Abbes Bahous
@abbesBahous
Numidie mon amour Numidie, Carthage, je vous aime. Mais il est trop tard. Je suis tout blême, je prends de l'âge, je prends le large... AUGUSTIN mon vieux A-DIEU@abbesBahous
Numidie mon amour Numidie, Carthage, je vous aime. Mais il est trop tard. Je suis tout blême, je prends de l'âge, je prends le large... AUGUSTIN mon vieux A-DIEU@adonis
Hier J'ai fermé la porte de ma chambre avec la prime étoile J'ai tiré l'unique rideau et j'ai dormi avec ses lettres Et voilà l'oreiller mouillé et les mots pleins je suis magicien, son nom est encens et encensoir je suis magicien, elle est étincelles et temple aux primes braises je m'étends dans l'épaisseur de la fumée je dessine les signes je jette un charme à sa blessure L'efface avec ma peau O toi blessure ô enfer éclairant Ô toi blessure ô mort ma familière Dans la blessure il y a des tours avec des anges Une rivière ferme ses portes, des herbes marchent Un homme se dénude Il effeuille la myrte sèche et il rend grâces, L'eau tombe goutte à goutte sur sa tête, Il se prosterne et disparaît je rêve - Je lave la terre jusqu'au miroir je la frappe d'une muraille de nuages d'une haie de feu Et je bâtis une coupole de larmes je les façonne Que m'as-tu préparé comme ultime cadeau ? « - Ma chemise, celle qui le jour des noces nous entourait. Et je descendrai avec toi dans la tombe Pour te rendre facile la mort de l'amour te mélange avec mon eau et je te donne à boire à la mort je te donne mon bien : la tombe et la gratuité de la mort. » Une fois je l'ai vue sur la terre un flacon Mer qui se penche Pleine de conques et créatures réincarnées Oiseaux et ailes Et lors j'ai dit Que la transparence de femme soit la transparence du ciel Que le monde devienne une pierre de sexe Et je la verrai mer qui se penche J'aimerai son écume et creuserai pour elle un coin près de mon œil je jurerai aux vagues qu'elles sont mes voisines Promenant selon leur sel mes angoisses Elles veillant avec moi ou s'endormant Lisent en moi leur propre écho : Il dit : (Tu es ange et tu ne vois que sous la peau C'est entre toi et l'ange l'unique ressemblance Ne veux-tu découvrir le continent des profondeurs? Donc, abandonne À quelque autre que toi le continent des cimes.)@aimeCesaire
Nocturne d'une nostalgie Rôdeuse oh rôdeuse à petits pas de cicatrice mal fermée à petites pauses d'oiseau inquiet sur un dos de zébu nuit sac et ressac à petits glissements de boutre à petites saccades de pirogue sous ma noire traction à petits pas d'une goutte de lait sac voleur de cave ressac voleur d'enfant à petite lampe de marais ainsi toute nuit toute nuit des côtes d'Assinie des côtes d'Assinie le courant ramène sommaire toujours et très violent@albertSamain
Blotti comme un Oiseau Blotti comme un oiseau frileux au fond du nid, Les yeux sur ton profil, je songe à l'infini... Immobile sur les coussins brodés, j'évoque L'enchantement ancien, la radieuse époque, Et les rêves au ciel de tes yeux verts baignés ! Et je revis, parmi les objets imprégnés De ton parfum intime et cher, l'ancienne année Celle qui flotte encor dans ta robe fanée... Je t'aime ingénument. Je t'aime pour te voir. Ta voix me sonne au cœur comme un chant dans le soir. Et penché sur ton cou, doux comme les calices, J'épuise goutte à goutte, en amères délices, Pendant que mon soleil décroît à l'horizon Le charme douloureux de l'arrière-saison.@albertSamain
En printemps En printemps, quand le blond vitrier Ariel Nettoie à neuf la vitre éclatante du ciel, Quand aux carrefours noirs qu'éclairent les toilettes En monceaux odorants croulent les violettes Et le lilas tremblant, frileux encor d'hier, Toujours revient en moi le songe absurde et cher Que mes seize ans ravis aux candeurs des keepsakes Vivaient dans les grands murs blancs des bibliothèques Rêveurs à la fenêtre où passaient des oiseaux... Dans des pays d'argent, de cygnes, de roseaux Dont les noms avaient des syllabes d'émeraude, Au bord des étangs verts où la sylphide rôde, Parmi les donjons noirs et les châteaux hantés, Déchiquetant des ciels d'eau-forte tourmentés, Traînaient limpidement les robes des légendes. Ossian ! Walter Scott ! Ineffables guirlandes De vierges en bandeaux s'inclinant de profil. Ô l'ovale si pur d'alors, et le pistil Du col où s'éploraient les anglaises bouclées ! Ô manches à gigot ! Longues mains fuselées Faites pour arpéger le cœur de Raphaël, Avec des yeux à l'ange et l'air « Exil du ciel », Ô les brunes de flamme et les blondes de miel ! Mil-huit-cent-vingt... parfum des lyres surannées ; Dans vos fauteuils d'Utrecht bonnes vieilles fanées, Bonnes vieilles voguant sur « le lac » étoilé, Ô âmes sœurs de Lamartine inconsolé. Tel aussi j'ai vécu les sanglots de vos harpes Et vos beaux chevaliers ceints de blanches écharpes Et vos pâles amants mourant d'un seul baiser. L'idéal était roi sur un grand cœur brisé. C'était le temps du patchouli, des janissaires, D'Elvire, et des turbans, et des hardis corsaires. Byron disparaissait, somptueux et fatal. Et le cor dans les bois sonnait sentimental. Ô mon beau cœur vibrant et pur comme un cristal.@alfredDeMusset
