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Sully Prudhomme

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René Armand François Prudhomme, dit Sully Prudhomme (orthographié également parfois Sully-Prudhomme), né à Paris le 16 mars 1839 et mort à Châtenay-Malabry le 6 septembre 1907, est un poète français, premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.

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Poésies

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    Jours lointains Nous recevions sa visite assidue ; J'étais enfant. Jours lointains ! Depuis lors La porte est close et la maison vendue : Les foyers vendus sont des morts. Quand j'entendais son pas de demoiselle, Adieu mes jeux ! Courant sur son chemin, J'allais, les yeux levés tout grands vers elle, Glisser ma tête sous sa main. Et quelle joie inquiète et profonde Si je sentais une caresse au front ! Cette main-là, pas de lèvres au monde En douceur ne l'égaleront. Je me souviens de mes tendresses vagues, Des aveux fous que je jurais d'oser, Lorsque, tout bas, rien qu'aux chatons des bagues Je risquais un fuyant baiser. Elle a passé, bouclant ma chevelure, Prenant ma vie ; et, comme inoccupés, Ses doigts m'ont fait une étrange brûlure, Par l'âge de mon cœur trompés. Comme l'aurore étonne la prunelle, L'éveille à peine, et c'est déjà le jour : Ainsi la grâce au cœur naissant nouvelle L'émeut, et c'est déjà l'amour.

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    Juin Pendant avril et mai, qui sont les plus doux mois, Les couples, enchantés par l'éther frais et rose, Ont ressenti l'amour comme une apothéose ; Ils cherchent maintenant l'ombre et la paix des bois. Ils rêvent, étendus sans mouvement, sans voix ; Les cœurs désaltérés font ensemble une pause, Se rappelant l'aveu dont un lilas fut cause Et le bonheur tremblant qu'on ne sent pas deux fois. Lors le soleil riait sous une fine écharpe, Et, comme un papillon dans les fils d'une harpe, Dans ses rayons encore un peu de neige errait. Mais aujourd'hui ses feux tombent déjà torrides, Un orageux silence emplit le ciel sans rides, Et l'amour exaucé couve un premier regret.

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    L'agonie Vous qui m'aiderez dans mon agonie, Ne me dites rien ; Faites que j'entende un peu d'harmonie, Et je mourrai bien. La musique apaise, enchante et délie Des choses d'en bas : Bercez ma douleur ; je vous en supplie, Ne lui parlez pas. Je suis las des mots, je suis las d'entendre Ce qui peut mentir ; J'aime mieux les sons qu'au lieu de comprendre Je n'ai qu'à sentir ; Une mélodie où l'âme se plonge Et qui, sans effort, Me fera passer du délire au songe, Du songe à la mort. Vous qui m'aiderez dans mon agonie, Ne me dites rien. Pour allégement un peu d'harmonie Me fera grand bien. Vous irez chercher ma pauvre nourrice Qui mène un troupeau, Et vous lui direz que c'est mon caprice, Au bord du tombeau, D'entendre chanter tout bas, de sa bouche, Un air d'autrefois, Simple et monotone, un doux air qui touche Avec peu de voix. Vous la trouverez : les gens des chaumières Vivent très longtemps, Et je suis d'un monde où l'on ne vit guères Plusieurs fois vingt ans. Vous nous laisserez tous les deux ensemble : Nos cœurs s'uniront ; Elle chantera d'un accent qui tremble, La main sur mon front. Lors elle sera peut-être la seule Qui m'aime toujours, Et je m'en irai dans son chant d'aïeule Vers mes premiers jours, Pour ne pas sentir, à ma dernière heure, Que mon cœur se fend, Pour ne plus penser, pour que l'homme meure Comme est né l'enfant. Vous qui m'aiderez dans mon agonie, Ne me dites rien ; Faites que j'entende un peu d'harmonie, Et je mourrai bien.

