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Michel Leiris

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Michel Leiris, de son nom complet Julien Michel Leiris, né le 20 avril 1901 à Paris 16e et mort le 30 septembre 1990 à 89 ans à Saint-Hilaire dans l'Essonne, est un écrivain, poète, ethnologue et critique d'art français.

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Poésies

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    Michel Leiris

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    Belle Pour découvrir l'existence de filons extasiés dans les profondeurs mouvantes de ton corps mes doigts sont des baguettes de sourcier Bizarres serpents de la colère mes meubles se haïssent dans ma chambre à coucher et leurs grandes batailles immobiles rappellent celles de nos mains celles de nos lèvres celles des vapeurs fiévreuses qui jaillissent à minuit dans les ports celles des maisons qui invisiblement du haut en bas se déchirent lorsque les pas d'une femme trop belle ont résonné Elle était belle comme le jour Beauté c'est la couronne ardente c'est la rumeur qui parcourt l'arbre du cœur à l'écorce par l'aubier Beauté c'est la splendeur d'une bouche qui se plie blessée par les remous d'un langage trop amer comme sont toutes les langues qui veulent dire quelque chose Elle était belle comme un miroir un miroir déformant où se reflètent rendus égaux par la commune irréalité ceux qui sont laids et ceux qui sont d'une élégance insensée Les glaces se terniront lorsque ses lèvres auront précisément cessé de donner à la petite glace de poche ce précaire signo dévie les miroirs mûriront puisque tout ce qui se ternit mûrit Et en effet c'est la mort éternello qui — rongeant corps et visages — donne à certains ce charme inoubliable des vieilles choses dédorées Bouts de lacets cassés Cœurs morcelés Yeux envolés Ongles coupés J'aime tout ce qui se défait fruits mûrs qui tombent à terre juste à temps pour masquer leur déroute dans la nuit O blancheur inaltérable des auréoles ternies Corps ravagés Faces flétries Statues branlantes que minent les moisissures et la pluie Je n'aime que votre forme dévastée pareille à tout ce que l'amour fait décroître et blêmit

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    L'ange de la mort Toi si haute et douce de la tête aux pieds Les menus ouvrages du vent sont inscrits en tatouages lunaires sur ton front et sur le dos de tes mains Ongle d'argent sur peau de bronze trace fraîche d'un lent pèlerinage vers la Mecque de tes flancs à ta limpidité de cloche arracher un tintement S'ôter du sol et se hausser comme la tige qui s'alourdit de richesses bulbeuses au-dessus de tes genoux bossues au-dessus de la ramure maigre et sans oiseaux de tes pieds S'ouvrir grand et se refermer pareil au vide de tes deux mains hachurées de croix et de lignes S'essorer puis se résorber le long du creux de tes reins sans corde pour boire à pleins seaux au fond de ce puits de ténèbres S'épanouir et se lover mimant le rond de tes deux seins que tachent tes bijoux en sang nuages rouges aux lobes démantelés de tes oreilles Vitrine opulente en denrées ton ventre Entrepôt croulant de parfums tes hanches Vivacité sagace de sagaie ta langue Fosse de chair ou fosse d'air livrée aux loups aux lévriers du plaisir tes lèvres Lèpre rosée perlant dans la paix de tes cuisses ta plaie Croix de nos yeux Croix de nos bras Bouche ouverte entre haut et bas Caillots d'orage Feux stridents les pics acérés de tes dents se mirent aux ravins de ta voix Qui m'a aimée de ciel en terre dit-elle n'a rien à craindre du soleil N'aura plus peur du soleil gui m'a aimée du haut en bas

