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Sully Prudhomme

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René Armand François Prudhomme, dit Sully Prudhomme (orthographié également parfois Sully-Prudhomme), né à Paris le 16 mars 1839 et mort à Châtenay-Malabry le 6 septembre 1907, est un poète français, premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.

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Poésies

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    Sully Prudhomme

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    Ici-bas Ici-bas tous les lilas meurent, Tous les chants des oiseaux sont courts ; Je rêve aux étés qui demeurent Toujours... Ici-bas les lèvres effleurent Sans rien laisser de leur velours ; Je rêve aux baisers qui demeurent Toujours... Ici-bas tous les hommes pleurent Leurs amitiés ou leurs amours ; Je rêve aux couples qui demeurent Toujours...

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    Déception Une eau croupie est un miroir Plus fidèle encor qu'une eau pure, Et l'image la transfigure, Prêtant ses couleurs au fond noir. Aurore, colombe et nuée Y réfléchissent leur candeur, Et du firmament la grandeur N'y semble pas diminuée. À fleur de ce cloaque épais Les couleuvres et les sangsues, Mille bêtes inaperçues, Rôdent sans en troubler la paix. Le reflet d'en haut les recouvre, Et le jeu trompeur du rayon Donne au regard l'illusion D'un grand vallon d'azur qui s'ouvre. À travers ces monstres hideux Le ciel luit sans rides ni voiles, Il les change tous en étoiles Et s'arrondit au-dessous d'eux. Mais la bouche qui veut se tendre Vers l'étoile pour s'y poser, Sent au-devant de son baiser Surgir un monstre pour le prendre. Tel se reflète l'idéal Dans les yeux d'une amante infâme, Et telle, en y plongeant, notre âme N'y sent de réel que le mal.

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    Déclin d'amour Dans le mortel soupir de l'automne, qui frôle Au bord du lac les joncs frileux, Passe un murmure éteint : c'est l'eau triste et le saule Qui se parlent entre eux. Le saule : « Je languis, vois ! Ma verdure tombe Et jonche ton cristal glacé ; Toi qui fus la compagne, aujourd'hui sois la tombe De mon printemps passé. » Il dit. La feuille glisse et va jaunir l'eau brune. L'eau répond : « Ô mon pâle amant, Ne laisse pas ainsi tomber une par une Tes feuilles lentement ; « Ce baiser me fait mal, autant, je te l'assure, Que les coups des avirons lourds ; Le frisson qu'il me donne est comme une blessure Qui s'élargit toujours. « Ce n'est qu'un point d'abord, puis un cercle qui tremble Et qui grandit, multiplié ; Et les fleurs de mes bords sentent toutes ensemble Un sanglot à leur pied. « Que ce tressaillement rare et long me tourmente ! Pourquoi m'oublier peu à peu ? Secoue en une fois, cruel, sur ton amante Tous tes baisers d'adieu ! »

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    Au bord de l'eau S'asseoir tous deux au bord d'un flot qui passe, Le voir passer ; Tous deux, s'il glisse un nuage en l'espace, Le voir glisser ; À l'horizon, s'il fume un toit de chaume, Le voir fumer ; Aux alentours, si quelque fleur embaume, S'en embaumer ; Si quelque fruit, où les abeilles goûtent, Tente, y goûter ; Si quelque oiseau, dans les bois qui l'écoutent, Chante, écouter... Entendre au pied du saule où l'eau murmure L'eau murmurer ; Ne pas sentir, tant que ce rêve dure, Le temps durer ; Mais n'apportant de passion profonde Qu'à s'adorer ; Sans nul souci des querelles du monde, Les ignorer ; Et seuls, heureux devant tout ce qui lasse, Sans se lasser, Sentir l'amour, devant tout ce qui passe, Ne point passer !

