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Sully Prudhomme

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René Armand François Prudhomme, dit Sully Prudhomme (orthographié également parfois Sully-Prudhomme), né à Paris le 16 mars 1839 et mort à Châtenay-Malabry le 6 septembre 1907, est un poète français, premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.

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Poésies

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    Pensée perdue Elle est si douce, la pensée, Qu'il faut, pour en sentir l'attrait, D'une vision commencée S'éveiller tout à coup distrait. Le cœur dépouillé la réclame ; Il ne la fait point revenir, Et cependant elle est dans l'âme, Et l'on mourrait pour la finir. À quoi pensais-je tout à l'heure ? À quel beau songe évanoui Dois-je les larmes que je pleure ? Il m'a laissé tout ébloui. Et ce bonheur d'une seconde, Nul effort ne me l'a rendu ; Je n'ai goûté de joie au monde Qu'en rêve, et mon rêve est perdu.

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    Peur d'avare Soudain je t'ai si fort pressée Pour sentir ton cœur bien à moi, Que je t'en ai presque blessée, Et tu m'as demandé pourquoi. Un mot, un rien, m'a tout à l'heure Fait étreindre ainsi mon trésor, Comme, au moindre vent qui l'effleure, L'avare en hâte étreint son or ; La porte de sa cave est sûre, Il en tient dans son poing la clé, Mais, par le trou de la serrure, Un filet d'air froid a soufflé ; Et pendant qu'il comptait dans l'ombre Son trésor écu par écu, Savourant le titre et le nombre, Il a senti le souffle aigu ! Il serre en vain sa clé chérie, Vainement il s'est verrouillé, Avant d'y réfléchir il crie Comme s'il était dépouillé ! C'est que l'instinct fait sentinelle, C'est que l'âme du possesseur N'ose jamais plier qu'une aile, Ô ma sainte amie, ô ma sœur ! C'est que ma richesse tardive, Fruit de mes soupirs quotidiens, Me semble encore fugitive Au moment même où je la tiens ! Et cette épargne que j'amasse A beau grandir en sûreté, Je crois, au moindre vent qui passe, Qu'un ravisseur a fureté... Et je fais aussitôt l'épreuve De tout le deuil qui peut tenir Dans une âme absolument veuve Où l'amour n'a plus d'avenir. Alors je tremble et te supplie D'un anxieux et long regard... Oh ! Pardonne-moi la folie De trembler encore ; si tard ! Hélas ! L'habitude en est prise : Tu n'as que si tard deviné Combien le doute martyrise, Impérissable une fois né. Dans l'âge (qui n'est plus le nôtre) Où bat le cœur à découvert, Le mien, plus exposé qu'un autre, Puisqu'il t'aimait, a plus souffert ; Ah ! Tout cœur où l'amour habite Recèle un pouvoir de souffrir Dont il ignore la limite, Tant qu'il souffre sans en mourir ; Et j'ignorais, naïf encore, Combien le calice est profond Que ta main douce emmielle et dore Sans jamais en montrer le fond ; Car tu savais, déjà coquette, Ménager longtemps la douleur En faisant, d'un coup de baguette, Naître un mirage dans un pleur. Que de froideurs instantanées Ont ébranlé longtemps ma foi ! Enfin la pente des années T'a fait pencher le front sur moi, Et j'ai cru que ma jalousie, Humble tigresse aux reins ployés, Bien rompue à ta fantaisie, Dormait de fatigue à tes pieds ; Voilà pourtant qu'une pensée, Moins qu'un soupçon, moins qu'une erreur, — Une rêverie insensée M'a fait tressaillir de terreur ; Cet éclair de peur indicible Tout à coup m'a fait entrevoir, Aux obscurs confins du possible, Un abîme de désespoir.

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    Plus tard Depuis que la beauté, laissant tomber ses charmes, N'a plus offert qu'un marbre à mon désir vainqueur ; Depuis que j'ai senti mes plus brûlantes larmes Rejaillir froides à mon cœur ; À présent que j'ai vu la volupté malsaine Fléchir tant de beaux fronts qui n'ont pu se lever, Et que j'ai vu parfois luire un enfer obscène Dans des yeux qui m'ont fait rêver, La grâce me désole ; et si, pendant une heure, Le mensonge puissant des caresses m'endort, Je m'éveille en sursaut, je m'en arrache et pleure : — Plus tard, me dis-je, après la mort ! Après les jours changeants, sur la terre éternelle, Quand je serai certain que rien n'y peut finir, Quand le Temps, hors d'haleine, aura brisé son aile Sur les confins de l'avenir ! Après les jours fuyants, voués à la souffrance, Et quand aura grandi comme un soleil meilleur Le point d'azur qui tremble au fond de l'espérance, Aube du ciel intérieur ; Quand tout aura son lieu, lorsque enfin toute chose, Après le flux si long des accidents mauvais, Pure, belle et complète, ayant tari sa cause, Vivra jeune et stable à jamais : Alors, je t'aimerai sans retour sur la vie, Sans rider le présent des regrets du passé, Épouse que mon âme aura tant poursuivie, Et tu me tiendras embrassé !

