La mort et le malheureux Un Malheureux appelait tous les jours
La mort à son secours.
O mort, lui disait-il, que tu me sembles belle !
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle.
La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je! cria-t-il, ôtez-moi cet objet ;
Qu'il est hideux ! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi !
N'approche pas, ô mort ; ô mort, retire-toi.
Mécénas fut un galant homme :
Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô mort ; on t'en dit tout autant.
il y a 10 mois
Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
La tête et la queue du serpent Le serpent a deux parties
Du genre humain ennemies,
Tête et queue; et toutes deux
Ont acquis un nom fameux
Auprès des Parques cruelles:
Si bien qu’autrefois entre elles
Il survint de grands débats
Pour le pas.
La tête avait toujours marché devant la queue.
La queue au Ciel se plaignit,
Et lui dit:
« Je fais mainte et mainte lieue,
Comme il plaît à celle-ci:
Croit-elle que toujours j’en veuille user ainsi?
Je suis son humble servante.
On m’a faite, Dieu merci,
Sa soeur et non sa suivante.
Toutes deux de même sang,
Traîtez-nous de même sorte:
Aussi bien qu’elle je porte
Un poison prompt et puissant.
Enfin, voilà ma requête:
C’est à vous de commander
Qu’on me laisse précéder
A mon tour ma soeur la tête.
Je la conduirai si bien,
Qu’on ne se plaindra de rien.»
Le ciel eut pour ses voeux une bonté cruelle.
Souvent sa complaisance a de méchants effets.
Il devrait être sourd aux aveugles souhaits.
Il ne le fut pas lors; et la guide nouvelle,
Qui ne voyait, au grand jour,
Pas plus clair que dans un four,
Donnait tantôt contre un marbre,
Contre un passant, contre un arbre:
Droit aux ondes du Styx elle mena sa soeur.
il y a 10 mois
Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
Le singe et le chat Bertrand avec Raton, l’un Singe et l’autre Chat,
Commensaux d’un logis, avaient un commun Maître.
D’animaux malfaisants c’était un très bon plat ;
Ils n’y craignaient tous deux aucun, quel qu’il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage.
Bertrand dérobait tout ; Raton de son côté
Etait moins attentif aux souris qu’au fromage.
Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.
Les escroquer était une très bonne affaire :
Nos galands y voyaient double profit à faire,
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.
Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd’hui
Que tu fasses un coup de maître.
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m’avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu.
Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte,
D’une manière délicate,
Ecarte un peu la cendre, et retire les doigts,
Puis les reporte à plusieurs fois ;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.
Et cependant Bertrand les croque.
Une servante vient : adieu mes gens. Raton
N’était pas content, ce dit-on.
Aussi ne le sont pas la plupart de ces Princes
Qui, flattés d’un pareil emploi,
Vont s’échauder en des Provinces
Pour le profit de quelque Roi.
il y a 10 mois
Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
Le vieillard et ses enfants Toute puissance est faible, à moins que d'être unie.
Ecoutez là-dessus l'esclave de Phrygie.
Si j'ajoute du mien à son invention,
C'est pour peindre nos moeurs, et non point par envie ;
Je suis trop au-dessous de cette ambition.
Phèdre enchérit souvent par un motif de gloire ;
Pour moi, de tels pensers me seraient malséants.
Mais venons à la Fable ou plutôt à l'Histoire
De celui qui tâcha d'unir tous ses enfants.
Un Vieillard prêt d'aller où la mort l'appelait :
Mes chers enfants, dit-il (à ses fils, il parlait),
Voyez si vous romprez ces dards liés ensemble ;
Je vous expliquerai le noeud qui les assemble.
L'aîné les ayant pris, et fait tous ses efforts,
Les rendit, en disant : "Je le donne aux plus forts."
Un second lui succède, et se met en posture ;
Mais en vain. Un cadet tente aussi l'aventure.
Tous perdirent leur temps, le faisceau résista ;
De ces dards joints ensemble un seul ne s'éclata.