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    Ce qui dure Le présent se fait vide et triste, Ô mon amie, autour de nous ; Combien peu de passé subsiste ! Et ceux qui restent changent tous. Nous ne voyons plus sans envie Les yeux de vingt ans resplendir, Et combien sont déjà sans vie Des yeux qui nous ont vus grandir ! Que de jeunesse emporte l'heure, Qui n'en rapporte jamais rien ! Pourtant quelque chose demeure : Je t'aime avec mon cœur ancien, Mon vrai cœur, celui qui s'attache Et souffre depuis qu'il est né, Mon cœur d'enfant, le cœur sans tache Que ma mère m'avait donné ; Ce cœur où plus rien ne pénètre, D'où plus rien désormais ne sort ; Je t'aime avec ce que mon être A de plus fort contre la mort ; Et, s'il peut braver la mort même, Si le meilleur de l'homme est tel Que rien n'en périsse, je t'aime Avec ce que j'ai d'immortel.

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    Les yeux Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, Des yeux sans nombre ont vu l’aurore ; Ils dorment au fond des tombeaux Et le soleil se lève encore. Les nuits plus douces que les jours Ont enchanté des yeux sans nombre ; Les étoiles brillent toujours Et les yeux se sont remplis d’ombre. Oh ! qu’ils aient perdu le regard, Non, non, cela n’est pas possible ! Ils se sont tournés quelque part Vers ce qu’on nomme l’invisible ; Et comme les astres penchants, Nous quittent, mais au ciel demeurent, Les prunelles ont leurs couchants, Mais il n’est pas vrai qu’elles meurent : Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, Ouverts à quelque immense aurore, De l’autre côté des tombeaux Les yeux qu’on ferme voient encore.

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    Au désir Ne meurs pas encore, ô divin Désir, Qui sur toutes choses Vas battant de l'aile et deviens plaisir Dès que tu te poses. Rôdeur curieux, es-tu las d'ouvrir Les lèvres, les roses ? N'as-tu désormais rien à découvrir Au pays des causes ? Couvre de baisers la face du beau, Jusqu'au fond du vrai porte ton flambeau, Fils de la jeunesse ! Encor des pensers, encor des amours ! Que ta grande soif s'abreuve toujours Et toujours renaisse !

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    Aux amis inconnus Ces vers, je les dédie aux amis inconnus, À vous, les étrangers en qui je sens des proches, Rivaux de ceux que j'aime et qui m'aiment le plus, Frères envers qui seuls mon coeur est sans reproches Et dont les coeurs au mien sont librement venus. Comme on voit les ramiers sevrés de leurs volières Rapporter sans faillir, par les cieux infinis, Un cher message aux mains qui leur sont familières, Nos poèmes parfois nous reviennent bénis, Chauds d'un accueil lointain d'âmes hospitalières. Et quel triomphe alors ! Quelle félicité Orgueilleuse, mais tendre et pure, nous inonde, Quand répond à nos voix leur écho suscité, Par delà le vulgaire, en l'invisible monde Où les fiers et les doux se sont fait leur cité ! Et nous la méritons, cette ivresse suprême, Car si l'humanité tolère encor nos chants, C'est que notre élégie est son propre poème, Et que seuls nous savons, sur des rythmes touchants, En lui parlant de nous lui parler d'elle-même. Parfois un vers, complice intime, vient rouvrir Quelque plaie où le feu désire qu'on l'attise ; Parfois un mot, le nom de ce qui fait souffrir, Tombe comme une larme à la place précise Où le coeur méconnu l'attendait pour guérir. Peut-être un de mes vers est-il venu vous rendre Dans un éclair brûlant vos chagrins tout entiers, Ou, par le seul vrai mot qui se faisait attendre, Vous ai-je dit le nom de ce que vous sentiez, Sans vous nommer les yeux où j'avais dû l'apprendre. Vous qui n'aurez cherché dans mon propre tourment Que la sainte beauté de la douleur humaine, Qui, pour la profondeur de mes soupirs m'aimant, Sans avoir à descendre où j'ai conçu ma peine, Les aurez entendus dans le ciel seulement ; Vous qui m'aurez donné le pardon sans le blâme, N'ayant connu mes torts que par mon repentir, Mes terrestres amours que par leur pure flamme, Pour qui je me fais juste et noble sans mentir, Dans un rêve où la vie est plus conforme à l'âme ! Chers passants, ne prenez de moi-même qu'un peu, Le peu qui vous a plu parce qu'il vous ressemble ; Mais de nous rencontrer ne formons point le voeu : Le vrai de l'amitié, c'est de sentir ensemble ; Le reste en est fragile, épargnons-nous l'adieu.

