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Sully Prudhomme

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René Armand François Prudhomme, dit Sully Prudhomme (orthographié également parfois Sully-Prudhomme), né à Paris le 16 mars 1839 et mort à Châtenay-Malabry le 6 septembre 1907, est un poète français, premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.

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Poésies

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    La volupté Deux êtres asservis par le désir vainqueur Le sont jusqu'à la mort : la volupté les lie. Parfois, lasse un moment, la geôlière s'oublie, Et leur chaîne les serre avec moins de rigueur. Aussitôt, se dressant tout chargés de langueur, Ces pâles malheureux sentent leur infamie ; Chacun secoue alors cette chaîne ennemie, Pour la briser lui-même ou s'arracher le cœur. Ils vont rompre l'acier du nœud qui les torture, Mais elle, au bruit d'anneaux qu'éveille la rupture, Entr'ouvre ses longs yeux où nage un deuil puissant, Elle a fait de ses bras leur tombe ardente et molle : En silence attiré, le couple y redescend, Et l'éphémère essaim des repentirs s'envole...

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    Le coucher du soleil Si j’ose comparer le déclin de ma vie A ton coucher sublime, ô Soleil ! je t’envie. Ta gloire peut sombrer, le retour en est sûr : Elle renaît immense avec l’immense azur. De ton sanglant linceul tout le ciel se colore, Et le regard funèbre où luit ton dernier feu, Ce regard sombre et doux, dont tu couves encore Le lys que ta ferveur a fait naguère éclore, Est triste infiniment, mais n’est pas un adieu.

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    Le cygne Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes, Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes, Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil À des neiges d'avril qui croulent au soleil ; Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire, Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un lent navire. Il dresse son beau col au-dessus des roseaux, Le plonge, le promène allongé sur les eaux, Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe, Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante. Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix, Il serpente, et laissant les herbages épais Traîner derrière lui comme une chevelure, Il va d'une tardive et languissante allure ; La grotte où le poète écoute ce qu'il sent, Et la source qui pleure un éternel absent, Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule En silence tombée effleure son épaule ; Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur, Superbe, gouvernant du côté de l'azur, Il choisit, pour fêter sa blancheur qu'il admire, La place éblouissante où le soleil se mire. Puis, quand les bords de l'eau ne se distinguent plus, À l'heure où toute forme est un spectre confus, Où l'horizon brunit, rayé d'un long trait rouge, Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge, Que les rainettes font dans l'air serein leur bruit Et que la luciole au clair de lune luit, L'oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète La splendeur d'une nuit lactée et violette, Comme un vase d'argent parmi des diamants, Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments.

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    Le dernier adieu Quand l'être cher vient d'expirer, On sent obscurément la perte, On ne peut pas encor pleurer : La mort présente déconcerte ; Et ni le lugubre drap noir, Ni le Dies irae farouche, Ne donnent forme au désespoir : La stupeur clôt l'âme et la bouche. Incrédule à son propre deuil, On regarde au fond de la tombe, Sans rien comprendre à ce cercueil Sonnant sous la terre qui tombe. C'est aux premiers regards portés, En famille, autour de la table, Sur les sièges plus écartés, Que se fait l'adieu véritable.

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    Le meilleur moment des amours Le meilleur moment des amours N’est pas quand on a dit : « Je t’aime. » Il est dans le silence même À demi rompu tous les jours ; Il est dans les intelligences Promptes et furtives des coeurs ; Il est dans les feintes rigueurs Et les secrètes indulgences ; Il est dans le frisson du bras Où se pose la main qui tremble, Dans la page qu’on tourne ensemble Et que pourtant on ne lit pas. Heure unique où la bouche close Par sa pudeur seule en dit tant ; Où le coeur s’ouvre en éclatant Tout bas, comme un bouton de rose ; Où le parfum seul des cheveux Parait une faveur conquise ! Heure de la tendresse exquise Où les respects sont des aveux.

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    Le monde des âmes À R. Albaret. Newton, voyant tomber la pomme, Conçut la matière et ses lois : Oh ! surgira-t-il une fois Un Newton pour l'âme de l'homme ? Comme il est dans l'infini bleu Un centre où les poids se suspendent, Ainsi toutes les âmes tendent À leur centre unique, à leur Dieu. Et comme les sphères de flammes Tournent en s'appelant toujours, Ainsi d'harmonieux amours Font graviter toutes les âmes. Mais le baiser n'est pas permis Aux sphères à jamais lancées ; Les lèvres, les regards amis Joignent les âmes fiancées ! Qui sondera cet univers Et l'attrait puissant qui le mène ? Viens, ô Newton de l'âme humaine, Et tous les cieux seront ouverts !