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    L'amour maternel Fait d'héroïsme et de clémence, Présent toujours au moindre appel, Qui de nous peut dire où commence, Où finit l'amour maternel ? Il n'attend pas qu'on le mérite, Il plane en deuil sur les ingrats ; Lorsque le père déshérite, La mère laisse ouverts ses bras ; Son crédule dévouement reste Quand les plus vrais nous ont menti, Si téméraire et si modeste Qu'il s'ignore et n'est pas senti. Pour nous suivre il monte ou s'abîme, À nos revers toujours égal, Ou si profond ou si sublime Que, sans maître, il est sans rival : Est-il de retraite plus douce Qu'un sein de mère, et quel abri Recueille avec moins de secousse Un cœur fragile endolori ? Quel est l'ami qui sans colère Se voit pour d'autres négligé ? Qu'on méconnaît sans lui déplaire, Si bon qu'il n'en soit affligé ? Quel ami dans un précipice Nous joint sans espoir de retour, Et ne sent quelque sacrifice Où la mère ne sent qu'amour ? Lequel n'espère un avantage Des échanges de l'amitié ? Que de fois la mère partage Et ne garde pas sa moitié ! Ô mère, unique Danaïde Dont le zèle soit sans déclin, Et qui, sans maudire le vide, Y penche un grand cœur toujours plein !

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    L'art et l'amour Le vent d'orage, allant où quelque dieu l'envoie, S'il rencontre un parterre, y voudrait bien rester : Autour du plus beau lis il s'enroule et tournoie, Et gémit vainement sans pouvoir s'arrêter. — « Demeure, endors ta fougue errante et soucieuse, Endors-la dans mon sein, lui murmure la fleur. Je suis moins qu'on ne croit fière et silencieuse, Et l'été brûle en moi sous ma froide pâleur. « Ton cruel tournoiement m'épuise et m'hallucine, Et j'y sens tout mon cœur en soupirs s'exhaler... Je suis fidèle ; ô toi, qui n'as pas de racine, Pourquoi m'enlaces-tu si tu dois t'en aller ? » — — « Hélas ! Lui répond-il, je suis une âme en peine, L'angoisse et le caprice ont même aspect souvent. Vois-tu ce grand nuage ? Attends que mon haleine Ait donné forme et vie à ce chaos mouvant. » — — « Pars, et reviens, après la pluie et le tonnerre ; Je t'aime et t'attendrai ; ne me fais pas d'adieu, Car nous nous unirons, moi sans quitter la terre, Toi sans quitter le ciel, ce soir même en ce lieu. » — — « J'y serai, » dit le vent. Sous le fouet qui l'exile Il part, plein d'un regret d'espérance embaumé ; Et la fleur ploie encore et quelque temps vacille, Lente à reconquérir le calme accoutumé. Elle est tout à son rêve, il est tout à l'ouvrage. Mais que les rendez-vous entre eux sont superflus ! Quand la fraîcheur du soir eut apaisé l'orage, Ni le vent ni la fleur n'existaient déjà plus.

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    Si j'étais Dieu Si j'étais Dieu, la mort serait sans proie, Les hommes seraient bons, j'abolirais l'adieu, Et nous ne verserions que des larmes de joie, Si j'étais Dieu. Si j'étais Dieu, de beaux fruits sans écorces Mûriraient, le travail ne serait plus qu'un jeu, Car nous n'agirions plus que pour sentir nos forces, Si j'étais Dieu. Si j'étais Dieu, pour toi, celle que j'aime, Je déploierais un ciel toujours frais, toujours bleu, Mais je te laisserais, ô mon ange, la même, Si j'étais Dieu.

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    L'art sauveur S'il n'était rien de bleu que le ciel et la mer, De blond que les épis, de rose que les roses, S'il n'était de beauté qu'aux insensibles choses, Le plaisir d'admirer ne serait point amer. Mais avec l'océan, la campagne et l'éther, Des formes d'un attrait douloureux sont écloses ; Le charme des regards, des sourires, des poses, Mord trop avant dans l'âme, ô femme ! il est trop cher. Nous t'aimons, et de là les douleurs infinies : Car Dieu, qui fit la grâce avec des harmonies, Fit l'amour d'un soupir qui n'est pas mutuel. Mais je veux, revêtant l'art sacré pour armure, Voir des lèvres, des yeux, l'or d'une chevelure, Comme l'épi, la rose, et la mer, et le ciel.

