Tout a son lent travail De secrète combustion
la lampe a vu tous les enfants naître
dans la pénombre de la chambre
aujourd'hui disparue
elle a veillé leur première nuit
comme veille
dans le haut miroir du temps
l'image paisible de l'aïeule
quel drame joue la lumière sur la scène de l'ombre
quel drame continue de jouer l'ombre sur la scène de la lumière
avant de s'en retourner à sa vraie demeure
il y a 9 mois
André Chénier
@andreChenier
La Liberté Un chevrier, un berger
Le chevrier
Berger, quel es-tu donc? qui t’agite? et quels dieux
De noirs cheveux épars enveloppent tes yeux?
LE BERGER
Blond pasteur de chevreaux, oui, tu veux me l’apprendre:
Oui, ton front est plus beau, ton regard est plus tendre.
LE CHEVRIER
Quoi! tu sors de ces monts où tu n’as vu que toi,
Et qu’on n’approche point sans peine et sans effroi?
LE BERGER
Tu te plais mieux sans doute au bois, à la prairie;
Tu le peux. Assieds-toi parmi l’herbe fleurie:
Moi, sous un antre aride, en cet affreux séjour,
Je me plais sur le roc à voir passer le jour.
LE CHEVRIER
Mais Cérès a maudit cette terre âpre et dure;
Un noir torrent pierreux y roule une onde impure;
Tous ces rocs, calcinés sous un soleil rongeur,
Brûlent et font hâter les pas du voyageur.
Point de fleurs, point de fruits, nul ombrage fertile
N’y donne au rossignol un balsamique asile.
Quelque olivier au loin, maigre fécondité,
Y rampe et fait mieux voir leur triste nudité.
Comment as-tu donc su d’herbes accoutumées
Nourrir dans ce désert tes brebis affamées?
LE BERGER
Que m’importe! est-ce à moi qu’appartient ce troupeau?
Je suis esclave.
LE CHEVRIER
Au moins un rustique pipeau
A-t-il chassé l’ennui de ton rocher sauvage?
Tiens, veux-tu cette flûte? Elle fut mon ouvrage.
Prends: sur ce buis, fertile en agréables sons,
Tu pourras des oiseaux imiter les chansons.
LE BERGER
Non, garde tes présents. Les oiseaux de ténèbres,
La chouette et l’orfraie, et leurs accents funèbres,
Voilà les seuls chanteurs que je veuille écouter;
Voilà quelles chansons je voudrais imiter.
Ta flûte sous mes pieds serait bientôt brisée:
Je hais tous vos plaisirs. Les fleurs et la rosée,
Et de vos rossignols les soupirs caressants,
Rien ne plaît à mon coeur, rien ne flatte mes sens.
Je suis esclave.
LE CHEVRIER
Hélas! que je te trouve à plaindre!
Oui, l’esclavage est dur; oui, tout mortel doit craindre
De servir, de plier sous une injuste loi,
De vivre pour autrui, de n’avoir rien à soi.
Protège-moi toujours, ô liberté chérie!
O mère des vertus, mère de la patrie!
LE BERGER
Va, patrie et vertu ne sont que de vains noms.
Toutefois tes discours sont pour moi des affronts:
Ton prétendu bonheur et m’afflige et me brave;
Comme moi, je voudrais que tu fusses esclave.
LE CHEVRIER
Et moi, je te voudrais libre, heureux comme moi.
Mais les dieux n’ont-ils point de remède pour toi?
Il est des baumes doux, des lustrations pures
Qui peuvent de notre âme assoupir les blessures,
Et de magiques chants qui tarissent les pleurs.
LE BERGER
Il n’en est point; il n’est pour moi que des douleurs:
Mon sort est de servir, il faut qu’il s’accomplisse.
Moi, j’ai ce chien aussi qui tremble à mon service;
C’est mon esclave aussi. Mon désespoir muet
Ne peut rendre qu’à lui tous les maux qu’on me fait.
LE CHEVRIER
La terre, notre mère, et sa douce richesse,
Ne peut-elle, du moins, égayer ta tristesse?
Vois combien elle est belle! et vois l’été vermeil,
Prodigue de trésors, brillants fils du soleil,
Qui vient, fertile amant d’une heureuse culture,
Varier du printemps l’uniforme verdure;
Vois l’abricot naissant, sous les yeux d’un beau ciel,
Arrondir son fruit doux et blond comme le miel;
Vois la pourpre des fleurs dont le pêcher se pare
Nous annoncer l’éclat des fruits qu’il nous prépare.
Au bord de ces prés verts regarde ces guérets,
De qui les blés touffus, jaunissantes forêts,
Du joyeux moissonneur attendent la faucille.
D’agrestes déités quelle noble famille!
La Récolte et la Paix, aux yeux purs et sereins,
Les épis sur le front, les épis dans les mains,
Qui viennent, sur les pas de la belle Espérance,
Verser la corne d’or où fleurit l’abondance.
LE BERGER
Sans doute qu’à tes yeux elles montrent leurs pas;
Moi, j’ai des yeux d’esclave, et je ne les vois pas.
Je n’y vois qu’un sol dur, laborieux, servile,
Que j’ai, non pas pour moi, contraint d’être fertile;
Où, sous un ciel brûlant, je moissonne le grain
Qui va nourrir un autre, et me laisse ma faim.
Voilà quelle est la terre. Elle n’est point ma mère,
Elle est pour moi marâtre; et la nature entière
Est plus nue à mes yeux, plus horrible à mon coeur
Que ce vallon de mort qui te fait tant d’horreur.
LE CHEVRIER
Le soin de tes brebis, leur voix douce et paisible,
N’ont-ils donc rien qui plaise à ton âme insensible?
N’aimes-tu point à voir les jeux de tes agneaux?
Moi, je me plais auprès de mes jeunes chevreaux;
Je m’occupe à leurs jeux, j’aime leur voix bêlante;
Et quand sur la rosée et sur l’herbe brillante
Vers leur mère en criant je les vois accourir,
Je bondis avec eux de joie et de plaisir.
LE BERGER
Ils sont à toi: mais moi, j’eus une autre fortune;
Ceux-ci de mes tourments sont la cause importune
Deux fois, avec ennui, promenés chaque jour,
Un maître soupçonneux nous attend au retour
Rien ne le satisfait: ils ont trop peu de laine;
Ou bien ils sont mourants, ils se traînent à peine;
En un mot, tout est mal. Si le loup quelquefois
En saisit un, l’emporte et s’enfuit dans les bois,
C’est ma faute; il fallait braver ses dents avides.
Je dois rendre les loups innocents et timides!
Et puis, menaces, cris, injure, emportements,
Et lâches cruautés qu’il nomme châtiments.
LE CHEVRIER
Toujours à l’innocent les dieux sont favorables:
Pourquoi fuir leur présence, appui des misérables?
Autour de leurs autels, parés de nos festons,
Que ne viens-tu danser, offrir de simples dons,
Du chaume, quelques fleurs, et, par ces sacrifices,
Te rendre Jupiter et les nymphes propices?
LE BERGER
Non; les danses, les jeux, les plaisirs des bergers
Sont à mon triste coeur des plaisirs étrangers.
Que parles-tu de dieux, de nymphes et d’offrandes?
Moi, je n’ai pour les dieux ni chaume ni guirlandes;
Je les crains, car j’ai vu leur foudre et leurs éclairs;
Je ne les aime pas: ils m’ont donné des fers.
LE CHEVRIER
Eh bien, que n’aimes-tu? Quelle amertume extrême
Résiste aux doux souris d’une vierge qu’on aime?
L’autre jour, à la mienne, en ce bois fortuné,
Je vins offrir le don d’un chevreau nouveau-né.
Son oeil tomba sur moi, si doux, si beau, si tendre!…
Sa voix prit un accent!… Je crois toujours l’entendre.
LE BERGER
Eh! quel oeil virginal voudrait tomber sur moi?
Ai-je, moi, des chevreaux à donner comme toi?
Chaque jour, par ce maître inflexible et barbare,
Mes agneaux sont comptés avec un soin avare.