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    Conseil (I) Pour vous, enfants, le monde est une nouveauté ; De leur nid vos vertus, colombes inquiètes, Regardent en tremblant les printanières fêtes Et cherchent le secret d'y vivre en sûreté. Le voici : n'aimez l'or que pour sa pureté ; N'aimez que la candeur dans vos blanches toilettes ; Et si vous vous posez au front des violettes, Aimez la modestie en leur simple beauté. Qu'ainsi votre parure à vos yeux soit l'emblème De toutes les vertus qui font la grâce même, Ce geste aisé du cœur dont le luxe est jaloux ; Et qu'au retour d'un bal innocemment profane, Quand vous dépouillerez l'ornement qui se fane, Rien ne tombe avec lui de ce qui plut en vous.

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    Aux poètes futurs Poètes à venir, qui saurez tant de choses, Et les direz sans doute en un verbe plus beau, Portant plus loin que nous un plus large flambeau Sur les suprêmes fins et les premières causes ; Quand vos vers sacreront des pensers grandioses, Depuis longtemps déjà nous serons au tombeau ; Rien ne vivra de nous qu'un terne et froid lambeau De notre oeuvre enfouie avec nos lèvres closes. Songez que nous chantions les fleurs et les amours Dans un âge plein d'ombre, au mortel bruit des armes, Pour des coeurs anxieux que ce bruit rendait sourds ; Lors plaignez nos chansons, où tremblaient tant d'alarmes, Vous qui, mieux écoutés, ferez en d'heureux jours Sur de plus hauts objets des poèmes sans larmes.

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    Bonne mort Le Phédon jette en l'âme un céleste reflet, Mais rien n'est plus suave au cœur que l'Évangile. Délicat embaumeur de la raison fragile, Il sent la myrrhe, il coule aussi doux que le lait. Dans ses pures leçons rien n'est prouvé ; tout plaît : Le bon Samaritain qui prodigue son huile, L'héroïsme indulgent pour la plèbe servile L'âme offerte à l'épreuve et la joue au soufflet. On dit que les mourants ont foi dans ce beau-livre : Quand la raison fléchit, il apaise, il enivre, Et l'agonie y trouve un généreux soutien. Prêtre, tu mouilleras mon front qui te résiste ; Trop faible pour douter, je m'en irai moins triste Dans le néant peut-être, avec l'espoir chrétien.

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    Chagrin d'automne Les lignes du labour dans les champs en automne Fatiguent l'œil, qu'à peine un toit fumant distrait, Et la voûte du ciel tout entière apparaît, Bornant d'un cercle nu la plaine monotone. En des âges perdus dont la vieillesse étonne Là même a dû grandir une vierge forêt, Où le chant des oiseaux sonore et pur vibrait, Avec l'hymne qu'au vent le clair feuillage entonne ! Les poètes chagrins redemandent aux bras Qui font ce plat désert sous des rayons sans voile La verte nuit des bois que le soleil étoile ; Ils pleurent, oubliant, dans leurs soupirs ingrats, Que des mornes sillons sort le pain qui féconde Leurs cerveaux, dont le rêve est plus beau que le monde !

