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Travail

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Poésies de la collection travail

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    Kamal Zerdoumi

    @kamalZerdoumi

    À un grand homme Dans l’empire de l’infiniment petit humble savant blanchi sous le harnais soudaine ta redécouverte d’un remède ancien fait de toi le rival inédit de ton soleil marseillais Le fléau planétaire qui ennemi inconnu nous sidère semble sur le point d’être mis à mort grâce à un homme qui de la recherche a fait son sacerdoce et son Graal Tant pis si dans la capitale l’on râle Didier Raoult « l’iconoclaste «  refuse de se soumettre aux faux dieux de la science Tant pis. Partout dans le monde l’espérance oeuvre de ce mage en blouse blanche parcourt le corps et le cerveau du genre humain

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    K

    Kamal Zerdoumi

    @kamalZerdoumi

    Ecce homo Pour Karl Lagerfeld Toute une vie des secrets messages codés inaccessibles à nos semblables Des lunettes noires pour masquer le regard éviter la rencontre d’autrui avec notre âme qui n’existe pas Consacrer toute sa pensée à un semblant de sens à son séjour terrestre même bancal Donner le change en marchant droit Laisser une trace en faisant défiler la Beauté parée des illusions de ses créations criblée par les flashs avant que ne vienne l’heure

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    Lucie Delarue-Mardrus

    Lucie Delarue-Mardrus

    @lucieDelarueMardrus

    Enseignement Dans ton cœur où survit le sang de tes aînés, Le Nord lugubre aux durs rites enracinés A mêlé le relent des cires catholiques Au multiple bouquet des senteurs bucoliques; Et tes sens douloureux n'oublient pas sans effort Ce goût de cierge éteint qui pleure et fume encor... Songeuse!... Va mêler ton atavisme austère Au renouvellement onctueux de la terre; Que ton pas réfléchi se plaise à fréquenter Les jardins printaniers où mûrira l'été: Et les arbres chargés de flores jusqu'au faîte Qui secouent la saison heureuse sur sa tête, Les oiseaux alternés comme un chœur de pipeaux, L'eau dans l'herbe, le ciel mat et bleu, le repos Des bons après-midi qu'un peu d'ombre tamise, T'apprendront qu'il n'est point d'autre terre promise Que celle où ta jeunesse aimable sent sa chair Encensées au contact des feuilles et de l'air.

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    Maurice Carême

    @mauriceCareme

    Les machines Les machines avaient commencé Par rire comme des enfants Qui semblaient vouloir amuser Les gens de tous les continents. Puis elles avaient tant grandi Qu'elles étaient devenues comme Des adolescents, puis des hommes Précieusement munis d'outils. Enfin, se fiant au silence Et à la morne indifférence De ceux qui en usaient, Elles se mirent lentement A devenir ces lourds géants Qui nous broient dans leurs rets.

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    M

    Michel Ménaché

    @michelMenache

    Le métier qui danse La femme de chambre chaque matin danse avec les draps de lit en capilotade Elle les déploie comme des drapeaux En trois tours de valse elle les roule en boule et s’éclipse avec le panier à linge Et quand elle rentre chez elle elle se laisse tomber sur son lit défait épuisée par tous ces tours sans l’épaule d’un cavalier pour appuyer sa joue et ses rêves

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    Nicolas Boileau

    Nicolas Boileau

    @nicolasBoileau

    Le bûcheron et la mort Le dos chargé de bois, et le corps tout en eau, Un pauvre bûcheron, dans l’extrême vieillesse, Marchait en haletant de peine et de détresse. Enfin, las de souffrir, jetant là son fardeau, Plutôt que de s’en voir accablé de nouveau, II souhaite la Mort, et cent fois il l’appelle. La Mort vint à la fin: Que veux-tu? cria-t-elle. Qui? moi! dit-il alors prompt à se corriger: Que tu m’aides à me charger.

