splash screen icon Lenndi
splash screen name leendi
@sullyPrudhomme profile image

Sully Prudhomme

Auteurplume

René Armand François Prudhomme, dit Sully Prudhomme (orthographié également parfois Sully-Prudhomme), né à Paris le 16 mars 1839 et mort à Châtenay-Malabry le 6 septembre 1907, est un poète français, premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.

...plus

Compte non officiel

Poésies

131

    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Une larme En tes yeux nage une factice opale, Et le charbon t'allonge les sourcils, Mais ton regard sans douceur n'est que pâle Sous tes gros cils de sépia noircis. Ah ! Pauvre femme, il règne un froid de pierre Dans la langueur menteuse de ce fard ; Quand tu mettrais l'azur sous ta paupière, Tu ne pourrais embellir ton regard ! Oui, porte envie aux yeux vrais qui nous laissent, En se voilant, captivés d'autant mieux ; Ceux-là sont beaux, même quand ils se baissent : C'est le regard qui fait le prix des yeux. Qui sait pourtant s'il faut qu'on te dédaigne, S'il n'est plus rien, dans ton âme, à cueillir ? Pour la sauver il suffit qu'on la plaigne, Un dernier lis y pourra tressaillir. Est-il si vain, ce rêve de jeunesse Dont nous rions et que nous fîmes tous : Guérir une âme où la vertu renaisse ! Si généreux, étions-nous donc si fous ? Qui sait pourtant si tout ton maquillage N'endigue pas des pleurs accumulés, Qui brusquement y feraient leur sillage, Pareils aux pleurs des yeux immaculés ? Car tous les pleurs, de pécheresse ou d'ange, Dans tous les yeux sont d'eau vive et de sel ; L'onde en est pure, et rien de ce mélange, S'il vient du cœur, n'est indigne du ciel ; Vois Madeleine : elle y trône ravie Pour une larme où Dieu se put mirer : S'il t'en reste une, une ancienne, à pleurer, Tu peux laver ta paupière et ta vie.

    en cours de vérification

    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Vœu Quand je vois des vivants la multitude croître Sur ce globe mauvais de fléaux infesté, Parfois je m'abandonne à des pensers de cloître, Et j'ose prononcer un vœu de chasteté. Du plus aveugle instinct je me veux rendre maître, Hélas ! Non par vertu, mais par compassion ; Dans l'invisible essaim des condamnés à naître, Je fais grâce à celui dont je sens l'aiguillon. Demeure dans l'empire innommé du possible, Ô fils le plus aimé qui ne naîtra jamais ! Mieux sauvé que les morts et plus inaccessible, Tu ne sortiras pas de l'ombre où je dormais ! Le zélé recruteur des larmes par la joie, L'amour, guette en mon sang une postérité. Je fais vœu d'arracher au malheur cette proie ; Nul n'aura de mon cœur faible et sombre hérité. Celui qui ne saurait se rappeler l'enfance, Ses pleurs, ses désespoirs méconnus, sans trembler, Au bon sens comme au droit ne fera point l'offense D'y condamner un fils qui lui peut ressembler. Celui qui n'a pas vu triompher sa jeunesse Et traîne endoloris ses désirs de vingt ans, Ne permettra jamais que leur flamme renaisse Et coure inextinguible en tous ses descendants ! L'homme à qui son pain blanc maudit des populaces Pèse comme un remords des misères d'autrui, À l'inégal banquet où se serrent les places N'élargira jamais la sienne autour de lui ! Non ! Pour léguer son souffle et sa chair sans scrupule, Il faut être enhardi par un espoir puissant, Pressentir une aurore au lieu d'un crépuscule Dans les rougeurs que font l'incendie et le sang ; Croire qu'enfin va luire un âge sans batailles, Que la terre s'épure, et que la puberté Doit aux moissons du fer d'incessantes semailles Pour que son dernier fruit mûrisse en liberté ! Je ne peux ; j'ai souci des présentes victimes ; Quels que soient les vainqueurs, je plains les combattants, Et je suis moins touché des songes magnanimes Que des pleurs que je vois et des cris que j'entends. Puisqu'elle est à ce prix, la victoire future Qui doit fonder si tard la justice et la paix, Ne vis que dans mon cœur, ô ma progéniture, Ignore ma tendresse et n'en pâtis jamais ; Que ta mère demeure imaginaire encore, Que, vierge, ayant conçu hors de l'hymen banal, Sans avoir à souffrir plus qu'un lis pour éclore, Elle enfante à l'abri de l'épreuve et du mal. Sa beauté que j'ai faite et n'ai pas possédée (car les yeux de mon corps n'ont rien vu de pareil) Vêt la splendeur pudique et fière de l'idée Qui fuit l'argile et peut se passer du soleil ! Ainsi, je garderai ma compagne et ma race Soustraites, en moi-même, aux cruautés du sort, Et, s'il est vain d'aimer pour qui jamais n'embrasse, Du moins, exempts du deuil, nous n'aurons qu'une mort !

