez ! Non, ça fait trop pitié. Mais ce microbe subversif Ne compte pas pour la Substance, Dont les déluges corrosifs Renoient vite pour l’Innocence Ces fols germes de conscience. Nature est sans pitié Pour son petit dernier.

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    Jules Laforgue

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    Complainte du pauvre jeune Homme Quand ce jeune homm' rentra chez lui, Quand ce jeune homm' rentra chez lui ; Il prit à deux mains son vieux crâne, Qui de science était un puits ! Crâne, Riche crâne, Entends-tu la Folie qui plane ? Et qui demande le cordon. Digue dondaine, digue dondaine, Et qui demande le cordon. Digue dondaine, digue dondon ! Quand ce jeune homm' rentra chez lui, Quand ce jeune homm' rentra chez lui ; Il entendit de tristes gammes. Qu'un piano pleurait dans la nuit ! Gammes, Vieilles gammes, Ensemble, enfants, nous vous cherchâmes ; Son mari m'a fermé sa maison. Digue dondaine, digue dondaine. Son mari m'a fermé sa maison. Digue dondaine, digue dondon ! Quand ce jeune homm' rentra chez lui, Quand ce jeune homm' rentra chez lui ; Il mit le nez dans sa belle âme, Où fermentaient des tas d'ennuis ! Ame, Ma belle âme. Leur huile est trop sal' pour la flamme ! Puis, nuit partout ! lors, à quoi bon ? Digue dondaine, digue dondaine. Puis, nuit partout ! lors, à quoi bon ? Digue dondaine, digue dondon ! Quand ce jeune homm' rentra chez lui, Quand ce jeune homm' rentra chez lui ; Il vit que sa charmante femme. Avait déménagé sans lui ! Dame, Notre-Dame, Je n'aurai pas un mot de blâme ! Mais t'aurais pu m'iaisser l'cbarbon1. Digue dondaine, digue dondaine. Mais t'aurais pu m'iaisser l'charbon. Digue dondaine, digue dondon. Lors, ce jeune homme aux tels ennuis, Lors, ce jeune homme aux tels ennuis ; Alla décrocher une lame, Qu'on lui avait fait cadeau avec l'étui ! Lame, Fine lame, Soyez plus droite que la femme ! Et vous, mon Dieu, pardon ! pardon ! Digue dondaine, digue dondaine, Et vous, mon Dieu, pardon ! pardon ! Digue dondaine, digue dondon ! Quand les croq'morts vinrent chez lui, Quand les croq'morts vinrent chez lui ; Ils virent qu'c'était un' belle âme, Comme on n'en fait plus aujourd'hui. Ame, Dors, belle âme ! Quand on est mort, c'est pour de bon. Digue dondaine, digue dondaine. Quand on est mort, c'est pour de bon, Digue dondaine, digue dondon !

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    Jules Laforgue

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    Complainte sur certains ennuis Un couchant des Cosmogonies ! Ah ! que la Vie est quotidienne…. Et, du plus vrai qu’on se souvienne, Comme on fut piètre et sans génie…. On voudrait s’avouer des choses, Dont on s’étonnerait en route, Qui feraient une fois pour toutes ! Qu’on s’entendrait à travers poses. On voudrait saigner le Silence, Secouer l’exil des causeries ; Et non ! ces dames sont aigries Par des questions de préséance. Elles boudent là, l’air capable. Et, sous le ciel, plus d’un s’explique, Par quel gâchis suresthétique Ces êtres-là sont adorables. Justement, une nous appelle, Pour l’aider à chercher sa bague, Perdue (où dans ce terrain vague ?) Un souvenir d’AMOUR, dit-elle ! Ces êtres-là sont adorables !

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    Dans la rue C’est le trottoir avec ses arbres rabougris. Des mâles égrillards, des femelles enceintes, Un orgue inconsolable ululant ses complaintes, Les fiacres, les journaux, la réclame et les cris. Et devant les cafés où des hommes flétris D’un oeil vide et muet contemplaient leurs absinthes Le troupeau des catins défile lèvres peintes Tarifant leurs appas de macabres houris. Et la Terre toujours s’enfonce aux steppes vastes, Toujours, et dans mille ans Paris ne sera plus Qu’un désert où viendront des troupeaux inconnus. Pourtant vous rêverez toujours, étoiles chastes, Et toi tu seras loin alors, terrestre îlot Toujours roulant, toujours poussant ton vieux sanglot.