Faibles gens ! dit le père, il faut que je vous montre
Ce que ma force peut en semblable rencontre.
On crut qu'il se moquait ; on sourit, mais à tort.
Il sépare les dards, et les rompt sans effort.
Vous voyez, reprit-il, l'effet de la concorde.
Soyez joints, mes enfants, que l'amour vous accorde.
Tant que dura son mal, il n'eut autre discours.
Enfin se sentant prêt de terminer ses jours :
Mes chers enfants, dit-il, je vais où sont nos pères.
Adieu, promettez-moi de vivre comme frères ;
Que j'obtienne de vous cette grâce en mourant.
Chacun de ses trois fils l'en assure en pleurant.
Il prend à tous les mains ; il meurt ; et les trois frères
Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d'affaires.
Un créancier saisit, un voisin fait procès.
D'abord notre Trio s'en tire avec succès.
Leur amitié fut courte autant qu'elle était rare.
Le sang les avait joints, l'intérêt les sépare.
L'ambition, l'envie, avec les consultants,
Dans la succession entrent en même temps.
On en vient au partage, on conteste, on chicane.
Le Juge sur cent points tour à tour les condamne.
Créanciers et voisins reviennent aussitôt ;
Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défaut.
Les frères désunis sont tous d'avis contraire :
L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire.
Tous perdirent leur bien, et voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis et pris à part.
il y a 10 mois
Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
Les deux chèvres Dès que les Chèvres ont brouté,
Certain esprit de liberté
Leur fait chercher fortune ; elles vont en voyage
Vers les endroits du pâturage
Les moins fréquentés des humains.
Là s’il est quelque lieu sans route et sans chemins,
Un rocher, quelque mont pendant en précipices,
C’est où ces Dames vont promener leurs caprices ;
Rien ne peut arrêter cet animal grimpant.
Deux Chèvres donc s’émancipant,
Toutes deux ayant patte blanche,
Quittèrent les bas prés, chacune de sa part.
L’une vers l’autre allait pour quelque bon hasard.
Un ruisseau se rencontre, et pour pont une planche.
Deux Belettes à peine auraient passé de front
Sur ce pont ;
D’ailleurs, l’onde rapide et le ruisseau profond
Devaient faire trembler de peur ces Amazones.
Malgré tant de dangers, l’une de ces personnes
Pose un pied sur la planche, et l’autre en fait autant.
Je m’imagine voir avec Louis le Grand
Philippe Quatre qui s’avance
Dans l’île de la Conférence.
Ainsi s’avançaient pas à pas,
Nez à nez, nos Aventurières,
Qui, toutes deux étant fort fières,
Vers le milieu du pont ne se voulurent pas
L’une à l’autre céder. Elles avaient la gloire
De compter dans leur race (à ce que dit l’Histoire)
L’une certaine Chèvre au mérite sans pair
Dont Polyphème fit présent à Galatée,
Et l’autre la chèvre Amalthée,
Par qui fut nourri Jupiter.
Faute de reculer, leur chute fut commune ;
Toutes deux tombèrent dans l’eau.
Cet accident n’est pas nouveau
Dans le chemin de la Fortune.
il y a 10 mois
Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
Les obsèques de la lionne La femme du Lion mourut :
Aussitôt chacun accourut
Pour s’acquitter envers le Prince
De certains compliments de consolation,
Qui sont surcroît d’affliction.
Il fit avertir sa Province
Que les obsèques se feraient
Un tel jour, en tel lieu ; ses Prévôts y seraient
Pour régler la cérémonie,
Et pour placer la compagnie.
Jugez si chacun s’y trouva.
Le Prince aux cris s’abandonna,
Et tout son antre en résonna.
Les Lions n’ont point d’autre temple.
On entendit à son exemple
Rugir en leurs patois Messieurs les Courtisans.