A George Sand (VI) Porte ta vie ailleurs, ô toi qui fus ma vie ; Verse ailleurs ce trésor que j’avais pour tout bien. Va chercher d’autres lieux, toi qui fus ma patrie, Va fleurir, ô soleil, ô ma belle chérie, Fais riche un autre amour et souviens-toi du mien. Laisse mon souvenir te suivre loin de France ; Qu’il parte sur ton coeur, pauvre bouquet fané, Lorsque tu l’as cueilli, j’ai connu l’Espérance, Je croyais au bonheur, et toute ma souffrance Est de l’avoir perdu sans te l’avoir donné.@alfredDeMusset
À Madame M. N Je vous ai vue enfant, maintenant que j'y pense, Fraîche comme une rose et le cœur dans les yeux. Je vous ai vu bambin, boudeur et paresseux ; Vous aimiez lord Byron, les grands vers et la danse. Ainsi nous revenaient les jours de notre enfance, Et nous parlions déjà le langage des vieux ; Ce jeune souvenir riait entre nous deux, Léger comme un écho, gai comme l'espérance. Le lâche craint le temps parce qu'il fait mourir ; Il croit son mur gâté lorsqu'une fleur y pousse. O voyageur ami, père du souvenir !@alfredDeMusset
À mon Frère, revenant d'Italie Ainsi, mon cher, tu t'en reviens Du pays dont je me souviens Comme d'un rêve, De ces beaux lieux où l'oranger Naquit pour nous dédommager Du péché d'Ève. Tu l'as vu, ce ciel enchanté Qui montre avec tant de clarté Le grand mystère ; Si pur, qu'un soupir monte à Dieu Plus librement qu'en aucun lieu Qui soit sur terre. Tu les as vus, les vieux manoirs De cette ville aux palais noirs Qui fut Florence, Plus ennuyeuse que Milan Où, du moins, quatre ou cinq fois l'an, Cerrito danse. Tu l'as vue, assise dans l'eau, Portant gaiement son mezzaro, La belle Gênes, Le visage peint, l'oeil brillant, Qui babille et joue en riant Avec ses chaînes.@alfredDeMusset
Jeanne d’Arc Je cherche en vain le repos qui me fuit. Mon cœur est plein des douleurs de la France. Jusqu’en ces lieux déserts, dans l’ombre et le silence, De la patrie en deuil le malheur me poursuit. CHANT Sombre forêt, retraite solitaire, Muets témoins de mes secrets ennuis, À mes regards, de mon pauvre pays Cachez du moins la honte et la misère. Tristes rameaux, si nous sommes vaincus, Cachez le toit de mon vieux père ; Peut-être, hélas je ne le verrai plus ! RÉCITATIF Tout repose dans la vallée. Le rossignol chante sous la feuillée La mélancolie et l’amour. Déjà l’aurore éveille la nature ; Déjà brille sur la verdure La douce clarté d’un beau jour. Quel est ce bruit dans la campagne ? Le clairon sonne au pied de nos remparts ! De l’étranger je vois les étendards, Flotter au loin sur la montagne. CHANT Nous avez-vous abandonnés, Anges gardiens de la patrie ? Plaignez-nous si Dieu nous oublie ; S’il se souvient de nous, venez ! J’ai cru sentir trembler la terre. J’ai cru que le ciel répondait, Et, dans un rayon de lumière, Du fond des bois une voix m’appelait. Ce n’est pas une voix humaine : Il m’a semblé qu’elle venait des cieux. Mère du Christ, est-ce la tienne ? As-tu pitié des pleurs qui coulent de mes yeux ? Oui, l’Esprit-Saint m’éclaire ! Je sens d’un Dieu vengeur La force et la colère Descendre dans mon cœur. — En guerre !@alfredDeMusset
Lucie Mes chers amis, quand je mourrai, Plantez un saule au cimetière. J’aime son feuillage éploré ; La pâleur m’en est douce et chère, Et son ombre sera légère À la terre où je dormirai. Un soir, nous étions seuls, j’étais assis près d’elle ; Elle penchait la tête, et sur son clavecin Laissait, tout en rêvant, flotter sa blanche main. Ce n’était qu’un murmure : on eût dit les coups d’aile D’un zéphyr éloigné glissant sur des roseaux, Et craignant en passant d’éveiller les oiseaux. Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques Sortaient autour de nous du calice des fleurs. Les marronniers du parc et les chênes antiques Se berçaient doucement sous leurs rameaux en pleurs. Nous écoutions la nuit ; la croisée entr’ouverte Laissait venir à nous les parfums du printemps ; Les vents étaient muets, la plaine était déserte ; Nous étions seuls, pensifs, et nous avions quinze ans. Je regardais Lucie. – Elle était pâle et blonde. Jamais deux yeux plus doux n’ont du ciel le plus pur Sondé la profondeur et réfléchi l’azur. Sa beauté m’enivrait ; je n’aimais qu’elle au monde. Mais je croyais l’aimer comme on aime une soeur, Tant ce qui venait d’elle était plein de pudeur ! Nous nous tûmes longtemps ; ma main touchait la sienne. Je regardais rêver son front triste et charmant, Et je sentais dans l’âme, à chaque mouvement, Combien peuvent sur nous, pour guérir toute peine, Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur, Jeunesse de visage et jeunesse de coeur. La lune, se levant dans un ciel sans nuage, D’un long réseau d’argent tout à coup l’inonda. Elle vit dans mes yeux resplendir son image ; Son sourire semblait d’un ange : elle chanta. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fille de la douleur, harmonie ! harmonie ! Langue que pour l’amour inventa le génie ! Qui nous vins d’Italie, et qui lui vins des cieux ! Douce langue du coeur, la seule où la pensée, Cette vierge craintive et d’une ombre offensée, Passe en gardant son voile et sans craindre les yeux ! Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire Dans tes soupirs divins, nés de l’air qu’il respire, Tristes comme son coeur et doux comme sa voix ? On surprend un regard, une larme qui coule ; Le reste est un mystère ignoré de la foule, Comme celui des flots, de la nuit et des bois ! – Nous étions seuls, pensifs ; je regardais Lucie. L’écho de sa romance en nous semblait frémir. Elle appuya sur moi sa tête appesantie. Sentais-tu dans ton coeur Desdemona gémir, Pauvre enfant ? Tu pleurais ; sur ta bouche adorée Tu laissas tristement mes lèvres se poser, Et ce fut ta douleur qui reçut mon baiser. Telle je t’embrassai, froide et décolorée, Telle, deux mois après, tu fus mise au tombeau ; Telle, ô ma chaste fleur ! tu t’es évanouie. Ta mort fut un sourire aussi doux que ta vie, Et tu fus rapportée à Dieu dans ton berceau. Doux mystère du toit que l’innocence habite, Chansons, rêves d’amour, rires, propos d’enfant, Et toi, charme inconnu dont rien ne se défend, Qui fis hésiter Faust au seuil de Marguerite, Candeur des premiers jours, qu’êtes-vous devenus ? Paix profonde à ton âme, enfant ! à ta mémoire ! Adieu ! ta blanche main sur le clavier d’ivoire, Durant les nuits d’été, ne voltigera plus… Mes chers amis, quand je mourrai, Plantez un saule au cimetière. J’aime son feuillage éploré ; La pâleur m’en est douce et chère, Et son ombre sera légère À la terre où je dormirai.@alfredDeMusset
Rappelle toi Rappelle-toi, quand l’Aurore craintive Ouvre au Soleil son palais enchanté ; Rappelle-toi, lorsque la nuit pensive Passe en rêvant sous son voile argenté ; A l’appel du plaisir lorsque ton sein palpite, Aux doux songes du soir lorsque l’ombre t’invite, Ecoute au fond des bois Murmurer une voix : Rappelle-toi. Rappelle-toi, lorsque les destinées M’auront de toi pour jamais séparé, Quand le chagrin, l’exil et les années Auront flétri ce coeur désespéré ; Songe à mon triste amour, songe à l’adieu suprême ! L’absence ni le temps ne sont rien quand on aime. Tant que mon coeur battra, Toujours il te dira Rappelle-toi. Rappelle-toi, quand sous la froide terre Mon coeur brisé pour toujours dormira ; Rappelle-toi, quand la fleur solitaire Sur mon tombeau doucement s’ouvrira. Je ne te verrai plus ; mais mon âme immortelle Reviendra près de toi comme une soeur fidèle. Ecoute, dans la nuit, Une voix qui gémit : Rappelle-toi.@alfredDeMusset
Souvenir J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir En osant te revoir, place à jamais sacrée, O la plus chère tombe et la plus ignorée Où dorme un souvenir ! Que redoutiez-vous donc de cette solitude, Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main, Alors qu’une si douce et si vieille habitude Me montrait ce chemin ? Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries, Et ces pas argentins sur le sable muet, Ces sentiers amoureux, remplis de causeries, Où son bras m’enlaçait. Les voilà, ces sapins à la sombre verdure, Cette gorge profonde aux nonchalants détours, Ces sauvages amis, dont l’antique murmure A bercé mes beaux jours. Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse, Comme un essaim d’oiseaux, chante au bruit de mes pas. Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse, Ne m’attendiez-vous pas ? Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères, Ces larmes que soulève un coeur encor blessé ! Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières Ce voile du passé ! Je ne viens point jeter un regret inutile Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur. Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille, Et fier aussi mon coeur. Que celui-là se livre à des plaintes amères, Qui s’agenouille et prie au tombeau d’un ami. Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières Ne poussent point ici. Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages. Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ; Mais du sombre horizon déjà tu te dégages, Et tu t’épanouis. Ainsi de cette terre, humide encor de pluie, Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour : Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie Sort mon ancien amour. Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ? Tout ce qui m’a fait vieux est bien loin maintenant ; Et rien qu’en regardant cette vallée amie Je redeviens enfant. O puissance du temps ! ô légères années ! Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets ; Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées Vous ne marchez jamais. Tout mon coeur te bénit, bonté consolatrice ! Je n’aurais jamais cru que l’on pût tant souffrir D’une telle blessure, et que sa cicatrice Fût si douce à sentir. Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées, Des vulgaires douleurs linceul accoutumé, Que viennent étaler sur leurs amours passées Ceux qui n’ont point aimé ! Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ? Quel chagrin t’a dicté cette parole amère, Cette offense au malheur ? En est-il donc moins vrai que la lumière existe, Et faut-il l’oublier du moment qu’il fait nuit ? Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste, Est-ce toi qui l’as dit ? Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m’éclaire, Ce blasphème vanté ne vient pas de ton coeur. Un souvenir heureux est peut-être sur terre Plus vrai que le bonheur. Eh quoi ! l’infortuné qui trouve une étincelle Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis, Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle Ses regards éblouis ; Dans ce passé perdu quand son âme se noie, Sur ce miroir brisé lorsqu’il rêve en pleurant, Tu lui dis qu’il se trompe, et que sa faible joie N’est qu’un affreux tourment ! Et c’est à ta Françoise, à ton ange de gloire, Que tu pouvais donner ces mots à prononcer, Elle qui s’interrompt, pour conter son histoire, D’un éternel baiser ! Qu’est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine, Et qui pourra jamais aimer la vérité, S’il n’est joie ou douleur si juste et si certaine Dont quelqu’un n’ait douté ? Comment vivez-vous donc, étranges créatures ? Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas ; Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures Ne vous dérangent pas ; Mais, lorsque par hasard le destin vous ramène Vers quelque monument d’un amour oublié, Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine Qu’il vous heurte le pied. Et vous criez alors que la vie est un songe ; Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant, Et vous trouvez fâcheux qu’un si joyeux mensonge Ne dure qu’un instant. Malheureux ! cet instant où votre âme engourdie A secoué les fers qu’elle traîne ici-bas, Ce fugitif instant fut toute votre vie ; Ne le regrettez pas ! Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre, Vos agitations dans la fange et le sang, Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière : C’est là qu’est le néant ! Mais que vous revient-il de vos froides doctrines ? Que demandent au ciel ces regrets inconstants Que vous allez semant sur vos propres ruines, A chaque pas du Temps ? Oui, sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve, Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin, Nous n’avons pas plus tôt ce roseau dans la main, Que le vent nous l’enlève. Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments Que deux êtres mortels échangèrent sur terre, Ce fut au pied d’un arbre effeuillé par les vents, Sur un roc en poussière. Ils prirent à témoin de leur joie éphémère Un ciel toujours voilé qui change à tout moment, Et des astres sans nom que leur propre lumière Dévore incessamment. Tout mourait autour d’eux, l’oiseau dans le feuillage, La fleur entre leurs mains, l’insecte sous leurs pieds, La source desséchée où vacillait l’image De leurs traits oubliés ; Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile, Etourdis des éclairs d’un instant de plaisir, Ils croyaient échapper à cet être immobile Qui regarde mourir ! Insensés ! dit le sage. Heureux dit le poète. Et quels tristes amours as-tu donc dans le coeur, Si le bruit du torrent te trouble et t’inquiète, Si le vent te fait peur? J’ai vu sous le soleil tomber bien d’autres choses Que les feuilles des bois et l’écume des eaux, Bien d’autres s’en aller que le parfum des roses Et le chant des oiseaux. Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres Que Juliette morte au fond de son tombeau, Plus affreux que le toast à l’ange des ténèbres Porté par Roméo. J’ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère, Devenue elle-même un sépulcre blanchi, Une tombe vivante où flottait la poussière De notre mort chéri, De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde, Nous avions sur nos coeurs si doucement bercé ! C’était plus qu’une vie, hélas ! c’était un monde Qui s’était effacé ! Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire, Je l’ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois. Ses lèvres s’entr’ouvraient, et c’était un sourire, Et c’était une voix ; Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage, Ces regards adorés dans les miens confondus ; Mon coeur, encor plein d’elle, errait sur son visage, Et ne la trouvait plus. Et pourtant j’aurais pu marcher alors vers elle, Entourer de mes bras ce sein vide et glacé, Et j’aurais pu crier : » Qu’as-tu fait, infidèle, Qu’as-tu fait du passé? » Mais non : il me semblait qu’une femme inconnue Avait pris par hasard cette voix et ces yeux ; Et je laissai passer cette froide statue En regardant les cieux. Eh bien ! ce fut sans doute une horrible misère Que ce riant adieu d’un être inanimé. Eh bien ! qu’importe encore ? O nature! ô ma mère ! En ai-je moins aimé? La foudre maintenant peut tomber sur ma tête : Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché ! Comme le matelot brisé par la tempête, Je m’y tiens attaché. Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent; Ni ce qu’il adviendra du simulacre humain, Ni si ces vastes cieux éclaireront demain Ce qu’ils ensevelissent. Je me dis seulement : » À cette heure, en ce lieu, Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle. » J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle, Et je l’emporte à Dieu !@alfredDeMusset