Trop heureux quand il daigne à mes cris superflus
N’en pas redemander plus que je n’en reçus!
O juste Némésis! si jamais je puis être
Le plus fort à mon tour, si je puis me voir maître,
Je serai dur, méchant, intraitable, sans foi,
Sanguinaire, cruel, comme on l’est avec moi!
LE CHEVRIER
Et moi, c’est vous qu’ici pour témoins j’en appelle,
Dieux! de mes serviteurs la cohorte fidèle
Me trouvera toujours humain, compatissant,
A leurs justes désirs facile et complaisant,
Afin qu’ils soient heureux et qu’ils aiment leur maître
Et bénissent en paix l’instant qui les vit naître.
LE BERGER
Et moi, je le maudis, cet instant douloureux
Qui me donna le jour pour être malheureux;
Pour agir quand un autre exige, veut, ordonne;
Pour n’avoir rien à moi, pour ne plaire à personne;
Pour endurer la faim, quand ma peine et mon deuil
Engraissent d’un tyran l’indolence et l’orgueil.
LE CHEVRIER
Berger infortuné! ta plaintive détresse
De ton coeur dans le mien fait passer la tristesse.
Vois cette chèvre mère et ces chevreaux, tous deux
Aussi blancs que le lait qu’elle garde pour eux;
Qu’ils aillent avec toi, je te les abandonne.
Adieu, puisse du moins ce peu que je te donne
De ta triste mémoire effacer tes malheurs,
Et, soigné par tes mains, distraire tes douleurs!
LE BERGER
Oui, donne et sois maudit; car, si j’étais plus sage,
Ces dons sont pour mon coeur d’un sinistre présage:
De mon despote avare ils choqueront les yeux.
Il ne croit pas qu’on donne; il est fourbe, envieux;
Il dira que chez lui j’ai volé le salaire
Dont j’aurai pu payer les chevreaux et la mère;
Et, d’un si bon prétexte ardent à se servir,
C’est à moi que lui-même il viendra les ravir.
(Commencé le vendredi au soir 16, et fini le dimanche au soir, 18 mars 1787.)
il y a 9 mois
A
Aristide Bruant
@aristideBruant
Le Chat noir La lune était sereine
Quand sur le boulevard,
Je vis poindre Sosthène
Qui me dit : Cher Oscar !
D’ou viens-tu, vieille branche ?
Moi, je lui répondis :
C’est aujourd’hui dimanche,
Et c’est demain lundi...
Refrain
Je cherche fortune,
Autour du Chat Noir,
Au clair de la lune,
À Montmartre !
Je cherche fortune ;
Autour du Chat Noir,
Au clair de la lune,
À Montmartre, le soir.
La lune était moins claire,
Lorsque je rencontrai
Mademoiselle Claire
À qui je murmurai :
Comment vas-tu, la belle ?
– Et Vous ? – Très bien, merci.
– À propos, me dit-elle,
Que cherchez-vous, ici ?
(au refrain)
La lune était plus sombre,
En haut les chats braillaient,
Quand j’aperçus, dans l’ombre,
Deux grands yeux qui brillaient.
Une voix de rogomme
Me cria : Nom d’un chien !
Je vous y prends, jeune homme,
Que faites-vous ? – Moi... rien...
(au refrain)
La lune était obscure,
Quand on me transborda
Dans une préfecture,
Où l’on me demanda :
Êtes-vous journaliste,
Peintre, sculpteur, rentier,
Poète ou pianiste ?...
Quel est votre métier ?
il y a 9 mois
A
Aristide Bruant
@aristideBruant
Plus de patron J’suis républicain socialisse,
Compagnon, radical ultra,
Revolutionnaire, anarchisse,
Eq’ caetera... Eq’ caetera...
Aussi j’vas dans tous les métingues,
Jamais je n’rate un’ réunion,
Et j’pass’ mon temps chez les mann’zingues
Oùsqu’on prêch’ la révolution.
C’est vrai que j’comprends pas grand’chose
À tout c’qu’y dis’nt les orateurs,
Mais j’sais qu’i’s parl’nt pour la bonne cause
Et qu’i’s tap’nt su’ les exploiteurs.
Pourvu qu’on chine l’ministère,
Qu’on engueul’ d’Aumale et Totor
Et qu’on parl’ de fout’ tout par terre !...
J’applaudis d’achar et d’autor.
C’est d’un’ simplicité biblique
D’abord faut pus d’gouvernement,
Pis faut pus non pus d’ République,
Pus d’ Sénat et pus d’ Parlement,
Pus d’ salauds qui vit à sa guise,
Pendant qu’ nous ont un mal de chien...
Pus d’ lois, pus d’armé’, pus d’église,
Faut pus d’ tout ça... faut pus de rien !
Alors c’est nous qui s’ra les maîtres,
C’est nous qui f’ra c’que nous voudrons,
Yaura pus d’ chefs, pus d’ contremaîtres,
Pus d’ directeurs et pus d’ patrons !
Minc’ qu’on pourra tirer sa flemme,
On f’ra tous les jours el’ lundi !
Oui... mais si n’y a pus d’ latronspème,
Qui qui f’ra la paye l’ sam’di ?
il y a 9 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Bonne pensée du matin A quatre heures du matin, l’été,
Le sommeil d’amour dure encore.
Sous les bosquets l’aube évapore
L’odeur du soir fêté.
Mais là-bas dans l’immense chantier
Vers le soleil des Hespérides,
En bras de chemise, les charpentiers
Déjà s’agitent.
Dans leur désert de mousse, tranquilles,
Ils préparent les lambris précieux
Où la richesse de la ville
Rira sous de faux cieux.
Ah ! pour ces Ouvriers charmants
Sujets d’un roi de Babylone,
Vénus ! laisse un peu les Amants,
Dont l’âme est en couronne.
Ô Reine des Bergers !
Porte aux travailleurs l’eau-de-vie,
Pour que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer, à midi.
il y a 9 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Le forgeron Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D’ivresse et de grandeur, le front large , riant
Comme un clairon d’airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour
Que le Peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d’or traînait sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle
Pâle comme un vaincu qu’on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait
Car ce maraud de forge aux énormes épaules
Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,
Que cela l’empoignait au front, comme cela !
« Donc, Sire, tu sais bien , nous chantions tra la la
Et nous piquions les bœufs vers les sillons des autres :
Le Chanoine au soleil disait ses patenôtres
Sur des chapelets clairs grenés de pièces d’or
Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor
Et l’un avec la hart, l’autre avec la cravache
Nous fouaillaient – Hébétés comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient pas ; nous allions, nous allions,
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire
Un peu de notre chair… nous avions un pourboire
Nous venions voir flamber nos taudis dans la nuit
Nos enfants y faisaient un gâteau fort bien cuit.
« Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,
C’est entre nous. J’admets que tu me contredises.
Or, n’est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Enormes ? De sentir l’odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l’herbe rousse ?
De voir les champs de blé, les épis pleins de grain,
De penser que cela prépare bien du pain ?…
Oui, l’on pourrait, plus fort , au fourneau qui s’allume,
Chanter joyeusement en martelant l’enclume,
Si l’on était certain qu’on pourrait prendre un peu,
Étant homme, à la fin !, de ce que donne Dieu !
– Mais voilà, c’est toujours la même vieille histoire !
« Oh je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,
Quand j’ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau
Qu’un homme vienne là, dague sous le manteau,
Et me dise : « Maraud , ensemence ma terre ! »
Que l’on arrive encor, quand ce serait la guerre,
Me prendre mon garçon comme cela, chez moi !
– Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,
Tu me dirais : Je veux !.. – Tu vois bien, c’est stupide.
Tu crois que j’aime à voir ta baraque splendide,
Tes officiers dorés, tes mille chenapans,
Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons :
Ils ont rempli ton nid de l’odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles
Et nous dir i ons : C’est bien : les pauvres à genoux !
Nous dorer i ons ton Louvre en donnant nos gros sous !
Et tu te soûlera i s, tu fera i s belle fête.