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    Jules Laforgue

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    Fiacres de nuit d'automne Les fiacres pris en automne au milieu de la nuit ; — boulangeries s'entr'ouvrant, comme mauvais lieux ; la traversée de Paris s'éveillant. Le lever vinasse des quais, les gares déjà grouillantes, scandées de pulsions chaotiques... Le départ dans l'air vif — les ponts noirs ; la banlieue, comme une laque charbonnée en eau-forte avec des salissures de génie — les premiers arbrillons, des fumées noires, des équipes de manœuvres regardant passer, les bras croisés, du vent dans leur figure terreuse qui clignote aux espaces.

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    Jules Laforgue

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    Figurez-vous un peu Oh ! qu’une, d’Elle-même, un beau soir, sût venir, Ne voyant que boire à Mes Lèvres ! où mourir…. Je m’enlève rien que d’y penser ! Quel baptême De gloire intrinsèque, attirer un  » je vous aime  » ! (L’attirer à travers la société, de loin, Comme l’aimant la foudre; un ‘, deux ! ni plus, ni moins. Je t’aime ! comprend-on ? Pour moi tu n’es pas comme Les autres ; jusqu’ici c’était des messieurs, l’Homme…. Ta bouche me fait baisser les yeux ! et ton port Me transporte ! (et je m’en découvre des trésors….) Et c’est ma destinée incurable et dernière D’épier un battement à moi de tes paupières ! Oh ! je ne songe pas au reste ! J’attendrai, Dans la simplicité de ma vie faite exprès ….. Te dirai-je au moins que depuis des nuits je pleure, Et que mes parents ont bien peur que je n’en meure?… Je pleure dans des coins ; je n’ai plus goût à rien ; Oh ! j’ai tant pleuré, dimanche, en mon paroissien ! Tu me demandes pourquoi Toi ? et non un autre…. Je ne sais ; mais c’est bien Toi, et point un autre ! J’en suis sûre comme du vide de mon cœur, Et…. comme de votre air mortellement moqueur… – Ainsi, elle viendrait, évadée, demi-morte, Se rouler sur le paillasson qu’est à ma porte ! Ainsi, elle viendrait à Moi ! les Yeux bien fous ! Et elle me suivrait avec cet air partout !

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    Guitare Astre sans coeur et sans reproche, O Maintenon de vieille roche ! Très-Révérende Supérieure Du cloître où l’on ne sait plus l’heure, D’un Port-Royal port de Circée Où Pascal n’a d’autres Pensées Que celles du roseau qui jase Ne sait plus quoi, ivre de vase ….. Oh ! qu’un Philippe de Champaigne, Mais né pierrot, vienne et te peigne ! Un rien, une miniature De la largeur d’une tonsure ; Ça nous ferait un scapulaire Dont le contact anti-solaire, Par exemple aux pieds de la femme, Ah ! nous serait tout un programme !