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    L'art trahi Fors l'amour, tout dans l'art semble à la femme vain : Le génie auprès d'elle est toujours solitaire. Orphée allait chantant, suivi d'une panthère, Dont il croyait leurrer l'inexorable faim ; Mais, dès que son pied nu rencontrait en chemin Quelque épine de rose et rougissait la terre, La bête, se ruant d'un bond involontaire, Oublieuse des sons, lampait le sang humain. Crains la docilité félonne d'une amante, Poète : elle est moins souple à la lyre charmante Qu'avide, par instinct, de voir le cœur saigner. Pendant que ta douleur plane et vibre en mesure, Elle épie à tes pieds les pleurs de ta blessure, Plaisir plus vif encor que de la dédaigner.

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    L'automne L'azur n'est plus égal comme un rideau sans pli. La feuille, à tout moment, tressaille, vole et tombe ; Au bois, dans les sentiers où le taillis surplombe, Les taches de soleil, plus larges, ont pâli. Mais l'œuvre de la sève est partout accompli : La grappe autour du cep se colore et se bombe, Dans le verger la branche au poids des fruits succombe, Et l'été meurt, content de son devoir rempli. Dans l'été de ta vie enrichis-en l'automne ; Ô mortel, sois docile à l'exemple que donne, Depuis des milliers d'ans, la terre au genre humain ; Vois : le front, lisse hier, n'est déjà plus sans rides, Et les cheveux épais seront rares demain : Fuis la honte et l'horreur de vieillir les mains vides.

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    L'habitude L'habitude est une étrangère Qui supplante en nous la raison : C'est une ancienne ménagère Qui s'installe dans la maison. Elle est discrète, humble, fidèle, Familière avec tous les coins ; On ne s'occupe jamais d'elle, Car elle a d'invisibles soins : Elle conduit les pieds de l'homme, Sait le chemin qu'il eût choisi, Connaît son but sans qu'il le nomme, Et lui dit tout bas : « Par ici. » Travaillant pour nous en silence, D'un geste sûr, toujours pareil, Elle a l'œil de la vigilance, Les lèvres douces du sommeil. Mais imprudent qui s'abandonne À son joug une fois porté ! Cette vieille au pas monotone Endort la jeune liberté ; Et tous ceux que sa force obscure A gagnés insensiblement Sont des hommes par la figure, Des choses par le mouvement.

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    L'idéal La lune est grande, le ciel clair Et plein d'astres, la terre est blême, Et l'âme du monde est dans l'air. Je rêve à l'étoile suprême, À celle qu'on n'aperçoit pas, Mais dont la lumière voyage Et doit venir jusqu'ici-bas Enchanter les yeux d'un autre âge. Quand luira cette étoile, un jour, La plus belle et la plus lointaine, Dites-lui qu'elle eut mon amour, Ô derniers de la race humaine !

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    L'obstacle Les lèvres qui veulent s'unir, À force d'art et de constance, Malgré le temps et la distance, Y peuvent toujours parvenir. On se fraye toujours des routes ; Flots, monts, déserts n'arrêtent point, De proche en proche on se rejoint, Et les heures arrivent toutes. Mais ce qui fait durer l'exil Mieux que l'eau, le roc ou le sable, C'est un obstacle infranchissable, Qui n'a pas l'épaisseur d'un fil. C'est l'honneur ; aucun stratagème, Nul âpre effort n'en est vainqueur, Car tout ce qu'il oppose au cœur, Il le puise dans le cœur même. Vous savez s'il est rigoureux, Pauvres couples à l'âme haute Qu'une noble horreur de la faute Empêche seule d'être heureux. Penchés sur le bord de l'abîme, Vous respectez au fond de vous, Comme de cruels garde-fous, Les arrêts de ce juge intime ; Purs amants sur terre égarés, Quel martyre étrange est le vôtre ! Plus vos cœurs sont près l'un de l'autre, Plus ils se sentent séparés. Oh ! Que de fois fermente et gronde, Sous un air de froid nonchaloir, Votre souriant désespoir Dans la mascarade du monde ! Que de cris toujours contenus ! Que de sanglots sans délivrance ! Sous l'apparente indifférence, Que d'héroïsmes méconnus ! Aux ivresses, même impunies, Vous préférez un deuil plus beau, Et vos lèvres, même au tombeau, Attendent le droit d'être unies.