– Et ces Messieurs rir aie nt, les reins sur notre tête !
« Non. Ces saletés-là datent de nos papas !
Oh ! Le Peuple n’est plus une putain. Trois pas
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière
Cette bête suait du sang à chaque pierre
Et c’était dégoûtant, la Bastille debout
Avec ses murs lépreux qui nous rappelaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !
– Citoyen ! citoyen ! c’était le passé sombre
Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !
Nous avions quelque chose au cœur comme l’amour.
Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines.
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
Nous marchions, nous chantions, et ça nous battait là….
Nous allions au soleil, front haut,-comme cela -,
Dans Paris accourant devant nos vestes sales.
Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous étions pâles,
Sire, nous étions soûls de terribles espoirs :
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main ; nous n’eûmes pas de haine,
– Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux !
« Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous !
Le flot des ouvriers a monté dans la rue,
Et ces maudits s’en vont, foule toujours accrue
Comme des revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :
Et je vais dans Paris le marteau sur l’épaule,
Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !
– Puis, tu dois y compter, tu te feras des frais
Avec tes avocats , qui prennent nos requêtes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Et, tout bas, les malins ! Nous traitant de gros sots !
Pour mitonner des lois, ranger des de petits pots
Pleins de menus décrets , de méchantes droguailles
S’amuser à couper proprement quelques tailles,
Puis se boucher le nez quand nous passons près d’eux,
– Ces chers avocassiers qui nous trouvent crasseux !
Pour débiter là-bas des milliers de sornettes !
Et ne rien redouter sinon les baïonnettes,
Nous en avons assez, de tous ces cerveaux plats !
Ils embêtent le peuple . Ah ! ce sont là les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces,
Quand nous cassons déjà les sceptres et les crosses !.. »
Puis il le prend au bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule,
La foule épouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer,
Ses clameurs , ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons taché de bonnets rouges !
L’Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au R oi pâle , suant qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !
« C’est la Crapule,
Sire. ça bave aux murs, ça roule , ça pullule …
– Puisqu’ils ne mangent pas, Sire, ce sont les gueux !
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,
Folle ! Elle vient chercher du pain aux Tuileries !
– On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J’ai trois petits. Je suis crapule. – Je connais
Des vieilles qui s’en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu’on leur a pris leur garçon ou leur fille :
C’est la crapule. – Un homme était à la bastille,
D’autres étaient forçats, c’étaient des citoyens
Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens :
On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose
Qui leur fait mal, allez ! C’est terrible, et c’est cause
Que se sentant brisés, que, se sentant damnés,
Ils viennent maintenant hurler sous votre nez !
Crapule. – Là-dedans sont des filles, infâmes
Parce que, – vous saviez que c’est faible, les femmes,
Messeigneurs de la cour, – que sa veut toujours bien,-
Vous avez sali leur âme, comme rien !
Vos belles, aujourd’hui, sont là. C’est la crapule.
« Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brûle
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,
Et dans ce travail-là sentent crever leur front
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Hommes !
Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux où l’on voudra savoir,
Où l’Homme forgera du matin jusqu’au soir,
Où, lentement vainqueur, il chassera la chose
Poursuivant les grands buts, cherchant les grandes causes,
Et montera sur Tout, comme sur un cheval !
Oh ! nous sommes contents, nous aurons bien du mal,
Tout ce qu’on ne sait pas, c’est peut-être terrible :
Nous pendrons nos marteaux, nous passerons au crible
Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !
Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l’auguste sourire
D’une femme qu’on aime avec un noble amour :
Et l’on travaillerait fièrement tout le jour,
Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Et l’on se trouverait fort heureux ; et personne
Oh ! personne, surtout, ne vous ferait plier !…
On aurait un fusil au-dessus du foyer….
…………………………………………….
« Oh ! mais l’air est tout plein d’une odeur de bataille
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille ! » Fin de la version courte
Oh ! mais l’air est tout plein d’une odeur de bataille !
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs
Où nous nous sentons grands, oh ! si grands ! Tout à l’heure
Je parlais de devoir calme, d’une demeure…
Regarde donc le ciel ! C’est trop petit pour nous,
Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux !
Regarde donc le ciel ! Je rentre dans la foule,
Dans la grande canaille effroyable, qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales pavés :
Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés
Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France
Poussent leurs régiments en habits de gala,
Eh bien, n’est-ce pas, vous tous? Merde à ces chiens-là !
Il reprit son marteau sur l’épaule. La foule
Près de cet homme-là se sentait l’âme saoule,
Et, dans la grande cour, dans les appartements,
Où Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l’immense populace.
Alors, de sa main large et superbe de crasse,
Bien que le roi ventru suat, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !
il y a 9 mois
Auguste Brizeux
@augusteBrizeux
Le chant des pêcheurs Un petit port breton devant la Mer-Sauvage
S’éveillait ; les bateaux amarrés au rivage,
Mais comme impatiens de bondir sur les flots,
De sentir sur leurs bancs ramer les matelots,
Et les voiles s’enfler, et d’aller à la pêche,
Légers, se balançaient devant la brise fraîche ;
Tout était bleu, le ciel et la mer ; les courlis,
Tournoyant par milliers, de l’eau rasaient les plis ;
Des marsouins se jouaient en rade, et sur les plages,
Mollement au soleil s’ouvraient les coquillages,
Qu’il vienne au bord des flots, à ton miroir vermeil,
Celui-là qui veut voir ton lever, ô soleil !
Bientôt les bons pêcheurs de ce havre de Vannes,
À l’heure du reflux, quittèrent leurs cabanes.
Sur leurs habits pesants, tout noircis de goudron,
L’un portait un filet et l’autre un aviron ;
Leurs femmes les suivaient, embarquant une cruche
D’eau fraîche, un large pain qui sortait de la huche,
Du porc salé, du vin, — et durant les adieux
Leurs regards consultaient les vagues et les cieux.
Les chaloupes enfin, se défiant entre elles,
Comme de grands oiseaux déployèrent leurs ailes.
Celle qui la première ouvrit sa voile au vent
Portait un homme mûr, un jeune homme, un enfant,
Et leur aïeul à tous, dont les mains sillonnées
Marquaient de longs labeurs et de longues années :
Ses cheveux tout crépus semblaient un goémon,
Mais quel jeune tiendrait plus ferme le timon ?
Nul, excepté son fils, au front rude, aux yeux glauques,
Homme doux dont la voix a toujours des sons rauques.
Leur pays, c’est Enn-Tell, et leur nom Colomban,
Un des saints que Dieu fit maîtres de l’Océan.
Tandis qu’ils s’éloignaient, laissant traîner leurs dragues,
Ils virent les enfants jouer au bord des vagues,
Et ceux qui tout le jour le long des murs assis,
Inutiles vieillards, n’ont plus que des récits.
Sur les quais, leurs maisons reluisaient toutes blanches,
Et par-dessus les toits, au loin, de vertes branches
Leur laissaient entrevoir de tranquilles hameaux ;
Les grands bœufs lentement paissaient sous les rameaux,
Et le vent apportait le gai refrain des pâtres,
Qui, sur l’herbe couchés devant les flots saumâtres,
Savourent leur jeunesse, au reste indifférens.
Alors, pour éclaircir le front de leurs parents,
Au bruit des avirons le novice et le mousse
Se mirent à chanter d’une voix lente et douce.
I
Ah ! quel bonheur d’aller en mer !
Par un ciel chaud, par un ciel clair,
La mer vaut la campagne ;
Si le ciel bleu devient tout noir,
Dans nos cœurs brille encor l’espoir,
Car Dieu nous accompagne.
Le bon Jésus marchait sur l’eau,
Va sans peur, mon petit bateau.
II
Saint Pierre, André, Jacque et saint Jean,
Fêtés tous quatre une fois l’an,
Étaient ce que nous sommes,
Et ces grands pêcheurs de poissons
À leurs filets, leurs hameçons,
Prirent aussi les hommes.
Le bon Jésus marchait sur l’eau,
Va sans peur, mon petit bateau.