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    Première solitude On voit dans les sombres écoles Des petits qui pleurent toujours ; Les autres font leurs cabrioles, Eux, ils restent au fond des cours. Leurs blouses sont très bien tirées, Leurs pantalons en bon état, Leurs chaussures toujours cirées ; Ils ont l'air sage et délicat. Les forts les appellent des filles, Et les malins des innocents : Ils sont doux, ils donnent leurs billes, Ils ne seront pas commerçants. Les plus poltrons leur font des niches, Et les gourmands sont leurs copains ; Leurs camarades les croient riches, Parce qu'ils se lavent les mains. Ils frissonnent sous l'œil du maître, Son ombre les rend malheureux. Ces enfants n'auraient pas dû naître, L'enfance est trop dure pour eux ! Oh ! La leçon qui n'est pas sue, Le devoir qui n'est pas fini ! Une réprimande reçue, Le déshonneur d'être puni ! Tout leur est terreur et martyre : Le jour, c'est la cloche, et, le soir, Quand le maître enfin se retire, C'est le désert du grand dortoir ; La lueur des lampes y tremble Sur les linceuls des lits de fer ; Le sifflet des dormeurs ressemble Au vent sur les tombes, l'hiver. Pendant que les autres sommeillent, Faits au coucher de la prison, Ils pensent au dimanche, ils veillent Pour se rappeler la maison ; Ils songent qu'ils dormaient naguères Douillettement ensevelis Dans les berceaux, et que les mères Les prenaient parfois dans leurs lits. Ô mères, coupables absentes, Qu'alors vous leur paraissez loin ! À ces créatures naissantes Il manque un indicible soin ; On leur a donné les chemises, Les couvertures qu'il leur faut : D'autres que vous les leur ont mises, Elles ne leur tiennent pas chaud. Mais, tout ingrates que vous êtes, Ils ne peuvent vous oublier, Et cachent leurs petites têtes, En sanglotant, sous l'oreiller.

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    Printemps oublié Ce beau printemps qui vient de naître À peine goûté va finir ; Nul de nous n'en fera connaître La grâce aux peuples à venir. Nous n'osons plus parler des roses : Quand nous les chantons, on en rit ; Car des plus adorables choses Le culte est si vieux qu'il périt. Les premiers amants de la terre Ont célébré Mai sans retour, Et les derniers doivent se taire, Plus nouveaux que leur propre amour. Rien de cette saison fragile Ne sera sauvé dans nos vers, Et les cytises de Virgile Ont embaumé tout l'univers. Ah ! frustrés par les anciens hommes, Nous sentons le regret jaloux Qu'ils aient été ce que nous sommes, Qu'ils aient eu nos cœurs avant nous.

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    Prière Ah ! Si vous saviez comme on pleure De vivre seul et sans foyers, Quelquefois devant ma demeure Vous passeriez. Si vous saviez ce que fait naître Dans l'âme triste un pur regard, Vous regarderiez ma fenêtre Comme au hasard. Si vous saviez quel baume apporte Au cœur la présence d'un cœur, Vous vous assoiriez sous ma porte Comme une sœur. Si vous saviez que je vous aime, Surtout si vous saviez comment, Vous entreriez peut-être même Tout simplement.

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    Prière au printemps Toi qui fleuris ce que tu touches, Qui, dans les bois, aux vieilles souches Rends la vigueur, Le sourire à toutes les bouches, La vie au cœur ; Qui changes la boue en prairies, Sèmes d'or et de pierreries Tous les haillons, Et jusqu'au seuil des boucheries Mets des rayons ! Ô printemps, alors que tout aime, Que s'embellit la tombe même, Verte au dehors, Fais naître un renouveau suprême Au cœur des morts ! Qu'ils ne soient pas les seuls au monde Pour qui tu restes inféconde, Saison d'amour ! Mais fais germer dans leur poussière L'espoir divin de la lumière Et du retour !