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    Nicolas Boileau

    Nicolas Boileau

    @nicolasBoileau

    À mon jardinier Laborieux valet du plus commode maître Qui pour te rendre heureux ici-bas pouvait naître, Antoine, gouverneur de mon jardin d’Auteuil, Qui diriges chez moi l’if et le chèvrefeuil, Et sur mes espaliers, industrieux génie, Sais si bien exercer l’art de La Quintinie ; Ô ! que de mon esprit triste et mal ordonné, Ainsi que de ce champ par toi si bien orné. Ne puis-je faire ôter les ronces, les épines, Et des défauts sans nombre arracher les racines ! Mais parle : raisonnons. Quand, du matin au soir, Chez moi poussant la bêche, ou portant l’arrosoir, Tu fais d’un sable aride une terre fertile, Et rends tout mon jardin à tes lois si docile ; Que dis-tu de m’y voir rêveur, capricieux, Tantôt baissant le front, tantôt levant les yeux, De paroles dans l’air par élans envolées, Effrayer les oiseaux perchés dans mes allées ? Ne soupçonnes-tu point qu’agité du démon, Ainsi que ce cousin des quatre fils Aimon, Dont tu lis quelquefois la merveilleuse histoire, Je rumine en marchant quelque endroit du grimoire ? Mais non : tu te souviens qu’au village on t’a dit Que ton maître est nommé pour coucher par écrit Les faits d’un roi plus grand en sagesse, en vaillance, Que Charlemagne aidé des douze pairs de France. Tu crois qu’il y travaille, et qu’au long de ce mur Peut-être en ce moment il prend Mons et Namur. Que penserais-tu donc, si l’on t’allait apprendre Que ce grand chroniqueur des gestes d’Alexandre, Aujourd’hui méditant un projet tout nouveau, S’agite, se démène, et s’use le cerveau, Pour te faire à toi-même en rimes insensées Un bizarre portrait de ses folles pensées ? Mon maître, dirais-tu, passe pour un docteur, Et parle quelquefois mieux qu’un prédicateur. Sous ces arbres pourtant, de si vaines sornettes Il n’irait point troubler la paix de ces fauvettes, S’il lui fallait toujours, comme moi, s’exercer, Labourer, couper, tondre, aplanir, palisser, Et, dans l’eau de ces puits sans relâche tirée, De ce sable étancher la soif démesurée. Antoine, de nous deux, tu crois donc, je le vois Que le plus occupé dans ce jardin, c’est toi ? O ! que tu changerais d’avis et de langage, Si deux jours seulement, libre du jardinage, Tout à coup devenu poète et bel esprit, Tu t’allais engager à polir un écrit Qui dît, sans s’avilir, les plus petites choses ; Fît des plus secs chardons des oeillets et des roses ; Et sût même au discours de la rusticité Donner de l’élégance et de la dignité ; Lin ouvrage, en un mot, qui, juste en tous ses termes, Sût plaire à d’Aguesseau, sût satisfaire Termes, Sût, dis-je, contenter, en paraissant au jour, Ce qu’ont d’esprits plus fins et la ville et la cour ! Bientôt de ce travail revenu sec et pâle, Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle, Tu dirais, reprenant ta pelle et ton râteau : J’aime mieux mettre encor cent arpents au niveau, Que d’aller follement, égaré dans les nues, Me lasser à chercher des visions cornues ; Et, pour lier des mots si mal s’entr’accordants, Prendre dans ce jardin la lune avec les dents. Approche donc, et viens : qu’un paresseux t’apprenne, Antoine, ce que c’est que fatigue et que peine. L’homme ici-bas, toujours inquiet et gêné, Est, dans le repos même, au travail condamné. La fatigue l’y suit. C’est en vain qu’aux poètes Les neuf trompeuses soeurs dans leurs douces retraites Promettent du repos sous leurs ombrages frais : Dans ces tranquilles bois pour eux plantés exprès, La cadence aussitôt, la rime, la césure, La riche expression, la nombreuse mesure, Sorcières dont l’amour sait d’abord les charmer, De fatigues sans fin viennent les consumer. Sans cesse poursuivant ces fugitives fées, On voit sous les lauriers haleter les Orphées. Leur esprit toutefois se plaît dans son tourment, Et se fait de sa peine un noble amusement. Mais je ne trouve point de fatigue si rude Que l’ennuyeux loisir d’un mortel sans étude, Qui, jamais ne sortant de sa stupidité, Soutient, dans les langueurs de son oisiveté, D’une lâche indolence esclave volontaire, Le pénible fardeau de n’avoir rien à faire. Vainement offusqué de ses pensers épais, Loin du trouble et du bruit il croit trouver la paix : Dans le calme odieux de sa sombre paresse, Tous les honteux plaisirs, enfants de la mollesse, Usurpant sur son âme un absolu pouvoir, De monstrueux désirs le viennent émouvoir, Irritent de ses sens la fureur endormie, Et le font le jouet de leur triste infamie. Puis sur leurs pas soudain arrivent les remords, Et bientôt avec eux tous les fléaux du corps, La pierre, la colique et les gouttes cruelles ; Guénaud, Rainssant, Brayer, presque aussi tristes qu’elles, Chez l’indigne mortel courent tous s’assembler, De travaux douloureux le viennent accabler ; Sur le duvet d’un lit, théâtre de ses gênes, Lui font scier des rocs, lui font fendre des chênes, Et le mettent au point d’envier ton emploi. Reconnais donc, Antoine, et conclus avec moi, Que la pauvreté mâle, active et vigilante, Est, parmi les travaux, moins lasse et plus contente Que la richesse oisive au sein des voluptés. Je te vais sur cela prouver deux vérités : L’une, que le travail, aux hommes nécessaire, Fait leur félicité plutôt que leur misère ; Et l’autre, qu’il n’est point de coupable en repos. C’est ce qu’il faut ici montrer en peu de mots. Suis-moi donc. Mais je vois, sur ce début de prône, Que ta bouche déjà s’ouvre large d’une aune, Et que, les yeux fermés, tu baisses le menton. Ma foi, le plus sûr est de finir ce sermon. Aussi bien j’aperçois ces melons qui t’attendent, Et ces fleurs qui là-bas entre elles se demandent, S’il est fête au village, et pour quel saint nouveau, On les laisse aujourd’hui si longtemps manquer d’eau. (Epître XI)