III
Sur les flots ils l’ont vu, léger,
Vers eux tous venir sans danger,
Aussi léger qu’une ombre ;
Mais Pierre à le suivre eut grand’peur,
Il cria : « Sauvez-moi, Seigneur !
Sauvez-moi, car je sombre ! »
Le bon Jésus marchait sur l’eau,
Va sans peur, mon petit bateau.
IV
Sur ton bateau, Pierre-Simon,
Que Jésus fit un beau sermon
À la foule pieuse !
Puis dans tes filets tout cassés,
Combien de poissons amassés !…
Pêche miraculeuse !
Le bon Jésus marchait sur l’eau,
Va sans peur, mon petit bateau.
V
Dans ta barque il dormait un jour,
Te souvient-il comme à l’entour
S’élevait la tempête ?
Lui, réveillé par ton effroi,
Dit à la vague : « Apaise-toi ! »
Elle baissa la tête.
Le bon Jésus marchait sur l’eau,
Va sans peur, mon petit bateau.
VI
Aussi la barque du pêcheur
Où s’est assis notre Sauveur
À toujours vent arrière ;
Sans craindre la mer et le vent,
Elle va toujours en avant,
La barque de saint Pierre.
Le bon Jésus marchait sur l’eau,
Va sans peur, mon petit bateau.
VII
O Jésus, des pêcheurs l’ami,
Avec nous venez aujourd’hui
Dans cette humble coquille ;
Allons ! prenez le gouvernail,
Et bénissez notre travail ;
Il nourrit la famille.
Jésus nous conduira sur l’eau,
Va sans peur, mon petit bateau.
Tel fut des apprentis le chant joyeux et tendre,
Que leurs graves parents étaient joyeux d’entendre.
La barque cependant au large s’en allait ;
On jeta les paniers, les nasses, le filet,
Les hameçons crochus, et toute la journée
La famille resta vers la proie inclinée.
Mais au soleil couchant l’horizon devint noir :
Nul pêcheur dans le port n’était rentré le soir.
il y a 9 mois
Blaise Cendrars
@blaiseCendrars
Travail Des malfaiteurs viennent de faire sauter le pont de
l'estacade
Les wagons ont pris feu au fond de la vallée
Des blessés nagent dans l'eau bouillante que lâche la
locomotive éventrée
Des torches vivantes courent parmi les décombres et les
jets de vapeur
D'autres wagons sont restés suspendus à 60 mètres de
hauteur
Des hommes armés de torches électriques et à l'acétylène descendent le sentier de la vallée
Et les secours s'organisent avec une silencieuse rapidité
Sous le couvert des joncs des roseaux des saules les
oiseaux aquatiques font un joli remue-ménage
L'aube tarde à venir
Que déjà une équipe de cent charpentiers appelés par
télégraphe et venus par train spécial s'occupent à
reconstruire le pont
Pan pan-pan
Passe-moi les clous
il y a 9 mois
Cesare Pavese
@cesarePavese
Travailler fatigue Traverser une rue pour s’enfuir de chez soi
seul un enfant le fait, mais cet homme qui erre,
tout le jour, par les rues, ce n’est plus un enfant
et il ne s’enfuit pas de chez lui.
En été, il y a certains après-midi
où les places elles-mêmes sont vides, offertes
au soleil qui est près du déclin, et cet homme qui vient
le long d’une avenue aux arbres inutiles, s’arrête.
Est-ce la peine d’être seul pour être toujours plus seul ?
On a beau y errer, les places et les rues
sont désertes. Il faudrait arrêter une femme,
lui parler, la convaincre de vivre tous les deux.
Autrement, on se parle tout seul. C’est pour ça que parfois
il y a des ivrognes nocturnes qui viennent vous aborder
et vous racontent les projets de toute une existence.
Ce n’est sans doute pas en attendant sur la place déserte
qu’on rencontre quelqu’un, mais si on erre dans les rues,
on s’arrête parfois. S’ils étaient deux,
simplement pour marher dans les rues, le foyer serait là
où serait cette femme et ça vaudrait la peine.
La place dans la nuit redevient déserte
et cet homme qui passe ne voit pas les maisons
entre les lumières inutiles, il ne lève plus les yeux :
il sent seulement le pavé qu’ont posé d’autres hommes
aux mains dures et calleuses comme les siennes.
Ce n’est pas juste de rester sur la place déserte.
Il y a certainement dans la rue une femme
qui, si on l’en priait, donnerait volontiers un foyer.
il y a 9 mois
C
Charles-Nérée Beauchemin
@charlesNereeBeauchemin
Rayons d’Octobre (II) À peine les faucheurs ont engrangé les gerbes
Que déjà les chevaux à l’araire attelés
Sillonnent à travers les chardons et les herbes
La friche où juin fera rouler la mer des blés.
Fécondité des champs ! cette glèbe qui fume,
Ce riche et fauve humus, recèle en ses lambeaux
La sève qui nourrit et colore et parfume
Les éternels trésors des futurs renouveaux.
Les labours, encadrés de pourpre et d’émeraude,
Estompent le damier des prés aux cent couleurs.
De sillons en sillons, les bouvreuils en maraude
Disputent la becquée aux moineaux querelleurs.
Et l’homme, aiguillonnant la bête, marche et marche,
Pousse le coutre. Il chante, et ses refrains plaintifs
Évoquent l’âge où l’on voyait le patriarche
Ouvrir le sol sacré des vallons primitifs.
il y a 9 mois
C
Chloe Douglas
@chloeDouglas
Travail bienheureux Je choisis
la marche en arrière
pour arriver au sommet
de mes pensées.
Pour ce moment de liberté,
Je grimperais trois fois,
et chaque fois
d’un différent coté.
Je n’ai besoin
de luxes
pour me sentir
satisfaite.
Seulement
le travail
que je dois faire dans ma tête
me donne des espoirs.
Et qu’importe la sueur
pour comprendre
que j’existe
dans ce monde éphémère.
je n’ai pas besoin de gloire,
aucune jalousie,
tout est possible
dans mon esprit libre.
L’union humaine
est une merveille,
avec du travail devient
le miel de l’abeille.
il y a 9 mois
D
Dominique Bernier
@dominiqueBernier
A toi l’humble jardinier A toi l’humble jardinier, je voudrais faire germer
Un simple grain de blé, en signe d’amitié
A toi qui a semé au jardin de la paix
Des actions de clarté, pour tes œuvres louées.
A toi l’humble jardinier, tu as su partager
Au nom de l’amitié, tes valeurs du potager,
Tes solides opinions, ta sagesse, tes passions,
Pour tes convictions encensées d’intentions.
Mais ce soir, le soleil s’est couché, et, la nuit s’est levée
Sous la voute céleste, tu œuvres encore dans nos esprits,
A nous battre pour une terre à partager sans cloisonner.
Mais ce soir, tu nous as quitté, et, tu nous auras appris
A gérer nos intentions dans la vérité, la sagesse,
A gérer un grain de blé dans une terre de promesses.
il y a 9 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
Un village Des murs crépis, de pauvres toits,
Un pont, un chemin de halage,
Et le moulin qui fait sa croix
De haut en bas, sur le village.
Les appentis et les maisons
S’échouent, ainsi que choses mortes.
Le filet dort : et les poissons
Sèchent, pendus au seuil des portes.
Un chien sursaute en longs abois ;
Des cris passent, lourds et funèbres ;
Le menuisier coupe son bois,
Presque à tâtons, dans les ténèbres.
Tous les métiers à bruit discord
Se sont lassés l’un après l’autre
Derrière un mur, marmonne encor
Un dernier bruit de patenôtres.
Une pauvresse aux longues mains,
Du bout de son bâton tâtonne
De seuil en seuil, par les chemins ;
Le soir se fait et c’est l’automne.
Et puis viendra l’hiver osseux,
Le maigre hiver expiatoire,
Où les gens sont plus malchanceux
Que les âmes en purgatoire.
il y a 9 mois
E
Esther Granek
@estherGranek
Les ménagères Au début de leur destin
c’était pourtant des filles bien.