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    L'hiver qui vient Blocus sentimental ! Messageries du Levant !… Oh, tombée de la pluie ! Oh ! tombée de la nuit, Oh ! le vent !… La Toussaint, la Noël et la Nouvelle Année, Oh, dans les bruines, toutes mes cheminées !… D’usines…. On ne peut plus s’asseoir, tous les bancs sont mouillés ; Crois-moi, c’est bien fini jusqu’à l’année prochaine, Tant les bancs sont mouillés, tant les bois sont rouillés, Et tant les cors ont fait ton ton, ont fait ton taine !… Ah, nuées accourues des côtes de la Manche, Vous nous avez gâté notre dernier dimanche. Il bruine ; Dans la forêt mouillée, les toiles d’araignées Ploient sous les gouttes d’eau, et c’est leur ruine. Soleils plénipotentiaires des travaux en blonds Pactoles Des spectacles agricoles, Où êtes-vous ensevelis ? Ce soir un soleil fichu gît au haut du coteau Gît sur le flanc, dans les genêts, sur son manteau, Un soleil blanc comme un crachat d’estaminet Sur une litière de jaunes genêts De jaunes genêts d’automne. Et les cors lui sonnent ! Qu’il revienne…. Qu’il revienne à lui ! Taïaut ! Taïaut ! et hallali ! Ô triste antienne, as-tu fini !… Et font les fous !… Et il gît là, comme une glande arrachée dans un cou, Et il frissonne, sans personne !… Allons, allons, et hallali ! C’est l’Hiver bien connu qui s’amène ; Oh ! les tournants des grandes routes, Et sans petit Chaperon Rouge qui chemine !… Oh ! leurs ornières des chars de l’autre mois, Montant en don quichottesques rails Vers les patrouilles des nuées en déroute Que le vent malmène vers les transatlantiques bercails !… Accélérons, accélérons, c’est la saison bien connue, cette fois. Et le vent, cette nuit, il en a fait de belles ! Ô dégâts, ô nids, ô modestes jardinets ! Mon coeur et mon sommeil : ô échos des cognées !… Tous ces rameaux avaient encor leurs feuilles vertes, Les sous-bois ne sont plus qu’un fumier de feuilles mortes ; Feuilles, folioles, qu’un bon vent vous emporte Vers les étangs par ribambelles, Ou pour le feu du garde-chasse, Ou les sommiers des ambulances Pour les soldats loin de la France. C’est la saison, c’est la saison, la rouille envahit les masses, La rouille ronge en leurs spleens kilométriques Les fils télégraphiques des grandes routes où nul ne passe. Les cors, les cors, les cors – mélancoliques !… Mélancoliques !… S’en vont, changeant de ton, Changeant de ton et de musique, Ton ton, ton taine, ton ton !… Les cors, les cors, les cors !… S’en sont allés au vent du Nord. Je ne puis quitter ce ton : que d’échos !… C’est la saison, c’est la saison, adieu vendanges !… Voici venir les pluies d’une patience d’ange, Adieu vendanges, et adieu tous les paniers, Tous les paniers Watteau des bourrées sous les marronniers, C’est la toux dans les dortoirs du lycée qui rentre, C’est la tisane sans le foyer, La phtisie pulmonaire attristant le quartier, Et toute la misère des grands centres. Mais, lainages, caoutchoucs, pharmacie, rêve, Rideaux écartés du haut des balcons des grèves Devant l’océan de toitures des faubourgs, Lampes, estampes, thé, petits-fours, Serez-vous pas mes seules amours !… (Oh ! et puis, est-ce que tu connais, outre les pianos, Le sobre et vespéral mystère hebdomadaire Des statistiques sanitaires Dans les journaux ?) Non, non ! C’est la saison et la planète falote ! Que l’autan, que l’autan Effiloche les savates que le Temps se tricote ! C’est la saison, oh déchirements ! c’est la saison ! Tous les ans, tous les ans, J’essaierai en choeur d’en donner la note.

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    La cigarette Oui, ce monde est bien plat ; quant à l'autre, sornettes. Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort. Et pour tuer le temps, en attendant la mort. Je fume au nez des dieux de fines cigarettes. Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes. Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord Me plonge en une extase infinie et m'endort Comme aux parfums mourants de mille cassolettes. Et j'entre au paradis, fleuri de rêves clairs Où l'on voit se mêler en valses fantastiques Des éléphants en rut à des chœurs de moustiques. Et puis, quand je m'éveille en songeant à mes vers, Je contemple, le cœur plein d'une douce joie, Mon cher pouce rôti comme une cuisse d'oie.