Sur trois marches de marbre rose Depuis qu'Adam, ce cruel homme, A perdu son fameux jardin, Où sa femme, autour d'une pomme, Gambadait sans vertugadin, Je ne crois pas que sur la terre Il soit un lieu d'arbres planté Plus célébré, plus visité, Mieux fait, plus joli, mieux hanté, Mieux exercé dans l'art de plaire, Plus examiné, plus vanté, Plus décrit, plus lu, plus chanté, Que l'ennuyeux parc de Versailles. Ô dieux ! ô bergers ! ô rocailles ! Vieux Satyres, Termes grognons, Vieux petits ifs en rangs d'oignons, Ô bassins, quinconces, charmilles ! Boulingrins pleins de majesté, Où les dimanches, tout l'été, Bâillent tant d'honnêtes familles ! Fantômes d'empereurs romains, Pâles nymphes inanimées Qui tendez aux passants les mains, Par des jets d'eau tout enrhumées ! Tourniquets d'aimables buissons, Bosquets tondus où les fauvettes Cherchent en pleurant leurs chansons, Où les dieux font tant de façons Pour vivre à sec dans leurs cuvettes ! Ô marronniers ! n'ayez pas peur ; Que votre feuillage immobile, Me sachant versificateur, N'en demeure pas moins tranquille. Non, j'en jure par Apollon Et par tout le sacré vallon, Par vous, Naïades ébréchées, Sur trois cailloux si mal couchées, Par vous, vieux maîtres de ballets, Faunes dansant sur la verdure, Par toi-même, auguste palais, Qu'on n'habite plus qu'en peinture, Par Neptune, sa fourche au poing, Non, je ne vous décrirai point. Je sais trop ce qui vous chagrine ; De Phoebus je vois les effets : Ce sont les vers qu'on vous a faits Qui vous donnent si triste mine. Tant de sonnets, de madrigaux, Tant de ballades, de rondeaux, Où l'on célébrait vos merveilles, Vous ont assourdi les oreilles, Et l'on voit bien que vous dormez Pour avoir été trop rimés.@alfredDeMusset
Tristesse J'ai perdu ma force et ma vie, Et mes amis et ma gaieté ; J'ai perdu jusqu'à la fierté Qui faisait croire à mon génie. Quand j'ai connu la Vérité, J'ai cru que c'était une amie ; Quand je l'ai comprise et sentie, J'en étais déjà dégoûté. Et pourtant elle est éternelle, Et ceux qui se sont passés d'elle Ici-bas ont tout ignoré. Dieu parle, il faut qu'on lui réponde. Le seul bien qui me reste au monde Est d'avoir quelquefois pleuré.@alphonseDeLamartine
À une fleur séchée dans un album Il m’en souvient, c’était aux plages Où m’attire un ciel du midi, Ciel sans souillure et sans orages, Où j’aspirais sous les feuillages Les parfums d’un air attiédi. Une mer qu’aucun bord n’arrête S’étendait bleue à l’horizon ; L’oranger, cet arbre de fête, Neigeait par moments sur ma tête ; Des odeurs montaient du gazon. Tu croissais près d’une colonne D’un temple écrasé par le temps ; Tu lui faisais une couronne, Tu parais son tronc monotone Avec tes chapiteaux flottants ; Fleur qui décores la ruine Sans un regard pour t’admirer ! Je cueillis ta blanche étamine, Et j’emportai sur ma poitrine Tes parfums pour les respirer. Aujourd’hui, ciel, temple et rivage, Tout a disparu sans retour : Ton parfum est dans le nuage, Et je trouve, en tournant la page, La trace morte d’un beau jour ! 1827, Vingt-hutième méditation@alphonseDeLamartine
L'isolement Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne, Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ; Je promène au hasard mes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds. Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ; Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ; Là le lac immobile étend ses eaux dormantes Où l'étoile du soir se lève dans l'azur. Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres, Le crépuscule encor jette un dernier rayon ; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon. Cependant, s'élançant de la flèche gothique, Un son religieux se répand dans les airs : Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts. Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente N'éprouve devant eux ni charme ni transports ; Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts. De colline en colline en vain portant ma vue, Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant, Je parcours tous les points de l'immense étendue, Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. " Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières, Vains objets dont pour moi le charme est envolé ? Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères, Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! Que le tour du soleil ou commence ou s'achève, D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ; En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève, Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours. Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière, Mes yeux verraient partout le vide et les déserts : Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire ; Je ne demande rien à l'immense univers. Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère, Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux, Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre, Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux ! Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ; Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour, Et ce bien idéal que toute âme désire, Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour ! Que ne puîs-je, porté sur le char de l'Aurore, Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi ! Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ? Il n'est rien de commun entre la terre et moi. Quand là feuille des bois tombe dans la prairie, Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ; Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie : Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !@alphonseDeLamartine