Elles sont entrées en fonction
comme on entre en religion.
Les ménagères.
Autour d’elles elles font briller
le parquet le bois le verre
et secouent leur derrière
en mouvements bien cadencés.
Les ménagères.
Mais dans le lit conjugal
elles sont catins c’est normal.
Leur programme est bien fourni
pour le jour et pour la nuit.
Les ménagères.
Leurs proportions corporelles
s’avachissent avec les ans.
Et de leurs pauvres cervelles
on sourit depuis longtemps.
Les ménagères.
De la carne qu’elles cuisinent
elles ont bientôt pris la mine.
De la poussière qui les ceint
elles ont déjà pris le teint.
Les ménagères.
Rêvassant dans leurs torchons
elles voyagent à leur façon
et se disent qu’avec le temps
tout ira plus facilement.
Les ménagères.
Les v’là au bout du rouleau.
Elles sont usées jusqu’aux os.
Point d’statue pour les héros.
Et pour leurs droits c’est zéro.
Les ménagères.
Et c’est là leur Univers.
Mais il y a une récompense :
Grand cordon d’la Serpillière
et un coup d’pied où je pense.
Les ménagères.
Au début de leur destin
c’était pourtant des filles bien…
il y a 9 mois
François Coppée
@francoisCoppee
Le jongleur Las des pédants de Salamanque
Et de l’école aux noirs gradins,
Je vais me faire saltimbanque
Et vivre avec les baladins.
Que je dorme entre quatre toiles,
La nuque sur un vieux tambour,
Mais que la fraîcheur des étoiles
Baigne mon front brûlé d’amour !
Je consens à risquer ma tête
En jonglant avec des couteaux,
Si le vin, ce but de la quête,
Coule à gros sous sur mes tréteaux.
Que la bise des nuits flagelle
La tente où j’irai bivaquant,
Mais que le maillot où je gèle
Soit fait de pourpre et de clinquant !
Que j’aille errant de ville en ville,
Chassé par le corrégidor,
Mais que la populace vile
M’admire, ceint d’un bandeau d’or !
Qu’importe que sous la dentelle,
Devant mon cynisme doré,
Les dévotes de Compostelle
Se signent d’un air timoré,
Si la gitane de Cordoue,
Qui sait se mettre sans miroir
Des accroche-cœurs sur la joue
Et du gros fard sous son œil noir,
Trompant un hercule de foire
Stupide et fort comme un cheval,
M’accorde un soir d’été la gloire
D’avoir un géant pour rival !
Croule donc, ô mon passé, croule,
Espoir des avenirs mesquins,
Et que je tienne enfin la foule
Béante sous mes brodequins !
Que je la voie, ardente, suivre
Le cercle pur que décriront
Les sonores poignards de cuivre
Sur ma tête envolés en rond,
Et que, l’œil fou de l’auréole
Qu’allume ce serpent vermeil,
Elle prenne un jour pour idole
Le fier jongleur, aux dieux pareil !
il y a 9 mois
F
François Fabié
@francoisFabie
Le laboureur soldat Laboureur ! – Il n’était, ne voulut jamais être
Que laboureur ; – un beau laboureur, lent et doux
Et fort comme ses boeufs, qui l’aimaient entre tous
Leurs bouviers, et venaient très docilement mettre,
Dès son premier appel, leurs cornes et leurs cous
Sous le dur joug en bois de hêtre…
A vingt ans il dut les quitter, étant conscrit ;
Mais, libéré, vers eux il revint à la hâte,
Et, dès le lendemain de son retour, reprit
Avec eux le labeur qui soulève, pétrit
Et repétrit le soi comme une bonne pâte
Dont le blé futur se nourrit…
Un soir qu’il leur chantait le vieil air sans paroles
Qu’ils comprennent fort bien et qui rythme leurs pas.
Et qui les fait marcher encor quand ils sont las,
Au petit clocher bleu soudain les cloches folles
S’agitèrent dans un furieux branle-bas…
Surpris, il s’arrête : Est-ce un glas ?
Non. – Le gai carillon des veilles de dimanche ?
Non plus. – Quelque incendie ? Ah ! certes ! Et partout
Des gens courent : » La guerre !… on mobilise ! » Au bout
Du sillon brun, le laboureur lâche le manche,
Dételle : » Adieu, mes boeufs ! » Il part, et le trois août
Il labourait pour la Revanche.
Il porta le fusil et le sac vaillamment,
Mais sans fanfaronnade et sans emballement,
Se battit à Namur, fut blessé, guérit vite,
Fut blessé de nouveau…, puis, comme nul n’évite
Sa destinée, alla périr obscurément
Dans cette presqu’île maudite
Où sur un sol ingrat sans verdure et sans eaux,
Sous la soif et la faim, les obus et les balles,
Tant de pauvres enfants, des meilleurs, des plus beaux,
– Ainsi qu’au grand soleil des épis sous la faux, –
Si follement, si loin des campagnes natales,
Tombèrent dans de vains assauts…
Mon laboureur qui tant aimait son coin de terre,
Ses genêts, ses prés verts et ses coteaux herbeux,
Et la source où, le soir, il abreuvait ses boeufs,
Et sa ferme, et peut-être, avec crainte et mystère
D’un amour patient qu’il devait encor taire,
La fille d’un maître ombrageux ;
Le voyez-vous mourir longuement sur le sable,
Là-bas, dans un pays atroce de païens,
Les yeux martyrisés par l’azur implacable,
Sans un regard ami de son ciel ni des siens,
Sans que nul sur sa lèvre, à l’instant redoutable,
Mît le signe aimé des chrétiens !…
Pauvre petit soldat, ta mort, dont on ignore
L’heure et le lieu, ne t’aura point valu la croix ;
Que dis-je ! tu n’as pas même celle de bois
Sur ta tombe perdue et que rien ne décore,
Ni les ordres du jour flatteurs qui font encore
Qu’on parle de vous quelquefois.
Puisse le Dieu que tu servais et qui dénombre
Exactement les morts et sait où sont leurs os,
Sur le tertre où tu dors mettre au moins un peu d’ombre
Et, quand vient la saison où migrent nos oiseaux,
Faire gémir sur toi les ramiers du bois sombre
Qui couvrit nos communs berceaux ;
Et puisse-t-il donner à ceux-là qui te pleurent,
Mais qui ne doutent pas de l’éternel revoir,
La résignation, soeur tendre de l’espoir,
Et leur persuader que les jeunes qui meurent
En faisant comme toi simplement leur devoir
Doublent l’ange veillant sur les vieux qui demeurent !
il y a 9 mois
F
François Fabié
@francoisFabie
Ma maison Face au midi, bien adossée
A l’ancien étang féodal
Dont elle épaule la chaussée,
Elle fut le moulin banal
Où deux ou trois pauvres villages
Et quelques petits mas perdus,
Avec leurs maigres attelages
Plusieurs siècles sont descendus
Moudre, au tic tac vieillot et grêle
D’un mécanisme trébuchant,
Tout ce que la dîme ou la grêle
Laissaient de seigle sur leur champ…
Mais lorsque le soc populaire
Démantela le vieux château,
Et que, sous un flot de colère,
Son granit roula du coteau,
Mon aïeul, – un Jacques Bonhomme
Très longtemps meunier chez autrui, –
Ayant été très économe,
Put devenir meunier chez lui.
Il acheta l’humble ruine,
Prit la truelle du maçon,
Et fit un moulin à farine
De l’antique moulin de son,
Exhaussa le tout d’un étage
Large, aéré, plein de soleil,
D’où l’on entend le caquetage
De la trémie à son réveil ;
Puis crânement, sur la toiture,
Comme un noble arbore un blason,
D’une meule en miniature
Il girouetta sa maison.