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    Conseil Jeune fille, crois-moi, s'il en est temps encore, Choisis un fiancé joyeux, à l'œil vivant, Au pas ferme, à la voix sonore, Qui n'aille pas rêvant. Sois généreuse, épargne aux cœurs de se méprendre. Au tien même, imprudente, épargne des regrets, N'en captive pas un trop tendre, Tu t'en repentirais. La nature t'a faite indocile et rieuse, Crains une âme où la tienne apprendrait le souci, La tendresse est trop sérieuse, Trop exigeante aussi. Un compagnon rêveur attristerait ta vie, Tu sentirais toujours son ombre à ton côté Maudire la rumeur d'envie Où marche ta beauté. Si, mauvais oiseleur, de ses caresses frêles Il abaissait sur toi le délicat réseau, Comme d'un seul petit coup d'ailes S'affranchirait l'oiseau ! Et tu ne peux savoir tout le bonheur que broie D'un caprice enfantin le vol brusque et distrait, Quand il arrache au cœur la proie Que la lèvre effleurait ; Quand l'extase, pareille à ces bulles ténues Qu'un souffle patient et peureux allégea, S'évanouit si près des nues Qui s'y miraient déjà. Sois généreuse, épargne à des songeurs crédules Ta grâce, et de tes yeux les appels décevants : Ils chercheraient des crépuscules Dans ces soleils levants ; Il leur faut une amie à s'attendrir facile, Souple à leurs vains soupirs comme aux vents le roseau, Dont le cœur leur soit un asile Et les bras un berceau, Douce, infiniment douce, indulgente aux chimères, Inépuisable en soins calmants ou réchauffants, Soins muets comme en ont les mères, Car ce sont des enfants. Il leur faut pour témoin dans les heures d'étude, Une âme qu'autour d'eux ils sentent se poser, Il leur faut une solitude Où voltige un baiser Jeune fille, crois-m'en, cherche qui te ressemble, Ils sont graves ceux-là, ne choisis aucun d'eux ; Vous seriez malheureux ensemble Bien qu'innocents tous deux.

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    Consolation Une enfant de seize ans, belle, et qui, toute franche, Ouvrant ses yeux, ouvrait son cœur, S'est inclinée un jour comme une fleur se penche, Agonisante deux fois blanche Par l'innocence et la langueur. Ne parlez plus du monde à sa mère atterrée : Ce qui n'est pas noir lui déplaît ; Ah ! l'immense douleur que son amour lui crée N'est-elle pas aussi sacrée Qu'un seuil de tombe où l'on se tait ? Vouloir la détourner de son culte à la morte, C'est toujours l'en entretenir, Et la vertu des mots ne peut être assez forte Pour que leur souffle vide emporte Le plomb fixe du souvenir. Mais surtout cachez-lui l'âge de votre fille, Ses premiers hivers triomphants Au bal, où chaque mère a sa perle qui brille, Printemps des nuits où la famille Fête la beauté des enfants. Ne soyez, en lavant sa blessure cruelle, Ni le flatteur des longs regrets, Ni le froid raisonneur dont l'amitié querelle, Ni l'avocat de Dieu contre elle Qui saigne encor de ses décrets. Mais soyez un écho dans une solitude, Toujours présent, toujours voilé, Faites de sa souffrance une invisible étude, Et si le jour lui semble rude Montrez-lui le soir étoile. La nature à son tour par d'invisibles charmes Forcera la peine au sommeil ; Un jour on offre aux morts des fleurs au lieu de larmes. Que de désespoirs tu désarmes, Silencieux et fort soleil ! Vous ne distrairez pas les malheureuses mères, Tant qu'elles pleurent leurs enfants ; Les discours ni le bruit ne les soulagent guères : Recueillez leurs larmes amères, Aidez leurs soupirs étouffants : Il faut que la douleur par les sanglots brisée Se divise un peu chaque jour, Et dans les libres pleurs, dissolvante rosée, Sur le tombeau qui l'a causée S'épuise par un lent retour. Alors le désespoir devient tristesse et plie, Le cœur moins serré s'ouvre un peu ; Ce nœud qui l'étreignait doucement se délie, Et l'âme retombe affaiblie, Mais plus sage et sereine en Dieu. La douleur se repose, et d'étape en étape S'éloigne, et, prête à s'envoler, Hésite au bord du cœur, lève l'aile et s'échappe ; Le cœur s'indigne... Dieu qui frappe Use du droit de consoler.

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    Corps et âmes Heureux les cœurs, les cœurs de sang ! Leurs battements peuvent s'entendre ; Et les bras ! Ils peuvent se tendre, Se posséder en s'enlaçant. Heureux aussi les doigts ! Ils touchent ; Les yeux ! Ils voient. Heureux les corps ! Ils ont la paix quand ils se couchent, Et le néant quand ils sont morts. Mais, oh ! Bien à plaindre les âmes ! Elles ne se touchent jamais : Elles ressemblent à des flammes Ardentes sous un verre épais. De leurs prisons mal transparentes Ces flammes ont beau s'appeler, Elles se sentent bien parentes, Mais ne peuvent pas se mêler. On dit qu'elles sont immortelles ; Ah ! Mieux leur vaudrait vivre un jour, Mais s'unir enfin !... dussent-elles S'éteindre en épuisant l'amour !