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    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    La glaneuse Dans l’encadrement clair de la grand’porte ouverte, Que le géranium tout odorant fleurit De son aigrette rouge et de sa feuille verte, La glaneuse robuste apparaît, et sourit. Debout, le buste droit, la poitrine gonflée Du souffle que dilate et rythme le travail, Elle attend, tout de toile et de laine habillée, Le départ pour les champs des gens et du bétail. Et la cour de la ferme et la longue rangée Des bâtiments, fenils et granges, ont frémi, Aux rustiques rumeurs dont la brise est chargée, Par un matin joyeux d’avoir longtemps dormi. Bonjour à toi, bonjour, à la fois semblent dire Les blés dont la rosée achève le roui; Et les herbes des prés que le vent fait bruire Semblent balbutier un poème inouï. À toi, tout le cristal dont mon eau se fait gloire, Dit le puits. C’est pour toi, c’est pour ton riche amour, Ô reine des moissons, que j’offre et donne à boire, À ton homme, à ta fille, à tes fils, tout le jour. Mais voici que soudain, frappant toutes les choses Et les êtres qu’enchaîne encore le sommeil, Gloire à toi, dit l’Aurore : à toi, toutes mes roses! Femme, à toi, tout mon or, répond le grand Soleil.

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    N

    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Le laboureur Redonne tes bras à la Terre. Que, par l’apport de tes travaux, Elle accomplisse le mystère, Le prodige des blés nouveaux. Aux lointains conseils de l’Ancêtre, Aux ordres clairs de ton pays, Au commandement du grand Maître, En bon serviteur, obéis. Prépare la glèbe. Commence La grande oeuvre où l’on voit s’unir L’homme qui fournit la semence, Et Celui qui vient la bénir. Avant de pousser ta charrue, Et pour prouver ce que tu crois, Homme de Dieu, d’une main drue, Fais un large signe de croix. Et toi, grand Soleil des semailles, Soleil, dans ton ascension, Au rythme des bras qui travaillent, Répands ta bénédiction! La bénédiction sacrée De toute peine et tout amour; La bénédiction qui crée Le pain joyeux de chaque jour; La bénédiction profonde De ces miraculeux rayons Qui font pousser la moisson blonde, À pleins guérets, à pleins sillons. Afin que le champ de l’Ancêtre, Pour toute gloire et tout honneur, De Père en Fils, ne cesse d’être Le plus beau jardin du Seigneur.

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    Patrice Cosnuau

    @patriceCosnuau

    Le plein blues Chevalier sédentaire, écuyer des saisons, Tu fus, en d’autres temps, rebelle créatif Quand, lassé de cueillir, tu imposas ta griffe A notre Terre-Mère. En semant de raison Ce qu’il te fut donné de goûter à foison, Tu défrichas d’abord pour nourrir les natifs Des siècles en chantier, sillon méditatif Qui présente au soleil vitraux et floraisons. La Science, lancée à l’assaut des famines Et griffonnant, plein champ, sa chimique doctrine, Fit passer le paysan à la moulinette. « Tous en ville ! Et qui veut chevaucher sa machine Amassera le blé sans courber trop l’échine ! » Mais où sont les moissons de Jeanne et de Ninette ?

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    Paul Verlaine

    Paul Verlaine

    @paulVerlaine

    Vendanges Les choses qui chantent dans la tête Alors que la mémoire est absente, Ecoutez, c’est notre sang qui chante… O musique lointaine et discrète ! Ecoutez ! c’est notre sang qui pleure Alors que notre âme s’est enfuie, D’une voix jusqu’alors inouïe Et qui va se taire tout à l’heure. Frère du sang de la vigne rose, Frère du vin de la veine noire, O vin, ô sang, c’est l’apothéose ! Chantez, pleurez ! Chassez la mémoire Et chassez l’âme, et jusqu’aux ténèbres Magnétisez nos pauvres vertèbres,

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    Philippe Jaccottet

    Philippe Jaccottet

    @philippeJaccottet

    Le travail du poète L'ouvrage d'un regard d'heure en heure affaibli n'est pas plus de rêver que de former des pleurs, mais de veiller comme un berger et d'appeler tout ce qui risque de se perdre s'il s'endort. * Ainsi, contre le mur éclairé par l'été (mais ne serait-ce pas plutôt par sa mémoire), dans la tranquillité du jour je vous regarde, vous qui vous éloignez toujours plus, qui fuyez, je vous appelle, qui brillez dans l'herbe obscure comme autrefois dans le jardin, voix ou lueurs (nul ne le sait) liant les défunts à l'enfance... (Est-elle morte, telle dame sous le buis, sa lampe éteinte, son bagage dispersé? Ou bien va-t-elle revenir de sous la terre et moi j irais au-devant d elle et je dirais : « Qu'avez-vous fait de tout ce temps qu'on n'entendait ni votre rire ni vos pas dans la ruelle? Fallait-il s'absenter sans personne avertir? ô dame! revenez maintenant parmi nous... ») Dans l'ombre et l'heure d'aujourd'hui se tient cachée, ne disant mot, cette ombre d'hier. Tel est le monde. Nous ne le voyons pas très longtemps : juste assez pour en garder ce qui scintille et va s'éteindre, pour appeler encore et encore, et trembler de ne plus voir. Ainsi s'applique l'appauvri, comme un homme a genoux qu'on verrait s'efforcer contre le vent de rassembler son maigre feu...