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    Le peuple s'amuse Le poète naïf, qui pense avant d'écrire, S'étonne, en ce temps-ci, des choses qui font rire. Au théâtre parfois il se tourne, et, voyant La gaîté des badauds qui va se déployant, Pour un plat calembour, des loges au parterre, Il se sent tout à coup tellement solitaire Parmi ces gros rieurs au ventre épanoui, Que, le front lourd et l'œil tristement ébloui, Il s'esquive, s'il peut, sans attendre la toile. Enfin libre il respire, et, d'étoile en étoile, Dans l'azur sombre et vaste il laisse errer ses yeux. Ah ! Quand on sort de là, comme la nuit plaît mieux ! Qu'il fait bon regarder la Seine lente et noire En silence rouler sous les vieux ponts sa moire, Et les reflets tremblants des feux traîner sur l'eau Comme les pleurs d'argent sur le drap d'un tombeau ! Ce deuil fait oublier ces rires qu'on abhorre. Hélas ! Où donc la joie est-elle saine encore ? Quel vice a donc en nous gâté le sang gaulois ? Quand rirons-nous le rire honnête d'autrefois ? Ce ne sont aujourd'hui qu'absurdes bacchanales ; Farces au masque impur sur des planches banales ; Vil patois qui se fraye impudemment accès Parmi le peuple illustre et cher des mots français ; Couplets dont les refrains changent la bouche en gueule ; Romans hideux, miroir de l'abjection seule, Commérage où le fiel assaisonne des riens : Feuilletons à voleurs, drames à galériens, Funestes aux cœurs droits qui battent sous les blouses ; Vaudevilles qui font, corrupteurs des épouses, Un ridicule impie à l'affront des maris ; Spectacles où la chair des femmes, mise à prix, Comme aux crocs de l'étal exhibée en guirlande, Allèche savamment la luxure gourmande ; Parades à décors dont les fables sans art N'esquivent le sifflet qu'en soûlant le regard ; Coups d'archets polissons sur la lyre d'Homère, Et tous les jeux maudits d'un amour éphémère Qui va se dégradant du caprice au métier : Voilà ce qui ravit un peuple tout entier ! Bêtise, éternel veau d'or des multitudes, Toi dont le culte aisé les plie aux servitudes Et complice du joug les y soumet sans bruit, Monstre cher à la force et par la ruse instruit À bafouer la libre et sévère pensée, Règne ! Mais à ton tour, brute, qu'à la risée, Au comique mépris tu serves de jouet ! Que sur toi le bon sens fasse claquer son fouet, Qu'il se lève, implacable à son tour, et qu'il rie, Et qu'il raille à son tour l'inepte raillerie, Et qu'il fasse au soleil luire en leur nudité Ta grotesque laideur et ta stupidité ! Molière, dresse-toi ! Debout, Aristophane ! Allons ! Faites entendre au vulgaire profane L'hymne de l'idéal au fond du rire amer, Du grand rire où, pareil au cliquetis du fer, Sonne le choc rapide et franc des pensers justes, Du beau rire qui sied aux poitrines robustes, Vengeur de la sagesse, héroïque moqueur, Où vibre la jeunesse immortelle du cœur !

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    Le vase brisé À Albert Decrais. Le vase où meurt cette verveine D'un coup d'éventail fut fêlé ; Le coup dut effleurer à peine : Aucun bruit ne l'a révélé. Mais la légère meurtrissure, Mordant le cristal chaque jour, D'une marche invisible et sûre En a fait lentement le tour. Son eau fraîche a fui goutte à goutte, Le suc des fleurs s'est épuisé ; Personne encore ne s'en doute ; N'y touchez pas, il est brisé. Souvent aussi la main qu'on aime, Effleurant le cœur, le meurtrit ; Puis le cœur se fend de lui-même, La fleur de son amour périt ; Toujours intact aux yeux du monde, Il sent croître et pleurer tout bas Sa blessure fine et profonde ; Il est brisé, n'y touchez pas.

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    Le premier deuil En ce temps-là, je me rappelle Que je ne pouvais concevoir Pourquoi, se pouvant faire belle, Ma mère était toujours en noir. Quand s'ouvrait le bahut plein d'ombre, J'éprouvais un vague souci De voir près d'une robe sombre Pendre un long voile sombre aussi. Le linge, radieux naguère, D'un feston noir était ourlé : Tout ce qu'alors portait ma mère, Sa tristesse l'avait scellé. Sourdement et sans qu'on y pense, Le noir descend des yeux au cœur ; Il me révélait quelque absence D'une interminable longueur. Quand je courais sur les pelouses Où les enfants mêlaient leurs jeux, J'admirais leurs joyeuses blouses, Dont j'enviais les carreaux bleus ; Car déjà la douleur sacrée M'avait posé son crêpe noir, Déjà je portais sa livrée : J'étais en deuil sans le savoir.