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    Couples maudits Les criminels parfois ne sont pas les méchants, Mais ceux qui n'ont jamais pu connaître en leur vie Ni le libre bonheur des bêtes dans les champs, Ni la sécurité de la règle suivie. Que d'amour ténébreux sans lit et sans foyer ! Que de coussins foulés en hâte dans les bouges ! Que de fiacres errants honteux de déployer Par des jours sans soleil leurs sales rideaux rouges ! Tous ces couples maudits, affolés de désir, Après l'atroce attente (ô la pire des fièvres !), Dévorent avec rage un lambeau de plaisir Que le moindre hasard dispute au feu des lèvres ; Car tous ont attendu de longs jours, de longs mois, Pour ne faire, un instant, qu'une chair et qu'une âme, Au milieu des terreurs, sous l'œil fixe des lois, Dans un baiser qui pleure et cependant infâme...

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    De loin Du bonheur qu'ils rêvaient toujours pur et nouveau Les couples exaucés ne jouissent qu'une heure. Moins ému, leur baiser ne sourit ni ne pleure ; Le nid de leur tendresse en devient le tombeau. Puisque l'œil assouvi se fatigue du beau, Que la lèvre en jurant un long culte se leurre, Que des printemps d'amour le lis, dès qu'on l'effleure, Où vont les autres lis va lambeau par lambeau, J'accepte le tourment de vivre éloigné d'elle. Mon hommage muet, mais aussi plus fidèle, D'aucune lassitude en mon cœur n'est puni ; Posant sur sa beauté mon respect comme un voile, Je l'aime sans désir, comme on aime une étoile, Avec le sentiment qu'elle est à l'infini.

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    Dernière solitude Dans cette mascarade immense des vivants Nul ne parle à son gré ni ne marche à sa guise ; Faite pour révéler, la parole déguise, Et la face n'est plus qu'un masque aux traits savants. Mais vient l'heure où le corps, infidèle ministre, Ne prête plus son geste à l'âme éparse au loin, Et, tombant tout à coup dans un repos sinistre, Cesse d'être complice et demeure témoin. Alors l'obscur essaim des arrière-pensées, Qu'avait su refouler la force du vouloir, Se lève et plane au front comme un nuage noir Où gît le vrai motif des œuvres commencées ; Le cœur monte au visage, où les plis anxieux Ne se confondent plus aux lignes du sourire ; Le regard ne peut plus faire mentir les yeux, Et ce qu'on n'a pas dit vient aux lèvres s'écrire. C'est l'heure des aveux. Le cadavre ingénu Garde du souffle absent une empreinte suprême, Et l'homme, malgré lui redevenant lui-même, Devient un étranger pour ceux qui l'ont connu. Le rire des plus gais se détend et s'attriste, Les plus graves parfois prennent des traits riants ; Chacun meurt comme il est, sincère à l'improviste : C'est la candeur des morts qui les rend effrayants.

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    Douceur d'Avril J'ai peur d'avril, peur de l'émoi Qu'éveille sa douceur touchante ; Vous qu'elle a troublés comme moi, C'est pour vous seuls que je la chante. En décembre, quand l'air est froid, Le temps brumeux, le jour livide, Le cœur, moins tendre et plus étroit, Semble mieux supporter son vide. Rien de joyeux dans la saison Ne lui fait sentir qu'il est triste ; Rien en haut, rien à l'horizon Ne révèle qu'un ciel existe. Mais, dès que l'azur se fait voir, Le cœur s'élargit et se creuse, Et s'ouvre pour le recevoir Dans sa profondeur douloureuse ; Et ce bleu qui lui rit de loin, L'attirant sans jamais descendre, Lui donne l'infini besoin D'un essor impossible à prendre. Le bonheur candide et serein Qui s'exhale de toutes choses, L'oppresse, et son premier chagrin Rajeunit à l'odeur des roses. Il sent, dans un réveil confus, Les anciennes ardeurs revivre, Et les mêmes anciens refus Le repousser dès qu'il s'y livre. J'ai peur d'avril, peur de l'émoi Qu'éveille sa douceur touchante ; Vous qu'elle a troublés comme moi, C'est pour vous seuls que je la chante.