Je définis la cour un pays où les gens
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
Sont ce qu’il plaît au Prince, ou s’ils ne peuvent l’être,
Tâchent au moins de le parêtre,
Peuple caméléon, peuple singe du maître,
On dirait qu’un esprit anime mille corps ;
C’est bien là que les gens sont de simples ressorts.
Pour revenir à notre affaire
Le Cerf ne pleura point, comment eût-il pu faire ?
Cette mort le vengeait ; la Reine avait jadis
Etranglé sa femme et son fils.
Bref il ne pleura point. Un flatteur l’alla dire,
Et soutint qu’il l’avait vu rire.
La colère du Roi, comme dit Salomon,
Est terrible, et surtout celle du roi Lion :
Mais ce Cerf n’avait pas accoutumé de lire.
Le Monarque lui dit : Chétif hôte des bois
Tu ris, tu ne suis pas ces gémissantes voix.
Nous n’appliquerons point sur tes membres profanes
Nos sacrés ongles ; venez Loups,
Vengez la Reine, immolez tous
Ce traître à ses augustes mânes.
Le Cerf reprit alors : Sire, le temps de pleurs
Est passé ; la douleur est ici superflue.
Votre digne moitié couchée entre des fleurs,
Tout près d’ici m’est apparue ;
Et je l’ai d’abord reconnue.
Ami, m’a-t-elle dit, garde que ce convoi,
Quand je vais chez les Dieux, ne t’oblige à des larmes.
Aux Champs Elysiens j’ai goûté mille charmes,
Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.
Laisse agir quelque temps le désespoir du Roi.
J’y prends plaisir. A peine on eut ouï la chose,
Qu’on se mit à crier : Miracle, apothéose !
Le Cerf eut un présent, bien loin d’être puni.
Amusez les Rois par des songes,
Flattez-les, payez-les d’agréables mensonges,
Quelque indignation dont leur coeur soit rempli,
Ils goberont l’appât, vous serez leur ami.
Jean de La Fontaine, Livre VIII – Fable 14
il y a 10 mois
Jean Richepin
@jeanRichepin
Cimetière intime J’ai déjà vu plus d’une année,
Belle fille aux fraîches couleurs,
Mourir vieille, jaune, fanée,
Et perdre son chapeau de fleurs.
Adieu, adieu, rose qui tombes !
Adieu, adieu, beau mois de mai!
Mon cœur est le pays des tombes
Où mon bonheur est enfermé.
Espoirs, illusions vermeilles,
Vœux de gloire, pensées d’amour,
Ainsi qu’un jeune essaim d’abeilles
S’envolèrent au point du jour.
Mais, comme ils montaient vers la nue,
Un tourbillon les emporta,
Et le vent à l’haleine aiguë
Brutalement les souffleta.
Tombez ! tombez ! et sur la terre
Je les ramassais, étouffant.
Je les mis dans mon cimetière
Couchés dans des cercueils d’enfant.
Et tous les soirs, lorsque vient l’heure
Où loin du monde je suis seul,
J’ouvre chaque bière, et je pleure
En déployant chaque linceul.
Quand j’ai fini, d’une main lente
Je clos mon cœur, morne cité,
Cimetière, cité dolente,
Où pas un n’est ressuscité.
J’ai déjà vu plus d’une année,
Belle fille aux fraîches couleurs,
Mourir vieille, jaune, fanée,
Et perdre son chapeau de fleurs.
Adieu, adieu, rose qui tombes !
Adieu, adieu, beau mois de mai!
Mon cœur est le pays des tombes
Où mon bonheur est enfermé.
il y a 10 mois
J
Jean-Pierre Villebramar
@jeanPierreVillebramar
9 décembre Comment te deviner, toi qui t’échappes sans le dire
bien au delà du ciel
bien au delà des océans, tranquilles de te voir pleurer.