Il planta – car celui qui plante
A foi vraiment en l’avenir –
Des arbres à croissance lente
Qui font durer le souvenir,
Et qui, maintenant séculaires,
Sur le vieux toit coubés du vent,
Parlent à voix hautes et claires
De l’ancêtre en eux survivant…
Il prit femme ; et ma bonne aïeule
Se mit a l’oeuvre sans façons,
Berçant au refrain de sa meule
Trois filles et quatre garçons
Qui remplirent de cris, de joies,
De luttes et de jeux sans fin
La maison, le pâtis aux oies
Et tous les halliers du ravin,
Puis si vaillamment essaimèrent
Et si gaîment, quoique pieds nus,
Que des vieillards qui les aimèrent
Sont fiers de les avoir connus…
C’est là ma maison paternelle,
C’est là le nid qui m’a bercé :
Que ne puis-je y ployer mon aile
Et n’y vivre que du passé ?
il y a 9 mois
F
François Fabié
@francoisFabie
Paysanne de guerre Héroïque, elle aussi, de coeur haut, de bras ferme,
La veuve paysanne à qui, depuis vingt mois,
Incombent les labours, les marchés, les charrois
Et le gouvernement tout entier de la ferme.
Au début on lui prend soudain ses trois garçons
(Et deux sont morts déjà), son valet de charrue
Et son berger… Sa fille, un instant accourue,
Lui laisse ses marmots, et repart sans façons…
Et plus un journalier valide en la contrée ;
Un chemineau douteux pour garder le troupeau.
Mais la veuve n’a point plié sous le fardeau,
Car plus la tâche est rude et plus elle est sacrée.
Repas des gens, repas des bêtes, basse-cour,
La traite des brebis, une heure avant l’aurore,
Le lavoir, les oisons qui vont bientôt éclore,
Et, pour se délasser, semailles et labour.
Car elle guide aussi la charrue et la herse,
Ses pieds dans des sabots et ses jupes au vent,
A travers les guérets, – les corbeaux la suivant
Dont le cri de malheur par instant la transperce…
Il faut porter le lait an village lointain,
Faire aiguiser le soc et la pioche à la forge,
Aller moudre au moulin perdu dans quelque gorge,
Mettre le bois au four et la pâte au pétrin.
*
* *
Elle rentre le soir, à la ferme en détresse
Où tout l’attend, où tout l’appelle, où tout a faim,
Les bêtes de provende, et les marmots de pain ;
Tous, d’une voix connue et d’une âme maîtresse.
Jette du grain, fermière ! emplis les râteliers ;
Rends à l’agneau plaintif sa brebis implorante ;
Verse à tes petits-fils la marmite odorante ;
Prie ensuite avec eux pour les morts familiers :
Pour ton mari, parti le premier, avant l’heure,
Pour ceux de tes enfants soldats déjà fauchés,
Sans qu’ou puisse savoir où leurs corps sont couchés,
Et pour d’autres encor, qu’aux alentours on pleure ;
Et pour que Dieu conserve à tes ans un appui,
Qu’il sauve des périls et bientôt te ramène
Ton dernier-né, dernier espoir de ce domaine
Qui demain tomberait en quenouille sans lui…
*
* *
Puis, quand tous dormiront, marmots, vacher, servante,
Toi, veille encor, reprise ou ravaude des bas ;
Réponds à ton petit qui se morfond là-bas,
Dans la neige et la boue, la nuit et l’épouvante.
Pleure enfin dans ton lit, jusqu’à ce que tes yeux
Sentent par le sommeil tarir leur source amère,
Et goûte dans un songe un repos éphémère
Qu’abrégera le coq d’un clairon furieux.
Car déjà demain luit aux vitres de la ferme :
Debout, fermière ! et lutte ainsi jusqu’à la fin,
Contre le deuil, l’absence, et la terre et la faim,
Dans un combat dont nul ne peut prévoir le terme ;
Lutte pour conserver les bois, les champs, les prés,
Le nom et le renom de la maison ancienne
Qui te prit jeune femme, un soir, et te fit sienne,
T’enchaînant à jamais par des liens sacrés !…
*
* *
Plus grande que ne fut, certes, la veuve antique,
Plus que les Pénélope en secret ourdissant
Leur vaine toile pour se garder à l’absent,
Nous devons t’admirer, Providence rustique !
Aussi, quand nous aurons chassé l’envahisseur
Et que nous fêterons la sainte délivrance,
Je voudrais qu’on te mît, toi, mère, ou veuve, ou soeur,
Au milieu des héros, à la place d’honneur,
Gardienne du sol, Paysanne de France !
François Fabié, Fleurs de genêts
il y a 9 mois
A
Alexis-Félix Arvers
@alexisFelixArvers
La vie Amis, accueillez-moi, j’arrive dans la vie.
Dépensons l’existence au gré de notre envie :
Vivre, c’est être libre, et pouvoir à loisir
Abandonner son âme à l’attrait du plaisir ;
C’est chanter, s’enivrer des cieux, des bois, de l’onde,
Ou, parmi les tilleuls, suivre une vierge blonde !
— C’est bien là le discours d’un enfant. Écoutez :
Vous avez de l’esprit. — Trop bon. — Et méritez
Qu’un ami plus mûr vienne, en cette circonstance,
D’un utile conseil vous prêter l’assistance.
Il ne faut pas se faire illusion ici ;
Avant d’être poète, et de livrer ainsi
Votre âme à tout le feu de l’ardeur qui l’emporte.
Avez-vous de l’argent ? — Que sais-je ?et que m’importe ?
— Il importe beaucoup ; et c’est précisément
Ce qu’il faut, avant tout, considérer. — Vraiment ?
— S’il fut des jours heureux, où la voix des poètes
Enchaînait à son gré les nations muettes,
Ces jours-là ne sont plus, et depuis bien longtemps :
Est-ce un bien, est-ce un mal, je l’ignore, et n’entends
Que vous prouver un fait, et vous faire comprendre
Que si le monde est tel, tel il faut bien le prendre.
Le poète n’est plus l’enfant des immortels,
A qui l’homme à genoux élevait des autels ;
Ce culte d’un autre âge est perdu dans le nôtre,
Et c’est tout simplement un homme comme un autre.
Si donc vous n’avez rien, travaillez pour avoir ;
Embrassez un état : le tout est de savoir
Choisir, et sans jamais regarder en arrière,
D’un pas ferme et hardi poursuivre sa carrière.
— Et ce monde idéal que je me figurais !
Et ces accents lointains du cor dans les forêts !
Et ce bel avenir, et ces chants d’innocence !
Et ces rêves dorés de mon adolescence !
Et ces lacs, et ces mers, et ces champs émaillés,
Et ces grands peupliers, et ces fleurs ! — Travaillez.
Apprenez donc un peu, jeune homme, à vous connaître :
Vous croyez que l’on n’a que la peine de naître,
Et qu’on est ici-bas pour dormir, se lever,
Passer, les bras croisés, tout le jour à rêver ;
C’est ainsi qu’on se perd, c’est ainsi qu’on végète :
Pauvre, inutile à tous, le monde vous rejette :
Contre la faim, le froid, on lutte, on se débat
Quelque temps, et l’on va mourir sur un grabat.
Ce tableau n’est pas gai, ce discours n’est pas tendre.
C’est vrai ; mais j’ai voulu vous faire bien entendre,
Par amitié pour vous, et dans votre intérêt,
Où votre poésie un jour vous conduirait.
Cet homme avait raison, au fait : j’ai dû me taire.
Je me croyais poète, et me voici notaire.
J’ai suivi ses conseils, et j’ai, sans m’effrayer,
Subi le lourd fardeau d’une charge à payer.
Je dois être content : c’est un très bel office ;
C’est magnifique, à part même le bénéfice.
On a bonne maison, on reçoit les jeudis ;
On a des clercs, qu’on loge en haut, dans un taudis.
Il est vrai que l’état n’est pas fort poétique.
Et rien n’est positif comme l’acte authentique.
Mais il faut pourtant bien se faire une raison,
Et tous ces contes bleus ne sont plus de saison :
Il faut que le notaire, homme d’exactitude,
D’un travail assidu se fasse l’habitude ;
Va, malheureux ! et si quelquefois il advient
Qu’un riant souvenir d’enfance vous revient,
Si vous vous rappelez que la voix des génies
Vous berçait, tout petit, de vagues harmonies ;
Si, poursuivant encor un bonheur qu’il rêva.