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    Jules Laforgue

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    La lune est stérile Lune, Pape abortif à l’amiable, Pape Des Mormons pour l’art, dans la jalouse Paphos Où l’Etat tient gratis les fils de la soupape D’échappement des apoplectiques Cosmos ! C’est toi, léger manuel d’instincts, toi qui circules, Glaçant, après les grandes averses, les oeufs Obtus de ces myriades d’animalcules Dont les simouns mettraient nos muqueuses en feu ! Tu ne sais que la fleur des sanglantes chimies ; Et perces nos rideaux, nous offrant le lotus Qui constipe les plus larges polygamies, Tout net, de l’excrément logique des foetus. Carguez-lui vos rideaux, citoyens de moeurs lâches ; C’est l’Extase qui paie comptant, donne son Ut Des deux sexes et veut pas même que l’on sache S’il se peut qu’elle ait, hors de l’art pour l’art, un but. On allèche de vie humaine, à pleines voiles, Les Tantales virtuels, peu intéressants D’ailleurs, sauf leurs cordiaux, qui rêvent dans nos moelles ; Et c’est un produit net qu’encaissent nos bons sens. Et puis, l’atteindrons-nous, l’Oasis aux citernes, Où nos coeurs toucheraient les payes qu’on leur doit ? Non, c’est la rosse aveugle aux cercles sempiternes Qui tourne pour autrui les bons chevaux de bois. Ne vous distrayez pas, avec vos grosses douanes ; Clefs de fa, clefs de sol, huit stades de claviers, Laissez faire, laissez passer la caravane Qui porte à l’Idéal ses plus riches dossiers ! L’Art est tout, du droit divin de l’Inconscience ; Après lui, le déluge ! et son moindre regard Est le cercle infini dont la circonférence Est partout, et le centre immoral nulle part. Pour moi, déboulonné du pôle de stylite Qui me sied, dès qu’un corps a trop de son secret, J’affiche : celles qui voient tout, je les invite A venir, à mon bras, des soirs, prendre le frais. Or voici : nos deux Cris, abaissant leurs visières, Passent mutuellement, après quiproquos, Aux chers peignes du cru leurs moelles épinières D’où lèvent débusqués tous les archets locaux. Et les ciels familiers liserés de folie Neigeant en charpie éblouissante, faut voir Comme le moindre appel : c’est pour nous seuls ! rallie Les louables efforts menés à l’abattoir ! Et la santé en deuil ronronne ses vertiges, Et chante, pour la forme :  » Hélas ! ce n’est pas bien,  » Par ces pays, pays si tournoyants, vous dis-je,  » Où la faim d’Infini justifie les moyens. «  Lors, qu’ils sont beaux les flancs tirant leur révérence Au sanglant capitaliste berné des nuits, En s’affalant cuver ces jeux sans conséquence ! Oh ! n’avoir à songer qu’à ses propres ennuis ! – Bons aïeux qui geigniez semaine par semaine, Vers mon Coeur, baobab des védiques terroirs, je m’agite aussi ! mais l’Inconscient me mène ; Or, il sait ce qu’il fait, je n’ai rien à y voir.

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    Jules Laforgue

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    La petite infanticide Ô saisons d’Ossian, ô vent de province, Je mourrais encor pour peu que t’y tinsses Mais ce serait de la démence Oh! je suis blasée Sur toute rosée Le toit est crevé, l’averse qui passe En évier public change ma paillasse, Il est temps que ça cesse Les gens d’en bas Et les voisins se plaignent Que leur plafond déteigne Oh! Louis m’a promis, car je suis nubile De me faire voir Paris la grand ville Un matin de la saison nouvelle Oh ! mère qu’il me tarde D’avoir là ma mansarde… Des Édens dit-il, des belles musiques Où des planches anatomiques passent… Tout en faisant la noce Et des sénats de ventriloques Dansons la farandole Louis n’a qu’une parole Et puis comment veut-on que je précise Dès que j’ouvre l’oeil tout me terrorise. Moi j’ai que l’extase, l’extase Tiens, qui fait ce vacarme ?… Ah ! ciel le beau gendarme Qui entr’ par la lucarne. Taïaut! taïaut ! À l’échafaud ! Et puis on lui a guillotiné son cou, Et ça n’a pas semblé l’affecter beaucoup (de ce que ça n’ait pas plus affecté sa fille) Mais son ami Louis ça lui a fait tant de peine Qu’il s’a du pont des Arts jeté à la Seine Mais un grand chien terr’ neuve L’a retiré du fleuve Or justement passait par là La marquise de Tralala, Qui lui a offert sa main D’un air républicain.