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    Le rendez-vous Il est tard ; l'astronome aux veilles obstinées, Sur sa tour, dans le ciel où meurt le dernier bruit, Cherche des îles d'or, et, le front dans la nuit, Regarde à l'infini blanchir des matinées ; Les mondes fuient pareils à des graines vannées ; L'épais fourmillement des nébuleuses luit ; Mais, attentif à l'astre échevelé qu'il suit, Il le somme, et lui dit : « Reviens dans mille années. » Et l'astre reviendra. D'un pas ni d'un instant Il ne saurait frauder la science éternelle ; Des hommes passeront, l'humanité l'attend ; D'un œil changeant, mais sûr, elle fait sentinelle ; Et, fût-elle abolie au temps de son retour, Seule, la Vérité veillerait sur la tour.

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    Le rire Les bêtes, qui n'ont point de sublimes soucis, Marchent, dès leur naissance, en fronçant les sourcils, Et ce rigide pli, jusqu'à la dernière heure, Signe mystérieux de sagesse y demeure. Les énormes lions qui rôdent à grands pas, Libres et tout-puissants, ne se dérident pas ; Les aigles, fils de l'air et de l'azur, sont graves ; Et les hommes, qui vont saignant de mille entraves, Enchaînés au plaisir, enchaînés au devoir, Sous la loi de chercher et ne jamais savoir, De ne rien posséder sans acheter et vendre, De ne pouvoir se fuir ni ne pouvoir s'entendre, D'appréhender la mort et de gratter leur champ, Les hommes ont un rire imbécile et méchant ! Certes le rire est beau comme la joie est belle, Quand il est innocent et radieux comme elle ! Vous, les petits enfants, pleins de naïf désir, Qui des mains écartez vos langes pour saisir Les brillantes couleurs, ces mensonges des choses, Vous pouvez, au-devant des drapeaux et des roses, Vous pour qui tout cela n'est que du rouge encor, Pousser vos rires frais qui font un bruit d'essor ! Vous pouviez rire aussi, même en un siècle pire, Vous, nos rudes aïeux qui ne saviez pas lire, Et ne pouviez connaître, au bout de l'univers, Tous les forfaits commis et tous les maux soufferts : Quand avait fui la peste avec les hommes d'armes, C'était pour vous la fin de l'horreur et des larmes, Et peut-être, oublieux de ces fléaux lointains, Vous aviez des soirs gais et d'allègres matins. Mais nous, du monde entier la plainte nous harcèle : Nous souffrons chaque jour la peine universelle, Car sur toute la terre un messager subtil Relie à tous les maux tous les cœurs par un fil. Ah ! L'oubli maintenant ne nous est plus possible ! Se peut-on faire une âme à ce point insensible D'apprendre, sans frémir, de partout à la fois, Tous les coups du malheur et tous les viols des lois : Les maîtres plus hardis, les âmes plus serviles, L'atrocité sans nom des tourmentes civiles, Et les pactes sans foi, la guerre, les blessés Râlant cette nuit même au revers des fossés, L'honneur, le droit trahis par la volonté molle, Et Christ, épouvanté des fruits de sa parole, Un diadème en tête et le glaive à la main, Ne sachant plus s'il sauve ou perd le genre humain ! N'est-ce pas merveilleux qu'on puisse rire encore ! Mais nous sommes ainsi ; tel un vase sonore Au moindre choc du doigt se réveille et frémit, Tandis qu'il tremble à peine et vaguement gémit Du tonnerre éloigné qui roule dans la nue, Telle, au moindre soupir dont l'oreille est émue, Nous sentons la pitié dans nos cœurs tressaillir, Et pour les cris lointains lâchement défaillir ; Trop pauvres pour donner des pleurs à tous les hommes, Nous ne plaignons que ceux qui souffrent où nous sommes. Quand nos foyers sont doux et sûrs, nous oublions Malgré nous, près du feu, les grelottants haillons, Et le bruit des canons, le fauve éclair des lames, Dans les yeux des enfants et dans la voix des femmes ; Ou, nous-mêmes sujets au sort des malheureux, Nous tournons nos regards sur nous plus que sur eux. Ah ! Si nos cœurs bornés que distrait ou resserre Leur félicité même ou leur propre misère, À tant de maux si grands ne se peuvent ouvrir, Qu'ils aient honte du moins de n'en pas plus souffrir !

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    Le réveil Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange !), Je voudrais avant toi m'éveiller le matin Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange, Egal et murmurant comme un ruisseau lointain. J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine, Et, patient, rempli d'un silence joyeux, J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine, Pour y glisser mes fleurs en te baisant les yeux. Et tes yeux étonnés reconnaîtraient la terre Dans les choses où Dieu mit le plus de douceur, Puis tourneraient vers moi leur naissante lumière, Tout pleins de mon offrande et tout pleins de ton cœur. Oh ! Comprends ce qu'il souffre et sens bien comme il aime, Celui qui poserait, au lever du soleil, Un bouquet, invisible encor, sur ton sein même, Pour placer ton bonheur plus près de ton réveil !