J’écris pour toi, et pour toi chante
des poèmes que nul ne comprend, et ils disent :
c’est beau
Comment t’aimer, mezza voce,
je vois le soleil dans la nuit, les yeux fermés,
et tes yeux gris ouverts sur la beauté du monde
et sa misère ; t’aimer, et je suis libre,
merveilleusement libre ; prends-moi dans tes bras
et jouons !
T’aimer.
Seul Dieu le sait, et nous,
ainsi lui devenant semblables.
Le soleil joue avec la nuit.
Nous deux.
Elle avec lui, lui avec elle,
et ce poème, que j’écris
pour toi
tes yeux gris,
ouverts sur la beauté du monde,
et sa misère
il y a 10 mois
J
Jean-Pierre Villebramar
@jeanPierreVillebramar
Les enfants de Nöel A Saint-Mariens, passent les trains de Bordeaux à la Rochelle
de La Rochelle à Bordeaux.
Il lui offrit un collier de diamants et de perles
puis tendrement l’embrassa.
Dans la chambrette à l’étage tous deux gaiement sont montés :
leurs jours heureux qui passaient.
Deux gendarmes ont frappé
ainsi frappe le destin,
deux minutes, juste deux,
pour prendre veste et chapeau.
Puis un coup de revolver, deux orphelins, une veuve, et le malheur avec eux
Quand le garçon est monté dans la chambrette, à l’étage,
sur le lit gisait le Père ; à la main son revolver
de 14.
Ils ont fermé la maison, mis dans le train quelques meubles dans le train de Saint-Mariens, de La Rochelle à Bordeaux
dans le train de Saint-Mariens, les deux garçons et leur mère, et Noel un peu plus loin
pour être porté en terre
de La Rochelle à Bordeaux , les deux garçons et leur mère dans le train de Saint-Mariens
pour porter Noel en terre…
Noel, Noel, un enfant
nous est né, Alleluia!
chantez le Divin Enfant
les deux garçons et leur mère
ont porté Noel en Terre!
il y a 10 mois
J
Jean-Pierre Villebramar
@jeanPierreVillebramar
L’étranger Nous sommes tous des étrangers
Les pensionnaires sont tranquilles
le ciel bleu, le vent léger
le couloir donne sur la ville
mais la porte : condamnée !
C’est toujours ainsi qu’ ILS commencent
porte close, puis : le silence
ILS ont condamné la porte
la porte par où tu entrais
ma métisse, mon étrangère,
mon amoureuse, ma si légère…
mais la porte : condamnée !
Les pensionnaires sont tranquilles
le ciel bleu, le vent léger
le couloir donne sur la ville
mais la porte : condamnée !
Ce n’était qu’une porte ouverte
après quoi ce sera, en vrac :
après 22 heures,Dvorjak
faites l’amour mais pas la guerre, Sade, Villon, Apollinaire,
et les blacks !
Sade, Villon, Apollinaire
et les blacks !
Les pensionnaires sont tranquilles
le ciel bleu, le vent léger
le couloir donne sur la ville
mais plus de livres : brûlés !
De la porte ILS ont fait un feu
Auto da fe, autodafé,
on commence toujours par là
brûler les livres ! et le silence.
Marquis de Sade, histoire d’O,
l’Esprit des Lois
une pincée : Sartre, Beauvoir, Camus,
et l’Étranger !
C’est toujours ainsi qu’ ILS commencent
Brûler des livres, les juifs après, puis on observe :
le silence !
Les pensionnaires sont tranquilles
le ciel bleu, le vent léger
le couloir donne sur la ville
mais la porte : condamnée !
Brûler des livres, les juifs après,
Ensuite viendront les arabes ,
avec les blacks, en vrac !
ILS ont enfoncé la porte
tiré dehors les étrangers
Sénégalais, Maliens, Arabes
ne pas faire peur, observer !
on finira plus grand plus tard :
Après !
Les pensionnaires sont tranquilles
le ciel bleu, le vent léger
le couloir donne sur la ville
mais la porte : condamnée !
il y a 10 mois
J
Jean-Pierre Villebramar
@jeanPierreVillebramar
Pont du diable « Alep Est n’existera plus dans quelques mois »
Le représentant des Nations Unies.