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    Jules Laforgue

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    Le dépositaire infidèle Grâce aux Filles de Mémoire, J'ai chanté des animaux; Peut-être d'autres héros M'auroient acquis moins de gloire. Le Loup, en langue des Dieux, Parle au Chien dans mes ouvrages; Les bêtes, à qui mieux mieux, Y font divers personnages, Les uns fous, les autres sages : De telle sorte pourtant Que les fous vont l'emportant; La mesure en est plus pleine. Je mets aussi sur la scène Des trompeurs, des scélérats, Des tyrans et des ingrats, Mainte imprudente pécore, Force sots, force flatteurs; Je pourrois y joindre encore Des légions de menteurs : Tout homme ment, dit le Sage. S'il n'y mettoit seulement Que les gens du bas étage, On pourroit aucunement Souffrir ce défaut aux hommes; Mais que tous tant que nous sommes Nous mentions, grand et petit, Si quelque autre l'avoit dit, Je soutiendrois le contraire. Et même qui mentiroit Comme Ésope et comme Homère, Un vrai menteur ne seroit : Le doux charme de maint songe Par leur bel art inventé, Sous les habits du mensonge Nous offre la vérité. L'un et l'autre a fait un livre Que je tiens digne de vivre Sans fin, et plus, s'il se peut. Comme eux ne ment pas qui veut. Mais mentir comme sut faire Un certain dépositaire, Payé par son propre mot, Est d'un méchant et d'un sot. Voici le fait : Un Trafiquant de Perse, Chez son Voisin, s'en allant en commerce. Mit en dépôt un cent de fer un jour. « Mon fer? dit-il, quand il fut de retour. — Votre fer? il n'est plus : j'ai regret de vous dire Qu'un rat l'a mangé tout entier. J'en ai grondé mes gens; mais qu'y faire? un grenier A toujours quelque trou. » Le Trafiquant admire Un tel prodige, et feint de le croire pourtant. Au bout de quelques jours il détourne l'enfant Du perfide Voisin; puis à souper convie Le Père, qui s'excuse, et lui dit en pleurant : « Dispensez-moi, je vous supplie; Tous plaisirs pour moi sont perdus. J'aimois un fils plus que ma vie; Je n'ai que lui; que dis-je? hélas! je ne l'ai plus. On me l'a dérobé : plaignez mon infortune. » Le Marchand repartit : « Hier au soir, sur la brune, Un chat-huant s'en vint votre fils enlever; Vers un vieux bâtiment je le lui vis porter. » Le Père dit : « Comment voulez-vous que je croie Qu'un hibou pût jamais emporter cette proie? Mon fils en un besoin eût pris le chat-huant. — Je ne vous dirai point, reprit l'autre, comment; Mais enfin je l'ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je, Et ne vois rien qui vous oblige D'en douter un moment après ce que je dis. Faut-il que vous trouviez étrange Que les chats-huants d'un pays Où le quintal de fer par un seul rat se mange, Enlèvent un garçon pesant un demi-cent? » L'autre vit où tendoit cette feinte aventure : Il rendit le fer au Marchand, Qui lui rendit sa géniture. Même dispute avint entre deux voyageurs. L'un d'eux étoit de ces conteurs Qui n'ont jamais rien vu qu'avec un microscope; Tout est géant chez eux : écoutez-les, l'Europe, Comme l'Afrique, aura des monstres à foison. Celui-ci se croyoit l'hyperbole permise. « J'ai vu, dit-il, un chou plus grand qu'une maison. — Et moi, dit l'autre, un pot aussi grand qu'une église. » Le premier se moquani, l'autre reprit : « Tout doux; On le fit pour cuire vos choux. » L'homme au pot fut plaisant; l'homme au fer fut habile. Quand l'absurde est outré, l'on lui fait trop d'honneur De vouloir par raison combattre son erreur : Enchérir est plus court, sans s'échauffer la bile.