La retraite Aux bords de ton lac enchanté, Loin des sots préjugés que l’erreur déifie, Couvert du bouclier de ta philosophie, Le temps n’emporte rien de ta félicité ; Ton matin fut brillant ; et ma jeunesse envie L’azur calme et serein du beau soir de ta vie ! Ce qu’on appelle nos beaux jours N’est qu’un éclair brillant dans une nuit d’orage, Et rien, excepté nos amours, N’y mérite un regret du sage ; Mais, que dis-je ? on aime à tout âge : Ce feu durable et doux, dans l’âme renfermé, Donne plus de chaleur en jetant moins de flamme ; C’est le souffle divin dont tout l’homme est formé, Il ne s’éteint qu’avec son âme. Etendre son esprit, resserrer ses désirs, C’est là ce grand secret ignoré du vulgaire : Tu le connais, ami ; cet heureux coin de terre Renferme tes amours, tes goûts et tes plaisirs ; Tes vœux ne passent point ton champêtre domaine, Mais ton esprit plus vaste étend son horizon, Et, du monde embrassant la scène, Le flambeau de l’étude éclaire ta raison. Tu vois qu’aux bords du Tibre, et du Nil et du Gange, En tous lieux, en tous temps, sous des masques divers, L’homme partout est l’homme, et qu’en cet univers, Dans un ordre éternel tout passe et rien ne change ; Tu vois les nations s’éclipser tour à tour Comme les astres dans l’espace, De mains en mains le sceptre passe, Chaque peuple a son siècle, et chaque homme a son jour ; Sujets à cette loi suprême, Empire, gloire, liberté, Tout est par le temps emporté, Le temps emporta les dieux même De la crédule antiquité, Et ce que des mortels dans leur orgueil extrême Osaient nommer la vérité. Au milieu de ce grand nuage, Réponds-moi : que fera le sage Toujours entre le doute et l’erreur combattu ? Content du peu de jours qu’il saisit au passage, Il se hâte d’en faire usage Pour le bonheur et la vertu. J’ai vu ce sage heureux ; dans ses belles demeures J’ai goûté l’hospitalité, A l’ombre du jardin que ses mains ont planté, Aux doux sons de sa lyre il endormait les heures En chantant sa félicité. Soyez touché, grand Dieu, de sa reconnaissance. Il ne vous lasse point d’un inutile vœu ; Gardez-lui seulement sa rustique opulence, Donnez tout à celui qui vous demande peu. Des doux objets de sa tendresse Qu’à son riant foyer toujours environné, Sa femme et ses enfants couronnent sa vieillesse, Comme de ses fruits mûrs un arbre est couronné. Que sous l’or des épis ses collines jaunissent ; Qu’au pied de son rocher son lac soit toujours pur ; Que de ses beaux jasmins les ombres s’épaississent ; Que son soleil soit doux, que son ciel soit d’azur, Et que pour l’étranger toujours ses vins mûrissent. Pour moi, loin de ce port de la félicité, Hélas ! par la jeunesse et l’espoir emporté, Je vais tenter encore et les flots et l’orage ; Mais, ballotté par l’onde et fatigué du vent, Au pied de ton rocher sauvage, Ami, je reviendrai souvent Rattacher, vers le soir, ma barque à ton rivage.@alphonseDeLamartine
La vigne et la maison (IV) Efface ce séjour, ô Dieu ! de ma paupière, Ou rends-le-moi semblable à celui d'autrefois, Quand la maison vibrait comme un grand cœur de pierre De tous ces cœurs joyeux qui battaient sous ses toits !@alphonseDeLamartine
Le lac Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ? Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu'elle devait revoir, Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre Où tu la vis s'asseoir ! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés, Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ; On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux.@alphonseDeLamartine
Le lézard Sur les ruines de Rome. Un jour, seul dans le Colisée, Ruine de l’orgueil romain, Sur l’herbe de sang arrosée Je m’assis, Tacite à la main. Je lisais les crimes de Rome, Et l’empire à l’encan vendu, Et, pour élever un seul homme, L’univers si bas descendu. Je voyais la plèbe idolâtre, Saluant les triomphateurs, Baigner ses yeux sur le théâtre Dans le sang des gladiateurs. Sur la muraille qui l’incruste, Je recomposais lentement Les lettres du nom de l’Auguste Qui dédia le monument. J’en épelais le premier signe : Mais, déconcertant mes regards, Un lézard dormait sur la ligne Où brillait le nom des Césars. Seul héritier des sept collines, Seul habitant de ces débris, Il remplaçait sous ces ruines Le grand flot des peuples taris. Sorti des fentes des murailles, Il venait, de froid engourdi, Réchauffer ses vertes écailles Au contact du bronze attiédi. Consul, César, maître du monde, Pontife, Auguste, égal aux dieux, L’ombre de ce reptile immonde Éclipsait ta gloire à mes yeux ! La nature a son ironie Le livre échappa de ma main. Ô Tacite, tout ton génie Raille moins fort l’orgueil humain !@alphonseDeLamartine