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    L'âme J'ai dans mon cœur, j'ai sous mon front Une âme invisible et présente : Ceux qui doutent la chercheront ; Je la répands pour qu'on la sente. Partout scintillent les couleurs, Mais d'où vient cette force en elles ? Il existe un bleu dont je meurs, Parce qu'il est dans les prunelles. Tous les corps offrent des contours, Mais d'où vient la forme qui touche ? Comment fais-tu les grands amours, Petite ligne de la bouche ? Partout l'air vibre et rend des sons, Mais d'où vient le délice intime Que nous apportent ces frissons Quand c'est une voix qui l'anime ? J'ai dans mon cœur, j'ai sous mon front Une âme invisible et présente : Ceux qui doutent la chercheront ; Je la répands pour qu'on la sente.

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    L'épousée Elle est fragile à caresser, L'épousée au front diaphane, Lis pur qu'un rien ternit et fane, Lis tendre qu'un rien peut froisser, Que nul homme ne peut presser, Sans remords sur son cœur profane. La main digne de l'approcher N'est pas la main rude qui brise L'innocence qu'elle a surprise Et se fait jeu d'effaroucher, Mais la main qui semble toucher Au blanc voile comme une brise ; La lèvre qui la doit baiser N'est pas la lèvre véhémente, Effroi d'une novice amante Qui veut le respect pour oser, Mais celle qui se vient poser Comme une ombre d'abeille errante ; Et les bras faits pour l'embrasser Ne sont pas les bras dont l'étreinte Laisse une impérieuse empreinte Au corps qu'ils aiment à lasser, Mais ceux qui savent l'enlacer Comme une onde où l'on dort sans crainte. L'hymen doit la discipliner Sans lire sur son front un blâme, Et les prémices qu'il réclame Les faire à son cœur deviner : Elle est fleur, il doit l'incliner, La chérir sans lui troubler l'âme.

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    L'étoile au cœur Par les nuits sublimes d'été, Sous leur dôme d'or et d'opale, Je demande à l'immensité Où sourit la forme idéale. Plein d'une angoisse de banni, À travers la flore innombrable Des campagnes de l'infini, Je poursuis ce lis adorable... S'il brille au firmament profond, Ce n'est pas pour moi qu'il y brille : J'ai beau chercher, tout se confond Dans l'océan clair qui fourmille. Ma vue implore de trop bas Sa splendeur en chemin perdue, Et j'abaisse enfin mes yeux las, Découragés par l'étendue. Appauvri de l'espoir ôté, Je m'en reviens plus solitaire, Et cependant cette beauté Que je crois si loin de la terre, Un laboureur insoucieux, Chaque soir à son foyer même, Pour l'admirer, l'a sous les yeux Dans la paysanne qu'il aime. Heureux qui, sans vaine langueur, Voyant les étoiles renaître, Ferme sur elles sa fenêtre : La plus belle luit dans son cœur.

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    La bouture Au temps où les plaines sont vertes, Où le ciel dore les chemins, Où la grâce des fleurs ouvertes Tente les lèvres et les mains, Au mois de mai, sur sa fenêtre, Un jeune homme avait un rosier ; Il y laissait les roses naître Sans les voir ni s'en soucier ; Et les femmes qui d'aventure Passaient près du bel arbrisseau, En se jouant, pour leur ceinture Pillaient les fleurs du jouvenceau. Sous leurs doigts, d'un précoce automne Mourait l'arbuste dévasté ; Il perdit toute sa couronne, Et la fenêtre sa gaîté ; Si bien qu'un jour, de porte en porte, Le jeune homme frappa, criant : « Qu'une de vous me la rapporte, La fleur qu'elle a prise en riant ! » Mais les portes demeuraient closes. Une à la fin pourtant s'ouvrit : « Ah ! Viens, dit en montrant des roses Une vierge qui lui sourit ; Je n'ai rien pris pour ma parure ; Mais sauvant le dernier rameau, Vois ! J'en ai fait cette bouture, Pour te le rendre un jour plus beau. »

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    La coupe Dans les verres épais du cabaret brutal, Le vin bleu coule à flots et sans trêve à la ronde ; Dans les calices fins plus rarement abonde Un vin dont la clarté soit digne du cristal. Enfin la coupe d'or du haut d'un piédestal Attend, vide toujours, bien que large et profonde, Un cru dont la noblesse à la sienne réponde : On tremble d'en souiller l'ouvrage et le métal. Plus le vase est grossier de forme et de matière, Mieux il trouve à combler sa contenance entière, Aux plus beaux seulement il n'est point de liqueur. C'est ainsi : plus on vaut, plus fièrement on aime, Et qui rêve pour soi la pureté suprême D'aucun terrestre amour ne daigne emplir son cœur.