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    Pierre Reverdy

    Pierre Reverdy

    @pierreReverdy

    Les travailleurs de la nuit La clochette tinte la nuit sur le trottoir. Les savates claquent pour tout le mystère de luxe inemployé. On ne sait pas où il se cache. Le troupeau, derrière, est silencieux; toutes les bêtes y sont. Elles longent la grille en silence. En face, de larges plaques divisent le mur bariolé. On entend des propos à voix basse et parfois une voix d'enfant s'élève pour chanter. Et c'est la nuit, la vie ardente et silencieuse. Quelqu'un s'arrête de dormir. Un homme seul passe entre les ruisseaux. Tout ce monde inquiet descend la pente de la rue qui les mène dehors. Et tu écoutes derrière la fenêtre basse où filtre un rayon de ta lampe, tu écoutes mourir le bruit. Le jour semble sortir lentement d'un étui.

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Cri perdu Quelqu’un m’est apparu très loin dans le passé : C’était un ouvrier des hautes Pyramides, Adolescent perdu dans ces foules timides Qu’écrasait le granit pour Chéops entassé. Or ses genoux tremblaient ; il pliait, harassé Sous la pierre, surcroît au poids des cieux torrides ; L’effort gonflait son front et le creusait de rides ; Il cria tout à coup comme un arbre cassé. Ce cri fit frémir l’air, ébranla l’éther sombre, Monta, puis atteignit les étoiles sans nombre Où l’astrologue lit les jeux tristes du sort ; Il monte, il va, cherchant les dieux et la justice, Et depuis trois mille ans sous l’énorme bâtisse, Dans sa gloire, Chéops inaltérable dort.

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    Sandrine Davin

    @sandrineDavin

    A cet homme… Des godasses un peu trop grandes Un chapeau de paille, troué Il n’en avait que faire : Sa vie, c’était la terre. Des mains aussi noires qu’un mineur Mais tant d’amour dans le cœur Jamais un mot de travers Il en voulait, à son père. Qui était-il ? Un « Vieux Bonhomme » au regard clair Un homme qui aimait la terre. Les années ont passé, Il a succombé. … « Il n’en avait que faire, Sa vie, c’était la terre ». A mon grand-père.

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    S

    Sandrine Davin

    @sandrineDavin

    La gantière Dans le noir De l’atelier Les doigts en or De grand-mère Cousent Décousent Nuit et jour Pour trois francs Six sous Les doigts s’usent Sous le tissu Dans le noir De l’atelier Le bruit des machines Ecorche les oreilles De grand-mère – Il est bien loin ce temps – Cent ans passés Ma main dans la tienne Je te laisse me raconter ta vie

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    Théodore Agrippa d'Aubigné

    Théodore Agrippa d'Aubigné

    @theodoreAgrippaDaubigne

    Sort inique et cruel ! le triste laboureur Sort inique et cruel ! le triste laboureur Qui s’est arné le dos à suivre sa charrue, Qui sans regret semant la semence menue Prodigua de son temps l’inutile sueur, Car un hiver trop long étouffa son labeur, Lui dérobant le ciel par l’épais d’une nue, Mille corbeaux pillards saccagent à sa vue L’aspic demi pourri, demi sec, demi mort. Un été pluvieux, un automne de glace Font les fleurs, et les fruits joncher l’humide place. A ! services perdus ! A ! vous, promesses vaines ! A ! espoir avorté, inutiles sueurs ! A ! mon temps consommé en glaces et en pleurs. Salaire de mon sang, et loyer de mes peines !

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    Théophile Gautier

    Théophile Gautier

    @theophileGautier

    L’art Oui, l’œuvre sort plus belle D’une forme au travail Rebelle, Vers, marbre, onyx, émail. Point de contraintes fausses ! Mais que pour marcher droit Tu chausses, Muse, un cothurne étroit. Fi du rythme commode, Comme un soulier trop grand, Du mode Que tout pied quitte et prend ! Statuaire, repousse L’argile que pétrit Le pouce, Quand flotte ailleurs l’esprit ; Lutte avec le carrare, Avec le paros dur Et rare, Gardiens du contour pur ; Emprunte à Syracuse Son bronze où fermement S’accuse Le trait fier et charmant ; D’une main délicate Poursuis dans un filon D’agate Le profil d’Apollon. Peintre, fuis l’aquarelle, Et fixe la couleur Trop frêle Au four de l’émailleur. Fais les sirènes bleues, Tordant de cent façons Leurs queues, Les monstres des blasons ; Dans son nimbe trilobe La Vierge et son Jésus, Le globe Avec la croix dessus. Tout passe. – L’art robuste Seul a l’éternité. Le buste Survit à la cité. Et la médaille austère Que trouve un laboureur Sous terre Révèle un empereur. Les dieux eux-mêmes meurent Mais les vers souverains Demeurent Plus forts que les airains. Sculpte, lime, cisèle ; Que ton rêve flottant Se scelle Dans le bloc résistant !