L’esprit vers d’autres temps veut se retourner : Va !
Est-ce avec tout cela qu’on mène son affaire ?
N’as-tu pas ce matin un testament à faire ?
Le client est fort mal, et serait en état,
Si tu tardais encor, de mourir intestat.
Mais j’ai trente-deux ans accomplis ; à mon âge
Il faut songer pourtant à se mettre en ménage ;
Il faut faire une fin, tôt ou tard. Dans le temps.
J’y songeais bien aussi, quand j’avais dix-huit ans.
Je voyais chaque nuit, de la voûte étoilée,
Descendre sur ma couche une vierge voilée ;
Je la sentais, craintive, et cédant à mes vœux.
D’un souffle caressant effleurer mes cheveux ;
Et cette vision que j’avais tant rêvée.
Sur la terre, une fois, je l’avais retrouvée.
Oh ! qui me les rendra ces rapides instants,
Et ces illusions d’un amour de vingt ans !
L’automne à la campagne, et ses longues soirées,
Les mères, dans un coin du salon retirées,
Ces regards pleins de feu, ces gestes si connus,
Et ces airs si touchants que j’ai tous retenus ?
Tout à coup une voix d’en haut l’a rappelée :
Cette vie est si triste ! elle s’en est allée ;
Elle a fermé les yeux, sans crainte, sans remords ;
Mais pensent-ils encore à nous ceux qui sont morts ?
Il s’agit bien ici d’un amour platonique !
Me voici marié : ma femme est fille unique ;
Son père est épicier-droguiste retiré,
Et riche, qui plus est : je le trouve à mon gré.
Il n’est correspondant d’aucune académie.
C’est vrai ; mais il est rond, et plein de bonhomie :
Et puis j’aime ma femme, et je crois en effet,
En demandant sa main, avoir sagement fait.
Est-il un sort plus doux, et plus digne d’envie ?
On passe, au coin du feu, tranquillement sa vie :
On boit, on mange, on dort, et l’on voit arriver
Des enfants qu’il faut mettre en nourrice, élever,
Puis établir enfin : puis viennent les années,
Les rides au visage et les couleurs fanées,
Puis les maux, puis la goutte. On vit comme cela
Cinquante ou soixante ans, et puis on meurt. Voilà.
il y a 9 mois
G
Gaston Couté
@gastonCoute
Un bon métier Pas ça, vieux gâs ! V’là qu’tu prends d’l’âge,
Faudrait vouèr à vouèr à t’caser ;
Tant qu’à faire, aut’ part qu’au village,
Pasqu’au villag’ faut trop masser
Pour gangner sa bouguer’ de vie !
Dis donc, ça n’te fait point envie ?…
Si j’étais que d’toué, j’me mettrais
Curé !
Tu f’rais tes class’s au séminaire
Où qu’nout’ chât’tain, qu’est ben dévot,
T’entertiendrait à ne rien n’faire ;
Et tu briff’rais d’la tête d’vieau,
Du poulet roûti tout’ la s’maine,
En songeant qu’d’aucuns mang’nt à peine…
Si j’étais que d’toué, j’me mettrais
Curé !
Et pis, quand t’aurais la tonsure,
Tu rabed’rais vouèr au pat’lin
Où qu’l’existenc’ nous est si dure,
Où qu’all’ t’s’rait agréable à plein…
Tu fourr’rais du foin dans tes bottes,
Avec les sous des vieill’s bigottes…
Si j’étais que d’toué, j’me mettrais
Curé !
Tu prêch’rais l’abstinence en chaire,
Et tu f’rais maigr’ les venterdis…
Tout’s les fois qu’la viand’ s’rait trop chère ;
Tu confess’rais l’mond’ du pays
Et, dans l’tas des fill’s brun’s ou blondes,
Gn’en a pas mal qui sont girondes
Si j’étais que d’toué, j’me mettrais
Curé !
Tu s’rais queuqu’un dans la commune ;
Monsieu l’Maire s’rait ben avec toué,
Et j’profit’rais d’cette bonn’ fortune
Pour am’ner un ch’min d’vant cheu moué…
Dam, fais c’que tu veux, j’forc’ parsonne !
Mais v’là l’bon conseil que j’te dounne :
si j’étais que d’toué, j’me mettrais
Curé !
il y a 9 mois
G
Grégory Rateau
@gregoryRateau
En travaillant la terre Le vieux est là
Muet comme une souche
Il attend que le nuage passe
Ses outils sont comme des promesses
Un supplément de force
Malgré les années
Chaque muscle est à sa place
Pour faucher
Bêcher
Ratisser
Je regarde ma main
Pas un pli
La finesse des doigts qui ne trompe pas
Elle n’a donc servi à rien
Le vieux ne me le dit pas
Trop brave
Sa poigne montre l’exemple
Mes pas deviennent les siens
Je suis vite à la traîne
Sans un mot
Le voilà qui porte deux fois plus que moi
J’ai vu la ville de près ses fulgurances
Ses éclats mystiques
Ses passions au rabais
Rastignac du pauvre
J’ai croisé le fer avec elle
Ne blessant que moi-même
Le vieux n’a rien vu lui
Aucune lutte
Une simple ligne d’horizon
Des remparts de forêts sous un ciel vide
Il ne goûtera jamais à l’ennui qui élève
Aux délices de la foule
Son champ sera sa seule ivresse
Et pourtant lui en a palpé de la terre
Sué pour la rendre fertile
Son nom restera une empreinte
Que laisserai-je dans le bitume ?
Des projets froissés
Des rêves léthargiques…
Au loin je vois des tours
Les murs se rapprochent
Que restera-t-il du vieux
Quand même les arbres alentour seront maigres comme mes dix doigts ?
il y a 9 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Au prolétaire Ô captif innocent qui ne sais pas chanter
Écoute en travaillant tandis que tu te tais
Mêlés aux chocs d’outils les bruits élémentaires
Marquent dans la nature un bon travail austère
L’aquilon juste et pur ou la brise de mai
De la mauvaise usine soufflent la fumée
La terre par amour te nourrit les récoltes
Et l’arbre de science où mûrit la révolte
La mer et ses nénies dorlotent tes noyés
Et le feu le vrai feu l’étoile émerveillée
Brille pour toi la nuit comme un espoir tacite
Enchantant jusqu’au jour les bleuités du site
Où pour le pain quotidien peinent les gars
D’ahans n’ayant qu’un son le grave l’oméga
Ne coûte pas plus cher la clarté des étoiles
Que ton sang et ta vie prolétaire et tes moelles
Tu enfantes toujours de tes reins vigoureux
Des fils qui sont des dieux calmes et malheureux
Des douleurs de demain tes filles sont enceintes
Et laides de travail tes femmes sont des saintes
Honteuses de leurs mains vaines de leur chair nue
Tes pucelles voudraient un doux luxe ingénu
Qui vînt de mains gantées plus blanches que les leurs
Et s’en vont tout en joie un soir à la male heure
Or tu sais que c’est toi toi qui fis la beauté
Qui nourris les humains des injustes cités
Et tu songes parfois aux alcôves divines
Quand tu es triste et las le jour au fond des mines
il y a 9 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
La chenille Le travail mène à la richesse.
Pauvres poètes, travaillons !
La chenille en peinant sans cesse
Devient le riche papillon.
il y a 9 mois
H
Henri Michaux
@henriMichaux
Un monde écartelé Je vous construirai une ville avec des loques, moi !
Je vous construirai sans plan et sans ciment
Un édifice que vous ne détruirez pas,
Et qu'une espèce d'évidence écumante
Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire au nez,
Et au nez gelé de tous vos Parthénons, vos Arts Arabes, et de vos Mings.
Avec de la fumée, avec de la dilution de brouillard
Et du son de peaux de tambour,
Je vous asseoirai des forteresses écrasantes et superbes,
Des forteresses faites exclusivement de remous et de secousses,
Contre lesquelles votre ordre multimillénaire et votre géométrie
Tomberont en fadaises et galimatias et poussières de sable sans raisons….