Je ne sais pas qui tient les orgues barbares de la nuit,
cette nuit
où les fils de Satan attendent de poser la dernière pierre,
Déjà se pressent les damnés de la Vingt-Cinquième heure.
Billevesées dit l’esprit fort.
Qui peut savoir ?
Le pont du diable, son arche inachevée
Le pont d’Avignon et ses danseurs de volcans
Que les créatures de dieu se comptent !
Déjà se pressent les damnés de la Vingt-Cinquième heure.
Il y a des pleurs et des grincements de dents.
Qui tient les orgues barbares de la nuit, cette nuit ?
Nos chercheurs ont inventé de nouvelles armes
passent dans le ciel des vaisseaux porteurs de mort
les pierres, les pierres même d’Alep en tremblent.
Ce n’est pas de la vingt-cinquième heure qu’il s’agit
mais de la deux-mille ou trois-mille ou dix-millième heure
pour les damnés de la terre.
Oui, nos chercheurs inventent de nouvelles armes.
Grâces leur soient rendues, il n’y a plus un seul pont du diable debout.
Qui tient les orgues barbares de la nuit, cette nuit ?
Il pleut sur Alep des langues de feu
sur les créatures de dieu, les damnés de la terre, les danseurs de volcans du pont
d’Avignon.
Non, il ne reste plus de pierre.
Sur les pierres.
Que chantent, chantent, et résonnent les orgues barbares de la nuit.
Cette nuit.
il y a 10 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Ceux qui sont amoureux, leurs amours chanteront Ceux qui sont amoureux, leurs amours chanteront,
Ceux qui aiment l’honneur, chanteront de la gloire,
Ceux qui sont près du roi, publieront sa victoire,
Ceux qui sont courtisans, leurs faveurs vanteront,
Ceux qui aiment les arts, les sciences diront,
Ceux qui sont vertueux, pour tels se feront croire,
Ceux qui aiment le vin, deviseront de boire,
Ceux qui sont de loisir, de fables écriront,
Ceux qui sont médisants, se plairont à médire,
Ceux qui sont moins fâcheux, diront des mots pour rire,
Ceux qui sont plus vaillants, vanteront leur valeur,
Ceux qui se plaisent trop, chanteront leur louange,
Ceux qui veulent flatter, feront d’un diable un ange :
Moi, qui suis malheureux, je plaindrai mon malheur.
il y a 10 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Malheureux l'an, le mois, le jour, l'heure et le point Malheureux l'an, le mois, le jour, l'heure et le point,
Et malheureuse soit la flatteuse espérance,
Quand pour venir ici j'abandonnai la France :
La France, et mon Anjou, dont le désir me point.
Vraiment d'un bon oiseau guidé je ne fus point,
Et mon coeur me donnait assez signifiance
Que le ciel était plein de mauvaise influence,
Et que Mars était lors à Saturne conjoint.
Cent fois le bon avis lors m'en voulut distraire,
Mais toujours le destin me tirait au contraire :
Et si mon désir n'eût aveuglé ma raison,
N'était-ce pas assez pour rompre mon voyage,
Quand sur le seuil de l'huis, d'un sinistre présage,
Je me blessai le pied sortant de ma maison ?
il y a 10 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Ô trois et quatre fois malheureuse la terre Ô trois et quatre fois malheureuse la terre
Dont le prince ne voit que par les yeux d'autrui,
N'entend que par ceux-là qui répondent pour lui,
Aveugle, sourd et mut plus que n'est une pierre !
Tels sont ceux-là, Seigneur, qu'aujourd'hui l'on resserre
Oisifs dedans leur chambre, ainsi qu'en un étui,
Pour durer plus longtemps, et ne sentir l'ennui
Que sent leur pauvre peuple accablé de la guerre.