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    Tristan Corbière

    Tristan Corbière

    @tristanCorbiere

    Une mort trop travaillée C'était à peu près un artiste, C'était un poète à peu près S'amusant à prendre le frais En dehors de l'humaine piste. Puis, écœuré de toute envie En équilibre sur la vie Et, ne sachant trop de quel bord... Il se joua, lui contre un mort. Au bac... — Au bac à qui perd gagne Il perdit, ou, comme on voudra Donc, dans trois mois, il se tûra! Pour aller vivre à la campagne ...Trois mois... Ce n'est pas qu'il se pleure.. C'est un avenir à vingt ans, Trois mois pour dorer de bon temps La pilule du grand quart d'heure... Vingt-quatre heures, c'est l'ordinaire, Mais lui faisait tout en flânant Et voulait prendre de l'élan Puisqu'il n'avait qu'un saut à faire — Tant en prit (jusqu'à sa pantoufle, Avant soi voulant tout laver) Qu'enfin il lui restait de souffle, Juste assez pour se le souffler. Or, jusqu'au bout dans ses toilettes Suivant ses instincts élégants, Lâchant la vie avec des gants Prit la mort avec des pincettes. Il fit donc faire en Angleterre Deux fins pistolets de Menton, L'un, pour s'appuyer au menton Et l'autre pour faire la paire. Le pistolet, c'est un peu bête — Outil presque médicinal — Mais, pour lui, ça n'allait pas mal Qui manquait de plomb dans la tête. Et, ma foi, pour se fondre l'âme, C'est aussi neuf que le poison, C'est aussi chaud que le charbon Ou que le creuset d'une femme! C'est une affaire de calibre, De goût, de dégoût ou d'argent — Laissons-le donc trois mois chargeant Ses pistolets. — Il est bien libre. — Et puis, quels bijoux que ces armes En acier mat, un peu trop sec. Ça donnait un froid non sans charmes, Frisson chaud à coucher avec! Il les avait fait faire exprès, Voulant dans son suprême excès Que ce fût une bouche vierge Qui lui mouchât son dernier cierge. Il avait fait graver son nom En spirale sur le canon, Et comme autour d'un mirliton Cet aphorisme simple et sage En vers que je vous transcris tels : « Ici, ce qui manque aux mortels Pour savoir mourir, c'est l'usage. Ces pistolets sont une pose. Eh bien posez comme il posa. Allez, bourgeois, c'est quelque chote De poser encor devant ça I — ». II écrivit à sa maîtresse, Comme on le fait en pareil cas... — Et même quand on n'en a pas Alors, c'est « Àmanda » l'adresse — Lui pour que sans pleurer ni rire, elle chantât Il lui mit ça sur l'air de « J'ai du bon tabac » Mon rat, « Lis-moi jusqu'au bout, lis ça comme un conte. Je me suis tué pour tuer le temps. Je te lègue tout : comme fin de compte Je laisse après moi : vingt ans, dont 20 francs. t Puis ces pistolets : l'un dans ta ruelle Avec mon amour, au mur accroché, Comm objet d'art et, que lui soit fidèle À ce dernier feu que j'aurai lâché. « L'autre encor chargé, mets-le dans ma boîte, Réveille-matin réglé pour ma nuit, Dans cette couchette un peu trop étroite Pour mettre au pied ma descente de lit. « Si tu m'as aimé, ne ris pas ma Belle, Je ne me fais pas, va, d'illusions. Mais j'étais très mâle et toi très femelle Et tu m'as aimé... par convulsions. « Si tu m'as aimé, qu'allais-je donc dire, Te donner peut-être des rendez-vous? Tiens, je ris par chic, je veux, je veux rire!... Eh bien ! viens pendant qu'on mettra les clous. » Il se demanda si son âme Allait crever comme un abcès Ou s'éteindre comme une flamme, Puis il se dit : Eh bien! après? Le moment venu (faiblesse physique; Il s'ingurgita (c'est assez petit) Un cruchon de rhum, toni-viatique, Pour se mettre enfin plus en appétit — Il se mit devant son armoire à glace (Chez le photographe il n'eût pas fait mieux) Pour se voir un peu tomber avec grâce, Se jetant encor de la poudre aux yeux. Froid et brûlant baiser, il colla sur sa bouche La bouche où son dernier soupir est arrêté!... Il tombe, le coup part, suivi d'un éclair louche Et' la charge... Excellente; il s'est juste raté! MORALE Drôle de balle et drôle pistolet! Il en porte aujourd'hui les marques : D est marchand de contremarques À la porte du Châtelet. Done Madame, une nuit, un jour que j'étais ivre Peut-être ivre de vous, j'ai voulu faire un livre Et je prends un crayon, j'écris sur mes genoux, Sur le vôtre peut-être — enfin c'est bien à vou? Et je puis, par raccroc, qui sait, être un génie Ou bien un , enfin toute ma vie J'ai le droit de me taire et tout ce qui s'ensuit Je puis être bête à m'en réveiller la nuit. Mais va, j'avais toujours dans mon drôle de bvr« Un joli trait bizarre, un coup de crayon