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    Le temps perdu Si peu d’oeuvres pour tant de fatigue et d’ennui ! De stériles soucis notre journée est pleine : Leur meute sans pitié nous chasse à perdre haleine, Nous pousse, nous dévore, et l’heure utile a fui… « Demain ! J’irai demain voir ce pauvre chez lui, « Demain je reprendrai ce livre ouvert à peine, « Demain je te dirai, mon âme, où je te mène, « Demain je serai juste et fort… pas aujourd’hui. » Aujourd’hui, que de soins, de pas et de visites ! Oh ! L’implacable essaim des devoirs parasites Qui pullulent autour de nos tasses de thé ! Ainsi chôment le coeur, la pensée et le livre, Et, pendant qu’on se tue à différer de vivre, Le vrai devoir dans l’ombre attend la volonté.

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    Le vase et l'oiseau Tout seul au plus profond d'un bois, Dans un fouillis de ronce et d'herbe, Se dresse, oublié, mais superbe, Un grand vase du temps des rois. Beau de matière et pur de ligne, Il a pour anses deux béliers Qu'un troupeau d'amours familiers Enlace d'une souple vigne. À ses bords, autrefois tout blancs, La mousse noire append son givre ; Une lèpre aux couleurs de cuivre Étoile et dévore ses flancs. Son poids a fait pencher sa base Où gît un amas de débris, Car il a ses angles meurtris, Mais il tient bon, l'orgueilleux vase. Il songe : « Autour de moi tout dort, Que fait le monde ? Je m'ennuie, Mon cratère est plein d'eau de pluie, D'ombre, de rouille et de bois mort. « Où donc aujourd'hui se promène Le flot soyeux des courtisans ? Je n'ai pas vu figure humaine À mon pied depuis bien des ans. » Pendant qu'il regrette sa gloire, Perdu dans cet exil obscur, Un oiseau par un trou d'azur S'abat sur ses lèvres pour boire. « Holà ! Manant du ciel, dis-moi, Toi devant qui l'horizon s'ouvre, Sais-tu ce qui se passe au Louvre ? Je n'entends plus parler du roi. — Ah ! Tu prends, à l'heure où nous sommes, Dit l'autre, un bien tardif souci ! Rien n'est donc venu jusqu'ici Des branle-bas qu'on faits les hommes ? — Parfois un soubresaut brutal, Des rumeurs extraordinaires, Comme de souterrains tonnerres Font tressaillir mon piédestal. — C'est l'écho de leurs grands vacarmes : Plus une tour, plus un clocher Où l'oiseau puisse en paix nicher ; Partout l'incendie et les armes ! « J'ai naguère, à Paris, en vain Heurté du bec les vitres closes, Nulle part, même aux lèvres roses, La moindre miette de vrai pain. « Aux mansardes des tuileries Je logeais, le printemps passé, Mais les flammes m'en ont chassé, Ce n'était que feux et tueries. « Sur le front du génie ailé Qui plane où sombra la bastille, J'ai voulu poser ma famille, Mais cet asile a chancelé. « Des murs de granit qu'on restaure Nous sommes l'un et l'autre exclus, Là le temps des palais n'est plus, Et celui des nids, pas encore. »

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    Le volubilis Toi qui m'entends sans peur te parler de la mort, Parce que ton espoir te promet qu'elle endort Et que le court sommeil commencé dans son ombre S'achève au clair pays des étoiles sans nombre, Reçois mon dernier vœu pour le jour où j'irai Tenter seul, avant toi, si ton espoir dit vrai. Ne cultive au-dessus de mes paupières closes Ni de grands dahlias, ni d'orgueilleuses roses, Ni de rigides lis : ces fleurs montent trop haut. Ce ne sont pas des fleurs si fières qu'il me faut, Car je ne sentirais de ces raides voisines Que le tâtonnement funèbre des racines. Au lieu des dahlias, des roses et des lis, Transplante près de moi le gai volubilis Qui, familier, grimpant le long du vert treillage Pour denteler l'azur où ton âme voyage, Forme de ta beauté le cadre habituel Et fait de ta fenêtre un jardin dans le ciel. Voilà le compagnon que je veux à ma cendre : Flexible, il saura bien jusque vers moi descendre. Quand tu l'auras baisé, chérie, en me nommant, Par quelque étroite fente il viendra doucement, Messager de ton cœur, dans ma suprême couche, Fleurir de ton espoir le néant de ma bouche.