Oh ! monde, monde étranglé, ventre froid !
Même pas symbole ; mais néant , je contre, je contre,
Je contre, et te gave de chiens crevés
En tonnes, vous m'entendez, en tonnes je vous arracherai ce que vous m'avez refusé en grammes…
Dans le noir, nous verrons clair mes frères.
Dans le labyrinthe, nous trouverons la voie droite.
Carcasse, Où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé ?
Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre mondes !
Comme je vais t'écarteler !
il y a 9 mois
Henri-Frédéric Amiel
@henriFredericAmiel
Le moyen pour réussir Travailler, même avec courage,
Mais sans méthode, est temps perdu.
Pour faire un travail étendu
Apprends à diviser l'ouvrage :
Qui, pour abattre une forêt,
L'entaillerait toute avec rage,
À tout cognant, rien n'abattrait.
il y a 9 mois
J
Jean Aicard
@jeanAicard
Le bon travail Songe, ô rêveur lassé de vivre,
Que le travail sacré délivre
L'homme de tous les maux humains!
En vie, en force salutaire,
Il rend aux coeurs,- c'est un mystère, --
Plus que ne lui donnent les mains!
Laisse le rêve, prends la plume,
Lève le marteau sur l'enclume,
Prends la truelle des maçons
Tu sentiras ta délivrance!
Et sur ta lèvre une espérance
Voudra s'échapper en chansons.
L'homme qui rêve seul ramène
Trop souvent sa pensée humaine
Sur lui-même qui souffre en lui!
La pensée est peu généreuse;
C'est pour elle qu'elle se creuse,
Et son dégoût fait son ennui!
Ah! l'homme, avec tout son génie,
Perd, au fond de l'âme infinie,
Le fil cassé de sa raison;
Puis, cherchant sa raison perdue,
Il s'effraie à voir l'étendue,
Tout seul devant trop d'horizon!
D'où vient donc la vertu secrète
Du bon travail ? C'est qu'il arrête
Sur un point fixe l’œil content!
C'est qu'il limite la pensée...
Toute besogne est cadencée,
Et s'harmonise au cœur battant !
Tout travailleur fait de la vie,
Et c'est l'humanité servie
Qui, par un charme intérieur,
Paie en gaité le bon ouvrage !
Et tous les cœurs font le courage
Mystérieux du travailleur
Qui rêve est toujours solitaire
L'action, par toute la terre,
Pousse la foule aux grands chemins;
Le travail n'est jamais la haine..
Tous les travailleurs font la chaîne
Et sentent leur cœur dans leurs mains!
Laisse donc là ce qui t'attriste !
Sois le dieu qui dans l'homme existe...
Homme, travaille et sois joyeux!
L’erreur se sent aux tristes fièvres,
Le vrai seul met la joie aux lèvres,
Au fond du cœur et dans les yeux!
il y a 9 mois
Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
Le berger et la mer Du rapport d’un troupeau dont il vivait sans soins,
Se contenta longtemps un voisin d’Amphitrite:
Si sa fortune était petite,
Elle était sûre tout au moins.
A la fin, les trésors déchargés sur la plage
Le tentèrent si bien qu’il vendit son troupeau,
Trafiqua de l’argent, le mit entier sur l’eau.
Cet argent périt par naufrage.
Son maître fut réduit à garder les brebis,
Non plus berger en chef comme il était jadis,
Quand ses propres moutons paissaient sur le rivage:
Celui qui s’était vu Coridon ou Tircis
Fut Pierrot et rien davantage.
Au bout de quelque temps, il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine;
Et comme un jour les vents, retenant leur haleine,
Laissaient paisiblement aborder les vaisseaux:
« Vous voulez de l’argent, ô Mesdames les Eaux,
Dit-il, adressez-vous, je vous prie, à quelque autre:
Ma foi! vous n’aurez pas le nôtre. »
Ceci n’est pas un conte à plaisir inventé.
Je me sers de la vérité
Pour montrer par expérience,
Qu’un sou, quand il est assuré,
Vaut mieux que cinq en espérance;
Qu’il se faut contenter de sa condition;
Qu’aux conseils de la mer et de l’ambition
Nous devons fermer les oreilles.
Pour un qui s’en louera, dix mille s’en plaindront.
La mer promet monts et merveilles:
Fiez-vous y; les vents et les voleurs viendront.
il y a 9 mois
Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
Le chat et le rat Quatre animaux divers, le Chat grippe-fromage,
Triste-oiseau le Hibou, ronge-maille le Rat,
Dame Belette au long corsage,
Toutes gens d’esprit scélérat,
Hantaient le tronc pourri d’un pin vieux et sauvage.
Tant y furent, qu’un soir à l’entour de ce pin
L’homme tendit ses rets. Le Chat, de grand matin
Sort pour aller chercher sa proie.
Les derniers traits de l’ombre empêchent qu’il ne voie
Le filet : il y tombe en danger de mourir ;
Et mon Chat de crier, et le Rat d’accourir,
L’un plein de désespoir, et l’autre plein de joie :
Il voyait dans les lacs son mortel ennemi.
Le pauvre Chat dit : « Cher ami,
Les marques de ta bienveillance
Sont communes en mon endroit ;
Viens m’aider à sortir du piège où l’ignorance
M’a fait tomber. C’est à bon droit
Que seul entre les tiens, par amour singulière,
Je t’ai toujours choyé, t’aimant comme mes yeux.
Je n’en ai point regret, et j’en rends grâce aux Dieux.
J’allais leur faire ma prière ;
Comme tout dévot Chat en use les matins,
Ce réseau me retient : ma vie est en tes mains ;
Viens dissoudre ces noeuds. – Et quelle récompense
En aurai-je ? reprit le Rat.
– Je jure éternelle alliance
Avec toi, repartit le Chat.
Dispose de ma griffe, et sois en assurance :
Envers et contre tous je te protégerai ;
Et la Belette mangerai
Avec l’époux de la Chouette :
Ils t’en veulent tous deux. » Le Rat dit : « Idiot !
Moi ton libérateur ? je ne suis pas si sot. »
Puis il s’en va vers sa retraite.
La Belette était près du trou.
Le Rat grimpe plus haut ; il y voit le Hibou.
Dangers de toutes parts : le plus pressant l’emporte.
Ronge-maille retourne au Chat, et fait en sorte
Qu’il détache un chaînon, puis un autre, et puis tant,
Qu’il dégage enfin l’hypocrite.
L’homme paraît en cet instant ;
Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite.
À quelque temps de là, notre Chat vit de loin
Son Rat qui se tenait en alerte et sur ses gardes :
« Ah ! mon frère, dit-il, viens m’embrasser ; ton soin
Me fait injure ; tu regardes
Comme ennemi ton allié.
Penses-tu que j’aie oublié
Qu’après Dieu je te dois la vie ?
– Et moi, reprit le Rat, penses-tu que j’oublie
Ton naturel ? Aucun traité
Peut-il forcer un chat à la reconnaissance ?
S’assure-t-on sur l’alliance
Qu’a faite la nécessité ?
il y a 9 mois
Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
Le laboureur et ses enfants Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
« Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents :
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse. »
Le père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout : si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer, avant sa mort,
Que le travail est un trésor.
il y a 9 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Vu le soin ménager dont travaille je suis Vu le soin ménager dont travaillé je suis,
Vu l'importun souci qui sans fin me tourmente,
Et vu tant de regrets desquels je me lamente,
Tu t'ébahis souvent comment chanter je puis.
Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuis,
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante ;
Si bien qu'en les chantant, souvent je les enchante :
Voilà pourquoi, Magny, je chante jours et nuits.
Ainsi chante l'ouvrier en faisant son ouvrage,
Ainsi le laboureur faisant son labourage,
Ainsi le pèlerin regrettant sa maison,
Ainsi l'aventurier en songeant à sa dame,
Ainsi le marinier en tirant à la rame,
Ainsi le prisonnier maudissant sa prison.