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Je travaille Amis, je me remets à travailler ; j'ai pris Du papier sur ma table, une plume, et j'écris ; J'écris des vers, j'écris de la prose ; je songe. Je fais ce que je puis pour m'ôter du mensonge, Du mal, de l'égoïsme et de l'erreur ; j'entends Bruire en moi le gouffre obscur des mots flottants ; Je travaille. Ce mot, plus profond qu'aucun autre, Est dit par l'ouvrier et redit par l'apôtre ; Le travail est devoir et droit, et sa fierté C'est d'être l'esclavage étant la liberté. Le forçat du devoir et du travail est libre. Mais quoi ! penseur, tu vas remettre en équilibre Au fond de ton esprit, qu'occupaient d'autres soins, L'idée avec le mot, le plus avec le moins ! De la prose ! pourquoi ? des vers ! pourquoi ? des rimes ! Des phrases ! A quoi bon ? A quoi bon les abîmes, Les mystères, la vie et la mort, les secrets De la croissance étrange et sombre des forêts Et des peuples, et l'ombre où croulent les empires, Et toute cette énigme humaine où les Shakspeares Plongeaient, et que fouillaient, les yeux tout grands ouverts, Tacite avec sa prose et Dante avec son vers ? A quoi bon la beauté, l'art, la forme, le style ? Lucrèce et le spondée, Horace et le dactyle, Et tous ces arrangeurs de mètres et de mots, Pindare, Eschyle, Job, Plaute, Isaïe, Amos ? A quoi bon ce qui fait l'homme grand sur la terre ? Ceux qui parlent ainsi feraient mieux de se taire ; Je connais dès longtemps leur vaine objection. L'art est la roue immense, et j'en suis l'Ixion. Je travaille. A quoi ? Mais... à tout ; car la pensée Est une vaste porte à chaque instant poussée Par ces passants qu'on nomme Honneur, Devoir, Raison, Deuil, et qui tous ont droit d'entrer dans la maison. Je regarde là-haut le jour éternel poindre ; A qui voit plus de ciel la terre semble moindre ; J'offre aux morts, dans mon âme en proie au choc des vents, Leur souvenir accru de l'oubli des vivants. Oui, je travaille, amis ! oui, j'écris, oui, je pense ! L'apaisement superbe étant la récompense De l'homme qui, saignant, et calme néanmoins, Tâche de songer plus afin de souffrir moins. Le souffle universel m'enveloppe et me gagne. Le lointain avenir, lueur de la montagne, M'apparaît par-dessus tous les noirs horizons. C'est par ces rêves-là que nous nous redressons ! Ô frisson du songeur qui redevient prophète ! Le travail, cette chose inexprimable, faite De vertige, d'effort, de joug, de volonté, Vient quand nous l'appelons, nous jette une clarté Subite, et verse en nous tous les généreux zèles, Et, docile, ardent, fier, ouvrant de brusques ailes, Écartant les douleurs ainsi que des rameaux, Nous emporte à travers l'infini, loin des maux, Loin de la terre, loin du malheur, loin du vice, Comme un aigle qu'on a dans l'ombre à son service.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le travail des captifs Dieu dit au roi : — Je suis ton Dieu. Je veux un temple. C'est ainsi, dans l'azur où l'astre le contemple, Que Dieu parla ; du moins le prêtre l'entendit. Et le roi vint trouver les captifs, et leur dit : — En est-il un de vous qui sache faire un temple ? — Non, dirent-ils — J'en vais tuer cent pour [l'exemple, Dit le roi. Dieu demande un temple en son courroux. Ce que Dieu veut du roi, le roi le veut de vous. C'est juste. C'est pourquoi l'on fit mourir cent hommes. Alors un des captifs cria : — Sire, nous sommes Convaincus. Faites-nous, roi, dans les environs, Donner une montagne, et nous la creuserons. — Une caverne ? dit le roi. — Roi qui gouvernes, Dieu ne refuse point d'entrer dans les cavernes, Dit l'homme, et ce n'est pas une rébellion Que faire un temple à Dieu de l'antre du lion. — Faites, dit le roi. L'homme eut donc une montagne, Et les captifs, traînant les chaînes de leur bagne, Se mirent à creuser ce mont, nommé Galgal ; Et l'homme était leur chef, bien qu'il fût leur égal ; Mais dans la servitude, ombre où rien ne pénètre, On a pour chef l'esclave à qui parle le maître. Ils creusèrent le mont Galgal profondément. Quand ils eurent fini, l'homme dit : — Roi clément, Vos prisonniers ont fait ce que le ciel désire ; Mais ce temple est à vous avant d'être à Dieu, sire ; Que votre Eternité daigne venir le voir. — J'y consens, répondit le roi. — Notre devoir, Reprit l'humble captif prosterné sur les dalles, Est d'adorer la cendre où marchent vos sandales ; Quand vous plaît-il de voir notre œuvre ? — Sur-le- [champ. Alors le maître et l'homme, à ses pieds se couchant, Furent mis sous un dais sur une plate-forme ; Un puits était bouché par une pierre énorme, La pierre fut levée, un câble hasardeux Soutint les quatre coins du trône, et tous les deux Descendirent au fond du puits, unique entrée De la montagne à coups de pioches éventrée. Quand ils furent en bas, le prince s'étonna. — C'est de cette façon qu'on entre dans l'Etna, C'est ainsi qu'on pénètre au trou de la Sibylle, C'est ainsi qu'on aborde à l'Hadès immobile, Mais ce n'est pas ainsi qu'on arrive au saint lieu. — Qu'on monte ou qu'on descende, on va toujours à [Dieu, Dit l'architecte ayant comme un forçat la marque ; 0 roi, soyez ici le bienvenu, monarque Qui, parmi les plus grands et parmi les premiers, Rayonnez, comme un cèdre au milieu des palmiers Règne, et comme Pathmos brille entre les Sporades. — Qu'est ce bruit ? dit le roi. — Ce sont mes [camarades Qui laissent retomber le couvercle du puits. — Mais nous ne pourrons plus sortir. — Rois, vos [appuis Sont les astres, ô prince, et votre cimeterre Fait reculer la foudre, et vous êtes sur terre Le soleil, comme au ciel le soleil est le roi. Que peut craindre ici-bas votre hautesse ? — Quoi ! Plus d'issue ! — 0 grand roi, roi sublime, [qu'importe ? Vous êtes l'homme à qui Dieu même ouvre la porte. Alors le roi cria : — Plus de jour, plus de bruit, Tout est noir, je ne vois plus rien. Pourquoi la nuit Est-elle dans ce temple ainsi qu'en une cave ? Pourquoi ? — Parce que c'est ta tombe, dit l'esclave.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