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    En deuil C'est en deuil surtout que je l'aime ; Le noir sied à son front poli, Et par ce front le chagrin même Est embelli. Comme l'ombre le deuil m'attire, Et c'est mon goût de préférer, Pour amie, à qui sait sourire Qui peut pleurer. J'aime les lèvres en prière ; J'aime à voir couler les trésors D'une longue et tendre paupière Fidèle aux morts, Vierge, heureux qui sort de la vie Embaumés de tes pleurs pieux ; Mais plus heureux qui les essuie : Il a tes yeux !

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    Sully Prudhomme

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    En voyage Je partais pour un long voyage. En wagon, tapi dans mon coin, J'écoutais fuir l'aigu sillage Du sifflet dans la nuit, au loin ; Je goûtais la vague indolence, L'état obscur et somnolent, Où fait tomber sans qu'on y pense Le train qui bourdonne en roulant ; Et je ne m'apercevais guère, Indifférent de bonne foi, Qu'une jeune fille et sa mère Faisaient route à côté de moi. Elles se parlaient à voix basse : C'était comme un bruit de frisson, Le bruit qu'on entend quand on passe Près d'un nid le long d'un buisson ; Et bientôt elles se blottirent, Leurs fronts l'un vers l'autre penchés, Comme deux gouttes d'eau s'attirent Dès que les bords se sont touchés ; Puis, joue à joue, avec tendresse, Elles se firent toutes deux Un oreiller de leur caresse, Sous la lampe aux rayons laiteux. L'enfant, sur le bras de ma stalle, Avait laissé poser sa main Qui reflétait, comme une opale, La moiteur d'un jour incertain ; Une main de seize ans à peine : La manchette l'ombrait un peu ; L'azur, d'une petite veine, La nuançait comme un fil bleu ; Elle pendait, molle et dormante, Et je ne sais si mon regard Pressentit qu'elle était charmante Ou la rencontra par hasard, Mais je m'étais tourné vers elle, Sollicité sans le savoir : On dirait que la grâce appelle Avant même qu'on l'ait pu voir. « Heureux, me dis-je, le touriste Que cette main-là guiderait ! » Et ce songe me rendait triste : Un vœu n'éclôt que d'un regret. Cependant glissaient les campagnes Sous les fougueux rouleaux de fer, Et le profil noir des montagnes Ondulait ainsi qu'une mer. Force étrange de la rencontre ! Le cœur le moins prime-sautier, D'un lambeau d'azur qui se montre, Improvise un ciel tout entier : Une enfant dort, une étrangère, Dont la main paraît à demi, Et ce peu d'elle me suggère Un vœu d'un bonheur infini ! Je la rêve, inconnue encore, Sur ce peu de réalité, Belle de tout ce que j'ignore Et du possible illimité... Je rêve qu'une main si blanche, D'un si confiant abandon, Ne peut-être que sûre et franche, Et se donnerait tout de bon. Bienheureux l'homme qu'au passage Cette main fine enchaînerait ! Calme à jamais, à jamais sage... — Vitry ! Cinq minutes d'arrêt ! À ces mots criés sur la voie, Le couple d'anges s'éveilla, Battit des ailes avec joie, Et disparut. Je restai là. Cette enfant, qu'un autre eût suivie, Je me la laissais enlever. Un voyage ! Telle est la vie Pour ceux qui n'osent que rêver.

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    Sully Prudhomme

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    Enfantillage Madame, vous étiez petite, J’avais douze ans ; Vous oubliez vos courtisans Bien vite !