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    Pèlerinages En souvenir je m'aventure Vers les jours passés où j'aimais, Pour visiter la sépulture Des rêves que mon cœur a faits. Cependant qu'on vieillit sans cesse, Les amours ont toujours vingt ans, Jeunes de la fixe jeunesse Des enfants qu'on pleure longtemps. Je soulève un peu les paupières De ces chers et douloureux morts ; Leurs yeux sont froids comme des pierres Avec des regards toujours forts. Leur grâce m'attire et m'oppresse ; En dépit des ans révolus Je leur ai gardé ma tendresse ; Ils ne me reconnaîtraient plus : J'ai changé d'âme et de visage ; Ils redoutent l'adieu moqueur Que font les hommes de mon âge Aux premiers rêves de leur cœur, Et moi, plein de pitié, j'hésite, J'ai peur qu'en se posant sur eux Mon baiser ne les ressuscite : Ils ont été trop malheureux.

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    Quand les heures pour vous Quand les heures pour vous prolongeant la sieste, Toutes, d'un vol égal et d'un front différent, Sur vos yeux demi-clos qu'elles vont effleurant, Bercent de leurs pieds frais l'oisiveté céleste, Elles marchent pour nous, et leur bande au pied leste, Dans le premier repos, dès l'aube, nous surprend, Pousse du pied les vieux et les jeunes du geste, Sur les coureurs tombés passe comme un torrent ; Esclaves surmenés des heures trop rapides, Nous mourrons n'ayant fait que nous donner des rides, Car le beau sous nos fronts demeure inexprimé. Mais vous, votre art consiste à vous laisser éclore, Vous qui même en dormant accomplissez encore Votre beauté, chef-d'œuvre ignorant, mais aimé.

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    Renaissance Je voudrais, les prunelles closes, Oublier, renaître, et jouir De la nouveauté, fleur des choses, Que l'âge fait évanouir. Je resaluerais la lumière, Mais je déplierais lentement Mon âme vierge et ma paupière Pour savourer l'étonnement ; Et je devinerais moi-même Les secrets que nous apprenons ; J'irais seul aux êtres que j'aime Et je leur donnerais des noms ; Émerveillé des bleus abîmes Où le vrai Dieu semble endormi, Je cacherais mes pleurs sublimes Dans des vers sonnant l'infini ; Et pour toi, mon premier poème, Ô mon aimée, ô ma douleur, Je briserais d'un cri suprême Un vers frêle comme une fleur. Si pour nous il existe un monde Où s'enchaînent de meilleurs jours, Que sa face ne soit pas ronde, Mais s'étende toujours, toujours... Et que la beauté, désapprise Par un continuel oubli, Par une incessante surprise Nous fasse un bonheur accompli.

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    Rencontre Je ne te raille point, jeune prostituée ! Tu vas l'œil provocant, le pied galant et prompt, À travers le sarcasme et l'ignoble huée : Ton immuable rire est plus fort que l'affront. Et moi, je porte au bal le masque de mon front ; J'y vais, l'âme d'amour à vingt ans dénuée, Mendier des regards dans la blanche nuée Des vierges dont jamais les cœurs ne choisiront. Également parés et dédaignés de même, Tu cherches ton dîner, moi j'ai besoin qu'on m'aime. Qui voudra de ton corps ? L'amant heureux te fuit ; Qui voudra de mon cœur ? L'ange aimé se retire... Sommes-nous donc voués au glacial délire Du Désespoir pâmé sur la Faim dans la nuit ?

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    Repos Ni l'amour ni les dieux ! Ce double mal nous tue. Je ne poursuivrai plus la guêpe du baiser, Et, las d'approfondir, je veux me reposer De l'ingrate besogne où mon front s'évertue. Ni l'amour ni les dieux ! Qu'enfin je m'habitue À ne sentir jamais le désir m'embraser, Ni l'éternel secret des choses m'écraser ! Qu'enfin je sois heureux ! Que je vive en statue, Comme un Terme habitant sa gaine avec plaisir ! Il emprunte une vie auguste à la nature ; Une mousse lui fait sa verte chevelure ; Un liseron lui fait des lèvres sans soupir ; Une feuille est son cœur ; un lierre ami, ses hanches ; Et ses yeux souriants sont faits de deux pervenches.

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    Ressemblance Vous désirez savoir de moi D'où me vient pour vous ma tendresse ; Je vous aime, voici pourquoi : Vous ressemblez à ma jeunesse. Vos yeux noirs sont mouillés souvent Par l'espérance et la tristesse, Et vous allez toujours rêvant : Vous ressemblez à ma jeunesse. Votre tête est de marbre pur, Faite pour le ciel de la Grèce Où la blancheur luit dans l'azur : Vous ressemblez a ma jeunesse. Je vous tends chaque jour la main, Vous offrant l'amour qui m'oppresse ; Mais vous passez votre chemin... Vous ressemblez à ma jeunesse.