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    Les adieux Les jeunes filles Amis, amis, nous voilà grandes ; Nos jours ont changé de saison. Allez préparer vos offrandes, Allez suspendre les guirlandes À la porte de la maison. Elle a sonné, l'heure fatale Qu'on tremblait de voir approcher ; Des fleurs que la prairie étale Semez la route triomphale Où l'hymen en blanc va marcher. LES JEUNES GENS. Quelle solitude est la nôtre ! Ou dans les bras de l'homme, ou dans les bras de Dieu, Nos compagnes, hélas ! tombent l'une après l'autre. Adieu !... Un soir s'en va l'enfant aimée : Sa vie en s'éteignant nous laisse un corps tout froid, Comme d'un cierge pur la flamme parfumée Décroît... Un matin c'est une épousée : Elle marche à l'autel, l'œil baissé mais vainqueur ; Aux lèvres va fleurir la joie ensemencée Au cœur ! Qui êtes-vous, vierges de la veille ? Ange ? épouse ? pour vous quel est le meilleur sort ? Plus d'une ombre en passant nous répond à l'oreille ; « La mort... » LES JEUNES FILLES. Pourquoi cette parole amère ? Pourquoi ces pleurs dans vos adieux ? La fille imite enfin sa mère ; Mais l'amitié reste sincère, Bien qu'elle ait dû baisser les yeux. Cherchez autour de vous laquelle N'a pas reçu son maître un jour. Le cœur se fixe où Dieu l'appelle ; Mais l'amitié reste fidèle, Bien que le cœur ait un amour. LES JEUNES GENS. Ah ! vous nous oublierez avant demain sans doute ! Vierges, notre jeunesse est la rosée au vent : Elle tombe avec vous de nos cœurs goutte à goutte ; Une seule en partant peut nous l'emporter toute Et n'en sait rien souvent. Hélas ! où voulez-vous que nous posions nos âmes, Si vous changez de ciel, ô fleurs de la maison ? Que peuvent les vieillards, dispensateurs des blâmes, Qui versent à toute heure et sur toutes nos flammes Comme une neige la raison ? Que peuvent nos amis, ceux que l'orgie entraîne, De nos soupirs cachés insouciants moqueurs ? Ou ceux qui, délaissés, ressentent notre peine ? Que peuvent-ils pour nous ? La gloire serait vainc À vous supplanter dans nos cœurs ! LES JEUNES FILLES. Chacune de nous est l'aînée De sœurs qui la supplanteront ; Notre fleur d'oranger ne sera pas fanée Avant que leur seizième année Ne la demande pour leur front. Leurs jeux nous font encore envie, Ils vont nous être défendus ; À de graves devoirs doucement asservie, S'éloigne de vous notre vie ; Peut-être ne rirons-nous plus... LES JEUNES GENS. Puisque l'âge est passé des gaîtés familières, Que la pudeur craintive a touché vos paupières Et qu'on vous prend la main pour l'offrir à l'époux, Puisque l'âge est passé des gaîtés familières, Mariez-vous. Puisque Dieu lentement disperse les familles, Ravit aux jeunes gens l'amour des jeunes filles Et nous laisse gémir dans un ennui jaloux, Puisque Dieu lentement disperse les familles, Mariez-vous. Nous sommes des enfants, on vous promet des hommes, D'un prospère foyer protecteurs économes, Peut-être moins aimants, mais plus sages que nous ; Nous sommes des enfants, on vous promet des hommes : Mariez-vous. LES JEUNES FILLES. Amis, votre âme n'est que tendre ; Rendez-la forte pour attendre, Pensez beaucoup et rêvez moins, La vierge ne peut vous entendre ; Portez à la vertu vos soins. Vouez à quelque objet suprême Un feu plus grand que l'amour même ; Luttez pour devenir plus tôt Des fiancés comme on les aime Et des hommes comme il en faut.

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    Les amours terrestres Nos yeux se sont croisés et nous nous sommes plu. Née au siècle où je vis et passant où je passe, Dans le double infini du temps et de l’espace Tu ne me cherchais point, tu ne m’as point élu ; Moi, pour te joindre ici le jour qu’il a fallu, Dans le monde éternel je n’avais point ta trace, J’ignorais ta naissance et le lieu de ta race : Le sort a donc tout fait, nous n’avons rien voulu. Les terrestres amours ne sont qu’une aventure : Ton époux à venir et ma femme future Soupirent vainement, et nous pleurons loin d’eux : C’est lui que tu pressens en moi, qui lui ressemble, Ce qui m’attire en toi, c’est elle, et tous les deux Nous croyons nous aimer en les cherchant ensemble.

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    Sully Prudhomme

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    Les blessures Le soldat frappé tombe en poussant de grands cris ; On l'emporte ; le baume assainit la blessure, Elle se ferme un jour ; il marche, il se rassure, Et, par un beau soleil, il croit ses maux guéris. Mais, au premier retour d'un ciel humide et gris, De l'ancienne douleur il ressent la morsure ; Alors la guérison ne lui paraît pas sûre, Le souvenir du fer gît dans ses flancs meurtris. Ainsi, selon le temps qu'il fait dans ma pensée, À la place où mon âme autrefois fut blessée Il est un renouveau d'angoisses que je crains ; Une larme, un chant triste, un seul mot dans un livre, Nuage au ciel limpide où je me plais à vivre, Me fait sentir au cœur la dent des vieux chagrins.