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    La Mère La mère en deuil, c'est la mort qui attend au bord du fossé où se reflètent les nuages troubles, — c'est les obsèques du père un matin d'hiver (les panaches noirs frissonnent, un vent mauvais s'abat, épaissit les doigts des porteurs, couleur de gros vin rouge). La mère en noir, mauve, violet — voleuse des nuits — c'est la sorcière dont l'industrie cachée vous met au monde, celle qui vous berce, vous choie, vous met en bière, quand elle n'abandonne pas —ultime joujou— à vos mains qui le posent gentiment au cercueil, son corps recroquevillé. La mère — en noir, en bleu, en vert, en rouge — c'est l'immortelle jaunie, le bouquet poussiéreux de mariée. Vierge claire, elle a pourtant gémi quand l'homme — charpentier de douleur — lui a mis aux entrailles la cheville, la pierre d'angle, la clef de voûte, afin qu'en un recoin du sanglant édifice prospère et nidifie l'humain malheur... La mère — bête en folie — c'est le volcan tumultueux qui vous crache. (Mais le cratère — jetant sa pourpre de cendres, son paquet de laves brûlantes — lui, n'a jamais souri...) La mère — statue aveugle, fatalité dressée-au centre du sanctuaire inviolé — c'est la nature qui vous caresse, le vent qui vous encense, le monde qui tout ensemble vous pénètre, vous monte au ciel (enlevé sur les multiples spires) et vous pourrit. La mère, c'est la chienne et l'ogresse, la goule qui hante les songes, le spectre réveillé soudain qui s'interpose entre l'âme (riches pilastres, altière ruine) et toute joie, tout pur amour. La mère — qu'elle soit jeune ou vieille, belle ou laide, miséricordieuse ou têtue — c'est la caricature, le monstre femme jaloux, le Prototype déchu, — si tant est que l'Idée (pythie flétrie juchée sur le trépied de son austère majuscule) n'est que la parodie des vives, légères, chatoyantes pensées... La mère — sa hanche : ronde ou sèche, son sein : tremblant ou dur — c'est le déclin promis, dès l'origine, a toute femme, l'émiettement progressif de la roche étincelante sous le flot des menstrues, l'ensevelissement lent — sous le sable du désert âgé — de la caravane luxuriante et chargée de beauté. La mère — ange de la mort qui épie, de l'univers qui enlace, de l'amour que la vague du temps rejette — c'est la coquille au graphique insensé (signe d'un sûr venin) à lancer dans les vasques profondes, génératrices de cercles pour les eaux oubliées. La mère — flaque sombre, éternellement en deuil de tout et de nous-mêmes — c'est la pestilence vaporeuse qui s'irise et qui crève, enflant bulle par bulle sa grande ombre bestiale (honte de chair et de lait), voile roide qu'une foudre encore à naître devrait déchirer. Viendra-t-il jamais à l'esprit d'une de ces innocentes salopes de se traîner pieds nus dans les siècles pour pardon de ce crime : nous avoir enfantés?