Le vallon Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance, N’ira plus de ses vœux importuner le sort ; Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance, Un asile d’un jour pour attendre la mort. Voici l’étroit sentier de l’obscure vallée : Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais, Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée, Me couvrent tout entier de silence et de paix. Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure Tracent en serpentant les contours du vallon ; Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure, Et non loin de leur source ils se perdent sans nom. La source de mes jours comme eux s’est écoulée ; Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour : Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée N’aura pas réfléchi les clartés d’un beau jour. La fraîcheur de leurs lits, l’ombre qui les couronne, M’enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux ; Comme un enfant bercé par un chant monotone, Mon âme s’assoupit au murmure des eaux. Ah ! c’est là qu’entouré d’un rempart de verdure, D’un horizon borné qui suffit à mes yeux, J’aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature, À n’entendre que l’onde, à ne voir que les cieux. J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ; Je viens chercher vivant le calme du Léthé. Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l’on oublie : L’oubli seul désormais est ma félicité. Mon cœur est en repos, mon âme est en silence ; Le bruit lointain du monde expire en arrivant, Comme un son éloigné qu’affaiblit la distance, À l’oreille incertaine apporté par le vent. D’ici je vois la vie, à travers un nuage, S’évanouir pour moi dans l’ombre du passé ; L’amour seul est resté, comme une grande image Survit seule au réveil dans un songe effacé. Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile, Ainsi qu’un voyageur qui, le cœur plein d’espoir, S’assied, avant d’entrer, aux portes de la ville, Et respire un moment l’air embaumé du soir. Comme lui, de nos pieds secouons la poussière ; L’homme par ce chemin ne repasse jamais ; Comme lui, respirons au bout de la carrière Ce calme avant-coureur de l’éternelle paix. Tes jours, sombres et courts comme les jours d’automne, Déclinent comme l’ombre au penchant des coteaux ; L’amitié te trahit, la pitié t’abandonne, Et, seule, tu descends le sentier des tombeaux. Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime ; Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours : Quand tout change pour toi, la nature est la même, Et le même soleil se lève sur tes jours. De lumière et d’ombrage elle t’entoure encore : Détache ton amour des faux biens que tu perds ; Adore ici l’écho qu’adorait Pythagore, Prête avec lui l’oreille aux célestes concerts. Suis le jour dans le ciel, suis l’ombre sur la terre ; Dans les plaines de l’air vole avec l’aquilon ; Avec les doux rayons de l’astre du mystère Glisse à travers les bois dans l’ombre du vallon. Dieu, pour le concevoir, a fait l’intelligence : Sous la nature enfin découvre son auteur ! Une voix à l’esprit parle dans son silence : Qui n’a pas entendu cette voix dans son cœur ?@alphonseDeLamartine
Les voiles Quand j’étais jeune et fier et que j’ouvrais mes ailes, Les ailes de mon âme à tous les vents des mers, Les voiles emportaient ma pensée avec elles, Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers. Je voyais dans ce vague où l’horizon se noie Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin Des continents de vie et des îles de joie Où la gloire et l’amour m’appelaient de la main. J’enviais chaque nef qui blanchissait l’écume, Heureuse d’aspirer au rivage inconnu, Et maintenant, assis au bord du cap qui fume, J’ai traversé ces flots et j’en suis revenu. Et j’aime encor ces mers autrefois tant aimées, Non plus comme le champ de mes rêves chéris, Mais comme un champ de mort où mes ailes semées De moi-même partout me montrent les débris. Cet écueil me brisa, ce bord surgit funeste, Ma fortune sombra dans ce calme trompeur ; La foudre ici sur moi tomba de l’arc céleste Et chacun de ces flots roule un peu de mon coeur.@alphonseDeLamartine
Milly ou la terre natale Pourquoi le prononcer, ce nom de la patrie ? Dans son brillant exil mon cœur en a frémi ; Il résonne de loin dans mon âme attendrie, Comme les pas connus ou la voix d’un ami. Montagnes que voilait le brouillard de l’automne, Vallons que tapissait le givre du matin, Saules dont l’émondeur effeuillait la couronne, Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain, Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide, Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide, Et, leur urne à la main, s’entretenaient du jour, Chaumière où du foyer étincelait la flamme, Toit que le pèlerin aimait à voir fumer; Objets inanimés, avez-vous donc une âme Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?@andreFrenaud
Bon an, Mal an Bon an mal an, bon gré mal gré, bon pied bon œil, toujours pareil, toujours tout neuf, c’est toujours vrai, c’est toujours vain, ça persévère, ça s’exaspère, ça prend son temps, ça va briller, ça s’inscrira, irrémédiable, indescriptible, perdu ravi, malheur gaieté, le pour le contre, la fin la suite, commencement, flamme épineuse, contour changeant, la mort qui tousse, qui se ravive goût du vif, la mort, la joie, l’amour se plaint, le noir afflue, le soleil bas, vaillance atteinte, feu renversé, l’effroi vaincu, ornière blanche, la neige enfouie, les branches vives, bon gré mal gré, fontaine sourde, foudre lointaine, torche écumeuse, tout dénuement, ça vient ça va, ça prend son temps, ça va venir, ça reviendra, bon gré mal gré.@arthurRimbaud
Chanson de la plus haute tour Oisive jeunesse À tout asservie, Par délicatesse J'ai perdu ma vie. Ah! que le temps vienne Où les cœurs s'éprennent. Je me suis dit : laisse, Et qu'on ne te voie : Et sans la promesse De plus hautes joies. Que rien ne t'arrête Auguste retraite.@arthurRimbaud