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    La forme Le soleil fut avant les yeux, La terre fut avant les roses, Le chaos avant toutes choses. Ah ! que les éléments sont vieux Sous leurs jeunes métamorphoses ! Toute jeunesse vient des morts : C'est dans une funèbre pâte Que, toujours, sans lenteur ni hâte, Une main pétrit les beaux corps Tandis qu'une autre main les gâte ; Et le fond demeure pareil : Que l'univers s'agite ou dorme, Rien n'altère sa masse énorme ; Ce qui périt, fleur ou soleil, N'en est que la changeante forme. Mais la forme, c'est le printemps : Seule mouvante et seule belle, Il n'est de nouveauté qu'en elle ; C'est par les formes de vingt ans Que rit la matière éternelle ! Ô vous, qui tenez enlacés Les amoureux aux amoureuses, Bras lisses, lèvres savoureuses, Formes divines qui passez, Désirables et douloureuses ! Vous ne laissez qu'un souvenir, Un songe, une impalpable trace ! Si fortement qu'il vous embrasse, L'Amour ne peut vous retenir : Vous émigrez de race en race. Époux des âmes, corps chéris, Vous vous poussez, pareils aux fleuves ; Vos grâces ne sont qu'un jour neuves, Et les âmes sur vos débris Gémissent, immortelles veuves. Mais pourquoi vous donner ces pleurs ? Les tombes, les saisons chagrines, Entassent en vain des ruines Sans briser le moule des fleurs, Des fruits et des jeunes poitrines. Pourquoi vous faire des adieux ? Le même sang change d'artères, Les filles ont les yeux des mères, Et les fils le front des aïeux. Non, vous n'êtes pas éphémères ! Vos modèles sont quelque part, Ô formes que le temps dévore ! Plus pures vous brillez encore Au paradis profond de l'art, Où Platon pense et vous adore !

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    La jacinthe Dans un antique vase en Grèce découvert, D’une tombe exhumé, fait d’une argile pure Et dont le col est svelte, exquise la courbure, Trempe cette jacinthe, emblème aux yeux offert. Un essor y tressaille, et le bulbe entr’ouvert Déchire le satin de sa fine pelure ; La racine s’épand comme une chevelure, Et la sève a déjà doré le bourgeon vert. L’eau du ciel et la grave élégance du vase L’assistent pour éclore et dresser son extase, Elle leur doit sa fleur et son haut piédestal. Du poète inspiré la fortune est la même : Un deuil sublime, né hors du limon natal, L’exalte, et dans les pleurs germe et croît son poème.

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    La laide Femmes, vous blasphémez l'amour, quand d'aventure Un seul rebelle insulte à votre royauté. Ah ! C'est un pire affront qu'en silence elle endure, La jeune fille à qui la marâtre nature A dénié sa gloire et son droit : la beauté ! L'amour ne luit jamais dans l'œil qui la regarde ; Elle pourrait quitter sa mère sans périls. La laide ! On ne la voit jamais que par mégarde ; Même contre un désir sa disgrâce la garde, Pourquoi les jeunes gens l'accompagneraient-ils ? Les jeunes gens sont fats, libertins et féroces. La laide ! Pourquoi faire et qu'en ont-ils besoin ? Ils la criblent entre eux de quolibets atroces, Et c'est un collégien que, dans les bals de noces, On charge de tirer cette enfant de son coin. Pauvre fille ! Elle apprend que jeune elle est sans âge ; Sœur des belles et née avec les mêmes vœux, Elle a pour ennemi de son cœur son visage, Et, tout au plus, parmi les compliments d'usage, Un bon vieillard lui dit qu'elle a de beaux cheveux. Depuis que j'ai souffert d'une forme charmante, Je voudrais de mon mal près de toi me guérir, Enfant qui sais aimer sans jamais être amante, Ange qui n'es qu'une âme et n'as rien qui tourmente ! Pourquoi suis-je trop jeune encor pour te chérir ?