    en cours de vérification

    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    À l'océan Océan, que vaux-tu dans l'infini du monde ? Toi, si large à nos yeux enchaînés sur tes bords, Mais étroit pour notre âme aux rebelles essors, Qui, du haut des soleils te mesure et te sonde ; Presque éternel pour nous plus instables que l'onde, Mais pourtant, comme nous, œuvre et jouet des sorts, Car tu nous vois mourir, mais des astres sont morts, Et nulle éternité dans les jours ne se fonde. Comme une vaste armée où l'héroïsme bout Marche à l'assaut d'un mur, tu viens heurter la roche, Mais la roche est solide et reparaît debout. Va, tu n'es cru géant que du nain qui t'approche : Ah ! Je t'admirais trop, le ciel me le reproche, Il me dit : « Rien n'est grand ni puissant que le Tout ! »

    en cours de vérification

    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    À vingt ans À vingt ans on a l'œil difficile et très fier : On ne regarde pas la première venue, Mais la plus belle ! Et, plein d'une extase ingénue, On prend pour de l'amour le désir né d'hier. Plus tard, quand on a fait l'apprentissage amer, Le prestige insolent des grands yeux diminue, Et d'autres, d'une grâce autrefois méconnue, Révèlent un trésor plus intime et plus cher. Mais on ne fait jamais que changer d'infortune : À l'âge où l'on croyait n'en pouvoir aimer qu'une, C'est par elle déjà qu'on apprit à souffrir ; Puis, quand on reconnaît que plus d'une est charmante, On sent qu'il est trop tard pour choisir une amante Et que le cœur n'a plus la force de s'ouvrir.

    en cours de vérification

    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Éclaircie Quand on est sous l'enchantement D'une faveur d'amour nouvelle, On s'en défendrait vainement, Tout le révèle : Comme fuit l'or entre les doigts, Le trop-plein de bonheur qu'on sème, Par le regard, le pas, la voix, Crie : elle m'aime ! Quelque chose d'aérien Allège et soulève la vie, Plus rien ne fait peine, et plus rien Ne fait envie : Les choses ont des airs contents, On marche au hasard, l'âme en joie, Et le visage en même temps Rit et larmoie ; On s'oublie, aux yeux étonnés Des enfants et des philosophes, En grands gestes désordonnés, En apostrophes ! La vie est bonne, on la bénit, On rend justice à la nature ! Jusqu'au rêve de faire un nid L'on s'aventure...

    en cours de vérification

    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Éther Quand on est sur la terre étendu sans bouger, Le ciel paraît plus haut, sa splendeur plus sereine ; On aime à voir, au gré d'une insensible haleine, Dans l'air sublime fuir un nuage léger ; Il est tout ce qu'on veut : la neige d'un verger, Un archange qui plane, une écharpe qui traîne, Ou le lait bouillonnant d'une coupe trop pleine ; On le voit différent sans l'avoir vu changer. Puis un vague lambeau lentement s'en détache, S'efface, puis un autre, et l'azur luit sans tache, Plus vif, comme l'acier qu'un souffle avait terni. Tel change incessamment mon être avec mon âge ; Je ne suis qu'un soupir animant un nuage, Et je vais disparaître, épars dans l'infini.

    en cours de vérification

    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Évolution Quand je me hasarde à descendre Jusques aux bas-fonds du désir, À l'heure où l'on pèse la cendre Que laisse après soi le plaisir ; Ou quand je sonde l'origine De ces hymens vils et fortuits Qu'en songe la chair imagine, Ressouvenir d'antiques nuits... Je crois que dans une autre sphère, Où je me sentais déjà mal, J'aimais, ne pouvant pas mieux faire, Avec des instincts d'animal. Là je rêvais déjà sans doute L'amante qu'amant orgueilleux À la brute qui me dégoûte Je préfère en espérant mieux, Et je suis traité d'infidèle Par la plus belle d'ici-bas, Parce que j'aime son modèle Où mes lèvres n'atteignent pas. Ainsi, de la poussière immonde À l'éther qu'on n'étreint jamais, Mon idéal de monde en monde Me devance au monde où je vais.

    en cours de vérification

    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Cri perdu Quelqu’un m’est apparu très loin dans le passé : C’était un ouvrier des hautes Pyramides, Adolescent perdu dans ces foules timides Qu’écrasait le granit pour Chéops entassé. Or ses genoux tremblaient ; il pliait, harassé Sous la pierre, surcroît au poids des cieux torrides ; L’effort gonflait son front et le creusait de rides ; Il cria tout à coup comme un arbre cassé. Ce cri fit frémir l’air, ébranla l’éther sombre, Monta, puis atteignit les étoiles sans nombre Où l’astrologue lit les jeux tristes du sort ; Il monte, il va, cherchant les dieux et la justice, Et depuis trois mille ans sous l’énorme bâtisse, Dans sa gloire, Chéops inaltérable dort.