Ô saisons, ô châteaux Ô saisons ô châteaux, Quelle âme est sans défauts ? Ô saisons, ô châteaux, J'ai fait la magique étude Du Bonheur, que nul n'élude. Ô vive lui, chaque fois Que chante son coq gaulois. Mais ! je n'aurai plus d'envie, Il s'est chargé de ma vie. Ce Charme ! il prit âme et corps. Et dispersa tous efforts. Que comprendre à ma parole ? Il fait qu'elle fuie et vole ! Ô saisons, ô châteaux ! Et, si le malheur m'entraîne, Sa disgrâce m'est certaine. Il faut que son dédain, las ! Me livre au plus prompt trépas ! - Ô Saisons, ô Châteaux !@augusteLacaussade
Le passé ! Happy years ! Once more who would not be a boy ? Byron. Passé, matins riants, bienheureuses années, Candeurs des jours éteints, illusions fanées, Ah ! pour vous ressaisir, vous que nous pleurons tant, Ah ! qui donc ne voudrait redevenir enfant ! Comme ils sont loin déjà, les jours de mon enfance ! La vie en moi s’ouvrait dans sa fleur d’innocence ; De mon être imprégné d’odorante fraîcheur Un parfum printanier montait vers le Seigneur ; Et, tel qu’un arbre en fleur, mon esprit plein de sèves Berçait au vent de Dieu la beauté de ses rêves ! Du chant voilé des eaux, du bruit mourant des bois J’enivrais mon oreille et j’emplissais ma voix ; Ma Muse se baignait, blonde et jeune d’années, Dans les moites senteurs des vertes matinées ; Et l’inspiration au virginal essor Se levait sur mon âme ainsi qu’une aube d’or. Poète, oh ! je l’étais alors ! et mes pensées S’épandaient dans les airs en ondes cadencées, Et, comme un lac au fond des bois mystérieux, Pures, réfléchissaient la pureté des cieux. De la foi sur mes jours brillait encor l’étoile ; Je trouvais Dieu partout sans mystère et sans voile : Je l’entendais parler dans le bruit des roseaux, Je l’entendais chanter dans la voix des oiseaux, Je le sentais passer dans les larges haleines Des brises ondoyant au sein profond des plaines ; Je le voyais sourire et briller plus qu’ailleurs Dans la splendeur de l’astre et la gloire des fleurs ! Et de mon âme ouverte, effusion première, Montait ma poésie en strophes de lumière ; Et, tel que la colombe à l’harmonieux vol, Mon esprit sans effort se détachait du sol Et dans les feux de l’aube, aux voûtes éternelles, N’avait pour s’élever qu’à déployer les ailes ! Mais ces temps ne sont plus ! Sans flamme et sans accords, Je languis désormais sous les chaînes du corps. Mon luth n’a plus de corde où vibre l’espérance ; Ma voix est un sanglot, mon chant, une souffrance ; Et, comme cet arbuste aux larmes d’ambre et d’or, A qui le fer cruel fait saigner son trésor, Trahissant à mes flancs de secrètes morsures, Mes vers ne coulent plus qu’à travers mes blessures ! Et ces vers douloureux, cette amère liqueur, Goutte à goutte, en secret, s’épanchant de mon cœur, Me font plus douce encor la douce poésie Dont s’abreuvait, enfant, ma jeune fantaisie. Et je songe avec pleurs à mon enfance aux bois, A ma lyre facile, à mes chants d’autrefois, A ces jours où, pareils au lys de ma colline, Essaim mélodieux à la voix cristalline, Mes frais pensers, ouvrant leurs ailes de blancheur, D’un naturel essor s’en allaient au Seigneur ! Et je me dis alors, pris du mal de la vie, Et vers mes jours éteints tournant des yeux d’envie : Pour croire et pour aimer, pour prier et chanter, Pour se sentir vers Dieu palpiter et monter, Pour déborder de foi, de sève et de puissance, Pour revêtir d’Abel la robe d’innocence, Pour être fort et pur, candide et triomphant, Ah ! qui donc ne voudrait redevenir enfant !@benjaminPeret
Attendre Meurtri par les grandes plaques de temps l’homme s’avance comme les veines du marbre qui veulent se ménager des yeux dans un torrent où les truites à tête de ventilateur traînent de lourds chariots de mousse de champagne qui noircissent tes cheveux de château fort où la pariétaire n’ose pas s’aventurer de crainte d’être dévorée au-delà de la grande plaine glacière où les dinosaures couvent encore leurs œufs d’où ne sortiront pas de tulipes d’hématite mais des caravanes de hérissons au ventre bleu de crainte d’être avalées par la fontaine d’éclairs de mer engendrée par ton regard où volent d’impalpables papillons de nuit vêtus de gares fermées dont je cherche la clé de signal ouvert sans rien trouver sinon des fers à cheval gelés qui bondissent comme un parapluie dans une oreille et des canards d’orties fraîches graves comme des huîtres.@bironMarlene
Un temps pour comprendre!!! Laisse souffler le vent Vit ta vie au présent Je n'ai plus d'amis comme d'habitude Je me sens seule parfois c'est une certitude Je n'ai plus d'amis qui me console Je n'ai plus d'amis qui me convoque Alors j'écris j'aligne mes consonnes Pour remplacer leurs paroles Ils étaient formidables mais étouffants Ils étaient remarquables, mais inquiétants Tellement vraie m'affirme mon porte- monnaie J'ai fini par comprendre leurs comportements MB de la Martinique@blanchemainDominique
Malédiction Un visage de poussière fine Incruste les brisures du temps Obscur horizon des renoncements Feuillage effacé dans les combles De notre mémoire silencieuse Un regard désespère la cible Les corps s'effondrent dans les brûlots Où se trahissent les voix fragmentées Inintelligibles imprécations Voir la terre glisser dans sa nuit Et sauver ce qui demeure Mars 2017