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    Rosées À Paul Bouvard. Je rêve, et la pâle rosée Dans les plaines perle sans bruit, Sur le duvet des fleurs posée Par la main fraîche de la nuit. D'où viennent ces tremblantes gouttes ? Il ne pleut pas, le temps est clair ; C'est qu'avant de se former, toutes, Elles étaient déjà dans l'air. D'où viennent mes pleurs ? Toute flamme, Ce soir, est douce au fond des cieux ; C'est que je les avais dans l'âme Avant de les sentir aux yeux. On a dans l'âme une tendresse Où tremblent toutes les douleurs, Et c'est parfois une caresse Qui trouble, et fait germer les pleurs.

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    Réalisme Elle part, mais je veux, à mon amour fidèle, La garder tout entière en un pieux portrait, Portrait naïf où rien ne me sera soustrait Des grâces, des défauts, chers aussi, du modèle. Arrière les pinceaux ! sur la toile cruelle Le profane idéal du peintre sourirait : C'est elle que je veux, c'est elle trait pour trait, Belle d'une beauté que seul je vois en elle. Mais, ô soleil, ami qui la connais le mieux, Qui prêtes à son cœur, quand nous sommes ensemble Tes rayons les plus purs pour luire dans ses yeux, Artiste dont la main ne cherche ni ne tremble, Viens toi-même au miroir que je t'offre imprimer Chacun de ces rayons qui me la font aimer.

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    Scrupule (I) Je veux lui dire quelque chose, Je ne peux pas ; Le mot dirait plus que je n'ose, Même tout bas. D'où vient que je suis plus timide Que je n'étais ? Il faut parler, je m'y décide... Et je me tais. Les aveux m'ont paru moins graves À dix-huit ans ; Mes lèvres ne sont plus si braves Depuis longtemps. J'ai peur, en sentant que je l'aime, De mal sentir ; Dans mes yeux une larme même Pourrait mentir, Car j'aurais beau l'y laisser naître De bonne foi, C'est quelque ancien amour peut-être Qui pleure en moi.

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    Sieste Je passerai l'été dans l'herbe, sur le dos, La nuque dans les mains, les paupières mi-closes, Sans mêler un soupir à l'haleine des roses Ni troubler le sommeil léger des clairs échos. Sans peur je livrerai mon sang, ma chair, mes os, Mon être, au cours de l'heure et des métamorphoses, Calme et laissant la foule innombrable des causes Dans l'ordre universel assurer mon repos. Sous le pavillon d'or que le soleil déploie, Mes yeux boiront l'éther, dont l'immuable joie Filtrera dans mon âme au travers de mes cils, Et je dirai, songeant aux hommes : « Que font-ils ? » Et le ressouvenir des amours et des haines Me bercera, pareil au bruit des mers lointaines.

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    Silence La pudeur n'a pas de clémence, Nul aveu ne reste impuni, Et c'est par le premier nenni Que l'ère des douleurs commence. De ta bouche où ton cœur s'élance Que l'aveu reste donc banni ! Le cœur peut offrir l'infini Dans la profondeur du silence. Baise sa main sans la presser Comme un lis facile à blesser, Qui tremble à la moindre secousse ; Et l'aimant sans nommer l'amour, Tais-lui que sa présence est douce, La tienne sera douce un jour.

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    Silence et nuit des bois Il est plus d'un silence, il est plus d'une nuit, Car chaque solitude a son propre mystère : Les bois ont donc aussi leur façon de se taire Et d'être obscurs aux yeux que le rêve y conduit. On sent dans leur silence errer l'âme du bruit, Et dans leur nuit filtrer des sables de lumière. Leur mystère est vivant : chaque homme à sa manière Selon ses souvenirs l'éprouve et le traduit. La nuit des bois fait naître une aube de pensées ; Et, favorable au vol des strophes cadencées, Leur silence est ailé comme un oiseau qui dort. Et le cœur dans les bois se donne sans effort : Leur nuit rend plus profonds les regards qu'on y lance, Et les aveux d'amour se font de leur silence.

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    En ces temps où le corps En ces temps où le corps éclôt pour s'avilir, Où des races le sang fatigué dégénère, Tu nous épargneras, Suzanne, enfant prospère, De voir en toi la fleur du genre humain pâlir. Deux artistes puissants sont jaloux d'embellir En toi l'âme immortelle et l'argile éphémère : Le dieu de la nature et celui de ta mère ; L'un travaille à t'orner, et l'autre à t'ennoblir. L'enfant de Bethlehem façonne à sa caresse Ta grâce, où cependant des enfants de la Grèce Sourit encore aux yeux le modèle invaincu. Et par cette alliance ingénument profonde, Dans une même femme auront un jour vécu L'un et l'autre idéal qui divise le monde.