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    Sully Prudhomme

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    Fatalité Que n'ai-je appris l'amour sous un regard moins beau ! Je n'aurais pas traîné si longtemps sur la terre Cet âpre souvenir, le seul que rien n'altère, Et qui, le plus lointain, me soit toujours nouveau. Hélas ! je ne peux pas souffler comme un flambeau L'œil bleu, pâle qui luit dans mon cœur solitaire ; On ne se remplit pas d'une nuit volontaire, Pas même en se voilant des ombres du tombeau. Que n'ai-je, comme eux tous, aimé d'abord la grâce, Non la grande beauté qui fait mal, qui dépasse L'horizon du désir et la force du cœur ! J'eusse aimé librement selon ma fantaisie ; Mais l'amante que j'ai, je ne l'ai pas choisie, Je ne pourrais pas plus la changer que ma sœur.

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    Sully Prudhomme

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    Fin du rêve Le rêve, serpent traître éclos dans le duvet, Roule autour de mes bras une flatteuse entrave, Sur mes lèvres distille un philtre dans sa bave, Et m'amuse aux couleurs changeantes qu'il revêt. Depuis qu'il est sorti de dessous mon chevet, Mon sang glisse figé comme une tiède lave, Ses nœuds me font captif et ses regards esclave, Et je vis comme si quelque autre en moi vivait. Mais bientôt j'ai connu le mal de sa caresse ; Vainement je me tords sous son poids qui m'oppresse, Je retombe et ne peux me défaire de lui. Sa dent cherche mon cœur, le retourne et le ronge ; Et, tout embarrassé dans des lambeaux de songe, Je meurs. — Ô monstre lourd ! qui donc es-tu ? — L'Ennui.

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    Sully Prudhomme

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    Fort en thème Vous aviez l'âge où flotte encore La double natte sur le dos, Mais où l'enfant qu'elle décore Sent le prix de pareils fardeaux ; L'âge où l'œil déjà nous évite, Quand, sous des vêtements moins courts, Devant sa mère, droit et vite, On va tous les matins au cours ; Où déjà l'on pince les lèvres Au tutoiement d'un grand garçon, Lasse un peu des tendresses mièvres Pour la poupée au cœur de son. Alors mon idéal suprême N'était pas l'inouï bonheur, En aimant, d'être aimé moi-même, Mais d'en mourir avec honneur, De vous arracher votre estime Sous les tenailles des bourreaux, Dans un martyre magnanime, Car les enfants sont des héros ! Si les enfants ont l'air timide, C'est qu'ils n'osent que soupirer, Se sentant le cœur intrépide, Mais trop humble pour espérer. Comme un page épris d'une reine, Je n'avais d'autre ambition Que de ramasser dans l'arène Votre gant au pied d'un lion. Mais une demoiselle sage Ne laisse pas traîner son gant. Le vôtre, un jour, sur mon passage Échappa de vos doigts pourtant. Oh ! Ce fut bien involontaire ! Mais j'en frémis. Comment laisser Sous vos yeux votre gant par terre, Quand je n'avais qu'à me baisser ? C'était au parloir du collège, Pas un lion sur mon chemin. — « Allons, courage ! » me disais-je, Le devoir me poussait la main ; Mais mon trouble demandait grâce Au défi de ce gant perdu, Et c'est le dernier de ma classe, Madame, qui vous l'a rendu.

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    Sully Prudhomme

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    Hermaphrodite Il avait l'âme aride et vaine de sa mère, L'œil froid du dieu voleur qui marche à reculons ; Il promenait sa grâce, insouciante, altière, Et les nymphes disaient : « Quel marbre nous aimons ! » Un jour que cet enfant d'Hermès et d'Aphrodite Méprisait Salmacis, nymphe du mont Ida, La vierge, l'embrassant d'une étreinte subite, Pénétra son beau corps si bien qu'elle y resta ! De surprise et d'horreur ses divines compagnes, Qui dans cet être unique en reconnaissaient deux, Comme un sphinx égaré dans leurs chastes montagnes, Fuyaient ce double faune au visage douteux. La volupté souffrait dans sa prunelle étrange, Il faisait des serments d'une hésitante voix ; L'amour et le dédain par un hideux mélange Dans son vague sourire étaient peints à la fois. Son inutile sein n'offrait ni lait ni flamme ; En s'y posant, l'oreille, hélas ! eût découvert Un cœur d'homme où chantait un pauvre cœur de femme, Comme un oiseau perdu dans un temple désert. Ô symbole effrayant de ces unions louches Où l'un des deux amants, sans joie et sans désir, Fuit le regard de l'autre ; où l'une des deux bouches En goûtant les baisers sent l'autre les subir !