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    Le pays de mes rêves Sur les marches qui conduisent aux perspectives du vide, je me tiens debout, les mains appuyées sur une lame d'acier. Mon corps est traversé par un faisceau de lignes invisibles qui relient chacun des points d'intersection des arêtes de l'édifice avec le centre du soleil. Je me promène sans blessures parmi tous ces fils qui me transpercent et chaque lieu de l'espace m'insuffle une âme nouvelle. Car mon esprit n'accompagne pas mon corps dans ses révolutions; machine puisant l'énergie motrice dans le fil tendu le long de son parcours, ma chair s'anime au contact des lignes de perspective qui, au passage, abreuvent ses plus secrètes cellules de l'air du monument, âme fixe de la structure, reflet de la courbure des voûtes, de l'ordonnance des vasques et des murs qui se coupent à angle droit. Si je trace autour de moi un cercle avec la pointe de mon épée, les fils qui me nourrissent seront tranchés et je ne pourrai sortir du cachot circulaire, m'étant à jamais séparé de ma pâture spatiale et confiné dans une petite colonne d'esprit immuable, plus étroite que les citernes du palais. La pierre et l'acier sont les deux pôles de ma captivité, les vases communicants de l'esclavage; je ne peux fuir l'un qu'en m'enfermant dans l'autre, — jusqu'au jour où ma lame abattra les murailles, à grands coups d'étincelles. II Le repli d'angle dissipé, d'un coup de ciseaux la décision fut en balance. Je me trouvai sur une terre labourée, avec le soleil à ma droite, et à ma gauche le disque sombre d'un vol de vautours qui filaient parallèlement aux sillons, le bec rivé à la direction des crevasses par le magnétisme du sol. Des étoiles se révulsaient dans chaque cellule de l'atmosphère. Les serres des oiseaux coupaient l'air comme une vitre et laissaient derrière elles des sillages incandescents. Mes paumes devenaient douloureuses, percées par ces lances de feu, et parfois l'un des vautours glissait le long d'un rayon, lumière serrée entre ses griffes. Sa descente rectiligne le conduisait à ma main droite qu'il déchirait du bec, avant de remonter rejoindre la troupe qui s'approchait vertigineusement de l'horizon. Je m'aperçus bientôt que j'étais immobile, la terre tournant sous mes pieds et les oiseaux donnant de grands coups d'ailes afin de se maintenir à ma hauteur. J'enfonçais les horizons comme des miroirs successifs, chacun de mes pieds posé dans un sillon qui me servait de rail et le regard fixé au sillage des vautours. Mais finalement ceux-ci me dépassèrent. Gonflant toutes les cavités de leur être afin de s'alléger, ils se confondirent avec le soleil. La terre s'arrêta brusquement, et je tombai dans un puits profond rempli d'ossements, un ancien four à chaux hérissé de stalagmites : dissolution rapide et pétrification des rois. III Très bas au-dessous de moi, s'étend une plaine entièrement couverte par un immense troupeau de moutons noirs qui se bousculent entre eux. Des chiens escaladent l'horizon et pressent les flancs du troupeau, lui faisant prendre la forme d'un rectangle de moins en moins oblong. Je suis maintenant au-dessus d'une forêt de bouleaux dont les cimes pommelées s'entrechoquent, se flétrissent rapidement, tandis que les troncs, se dépouillant eux-mêmes de leur peau blanche, construisent une grande boîte carrée, seul accident qui demeure dans la plaine dénudée. Au centre de la boite, comme une médaille dans un écrin, repose la plus mince tranche du dernier tronc et j'aperçois distinctement le cœur, l'écorce et l'aubier. Ce disque de bois, où les faisceaux médullaires apparaissent en filigrane, n'est qu'un hublot de verre, l'orifice d'un cône qui découpe dans l'épaisse paroi qui m'enveloppe l'unique fenêtre de ma durée. IV Dans l'hémisphère de la nuit, je ne vois que les jambes blanches et solides de l'idole, mais je sais que plus haut, dans la glace éternelle, son buste est un trou noir comme le néant de la substance nue et sans attributs. Parmi la foule amassée autour du piédestal, quelqu'un répète inlassablement : « La reliure du sépulcre solaire blanchit les tombes... La reliure du sépulcre... etc.. » Entre le sommeil des voix et le règne des statues, une rose enrichit le sang où se baigne le bleu corporel assimilable par fragments. La saveur des couronnes qui descendent au niveau des bouches closes suggère un calcul plus rapide que celui des gestes instantanés. Les laminaires ont tracé des cercles pour blesser nos fronts. Je pense au guerrier romain qui veille sur mes rêves; il élève son bouclier à hauteur de mes yeux et me fait lire deux mots : atoll et sépulcrons. Si le pari de Pascal peut se figurer par la croix obtenue en développant un dé à jouer, que pourra m'apprendre la décomposition du bouclier? Depuis longtemps déjà, j'ai arraché fibre à fibre la face du guerrier : j'ai d'abord obtenu le profil d'une médaille, puis une surface herbeuse et un marécage presque sans limites d'où émergent des fûts brisés. Aujourd'hui, je suis parvenu à mettre un nom sur chaque parcelle de chair. Le blanc des yeux s'appelle courage, le rose des joues s'écrit adieu et les volutes du casque épousent si exactement la forme des fumées que je ne puis les nommer que somnifères. Mais le ventre du bouclier représente une gorgone hideuse, dont les cheveux sont des chiffres 3 et 5 entrelacés. Le 8 de la somme se renverse, et j'arrive à l'Infini, serpent du sexe qui se mord soi-même. C'est alors que la chiourme des lignes se couche sous le fouet de la matière. Il ne me reste qu'à accomplir le meurtre devant une architecture sans fin. Je briserai les statues et tracerai des croix sur le sol avec mon couteau. Les soupiraux s'élargiront et des astres sortiront silencieusement des caves, — fruits des sphères et des statues, grappes de globes lumineux montant comme les bulles transparentes d'un fumeur de savon, à travers les pigments de la mort et le bulbe rouge de la lampe de charbon. VI Au cours de ma vie blanche et noire, la marée du sommeil obéit au mouvement des planètes, comme le cycle des menstrues et les migrations périodiques d'oiseaux. Derrière les cadres, une rame délicieuse va s'élever encore : au monde aéré du jour se substitue la nuit liquide, les plumes se changent en écailles et le poisson doré monte des abîmes pour prendre la place de l'oiseau, couché dans son nid de feuilles et de membres d'insectes. Des galets couverts de mots — mots eux-mêmes bousculés, délavés et polis — s'incrustent dans le sable parmi les rameaux et coquilles d'algues, lorsque toute vie terrestre se rétracte et se cache dans son domicile obscur : les orifices des minéraux. Zénith, Porphyre, Péage, sont les trois vocables que je lis le plus souvent. Ils ne m'apparurent d'abord que partiellement : le Z en zébrure ou zigzag de conflit, fuite oblique vers les incidences puis persévérance dans une voie parallèle, —l'Y de l'outre-terre (Ailleurs, qu'Y a-t-il? Y serons-nous sibYlles? Qu'Y pourrai-je faire si je n'ai plus mes Yeux?), — l'A écartant de plus en plus son angle rapace sous-tendu par un horizon fictif, tandis que P Poussait la Porte des Passions. Puis les trois mots se formèrent et je pus les faire sauter dans mes mains avec d'autres mots que je possédais déjà, lisant au passage la phrase qu'ils composèrent : Payes-tu, ô Zénith, le péage du porphyre? A quoi je répondis, lançant mes cailloux en ricochets : Le porphyre du Zénith n'est pas notre péage.

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