Titre : Belle
Auteur : Michel Leiris
Pour découvrir l'existence de filons extasiés dans les profondeurs mouvantes de ton corps mes doigts sont des baguettes de sourcier
Bizarres serpents de la colère
mes meubles se haïssent dans ma chambre à coucher et leurs grandes batailles immobiles rappellent celles de nos mains celles de nos lèvres celles des vapeurs fiévreuses qui
jaillissent à minuit
dans les ports celles des maisons qui invisiblement du haut en bas se
déchirent lorsque les pas d'une femme trop belle ont résonné
Elle était belle comme le jour
Beauté c'est la couronne ardente c'est la rumeur qui parcourt l'arbre du cœur à l'écorce par l'aubier
Beauté c'est la splendeur d'une bouche qui se plie blessée par les remous d'un langage trop amer comme sont toutes les langues qui veulent dire quelque chose
Elle était belle comme un miroir
un miroir déformant où se reflètent rendus égaux par la
commune irréalité ceux qui sont laids et ceux qui sont d'une élégance
insensée
Les glaces se terniront lorsque ses lèvres auront précisément cessé
de donner à la petite glace de poche ce précaire signo dévie
les miroirs mûriront
puisque tout ce qui se ternit mûrit
Et en effet
c'est la mort éternello qui — rongeant corps et
visages — donne à certains ce charme inoubliable des vieilles choses dédorées
Bouts de lacets cassés
Cœurs morcelés
Yeux envolés
Ongles coupés
J'aime tout ce qui se défait fruits mûrs qui tombent à terre juste à temps pour
masquer leur déroute dans la nuit
O blancheur inaltérable des auréoles ternies
Corps ravagés
Faces flétries
Statues branlantes que minent les moisissures et la
pluie
Je n'aime que votre forme dévastée pareille à tout ce que l'amour fait décroître et blêmit