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    Soupir Ne jamais la voir ni l'entendre, Ne jamais tout haut la nommer, Mais, fidèle, toujours l'attendre, Toujours l'aimer. Ouvrir les bras et, las d'attendre, Sur le néant les refermer, Mais encor, toujours les lui tendre, Toujours l'aimer. Ah ! Ne pouvoir que les lui tendre, Et dans les pleurs se consumer, Mais ces pleurs toujours les répandre, Toujours l'aimer. Ne jamais la voir ni l'entendre, Ne jamais tout haut la nommer, Mais d'un amour toujours plus tendre Toujours l'aimer.

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    Sur la mort I. On ne songe à la Mort que dans son voisinage : Au sépulcre éloquent d'un être qui m'est cher, J'ai, pour m'en pénétrer, fait un pèlerinage, Et je pèse aujourd'hui ma tristesse d'hier. Je veux, à mon retour de cette sombre place Où semblait m'envahir la funèbre torpeur, Je veux me recueillir et contempler en face La mort, la grande mort, sans défi, mais sans peur. Assiste ma pensée, austère poésie Qui sacres de beauté ce qu'on a bien senti ; Ta sévère caresse aux pleurs vrais s'associe, Et tu sais que mon cœur ne t'a jamais menti. Si ton charme n'est point un misérable leurre, Ton art un jeu servile, un vain culte sans foi, Ne m'abandonne pas précisément à l'heure Où, pour ne pas sombrer, j'ai tant besoin de toi. Devant l'atroce énigme où la raison succombe, Si la mienne fléchit tu la relèveras ; Fais-moi donc explorer l'infini d'outre-tombe Sur ta grande poitrine entre tes puissants bras ; Fais taire l'envieux qui t'appelle frivole, Toi qui dans l'inconnu fais crier des échos Et prêtes par l'accent, plus sûr que la parole, Un sens révélateur au seul frisson des mots. Ne crains pas qu'au tombeau la morte s'en offense, Ô poésie, ô toi, mon naturel secours, Ma seconde berceuse au sortir de l'enfance, Qui seras la dernière au dernier de mes jours. II. Hélas ! J'ai trop songé sous les blêmes ténèbres Où les astres ne sont que des bûchers lointains, Pour croire qu'échappé de ses voiles funèbres L'homme s'envole et monte à de plus beaux matins ; J'ai trop vu sans raison pâtir les créatures Pour croire qu'il existe au delà d'ici-bas Quelque plaisir sans pleurs, quelque amour sans tortures, Quelque être ayant pris forme et qui ne souffre pas. Toute forme est sur terre un vase de souffrances, Qui, s'usant à s'emplir, se brise au moindre heurt ; Apparence mobile entre mille apparences Toute vie est sur terre un flot qui roule et meurt. N'es-tu plus qu'une chose au vague aspect de femme, N'es-tu plus rien ? Je cherche à croire sans effroi Que, ta vie et ta chair ayant rompu leur trame, Aujourd'hui, morte aimée, il n'est plus rien de toi. Je ne puis, je subis des preuves que j'ignore. S'il ne restait plus rien pour m'entendre en ce lieu, Même après mainte année y reviendrais-je encore, Répéter au néant un inutile adieu ? Serais-je épouvanté de te laisser sous terre ? Et navré de partir, sans pouvoir t'assister Dans la nuit formidable où tu gis solitaire, Penserais-je à fleurir l'ombre où tu dois rester ? III. Pourtant je ne sais rien, rien, pas même ton âge : Mes jours font suite au jour de ton dernier soupir, Les tiens n'ont-ils pas fait quelque immense passage Du temps qui court au temps qui n'a plus à courir ? Ont-ils joint leur durée à l'ancienne durée ? Pour toi s'enchaînent-ils aux ans chez nous vécus ? Ou dois-tu quelque part, immuable et sacrée, Dans l'absolu survivre à ta chair qui n'est plus ? Certes, dans ma pensée, aux autres invisible, Ton image demeure impossible à ternir, Où t'évoque mon cœur tu luis incorruptible, Mais serais-tu sans moi, hors de mon souvenir ? Servant de sanctuaire à l'ombre de ta vie, Je la préserve encor de périr en entier. Mais que