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Philippe Jaccottet

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Philippe Jaccottet, né le 30 juin 1925 à Moudon en Suisse et mort le 24 février 2021 à Grignan (Drôme), est un écrivain, poète, critique littéraire et traducteur suisse vaudois, naturalisé français en 1950. Il est l'époux de l'illustratrice et peintre Anne-Marie Jaccottet, née Haesler.

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Poésies

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    Philippe Jaccottet

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    Fin d'hiver Peu de chose, rien qui chasse l'effroi de perdre l'espace est laissé à l'âme errante Mais peut-être, plus légère, ' incertaine qu'elle dure, est-elle celle qui chante avec la voix la plus pure les distances de la terre Une semaison de larmes sur le visage changé, la scintillante saison des rivières dérangées : chagrin qui creuse la terre L'âge regarde la neige s'éloigner sur les montagnes Dans l'herbe à l'hiver survivant ces ombres moins pesantes qu'elle, des timides bois patients sont la discrète, la fidèle, l'encore imperceptible mort Toujours dans le jour tournant ce vol autour de nos corps Toujours dans le champ du jour ces tombes d'ardoise bleue Vérité, non-vérité se résorbent en fumée Monde pas mieux abrité que la beauté trop aimée, passer en toi, c'est fêter de la poussière allumée Vérité, non-vçrité brillent, cendre parfumée

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    Philippe Jaccottet

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    La promenade a la fin de l'été Nous avançons sur des rochers de coquillages, sur des socles bâtis de libellules et de sable, promeneurs amoureux surpris de leur propre voyage, corps provisoires, en ces rencontres périssables. Repos d'une heure sur les basses tables de la terre. Paroles sans beaucoup d'écho. Lueurs de lierre. Nous marchons entourés des derniers oiseaux de l'automne et la flamme invisible des années bourdonne sur le bois de nos corps. Reconnaissance néanmoins à ce vent dans les chênes qui ne se tait point. En bas s'amasse l'épaisseur des morts anciens, la précipitation de la poussière jadis claire, la pétrification des papillons et des essaims, en bas le cimetière de la graine et de la pierre, les assises de nos amours, de nos regards et de nos plaintes, le lit profond dont s'éloigne au soir toute crainte. Plus haut tremble ce qui résiste encore à la défaite, plus haut brillent la feuille et les échos de quelque fête; avant de s'enfoncer à leur tour dans les fondations, des martinets fulgurent au-dessus de nos maisons. Puis vient enfin ce qui pourrait vaincre notre détresse, l'air plus léger que l'air et sur les cimes la lumière, peut-être les propos d'un homme évoquant sa jeunesse, entendus quand la nuit s'approche et qu'un vain bruit de guerre pour la dixième fois vient déranger l'exhalaison des champs.

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    Philippe Jaccottet

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    Le travail du poète L'ouvrage d'un regard d'heure en heure affaibli n'est pas plus de rêver que de former des pleurs, mais de veiller comme un berger et d'appeler tout ce qui risque de se perdre s'il s'endort. * Ainsi, contre le mur éclairé par l'été (mais ne serait-ce pas plutôt par sa mémoire), dans la tranquillité du jour je vous regarde, vous qui vous éloignez toujours plus, qui fuyez, je vous appelle, qui brillez dans l'herbe obscure comme autrefois dans le jardin, voix ou lueurs (nul ne le sait) liant les défunts à l'enfance... (Est-elle morte, telle dame sous le buis, sa lampe éteinte, son bagage dispersé? Ou bien va-t-elle revenir de sous la terre et moi j irais au-devant d elle et je dirais : « Qu'avez-vous fait de tout ce temps qu'on n'entendait ni votre rire ni vos pas dans la ruelle? Fallait-il s'absenter sans personne avertir? ô dame! revenez maintenant parmi nous... ») Dans l'ombre et l'heure d'aujourd'hui se tient cachée, ne disant mot, cette ombre d'hier. Tel est le monde. Nous ne le voyons pas très longtemps : juste assez pour en garder ce qui scintille et va s'éteindre, pour appeler encore et encore, et trembler de ne plus voir. Ainsi s'applique l'appauvri, comme un homme a genoux qu'on verrait s'efforcer contre le vent de rassembler son maigre feu...

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    Philippe Jaccottet

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    Pensées sous les nuages Je ne crois pas décidément que nous ferons ce voyage à travers tous ces ciels qui seraient de plus en plus clairs, emportés au défi de toutes les lois de l'ombre. Je nous vois mal en aigles invisibles, à jamais tournoyant autour de cimes invisibles elles aussi par excès de lumière... (À ramasser les tessons du temps, on ne fait pas l'éternité. Le dos se voûte seulement comme aux glaneuses. On ne voit plus que les labours massifs et les traces de la charrue à travers notre tombe patiente.) — Il est vrai qu'on aura peu vu le soleil tous ces jours, espérer sous tant de nuages est moins facile, le socle des montagnes fume de trop de brouillard... (Il faut pourtant que nous n'ayons guère de force pour lâcher prise faute d'un peu de soleil et ne pouvoir porter sur les épaules, quelques heures, un fagot de nuages... Il faut que nous soyons restés bien naïfs pour nous croire sauvés par le bleu du ciel ou châtiés par l'orage et par la nuit.) — Mais où donc pensiez-vous aller encore, avec ces pieds usés ? Rien que tourner le coin de la maison, ou franchir, de nouveau, quelle frontière ? (L'enfant rêve d'aller de l'autre côté des montagnes, le voyageur le fait parfois, et son haleine là-haut devient visible, comme on dit que l'âme des morts... On se demande quelle image il voit passer dans le miroir des neiges, luire quelle flamme, et s'il trouve une porte entrouverte derrière. On imagine que, dans ces lointains, cela se peut : une bougie brûlant dans un miroir, une main de femme proche, une embrasure...) Mais vous ici, tels que je vous retrouve, vous n'aurez plus la force de boire dans ces flûtes de cristal, nous serez sourds aux cloches de ces hautes tours, aveugles à ces phares qui tournent selon le soleil, piètres navigateurs pour une aussi étroite passe... On vous voit mieux dans les crevasses des labours, suant une sueur de mort, plutôt sombres qu'emportés vers ces derniers cygnes fiers... — Je ne crois pas décidément que nous ferons encore ce voyage, ni que nous échapperons au merlin sombre une fois que les ailes du regard ne battront plus. Des passants. On ne nous reverra pas sur ces routes, pas plus que nous n'avons revu nos morts ou seulement leur ombre... Leur corps est cendre, cendre leur ombre et leur souvenir ; la cendre même, un vent sans nom et sans visage la disperse et ce vent même, quoi l'efface ? Néanmoins, en passant, nous aurons encore entendu ces cris d'oiseaux sous les nuages dans le silence d'un midi d'octobre vide, ces cris épars, à la fois près et comme très loin (ils sont rares, parce que le froid s'avance telle une ombre derrière la charrue des pluies), ils mesurent l'espace... El moi qui passe au-dessous d'eux, il me semble qu'ils ont parlé, non pas questionné, appelé, niais répondu. Sous les nuages bas d'octobre. Et déjà c'est un autre jour, je suis ailleurs, déjà ils disent autre chose ou ils se taisent, je passe, je m'étonne, et je ne peux en dire plus.

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