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    Jules Laforgue

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    Petites misères d’Août Oh ! quelle nuit d’étoiles, quelles saturnales ! Oh ! mais des galas inconnus Dans les annales Sidérales ! Bref, un Ciel absolument nu ! Ô Loi du Rythme sans appel ! Que le moindre Astre certifie Par son humble chorégraphie Mais nul spectateur éternel. Ah ! la Terre humanitaire N’en est pas moins terre-à-terre ! Au contraire. La Terre, elle est ronde Comme un pot-au-feu, C’est un bien pauv’ monde Dans l’Infini bleu. Cinq sens seulement, cinq ressorts pour nos Essors…. Ah ! ce n’est pas un sort ! Quand donc nos coeurs s’en iront-ils en huit-ressorts ! ….

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    Petites misères d’Octobre Octobre m’a toujours fiché dans la détresse ; Les Usines, cent goulots fumant vers les ciels…. Les poulardes s’engraissent Pour Noël. Oh ! qu’alors, tout bramant vers d’albes atavismes, Je fonds mille Icebergs vers les septentrions D’effarants mysticismes Des Sions !…. Car les seins distingués se font toujours plus rares ; Le légitime est tout, mais à qui bon ma cour ? De qui bénir mes Lares Pour toujours ? Je ferai mes oraisons aux Premières Neiges ; Et je crierai au Vent :  » Et toi aussi, forçat ! Et rien ne vous allège Comme ça. (Avec la Neige, tombe une miséricorde D’agonie ; on a vu des gens aux coeurs de cuir Et méritant la corde S’en languir.) Mais vrai, s’écarteler les lobes, jeu de dupe…. Rien, partout, des saisons et des arts et des dieux, Ne vaut deux sous de jupe, Deux sous d’yeux. Donc, petite, deux sous de jupe en oeillet tiède, Et deux sous de regards, et tout ce qui s’ensuit…. Car il n’est qu’un remède A l’ennui.

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    Jules Laforgue

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    Simple agonie Ô paria ! – Et revoici les sympathies de mai. Mais tu ne peux que te répéter, ô honte ! Et tu te gonfles et ne crèves jamais. Et tu sais fort bien, ô paria, Que ce n’est pas du tout ça. Oh ! que Devinant l’instant le plus seul de la nature, Ma mélodie, toute et unique, monte, Dans le soir et redouble, et fasse tout ce qu’elle peut Et dise la chose qu’est la chose, Et retombe, et reprenne, Et fasse de la peine, Ô solo de sanglots, Et reprenne et retombe Selon la tâche qui lui incombe. Oh ! que ma musique Se crucifie, Selon sa photographie Accoudée et mélancolique !…. Il faut trouver d’autres thèmes, Plus mortels et plus suprêmes. Oh ! bien, avec le monde tel quel, Je vais me faire un monde plus mortel ! Les âmes y seront à musique, Et tous les intérêts puérilement charnels, Ô fanfares dans les soirs, Ce sera barbare, Ce sera sans espoir. Enquêtes, enquêtes, Seront l’unique fête ! Qui m’en défie ? J’entasse sur mon lit, les journaux linge sale, Dessins de mode, photographies quelconques, Toute la capitale, Matrice sociale. Que nul n’intercède, Ce ne sera jamais assez, Il n’y a qu’un remède, C’est de tout casser. Ô fanfares dans les soirs ! Ce sera barbare, Ce sera sans espoir. Et nous aurons beau la piétiner à l’envi, Nous ne serons jamais plus cruels que la vie, Qui fait qu’il est des animaux injustement rossés, Et des femmes à jamais laides…. Que nul n’intercède, Il faut tout casser. Alléluia, Terre paria. Ce sera sans espoir, De l’aurore au soir, Quand il n’y en aura plus il y en aura encore, Du soir à l’aurore. Alléluia, Terre paria ! Les hommes de l’art Ont dit :  » Vrai, c’est trop tard. «  Pas de raison, Pour ne pas activer sa crevaison. Aux armes, citoyens ! Il n’y a plus de RAISON : Il prit froid l’autre automne, S’étant attardé vers les peines des cors, Sur la fin d’un beau jour. Oh ! ce fut pour vos cors, et ce fut pour l’automne, Qu’il nous montra qu’  » on meurt d’amour  » ! On ne le verra plus aux fêtes nationales, S’enfermer dans l’Histoire et tirer les verrous, Il vint trop tôt, il est reparti sans scandale ; Ô vous qui m’écoutez, rentrez chacun chez vous.

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