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    La mer La mer pousse une vaste plainte, Se tord et se roule avec bruit, Ainsi qu’une géante enceinte Qui des grandes douleurs atteinte, Ne pourrait pas donner son fruit ; Et sa pleine rondeur se lève Et s’abaisse avec désespoir. Mais elle a des heures de trêve : Alors sous l’azur elle rêve, Calme et lisse comme un miroir. Ses pieds caressent les empires, Ses mains soutiennent les vaisseaux, Elle rit aux moindres zéphires, Et les cordages sont des lyres, Et les hunes sont des berceaux. Elle dit au marin : « Pardonne Si mon tourment te fait mourir ; Hélas ! Je sens que je suis bonne, Mais je souffre et ne vois personne D’assez fort pour me secourir ! » Puis elle s’enfle encor, se creuse Et gémit dans sa profondeur ; Telle, en sa force douloureuse, Une grande âme malheureuse Qu’isole sa propre grandeur !

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    La musique Ah ! chante encore, chante, chante ! Mon âme a soif des bleus éthers. Que cette caresse arrachante En rompe les terrestres fers ! Que cette promesse infinie, Que cet appel délicieux Dans les longs flots de l’harmonie L’enveloppe et l’emporte aux cieux ! Les bonheurs purs, les bonheurs libres L’attirent dans l’or de ta voix, Par mille douloureuses fibres Qu’ils font tressaillir à la fois. Elle espère, sentant sa chaîne A l’unisson si fort vibrer, Que la rupture en est prochaine Et va soudain la délivrer ! La musique surnaturelle Ouvre le paradis perdu. Hélas ! Hélas ! il n’est par elle Qu’en songe ouvert, jamais rendu.

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    Sully Prudhomme

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    La mémoire I. Ô Mémoire, qui joins à l'heure La chaîne des temps révolus, Je t'admire, étrange demeure Des formes qui n'existent plus ! En vain tombèrent les grands hommes Aux fronts pensifs ou belliqueux : Ils se lèvent quand tu les nommes, Et nous conversons avec eux ; Et, si tu permets ce colloque Avec les plus altiers esprits, Tu permets aussi qu'on évoque Les cœurs humbles qu'on a chéris. Le présent n'est qu'un feu de joie Qui s'écroule à peine amassé, Mais tu peux faire qu'il flamboie Des mille fêtes du passé ; Le présent n'est qu'un cri d'angoisse Qui s'éteint à peine poussé, Mais tu peux faire qu'il s'accroisse Ce tous les sanglots du passé ; L'être des morts n'est plus visible, Mais tu donnes au trépassé Une vie incompréhensible, Présent que tu fais d'un passé ! Quelle existence ai-je rendue À mon père en me souvenant ? Quelle est donc en moi l'étendue Où s'agite ce revenant ? Un sort différent nous sépare : Comment peux-tu nous réunir, À travers le mur qui nous barre Le passé comme l'avenir ? Qui des deux force la barrière ? Me rejoint-il, ou vais-je à lui ? Je ne peux pas vivre en arrière, Il ne peut revivre aujourd'hui ! II. Ô souvenir, l'âme renonce, Effrayée, à te concevoir ; Mais, jusqu'où ton regard s'enfonce, Au chaos des ans j'irai voir ; Parmi les gisantes ruines, Les bibles au feuillet noirci, Je m'instruirai des origines, Des pas que j'ai faits jusqu'ici. Devant moi la vie inquiète Marche en levant sa lampe d'or, Et j'avance en tournant la tête Le long d'un sombre corridor. D'où vient cette folle ? où va-t-elle ? Son tremblant et pâle flambeau N'éclaire ma route éternelle Que du berceau vide au tombeau. Mais j'étais autrefois ! Mon être Ne peut commencer ni finir. Ce que j'étais avant de naître, N'en sais-tu rien, ô souvenir ? Rassemble bien toutes tes forces Et demande aux âges confus Combien j'ai dépouillé d'écorces Et combien de soleils j'ai vus ! Ah ! tu t'obstines à te taire, Ton œil rêveur, clos à demi, Ne suit point par delà la terre Ma racine dans l'infini. Cherchant en vain mes destinées, Mon origine qui me fuit, De la chaîne de mes années Je sens les deux bouts dans la nuit. L'histoire, passante oublieuse, Ne m'a pas appris d'où je sors, Et la terre silencieuse N'a jamais dit où vont les morts.