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    Les griffonnages de l’écolier Charle a fait des dessins sur son livre de classe. Le thème est fatigant au point, qu’étant très lasse, La plume de l’enfant n’a pu se reposer Qu’en faisant ce travail énorme : improviser Dans un livre, partout, en haut, en bas, des fresques, Comme on en voit aux murs des alhambras moresques, Des taches d’encre, ayant des aspects d’animaux, Qui dévorent la phrase et qui rongent les mots, Et, le texte mangé, viennent mordre les marges. Le nez du maître flotte au milieu de ces charges. Troublant le clair-obscur du vieux latin toscan, Dans la grande satire où Rome est au carcan, Sur César, sur Brutus, sur les hautes mémoires, Charle a tranquillement dispersé ses grimoires. Ce chevreau, le caprice, a grimpé sur les vers. Le livre, c’est l’endroit ; l’écolier, c’est l’envers. Sa gaîté s’est mêlée, espiègle, aux stigmates Du vengeur qui voulait s’enfuir chez les Sarmates. Les barbouillages sont étranges, profonds, drus. Les monstres ! Les voilà perchés, l’un sur Codrus, L’autre sur Néron. L’autre égratigne un dactyle. Un pâté fait son nid dans les branches du style. Un âne, qui ressemble à monsieur Nisard, brait, Et s’achève en hibou, dans l’obscure forêt ; L’encrier sur lui coule, et, la tête inondée De cette pluie, il tient dans sa patte un spondée. Partout la main du rêve a tracé le dessin ; Et c’est ainsi qu’au gré de l’écolier, l’essaim Des griffonnages, horde hostile aux belles-lettres, S’est envolé parmi les sombres hexamètres. Jeu ! songe ! on ne sait quoi d’enfantin, s’enlaçant Au poème, lui donne un ineffable accent, Commente le chef-d’œuvre, et l’on sent l’harmonie D’une naïveté complétant un génie. C’est un géant ayant sur l’épaule un marmot. Charle invente une fleur qu’il fait sortir d’un mot, Ou lâche un farfadet ailé dans la broussaille Du rythme effarouché qui s’écarte et tressaille. Un rond couvre une page. Est-ce un dôme ? est-ce un œuf ? Une belette en sort qui peut-être est un bœuf. Le gribouillage règne, et sur chaque vers, pose Les végétations de la métamorphose. Charle a sur ce latin fait pousser un hallier. Grâce à lui, ce vieux texte est un lieu singulier Où le hasard, l’ennui, le lazzi, la rature, Dressent au second plan leur vague architecture. Son encre a fait la nuit sur le livre étoilé. Et pourtant, par instants, ce noir réseau brouillé, À travers ses rameaux, ses porches, ses pilastres, Laisse passer l’idée et laisse voir les astres. C’est de cette façon que Charle a travaillé Au dur chef-d’œuvre antique, et qu’au bronze rouillé Il a plaqué le lierre, et dérangé la masse Du masque énorme avec une folle grimace. Il s’est bien amusé. Quel bonheur d’écolier ! Traiter un fier génie en monstre familier ! Être avec ce lion comme avec un caniche ! Aux pédants, groupe triste et laid, faire une niche ! Rendre agréable aux yeux, réjouissant, malin, Un livre estampillé par monsieur Delalain ! Gai, bondir à pieds joints par-dessus un poème ! Charle est très satisfait de son œuvre, et lui-même, — L’oiseau voit le miroir et ne voit pas la glu — Il s’admire. Un guetteur survient, homme absolu. Dans son œil terne luit le pensum insalubre ; Sa lèvre aux coins baissés porte en son pli lugubre Le rudiment, la loi, le refus des congés, Et l’auguste fureur des textes outragés. L’enfance veut des fleurs ; on lui donne la roche. Hélas ! c’est le censeur du collège. Il approche, Jette au livre un regard funeste, et dit, hautain : — Fort bien. Vous copierez mille vers ce matin Pour manque de respect à vos livres d’étude. — Et ce geôlier s’en va, laissant là ce Latude. Or c’est précisément la récréation. Être à neuf ans Tantale, Encelade, Ixion ! Voir autrui jouer ! Être un banni, qu’on excepte ! Tourner du châtiment la manivelle inepte ! Soupirer sous l’ennui, devant les cieux ouverts, Et sous cette montagne affreuse, mille vers ! Charles sanglote, et dit : — Ne pas jouer aux barres ! Copier du latin ! Je suis chez les barbares. — C’est midi ; le moment où sur l’herbe on s’assied, L’heure sainte où l’on doit sauter à cloche-pied ; L’air est chaud, les taillis sont verts, et la fauvette S’y débarbouille, ayant la source pour cuvette ; La cigale est là-bas qui chante dans le blé. L’enfant a droit aux champs. Charles songe accablé Devant le livre, hélas, tout noirci par ses crimes. Il croit confusément ouïr gronder les rimes D’un Boileau, qui s’entrouvre et bâille à ses côtés ; Tous ces bouquins lui font l’effet d’être irrités. Aucun remords pourtant. Il a la tête haute. Ne sentant pas de honte, il ne voit pas de faute. — Suis-je donc en prison ? Suis-je donc le vassal De Noël, lâchement aggravé par Chapsal ? Qu’est-ce donc que j’ai fait ? — Triste, il voit passer l’heure De la joie. Il est seul. Tout l’abandonne. Il pleure. Il regarde, éperdu, sa feuille de papier. Mille vers ! Copier ! Copier ! Copier ! Copier ! Ô pédant, c’est là ce que tu tires Du bois où l’on entend la flûte des satyres, Tyran dont le sourcil, sitôt qu’on te répond, Se fronce comme l’onde aux arches d’un vieux pont ! L’enfance a dès longtemps inventé dans sa rage La charrue à trois socs pour ce dur labourage. — Allons ! dit-il, trichons les pions déloyaux ! — Et, farouche, il saisit sa plume à trois tuyaux. Soudain du livre immense une ombre, une âme, un homme Sort, et dit : — Ne crains rien, mon enfant. Je me nomme Juvénal. Je suis bon. Je ne fais peur qu’aux grands. — Charles lève ses yeux pleins de pleurs transparents, Et dit : — Je n’ai pas peur. — L’homme, pareil aux marbres, Reprend, tandis qu’au loin on entend sous les arbres Jouer les écoliers, gais et de bonne foi : — Enfant, je fus jadis exilé comme toi, Pour avoir comme toi barbouillé des figures. Comme toi les pédants, j’ai fâché les augures. Élève de Jauffret que jalouse Massin, Voyons ton livre. — Il dit, et regarde un dessin Qui n’a pas trop de queue et pas beaucoup de tête. — Qu’est-ce que c’est que ça ? — Monsieur, c’est une bête. — Ah ! tu mets dans mes vers des bêtes ! Après tout Pourquoi pas ? puisque Dieu, qui dans l’ombre est debout, En met dans les grands bois et dans les mers sacrées. Il tourne une autre page, et se penche : — Tu crées. Qu’est ceci ? Ca m’a l’air fort beau, quoique tortu. — Monsieur, c’est un bonhomme. — Un bonhomme, dis-tu ? Eh bien, il en manquait justement un. Mon livre Est rempli de méchants. Voir un bonhomme vivre Parmi tous ces gens-là me plaît. Césars bouffis, Rangez-vous ! ce bonhomme est dieu. Merci, mon fils. — Et, d’un doigt souverain, le voilà qui feuillette Nisard, l’âne, le nez du maître, la belette Qui peut-être est un bœuf, les dragons, les griffons, Les pâtés d’encre ailés, mêlés aux vers profonds, Toute cette gaîté sur son courroux éparse, Et Juvénal s’écrie ébloui : — C’est très farce ! Ainsi, la grande sœur et la petite sœur, Ces deux âmes, sont là, jasant ; et le censeur, Obscur comme minuit et froid comme décembre, Serait bien étonné, s’il entrait dans la chambre, De voir sous le plafond du collège étouffant, Le vieux poète rire avec le doux enfant. 12 septembre.