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

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    Il y a longtemps Vous me donniez le bras, nous causions seuls tous deux, Et les cœurs de vingt ans se font signe bien vite ; J'en suis encore ému, fille blonde aux yeux bleus ; Mais vous souviendrez-vous de ma courte visite ? Hélas ! se souvient-on d'un souffle parasite Qui n'a fait que passer pour baiser les cheveux, Du flot où l'on se mire, et de la marguerite Confidente éphémère où s'effeuillent les vœux ? Une image en mon cœur peut périr effacée, Mais non pas tout entière ; elle y devient pensée. Je garde la douceur de vos traits disparus. Que je me suis souvent éloigné, l'œil humide, Avec l'adieu glacé d'une vierge timide Que je chéris toujours et ne reverrai plus !

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    Sully Prudhomme

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    @sullyPrudhomme

    Inquiétude Pour elle désormais je veux être si bon, Si bon, qu'elle se sache aveuglément chérie ; Je ne lui dirai plus : « Il faut, » mais : « Je t'en prie... » Et je prendrai les torts, lui laissant le pardon. Mais quel âpre murmure au fond de moi dit : « Non ! » Contre un servile amour toute ma fierté crie. Non ! je veux qu'étant mienne, à ma guise pétrie, Ce soit elle, et non moi, qui craigne l'abandon. Tantôt je lui découvre en entier ma faiblesse, Tantôt, rebelle injuste et jaloux, je la blesse Et je sens dans mon cœur sourdre la cruauté. Elle ne comprend pas, et je lui semble infâme. Oh ! que je serais doux si tu n'étais qu'une âme ! Ce qui me rend méchant, vois-tu, c'est ta beauté.

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    Sully Prudhomme

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    Jaloux du printemps Des saisons la plus désirée Et la plus rapide, ô printemps, Qu'elle m'est longue, ta durée ! Tu possèdes mon adorée, Et je l'attends ! Ton azur ne me sourit guère, C'est en hiver que je la vois ; Et cette douceur éphémère, Je ne l'ai dans l'année entière Rien qu'une fois. Mon bonheur n'est qu'une étincelle Volée au bal dans un coup d'œil : L'hiver passe, et je vis sans elle ; C'est pourquoi, fête universelle, Tu m'es un deuil. J'ai peur de toi quand je la quitte : Je crains qu'une fleur d'oranger, Tombant sur son cœur, ne l'invite À consulter la marguerite, Et quel danger ! Ce cœur qui ne sait rien encore, Couvé par tes tendres chaleurs, Devine et pressent son aurore ; Il s'ouvre à toi qui fais éclore Toutes les fleurs. Ton souffle l'étonne, elle écoute Les conseils embaumés de l'air ; C'est l'air de mai que je redoute, Je sens que je la perdrai toute Avant l'hiver.

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    Sully Prudhomme

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    @sullyPrudhomme

    Je ne dois plus la voir Je ne dois plus la voir jamais, Mais je vais voir souvent sa mère ; C'est ma joie, et c'est la dernière, De respirer où je l'aimais. Je goûte un peu de sa présence Dans l'air que sa voix ébranla ; Il me semble que parler là, C'est parler d'elle à qui je pense. Nulle autre chose que ses traits N'y fixait mon regard avide ; Mais, depuis que sa chambre est vide, Que de trésors j'y baiserais ! Le miroir, le livre, l'aiguille, Et le bénitier près du lit... Un sommeil léger te remplit, Ô chambre de la jeune fille ! Quand je regarde bien ces lieux, Nous y sommes encore ensemble ; Sa mère parfois lui ressemble À m'arracher les pleurs des yeux. Peut-être la croyez-vous morte ? Non. Le jour où j'ai pris son deuil, Je n'ai vu de loin ni cercueil Ni drap tendu devant sa porte.

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