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    La patrie Viens, ne marche pas seul dans un jaloux sentier, Mais suis les grands chemins que l'humanité foule ; Les hommes ne sont forts, bons et justes, qu'en foule Ils s'achèvent ensemble, aucun d'eux n'est entier. Malgré toi tous les morts t'ont fait leur héritier ; La patrie a jeté le plus fier dans son moule, Et son nom fait toujours monter comme une houle De la poitrine aux yeux l'enthousiasme altier ! Viens, il passe au'forum'un immense zéphyre ; Viens, l'héroïsme épars dans l'air qu'on y respire Secoue utilement les moroses langueurs. Laisse à travers ton luth souffler le vent des âmes, Et tes vers flotteront comme des oriflammes Et comme des tambours sonneront dans les cœurs.

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    La pensée Un soir, vaincu par le labeur Où s'obstine le front de l'homme, Je m'assoupis, et dans mon somme M'apparut un bouton de fleur. C'était cette fleur qu'on appelle Pensée ; elle voulait s'ouvrir, Et moi je m'en sentais mourir : Toute ma vie allait en elle. Echange invisible et muet : À mesure que ses pétales Forçaient les ténèbres natales, Ma force à moi diminuait. Et ses grands yeux de velours sombre Se dépliaient si lentement Qu'il me semblait que mon tourment Mesurât des siècles sans nombre. « Vite, ô fleur, l'espoir anxieux De te voir éclore m'épuise ; Que ton regard s'achève et luise Fixe et profond dans tes beaux yeux ! » Mais, à l'heure où de sa paupière Se déroulait le dernier pli, Moi, je tombais enseveli Dans la nuit d'un sommeil de pierre.

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    Sully Prudhomme

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    La poésie Quand j'entends disputer les hommes Sur Dieu qu'ils ne pénètrent point, Je me demande où nous en sommes : Hélas ! toujours au même point. Oui, j'entends d'admirables phrases, Des sons par la bouche ennoblis ; Mais les mots ressemblent aux vases : Les plus beaux sont les moins remplis. Alors, pour me sauver du doute, J'ouvre un Euclide avec amour ; Il propose, il prouve, et j'écoute, Et je suis inondé de jour. L'évidence, éclair de l'étude, Jaillit, et me laisse enchanté ! Je savoure la certitude, Mon seul vrai bonheur, ma santé ! Pareil à l'antique sorcière Qui met, par le linéament Qu'elle a tracé dans la poussière, Un monde obscur en mouvement, Je forme un triangle : ô merveille ! Le peuple des lois endormi S'agite avec lenteur, s'éveille Et se déroule à l'infini. Avec trois lignes sur le sable Je connais, je ne doute plus ! Un triangle est donc préférable Aux mots sonores que j'ai lus ? Non ! j'ai foi dans la Poésie : Elle instruit par témérité ; Elle allume sa fantaisie Dans tes beaux yeux, ô Vérité ! Si le doigt des preuves détache Ton voile aux plis multipliés, Le vent des strophes te l'arrache, D'un seul coup, de la tête aux pieds. Et c'est pourquoi, toute ma vie, Si j'étais poète vraiment, Je regarderais sans envie Képler toiser le firmament !

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    Sully Prudhomme

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    Séparation Je ne devais pas vous le dire ; Mes pleurs, plus forts que la vertu, Mouillant mon douloureux sourire, Sont allés sur vos mains écrire L'aveu brûlant que j'avais tu. Danser, babiller, rire ensemble, Ces jeux ne nous sont plus permis : Vous rougissez, et moi je tremble ; Je ne sais ce qui nous rassemble. Mais nous ne sommes plus amis. Disposez de nous, voici l'heure Où je ne puis vous parler bas Sans que l'amitié change ou meure : Oh ! dites-moi qu'elle demeure, Je sens qu'elle ne suffit pas. Si le langage involontaire De mes larmes vous a déplu, Eh bien, suivons chacun sur terre Notre sentier : moi, solitaire, Vous, heureuse, au bras de l'élu. Je voyais nos deux cœurs éclore Comme un couple d'oiseaux chantants Éveillés par la même aurore ; Ils n'ont pas pris leur vol encore : Séparons-les, il en est temps ; Séparons-les à leur naissance, De crainte qu'un jour à venir, Malheureux d'une longue absence, Ils n'aillent dans le vide immense Se chercher sans pouvoir s'unir.