suis-je ? Et demain quand je t'aurai suivie, Quel ami me promet de ne pas t'oublier ? Depuis longtemps ta forme est en proie à la terre, Et jusque dans les cœurs elle meurt par lambeaux, J'en voudrais découvrir le vrai dépositaire, Plus sûr que tous les cœurs et que tous les tombeaux. IV. Les mains, dans l'agonie, écartent quelque chose. Est-ce aux mots d'ici-bas l'impatient adieu Du mourant qui pressent sa lente apothéose ? Ou l'horreur d'un calice imposé par un dieu ? Est-ce l'élan qu'imprime au corps l'âme envolée ? Ou contre le néant un héroïque effort ? Ou le jeu machinal de l'aiguille affolée, Quand le balancier tombe, oublié du ressort ? Naguère ce problème où mon doute s'enfonce, Ne semblait pas m'atteindre assez pour m'offenser ; J'interrogeais de loin, sans craindre la réponse, Maintenant je tiens plus à savoir qu'à penser. Ah ! Doctrines sans nombre où l'été de mon âge Au vent froid du discours s'est flétri sans mûrir, De mes veilles sans fruit réparez le dommage, Prouvez-moi que la morte ailleurs doit refleurir, Ou bien qu'anéantie, à l'abri de l'épreuve, Elle n'a plus jamais de calvaire à gravir, Ou que, la même encor sous une forme neuve, Vers la plus haute étoile elle se sent ravir ! Faites-moi croire enfin dans le néant ou l'être, Pour elle et tous les morts que d'autres ont aimés, Ayez pitié de moi, car j'ai faim de connaître, Mais vous n'enseignez rien, verbes inanimés ! Ni vous, dogmes cruels, insensés que vous êtes, Qui du juif magnanime avez couvert la voix ; Ni toi, qui n'es qu'un bruit pour les cerveaux honnêtes, Vaine philosophie où tout sombre à la fois ; Toi non plus, qui sur Dieu résignée à te taire Changes la vision pour le tâtonnement, Science, qui partout te heurtant au mystère Et n'osant l'affronter, l'ajournes seulement. Des mots ! Des mots ! Pour l'un la vie est un prodige, Pour l'autre un phénomène. Eh ! Que m'importe à moi ! Nécessaire ou créé je réclame, vous dis-je, Et vous les ignorez, ma cause et mon pourquoi. V. Puisque je n'ai pas pu, disciple de tant d'autres, Apprendre ton vrai sort, ô morte que j'aimais, Arrière les savants, les docteurs, les apôtres. Je n'interroge plus, je subis désormais. Quand la nature en nous mit ce qu'on nomme l'âme, Elle a contre elle-même armé son propre enfant ; L'esprit qu'elle a fait juste au nom du droit la blâme, Le cœur qu'elle a fait haut la méprise en rêvant. Avec elle longtemps, de toute ma pensée Et de tout mon cœur, j'ai lutté corps à corps, Mais sur son œuvre inique, et pour l'homme insensée, Mon front et ma poitrine ont brisé leurs efforts. Sa loi qui par le meurtre a fait le choix des races, Abominable excuse au carnage que font Des peuples malheureux les nations voraces, De tout aveugle espoir m'a vidé l'âme à fond ; Je succombe épuisé, comme en pleine bataille Un soldat, par la veille et la marche affaibli, Sans vaincre, ni mourir d'une héroïque entaille, Laisse en lui les clairons s'éteindre dans l'oubli ; Pourtant sa cause est belle, et si doux est d'y croire Qu'il cherche en sommeillant la vigueur qui l'a fui ; Mais trop las pour frapper, il lègue la victoire Aux fermes compagnons qu'il sent passer sur lui. Ah ! Qui que vous soyez, vous qui m'avez fait naître, Qu'on vous nomme hasard, force, matière ou dieux, Accomplissez en moi, qui n'en suis pas le maître, Les destins sans refuge, aussi vains qu'odieux. Faites, faites de moi tout ce que bon vous semble, Ouvriers inconnus de l'infini malheur, Je viens de vous maudire, et voyez si je tremble, Prenez ou me laissez mon souffle et ma chaleur ! Et si je dois fournir aux avides racines De quoi changer mon être en mille êtres divers, Dans l'éternel retour des fins aux origines, Je m'abandonne en proie aux lois de l'univers.