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    Sully Prudhomme

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    Les caresses Les caresses ne sont que d'inquiets transports, Infructueux essais du pauvre amour qui tente L'impossible union des âmes par les corps. Vous êtes séparés et seuls comme les morts, Misérables vivants que le baiser tourmente ! Ô femme, vainement tu serres dans tes bras Tes enfants, vrais lambeaux de ta plus pure essence : Ils ne sont plus toi-même, ils sont eux, les ingrats ! Et jamais, plus jamais, tu ne les reprendras, Tu leur as dit adieu le jour de leur naissance. Et tu pleures ta mère, ô fils, en l'embrassant ; Regrettant que ta vie aujourd'hui t'appartienne, Tu fais pour la lui rendre un effort impuissant : Va ! Ta chair ne peut plus redevenir son sang, Sa force ta santé, ni sa vertu la tienne. Amis, pour vous aussi l'embrassement est vain, Vains les regards profonds, vaines les mains pressées : Jusqu'à l'âme on ne peut s'ouvrir un droit chemin ; On ne peut mettre, hélas ! Tout le cœur dans la main, Ni dans le fond des yeux l'infini des pensées. Et vous, plus malheureux en vos tendres langueurs Par de plus grands désirs et des formes plus belles, Amants que le baiser force à crier : « Je meurs ! » Vos bras sont las avant d'avoir mêlé vos cœurs, Et vos lèvres n'ont pu que se brûler entre elles. Les caresses ne sont que d'inquiets transports, Infructueux essais d'un pauvre amour qui tente L'impossible union des âmes par les corps. Vous êtes séparés et seuls comme les morts, Misérables vivants que le baiser tourmente.

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    Les chaînes J'ai voulu tout aimer, et je suis malheureux, Car j'ai de mes tourments multiplié les causes ; D'innombrables liens frêles et douloureux Dans l'univers entier vont de mon âme aux choses. Tout m'attire à la fois et d'un attrait pareil : Le vrai par ses lueurs, l'inconnu par ses voiles ; Un trait d'or frémissant joint mon cœur au soleil, Et de longs fils soyeux l'unissent aux étoiles. La cadence m'enchaîne à l'air mélodieux, La douceur du velours aux roses que je touche ; D'un sourire j'ai fait la chaîne de mes yeux, Et j'ai fait d'un baiser la chaîne de ma bouche. Ma vie est suspendue à ces fragiles nœuds, Et je suis le captif des mille êtres que j'aime : Au moindre ébranlement qu'un souffle cause en eux Je sens un peu de moi s'arracher de moi-même.

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    Les infidèles Je t'aime, en attendant mon éternelle épouse, Celle qui doit venir à ma rencontre un jour, Dans l'immuable éden, loin de l'ingrat séjour Où les prés n'ont de fleurs qu'à peine un mois sur douze. Je verrai devant moi, sur l'immense pelouse Où se cherchent les morts pour l'hymen sans retour, Tes sœurs de tous les temps défiler tour à tour, Et je te trahirai sans te rendre jalouse ; Car toi-même, élisant ton époux éternel, Tu m'abandonneras dès son premier appel, Quand passera son ombre avec la foule humaine ; Et nous nous oublierons, comme les passagers Que le même navire à leurs foyers ramène, Ne s'y souviennent plus de leurs liens légers.

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    Les oiseaux Montez, montez, oiseaux, à la fange rebelles, Du poids fatal les seuls vainqueurs ! A vous le jour sans ombre et l’air, à vous les ailes Qui font planer les yeux aussi haut que les coeurs ! Des plus parfaits vivants qu’ait formés la nature, Lequel plus aisément plane sur les forêts, Voit mieux se dérouler leurs vagues de verdure, Suit mieux des quatre vents la céleste aventure, Et regarde sans peur le soleil d’aussi près ? Lequel sur la falaise a risqué sa demeure Si haut qu’il vît sous lui les bâtiments bercés ? Lequel peut fuir la nuit en accompagnant l’heure, Si prompt qu’à l’occident les roseaux qu’il effleure, Qnand il touche au levant, ne sont pas redressés ? Fuyez, fuyez, oiseaux, à la fange rebelles, Du poids fatal les seuls vainqueurs ! A vous le jour, à vous l’espace ! à vous les ailes Qui promènent les yeux aussi loin que les coeurs ! Vous donnez en jouant des frissons aux charmilles ; Vos chantres sont des bois le délice et l’honneur ; Vous êtes, au printemps, bénis dans les familles : Vous y prenez le pain sur les lèvres des filles ; Car vous venez du ciel et vous portez bonheur. Les pâles exilés, quand vos bandes lointaines Se perdent dans l’azur comme les jours heureux, Sentent moins l’aiguillon de leurs superbes haines ; Et les durs criminels chargés de justes chaînes Peuvent encore aimer, quand vous chantez pour eux. Chantez, chantez, oiseaux, à la fange rebelles, Du poids fatal les seuls vainqueurs ! A vous la liberté, le ciel ! à vous les ailes Qui font vibrer les voix aussi haut que les coeurs !