Ils se paissent enfants de trompes et canons,
De fifres, de tambours, d'enseignes, gonfanons,
Et de voir leur province aux ennemis en proie.
Tel était celui-là, qui du haut d'une tour,
Regardant ondoyer la flamme tout autour,
Pour se donner plaisir chantait le feu de Troie.
il y a 10 mois
J
Jules Delavigne
@julesDelavigne
Mouton Les images passent et repassent
Dans sa tête, de mouton
Normal
Images de couloirs sinueux d’une enfance sacrée
Bordel
Les cheminées tombent une par une
Les poutres en acier se déforment
Tout est insufflé dans une spirale descendante sans fin
Il a lu tout ce qu’il fallait lire
Il a étudié les meilleurs
Il a dansé, chanté
Pleuré
L’heure de se réveiller arrive
Le soleil se lève, tout comme son indifférence
Et, comme d’habitude, il part brouter dans son champ
Avec les autres moutons parfaits
il y a 10 mois
Jules Laforgue
@julesLaforgue
Arabesques de malheur Nous nous aimions comme deux fous ;
On s’est quittés sans en parler.
(Un spleen me tenait exilé
Et ce spleen me venait de tout.)
Que ferons-nous, moi, de mon âme,
Elle de sa tendre jeunesse !
Ô vieillissante pécheresse,
Oh ! que tu vas me rendre infâme !
Des ans vont passer là-dessus ;
On durcira chacun pour soi ;
Et plus d’une fois, je m’y vois,
On ragera : » Si j’avais su ! « ….
Oh ! comme on fait claquer les portes,
Dans ce Grand Hôtel d’anonymes !
Touristes, couples légitimes,
Ma Destinée est demi-morte !….
– Ses yeux disaient : » Comprenez-vous !
» Comment ne comprenez-vous pas ! «
Et nul n’a pu le premier pas ;
On s’est séparés d’un air fou.
Si on ne tombe pas d’un même
Ensemble à genoux, c’est factice,
C’est du toc. Voilà la justice
Selon moi, voilà comment j’aime.
il y a 10 mois
Jules Laforgue
@julesLaforgue
Clair de lune Penser qu’on vivra jamais dans cet astre,
Parfois me flanque un coup dans l’épigastre.
Ah ! tout pour toi, Lune, quand tu t’avances
Aux soirs d’août par les féeries du silence !
Et quand tu roules, démâtée, au large
A travers les brisants noirs des nuages !
Oh ! monter, perdu, m’étancher à même
Ta vasque de béatifiants baptêmes !
Astre atteint de cécité, fatal phare
Des vols migrateurs des plaintifs Icares !
Oeil stérile comme le suicide,
Nous sommes le congrès des las, préside ;
Crâne glacé, raille les calvities
De nos incurables bureaucraties ;
O pilule des léthargies finales,
Infuse-toi dans nos durs encéphales !
O Diane à la chlamyde très-dorique,
L’Amour cuve, prend ton carquois et pique
Ah ! d’un trait inoculant l’être aptère,
Les coeurs de bonne volonté sur terre !
Astre lavé par d’inouïs déluges,
Qu’un de tes chastes rayons fébrifuges,
Ce soir, pour inonder mes draps, dévie,
Que je m’y lave les mains de la vie !
il y a 10 mois
Jules Laforgue
@julesLaforgue
La petite infanticide Ô saisons d’Ossian, ô vent de province,
Je mourrais encor pour peu que t’y tinsses
Mais ce serait de la démence
Oh! je suis blasée
Sur toute rosée
Le toit est crevé, l’averse qui passe
En évier public change ma paillasse,
Il est temps que ça cesse
Les gens d’en bas
Et les voisins se plaignent
Que leur plafond déteigne
Oh! Louis m’a promis, car je suis nubile
De me faire voir Paris la grand ville
Un matin de la saison nouvelle
Oh ! mère qu’il me tarde
D’avoir là ma mansarde…
Des Édens dit-il, des belles musiques
Où des planches anatomiques passent…
Tout en faisant la noce
Et des sénats de ventriloques
Dansons la farandole
Louis n’a qu’une parole
Et puis comment veut-on que je précise
Dès que j’ouvre l’oeil tout me terrorise.