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    Voltaire

    Voltaire

    @voltaire

    À Monsieur le comte Algarotti Lorsque ce grand courrier de la philosophie, Condamine l’observateur, De l’Afrique au Pérou conduit par Uranie, Par la gloire, et par la manie, S’en va griller sous l’équateur, Maupertuis et Clairaut, dans leur docte fureur, Vont geler au pôle du monde. Je les vois d’un degré mesurer la longueur, Pour ôter au peuple rimeur Ce beau nom de machine ronde, Que nos flasques auteurs, en chevillant leurs vers, Donnaient à l’aventure à ce plat univers. Les astres étonnés, dans leur oblique course, Le grand, le petit Chien, et le Cheval, et l’Ourse, Se disent l’un à l’autre, en langage des cieux :  » Certes, ces gens sont fous, ou ces gens sont les dieux. «  Et vous, Algarotti, vous, cygne de Padoue, Élève harmonieux du cygne de Mantoue, Vous allez donc aussi, sous le ciel des frimas, Porter, en grelottant, la lyre et le compas, Et, sur des monts glacés traçant des parallèles, Faire entendre aux Lapons vos chansons immortelles ? Allez donc, et du pôle observé, mesuré, Revenez aux Français apporter des nouvelles. Cependant je vous attendrai, Tranquille admirateur de votre astronomie, Sous mon méridien, dans les champs de Cirey, N’observant désormais que l’astre d’Émilie. Échauffé par le feu de son puissant génie, Et par sa lumière éclairé, Sur ma lyre je chanterai Son âme universelle autant qu’elle est unique ; Et j’atteste les cieux, mesurés par vos mains, Que j’abandonnerais pour ses charmes divins L’équateur et le pôle arctique.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Les usines Se regardant avec les yeux cassés de leurs fenêtres Et se mirant dans l'eau de poix et de salpêtre D'un canal droit, marquant sa barre à l'infini, Face à face, le long des quais d'ombre et de nuit, Par à travers les faubourgs lourds Et la misère en pleurs de ces faubourgs, Ronflent terriblement usine et fabriques.

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