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    Trahison Quand on a tant aimé, c'est un rude réveil ! Tu t'es cru dans un nid semblable aux nids des haies, Caché, sûr et profond. Vain songe ! Tu t'effraies D'avoir osé dormir ce dangereux sommeil. La foi, bonne ou mauvaise, a donc un front pareil ! Tu ne veux même plus croire les larmes vraies ; Et si l'amitié cherche à te panser tes plaies, Ton désespoir viril arrache l'appareil. Tu goûtes l'âcreté de l'insulte récente : Gonflé de sa douleur en niant qu'il la sente, Ton grand cœur se console à la bien soutenir. Mais, si tu veux garder vivace ta rancune, Marche au soleil, et fuis les pâles clairs de lune, Et crains plus que la mort ton plus doux souvenir.

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    Sully Prudhomme

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    Trop tard Nature, accomplis-tu tes œuvres au hasard, Sans raisonnable loi ni prévoyant génie ? Ou bien m'as-tu donné par cruelle ironie Des lèvres et des mains, l'ouïe et le regard ? Il est tant de saveurs dont je n'ai point ma part, Tant de fruits à cueillir que le sort me dénie ! Il voyage vers moi tant de flots d'harmonie, Tant de rayons qui tous m'arriveront trop tard ! Et si je meurs sans voir mon idole inconnue, Si sa lointaine voix ne m'est point parvenue, À quoi m'auront servi mon oreille et mes yeux ? À quoi m'aura servi ma main hors de la sienne ? Mes lèvres et mon cœur, sans qu'elle m'appartienne ? Pourquoi vivre à demi quand le néant vaut mieux ?

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    Un exil Je plains les exilés qui laissent derrière eux L'amour et la beauté d'une amante chérie ; Mais ceux qu'elle a suivis au désert sont heureux : Ils ont avec la femme emporté la patrie. Ils retrouvent le jour de leur pays natal Dans la clarté des yeux qui leur sourient encor, Et des champs paternels, sur un front virginal, Les lis abandonnés recommencent d'éclore. Le ciel quitté les suit sous les nouveaux climats ; Car l'amante a gardé, dans l'âme et sur la bouche, Un fidèle reflet des soleils de là-bas Et les anciennes nuits pour la nouvelle couche. Je ne plains point ceux-là ; ceux-là n'ont rien perdu : Ils vont, les yeux ravis et les mains parfumées D'un vivant souvenir ! Et tout leur est rendu, Saisons, terre et famille, au sein des bien-aimées. Je plains ceux qui, partant, laissent, vraiment bannis, Tout ce qu'ils possédaient sur terre de céleste ! Mais plus encor, s'il n'a dans son propre pays Point d'amante à pleurer, je plains celui qui reste. Ah ! Jour et nuit chercher dans sa propre maison Cet être nécessaire, une amante chérie ! C'est plus de solitude avec moins d'horizon ; Oui, c'est le pire exil, l'exil dans la patrie. Et ni le ciel, ni l'air, ni le lis virginal, Ni le champ paternel, n'en guérissent la peine : Au contraire, l'amour tendre du sol natal Rend l'absente plus douce au cœur et plus lointaine.

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    Un rendez-vous Dans ce nid furtif où nous sommes, Ô ma chère âme, seuls tous deux, Qu'il est bon d'oublier les hommes, Si près d'eux ! Pour ralentir l'heure fuyante, Pour la goûter, il ne faut pas Une félicité bruyante ; Parlons bas. Craignons de la hâter d'un geste, D'un mot, d'un souffle seulement, D'en perdre, tant elle est céleste, Un moment. Afin de la sentir bien nôtre, Afin de la bien ménager, Serrons-nous tout près l'un de l'autre Sans bouger ; Sans même lever la paupière : Imitons le chaste repos De ces vieux châtelains de pierre Aux yeux clos, Dont les corps sur les mausolées, Immobiles et tout vêtus, Loin de leurs âmes envolées Se sont tus ; Dans une alliance plus haute Que les terrestres unions, Gravement comme eux côte à côte, Sommeillons. Car nous n'en sommes plus aux fièvres D'un jeune amour qui peut finir ; Nos cœurs n'ont plus besoin des lèvres Pour s'unir, Ni des paroles solennelles Pour changer leur culte en devoir, Ni du mirage des prunelles Pour se voir. Ne me fais plus jurer que j'aime, Ne me fais plus dire comment ; Goûtons la félicité même Sans serment. Savourons, dans ce que nous disent Silencieusement nos pleurs, Les tendresses qui divinisent Les douleurs ! Chère, en cette ineffable trêve Le désir enchanté s'endort ; On rêve à l'amour comme on rêve À la mort. On croit sentir la fin du monde ; L'univers semble chavirer D'une chute douce et profonde, Et sombrer... L'âme de ses fardeaux s'allège Par la fuite immense de tout ; La mémoire comme une neige Se dissout. Toute la vie ardente et triste Semble anéantie à l'entour, Plus rien pour nous, plus rien n'existe Que l'amour. Aimons en paix : il fait nuit noire, La lueur blême du flambeau Expire... nous pouvons nous croire Au tombeau. Laissons-nous dans les mers funèbres, Comme après le dernier soupir, Abîmer, et par leurs ténèbres Assoupir... Nous sommes sous la terre ensemble Depuis très longtemps, n'est-ce pas ? Écoute en haut le sol qui tremble Sous les pas. Regarde au loin comme un vol sombre De corbeaux, vers le nord chassé, Disparaître les nuits sans nombre Du passé, Et comme une immense nuée De cigognes (mais sans retours !) Fuir la blancheur diminuée Des vieux jours... Hors de la sphère ensoleillée Dont nous subîmes les rigueurs, Quelle étrange et douce veillée Font nos cœurs ? Je ne sais plus quelle aventure Nous a jadis éteint les yeux, Depuis quand notre extase dure, En quels cieux. Les choses de la vie ancienne Ont fui ma mémoire à jamais, Mais du plus loin qu'il me souvienne Je t'aimais... Par quel bienfaiteur fut dressée Cette couche ? Et par quel hymen Fut pour toujours ta main laissée Dans ma main ? Mais qu'importe ! ô mon amoureuse, Dormons dans nos légers linceuls, Pour l'éternité bienheureuse Enfin seuls !