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    Sully Prudhomme

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    @sullyPrudhomme

    La prière Je voudrais bien prier, je suis plein de soupirs ! Ma cruelle raison veut que je les contienne. Ni les voeux suppliants d’une mère chrétienne, Ni l’exemple des saints, ni le sang des martyrs, Ni mon besoin d’aimer, ni mes grands repentirs, Ni mes pleurs, n’obtiendront que la foi me revienne. C’est une angoisse impie et sainte que la mienne : Mon doute insulte en moi le Dieu de mes désirs. Pourtant je veux prier, je suis trop solitaire ; Voici que j’ai posé mes deux genoux à terre : Je vous attends, Seigneur ; Seigneur, êtes-vous là ? J’ai beau joindre les mains, et, le front sur la Bible, Redire le Credo que ma bouche épela, Je ne sens rien du tout devant moi. C’est horrible.

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    Sully Prudhomme

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    @sullyPrudhomme

    La terre et l'enfant Enfant sur la terre on se traîne, Les yeux et l'âme émerveillés, Mais, plus tard, on regarde à peine Cette terre qu'on foule aux pieds. Je sens déjà que je l'oublie, Et, parfois, songeur au front las, Je m'en repens et me rallie Aux enfants qui vivent plus bas. Détachés du sein de la mère, De leurs petits pieds incertains Ils vont reconnaître la terre Et pressent tout de leurs deux mains ; Ils ont de graves tête-à-tête Avec le chien de la maison ; Ils voient courir la moindre bête Dans les profondeurs du gazon ; Ils écoutent l'herbe qui pousse, Eux seuls respirent son parfum ; Ils contemplent les brins de mousse Et les grains de sable un par un ; Par tous les calices baisée, Leur bouche est au niveau des fleurs, Et c'est souvent de la rosée Qu'on essuie en séchant leurs pleurs. J'ai vu la terre aussi me tendre Ses bras, ses lèvres, autrefois ! Depuis que je la veux comprendre, Plus jamais je ne l'aperçois. Elle a pour moi plus de mystère, Désormais, que de nouveauté ; J'y sens mon cœur plus solitaire, Quand j'y rencontre la beauté ; Et, quand je daigne par caprice Avec les enfants me baisser, J'importune cette nourrice Qui ne veut plus me caresser.

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    Sully Prudhomme

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    La vieillesse Viennent les ans ! J'aspire à cet âge sauveur Où mon sang coulera plus sage dans mes veines, Où, les plaisirs pour moi n'ayant plus de saveur, Je vivrai doucement avec mes vieilles peines. Quand l'amour, désormais affranchi du baiser, Ne me brûlera plus de sa fièvre mauvaise Et n'aura plus en moi d'avenir à briser, Que je m'en donnerai de tendresse à mon aise ! Bienheureux les enfants venus sur mon chemin ! Je saurai transporter dans les buissons l'école ; Heureux les jeunes gens dont je prendrai la main ! S'ils aiment, je saurai comment on les console. Et je ne dirai pas : « C'était mieux de mon temps. » Car le mieux d'autrefois c'était notre jeunesse ; Mais je m'approcherai des âmes de vingt ans Pour qu'un peu de chaleur en mon âme renaisse ; Pour vieillir sans déchoir, ne jamais oublier Ce que j'aurai senti dans l'âge où le cœur vibre, Le beau, l'honneur, le droit qui ne sait pas plier, Et jusques au tombeau penser en homme libre. Et vous, oh ! Quel poignard de ma poitrine ôté, Femmes, quand du désir il n'y sera plus traces, Et qu'alors je pourrai ne voir dans la beauté Que le dépôt en vous du moule pur des races ! Puissé-je ainsi m'asseoir au faîte de mes jours Et contempler la vie, exempt enfin d'épreuves, Comme du haut des monts on voit les grands détours Et les plis tourmentés des routes et des fleuves !

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