    en cours de vérification

    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    La beauté Splendeur excessive, implacable, Ô beauté, que tu me fais mal ! Ton essence incommunicable, Au lieu de m'assouvir, m'accable : On n'absorbe pas l'idéal. L'éternel féminin m'attire, Mais je ne sais comment l'aimer. Beauté, te voir n'est qu'un martyre, Te désirer n'est qu'un délire, Tu n'offres que pour affamer ! Je porte envie au statuaire Qui t'admire sans âcre amour, Comme sur le lit mortuaire Un corps de vierge, où le suaire Sanctifie un parfait contour. Il voit, comme de blanches ailes S'abattant sur un colombier, Les formes des vivants modèles, À l'appel du ciseau fidèles, Couvrir le marbre familier ; Il les choisit, il les assemble, Tel qu'un lutteur, toujours debout, Et quand l'ébauche te ressemble, D'aucun désir sa main ne tremble, Car il est ton prêtre avant tout. Calme, la prunelle épurée Au soleil austère de l'art, Dans la pierre transfigurée Il juge l'œuvre et sa durée, D'un incorruptible regard ; Mais, quand malgré soi l'on regarde Une femme en ce spectre blanc, À lui parler l'on se hasarde, Et bientôt, sans y prendre garde, Dans la pierre on coule du sang ! On appuie, en rêve, sur elle Les lèvres pour les apaiser, Mais, amante surnaturelle, Tu dédaignes cet amant frêle, Tu ne lui rends pas son baiser. Et vainement, pour fuir ta face, On veut faire en ses yeux la nuit : Les yeux t'aiment et, quoi qu'on fasse, Nulle obscurité n'en efface L'éblouissement qui les suit. En vain le cœur frustré s'attache À des visages plus cléments : Comme une lumineuse tache, Ta vive image les lui cache, Dressée entre les deux amants. Tu règnes sur qui t'a comprise, Seule et hors de comparaison ; Pour l'âme de ton joug éprise Tout autre amour n'est que méprise Qui dégénère en trahison. Celles qu'on aime, on les désole, Car, mentant même à leurs genoux, Sans le vouloir on les immole À toi, la souveraine idole Invisible à leurs yeux jaloux. Seul il sent, l'homme qui te crée, Tes maléfices s'amortir ; Sa compagne au foyer t'agrée Comme une étrangère sacrée Qui ne l'en fera point sortir. L'artiste impose pour hôtesse, Dans son cœur comme dans ses yeux, L'humble mortelle à la déesse, Vouant à l'une sa tendresse, À l'autre un culte glorieux ! Jamais ton éclat ne l'embrase : T'enveloppant, pour te saisir, D'une rigide et froide gaze, Il n'a de l'amour que l'extase, Amoureux sauvé du désir !

    en cours de vérification

    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    La colombe et le lis Femme, cette colombe au col rose et mouvant, Que ta bouche entr’ouverte baise, Ne l’avait pas sentie humecter si souvent Son bec léger qui vibre d’aise. Elle n’avait jamais reçu de toi tout bas Les noms émus que tu lui donnes, Ni jamais de tes doigts, à l’heure des repas, Vu pleuvoir des graines si bonnes. Elle n’avait jamais senti ton coeur frémir Au vivant toucher de son aile, Ni ses plumes trembler sous ton jeune soupir, Ni tes larmes rouler sur elle. Tu la laissais languir captive dans l’osier, Et vainement d’un sanglot tendre, D’un sanglot suppliant elle enflait son gosier : Tu ne daignais jamais l’entendre. Jamais les fleurs du vase où rêve le printemps Ne furent si bien arrosées ; Jamais, sur le lis pur et grave, si longtemps Tes lèvres ne s’étaient posées. Quel ancien souvenir ou quel récent amour, Quel berceau, femme, ou quelle tombe, A fait naître en ton coeur ce suprême retour Vers ton lit et vers ta colombe ?

    en cours de vérification

    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Midi au village Nul troupeau n’erre ni ne broute ; Le berger s’allonge à l’écart ; La poussière dort sur la route, Le charretier sur le brancard. Le forgeron dort dans la forge ; Le maçon s’étend sur un banc ; Le boucher ronfle à pleine gorge, Les bras rouges encor de sang. La guêpe rôde au bord des jattes ; Les ramiers couvrent les pignons ; Et, la gueule entre les deux pattes, Le dogue a des rêves grognons. Les lavandières babillardes Se taisent. Non loin du lavoir, En plein azur, sèchent les hardes D’une blancheur blessante à voir. La férule à peine surveille Les écoliers inattentifs ; Le murmure épars d’une abeille Se mêle aux alphabets plaintifs… Un vent chaud traîne ses écharpes Sur les grands blés lourds de sommeil, Et les mouches se font des harpes Avec des rayons de soleil. Immobiles devant les portes Sur la pierre des seuils étroits, Les aïeules semblent des mortes Avec leurs quenouilles aux doigts. C’est alors que de la fenêtre S’entendent, tout en parlant bas, Plus libres qu’à minuit peut-être, Les amants, qui ne dorment pas.

    en cours de vérification