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    Sully Prudhomme

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    Un songe Le laboureur m'a dit en songe : « Fais ton pain, Je ne te nourris plus, gratte la terre et sème. » Le tisserand m'a dit : « Fais tes habits toi-même. » Et le maçon m'a dit : « Prends ta truelle en main. » Et seul, abandonné de tout le genre humain Dont je traînais partout l'implacable anathème, Quand j'implorais du ciel une pitié suprême, Je trouvais des lions debout dans mon chemin. J'ouvris les yeux, doutant si l'aube était réelle : De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle, Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés. Je connus mon bonheur et qu'au monde où nous sommes Nul ne peut se vanter de se passer des hommes ; Et depuis ce jour-là je les ai tous aimés.

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    Sully Prudhomme

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    À ma sœur Ces vers que toi seule aurais lus, L'œil des indifférents les tente ; Sans gagner un ami de plus J'ai donc trahi ma confidente. Enfant, je t'ai dit qui j'aimais, Tu sais le nom de la première ; Sa grâce ne mourra jamais Dans mes yeux qu'avec la lumière. Ah ! si les jeunes gens sont fous, Leur enthousiasme s'expie ; On se meurtrit bien les genoux Quand on veut saluer la vie. J'ai cru dissiper cet amour ; Voici qu'il retombe en rosée, Et je sens son muet retour Où chaque larme s'est posée.

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    Sully Prudhomme

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    Un songe (II) À Jules Guiffrey. J'étais, j'entrais au tombeau Où mes aïeux rêvent ensemble. Ils ont dit : « La nuit lourde tremble ; Est-ce l'approche d'un flambeau, « Le signal de la nouvelle ère Qu'attend notre éternel ennui ? — Non, c'est l'enfant, a dit mon père : Je vous avais parlé de lui. « Il était au berceau ; j'ignore S'il nous vient jeune ou chargé d'ans. Mes cheveux sont tout blonds encore, Les tiens, mon fils, peut-être blancs « — Non, père, au combat de la vie Bientôt je suis tombé vaincu, L'âme pourtant inassouvie : Je meurs et je n'ai pas vécu. « — J'attendais près de moi ta mère : Je l'entends gémir au-dessus ! Ses pleurs ont tant mouillé la pierre Que mes lèvres les ont reçus. « Nous fûmes unis peu d'années Après de bien longues amours ; Toutes ses grâces sont fanées... Je la reconnaîtrai toujours. « Ma fille a connu mon visage : S'en souvient-elle ? Elle a changé. Parle-moi de son mariage Et des petits-enfants que j'ai. « — Un seul vous est né. — Mais toi-même, N'as-tu pas de famille aussi ? Quand on meurt jeune, c'est qu'on aime : Qui vas-tu regretter ici ? « — J'ai laissé ma sœur et ma mère Et les beaux livres que j'ai lus ; Vous n'avez pas de bru, mon père ; On m'a blessé, je n'aime plus. « — De tes aïeux compte le nombre : Va baiser leurs fronts inconnus, Et viens faire ton lit dans l'ombre À côté des derniers venus. « Ne pleure pas ; dors dans l'argile En espérant le grand réveil. — O père, qu'il est difficile De ne plus penser au soleil ! »

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    Sully Prudhomme

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    @sullyPrudhomme

    Un sérail J'ai mon sérail comme un prince d'Asie, Riche en beautés pour un immense amour ; Je leur souris selon ma fantaisie : J'aime éternellement la dernière choisie, Et je les choisis tour à tour. Ce ne sont pas ces esclaves traîtresses Que l'Orient berce dans la langueur ; Ce ne sont pas de vénales maîtresses : C'est un vierge harem d'amantes sans caresses, Car mon harem est dans mon cœur. N'y cherchez point les boîtes parfumées, Ni la guitare aux soupirs frémissants ; Chants et parfums ne sont qu'air et fumées : C'est ma jeunesse même, ô douces bien-aimées, Que je vous brûle pour encens ! Les gardiens noirs que le soupçon dévore Selon mes vœux ne vous cacheraient pas ; Ma jalousie est plus farouche encore : Elle est toute en mon âme, et le vent même ignore Les noms que je lui dis tout bas.

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