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    Les stalactites J'aime les grottes où la torche Ensanglante une épaisse nuit, Où l'écho fait, de porche en porche, Un grand soupir du moindre bruit. Les stalactites à la voûte Pendent en pleurs pétrifiés Dont l'humidité, goutte à goutte, Tombe lentement à mes pieds. Il me semble qu'en ces ténèbres Règne une douloureuse paix ; Et devant ces longs pleurs funèbres Suspendus sans sécher jamais, Je pense aux âmes affligées Où dorment d'anciennes amours : Toutes les larmes sont figées, Quelque chose y pleure toujours.

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    Sully Prudhomme

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    L’amour maternel À Maurice Chevrier Fait d’héroïsme et de clémence, Présent toujours au moindre appel, Qui de nous peut dire où commence, Où finit l’amour maternel ? Il n’attend pas qu’on le mérite, Il plane en deuil sur les ingrats ; Lorsque le père déshérite, La mère laisse ouverts ses bras ; Son crédule dévouement reste Quand les plus vrais nous ont menti, Si téméraire et si modeste Qu’il s’ignore et n’est pas senti. Pour nous suivre il monte ou s’abîme, À nos revers toujours égal, Ou si profond ou si sublime Que, sans maître, il est sans rival : Est-il de retraite plus douce Qu’un sein de mère, et quel abri Recueille avec moins de secousse Un cœur fragile endolori ? Quel est l’ami qui sans colère Se voit pour d’autres négligé ? Qu’on méconnaît sans lui déplaire, Si bon qu’il n’en soit affligé ? Quel ami dans un précipice Nous joint sans espoir de retour, Et ne sent quelque sacrifice Où la mère ne sent qu’amour ? Lequel n’espère un avantage Des échanges de l’amitié ? Que de fois la mère partage Et ne garde pas sa moitié ! Ô mère, unique Danaïde Dont le zèle soit sans déclin, Et qui, sans maudire le vide, Y penche un grand cœur toujours plein !

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    Sully Prudhomme

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    L’automne L’azur n’est plus égal comme un rideau sans pli. La feuille, à tout moment, tressaille, vole et tombe ; Au bois, dans les sentiers où le taillis surplombe, Les taches de soleil, plus larges, ont pâli. Mais l’oeuvre de la sève est partout accompli : La grappe autour du cep se colore et se bombe, Dans le verger la branche au poids des fruits succombe, Et l’été meurt, content de son devoir rempli. Dans l’été de ta vie enrichis-en l’automne ; Ô mortel, sois docile à l’exemple que donne, Depuis des milliers d’ans, la terre au genre humain ; Vois : le front, lisse hier, n’est déjà plus sans rides, Et les cheveux épais seront rares demain : Fuis la honte et l’horreur de vieillir les mains vides.

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    L’habitude L’habitude est une étrangère Qui supplante en nous la raison : C’est une ancienne ménagère Qui s’installe dans la maison. Elle est discrète, humble, fidèle, Familière avec tous les coins ; On ne s’occupe jamais d’elle, Car elle a d’invisibles soins : Elle conduit les pieds de l’homme, Sait le chemin qu’il eût choisi, Connaît son but sans qu’il le nomme, Et lui dit tout bas : « Par ici. » Travaillant pour nous en silence, D’un geste sûr, toujours pareil, Elle a l’oeil de la vigilance, Les lèvres douces du sommeil. Mais imprudent qui s’abandonne À son joug une fois porté ! Cette vieille au pas monotone Endort la jeune liberté ; Et tous ceux que sa force obscure A gagnés insensiblement Sont des hommes par la figure, Des choses par le mouvement.

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    Sully Prudhomme

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    Ma fiancée L'épouse, la compagne à mon cœur destinée, Promise à mon jeune tourment, Je ne la connais pas, mais je sais qu'elle est née ; Elle respire en ce moment. Son âge et ses devoirs lui font la vie étroite ; Sa chambre est un frais petit coin ; Elle y prend sa leçon, bien soumise et bien droite, Et sa mère n'est jamais loin. Ma mère, parlez-lui du bon Dieu, de la Vierge Et des saints tant qu'il lui plaira ; Oui, rendez-la timide, et qu'elle brûle un cierge Quand le tonnerre grondera. Je veux, entendez-vous, qu'elle soit grave et tendre, Qu'elle chérisse et qu'elle ait peur ; Je veux que tout mon sang me serve à la défendre, À la caresser de tout mon cœur. Déjà dans l'inconnu je t'épouse et je t'aime, Tu m'appartiens dès le passé, Fiancée invisible et dont j'ignore même Le nom sans cesse prononcé. À défaut de mes yeux, mon rêve te regarde, Je te soigne et te sers tout bas : « Que veux-tu ? Le voici. Couvre-toi bien, prends garde Au vent du soir, et ne sors pas. » Pour te sentir à moi je fais un peu le maître, Et je te gronde avec amour ; Mais j'essuie aussitôt les pleurs que j'ai fait naître, Implorant ma grâce à mon tour. Tu t'assiéras, l'été, bien loin, dans la campagne, En robe claire, au bord de l'eau. Qu'il est bon d'emporter sa nouvelle compagne Tout seul dans un pays nouveau ! Et dire que ma vie est cependant déserte, Que mon bonheur peut aujourd'hui Passer tout près de moi dans la foule entr'ouverte Qui se refermera sur lui, Et que déjà peut-être elle m'est apparue, Et j'ai dit : ! La jolie enfant ! » Peut-être suivons-nous toujours la même rue, Elle derrière et moi devant. Nous pourrons nous croiser en un point de l'espace, Sans nous sourire, bien longtemps, Puisqu'on n'oserait dire à la vierge qui passe : Ô Vous êtes celle que j'attends. » Un jour, mais je sais trop ce que l'épreuve en coûte, J'ai cru la voir sur mon chemin, Et j'ai dit : « C'est bien vous. » Je me trompais sans doute, Car elle a retiré sa main. Depuis lors, je me tais ; mon âme solitaire Confie au Dieu qui sait unir Par les souffles du ciel les plantes sur la terre Notre union dans l'avenir. À moins que, me privant de la jamais connaître, La mort déjà n'ait emporté Ma femme encore enfant, toi qui naissais pour l'être Et ne l'auras jamais été.

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    Sully Prudhomme

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    Mars En mars, quand s’achève l’hiver, Que la campagne renaissante Ressemble à la convalescente Dont le premier sourire est cher ; Quand l’azur, tout frileux encore, Est de neige éparse mêlé, Et que midi, frais et voilé, Revêt une blancheur d’aurore ; Quand l’air doux dissout la torpeur Des eaux qui se changeaient en marbres ; Quand la feuille aux pointes des arbres Suspend une verte vapeur ; Et quand la femme est deux fois belle, Belle de la candeur du jour, Et du réveil de notre amour Où sa pudeur se renouvelle, Oh ! Ne devrais-je pas saisir Dans leur vol ces rares journées Qui sont les matins des années Et la jeunesse du désir ? Mais je les goûte avec tristesse ; Tel un hibou, quand l’aube luit, Roulant ses grands yeux pleins de nuit, Craint la lumière qui les blesse, Tel, sortant du deuil hivernal, J’ouvre de grands yeux encore ivres Du songe obscur et vain des livres, Et la nature me fait mal.

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    Sully Prudhomme

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    Ne nous plaignons pas Va, ne nous plaignons pas de nos heures d'angoisse. Un trop facile amour n'est pas sans repentir ; Le bonheur se flétrit, comme une fleur se froisse Dès qu'on veut l'incliner vers soi pour la sentir. Regarde autour de nous ceux qui pleuraient naguère Les voilà l'un à l'autre, ils se disent heureux, Mais ils ont à jamais violé le mystère Qui faisait de l'amour un infini pour eux. Ils se disent heureux ; mais, dans leurs nuits sans fièvres, Leurs yeux n'échangent plus les éclairs d'autrefois ; Déjà sans tressaillir ils se baisent les lèvres, Et nous, nous frémissons rien qu'en mêlant nos doigts. Ils se disent heureux, et plus jamais n'éprouvent Cette vive brûlure et cette oppression Dont nos cœurs sont saisis quand nos yeux se retrouvent ; Nous nous sommes toujours une apparition ! Ils se disent heureux, parce qu'ils peuvent vivre De la même fortune et sous le même toit ; Mais ils ne sentent plus un cher secret les suivre ; Ils se disent heureux, et le monde les voit !

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    Sully Prudhomme

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    Passion malheureuse J'ai mal placé mon cœur, j'aime l'enfant d'un autre ; Et c'est pour m'exploiter qu'il fait le bon apôtre, Ce petit traître ! Je le sais. Sa mère, quand je viens, me devine, et l'appelle, Sentant que je suis là pour lui plus que pour elle, Mais elle ne m'en veut jamais. Le marmot prend alors sa voix flûtée et tendre (Les enfants ont deux voix) et dit, sans la comprendre, Sa fable, avec expression ; Puis il me fait ranger des soldats sur la table, Et m'obsède, et je trouve un plaisir ineffable À sa gentille obsession. Je m'y laisse duper toutes les fois : j'espère Qu'à force de bonté je serai presque un père : Ne dit-il pas qu'il m'aime bien ? Mais voici tout à coup le vrai père, ô disgrâce ! L'enfant court, bat des mains, lui saute au cou, l'embrasse, Et le pauvre oncle n'est plus rien.

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