Moi j’ai que l’extase, l’extase
Tiens, qui fait ce vacarme ?…
Ah ! ciel le beau gendarme
Qui entr’ par la lucarne.
Taïaut! taïaut ! À l’échafaud !
Et puis on lui a guillotiné son cou,
Et ça n’a pas semblé l’affecter beaucoup
(de ce que ça n’ait pas plus affecté sa fille)
Mais son ami Louis ça lui a fait tant de peine
Qu’il s’a du pont des Arts jeté à la Seine
Mais un grand chien terr’ neuve
L’a retiré du fleuve
Or justement passait par là
La marquise de Tralala,
Qui lui a offert sa main
D’un air républicain.
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
A un poète saturnien Ô bruit doux de la pluie
par terre et sur les toits
Ce poète-citadin
ne connaissait pas l’Afrique
aux bêtes et aux enfants
faméliques
sans demeure
sur un sol qui se craquelle
et qui meurent qui meurent…
Sur cette Terre
même l’eau a choisi
la couleur blanche
Le soleil automnal
ou printanier
au pays de Verlaine
Ici
n’est que feu
n’est que haine
Ici où il pleure dans mon coeur
pour ces damnés de la faim
et de la soif
Mon deuil a une raison :
l’indifférence de la nature
est une trahison
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Agnus dei Ils étaient entrés dans cette église
s’étaient signés
quelques gouttes d’eau bénite
par fidélité
à sa Lumière
Puis
s’étaient absorbés dans la prière
dans cette Maison
où règnent le silence
que l’âme aime tant
Avant peut-être
avaient-ils allumé
des cierges
par amour de la Vierge ?
Le couteau surgi de nulle part
injure de sang
à la pureté des lieux
œuvre d’une créature sans Dieu
témoignait de la folie du monde
par trois crimes immondes
Trinité des martyrs
êtres ordinaires
sacrifiés sur l’autel
du non-sens
quand finira l’universelle démence ?
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Azovstal Ils attendent à la surface
ces héros au cœur de glace
que sous l’immense usine
au royaume de Proserpine
cette déesse de la mort
leurs victimes
s’entredévorent
L’ordre venu du Kremlin
a chargé la soif et la faim
de mettre un terme à la résistance
Que dire alors
de cette impuissance
qui transforme le monde en spectateur
de ce scénario de l’horreur ?
Que dire de l’épouvantail nucléaire
qui éloigne la conscience universelle
et l’oblige à se taire ?
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
À ma femme Quand ton esprit ravagé
reverdira
et que ton regard troublé
par l’égarement
retrouvera le chemin
de l’oasis d’antan
Quand les voix
qui te hantent
se tairont à jamais
et que le monde exilé
sera de nouveau
ton familier
Quand le temps d’aimer
frappera à notre porte
après sa longue absence
les transes
et ta démence
Je te reconnaîtrai enfin
Ô ma noyée d’aujourd’hui
sauvée par la grâce
de demain
et sans dire un seul mot
congédierai mon chagrin
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Châtiment Dans cette marche défigurée
l’on ne sait où l’on va
des femmes surgissent
parfois
pour nous offrir
le privilège de leurs visages
et notre seconde nature
incarnée
Lorsque l’homme en nous
les opprime
elles s’en vont
et nous laissent seuls
face à l’illusion
de notre virilité
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Damnés Ici à Paris ce gris
son vent mortel son hiver
ses morts dans leur galère
la rue ou la forêt
quand vient la nuit
putain au cœur de glace
pendant que s’allument les appartements
cyniques feux de joie
armures contre le froid
et la misère
ils dorment ou ne dorment pas
dans ses bras de marbre
sur le trottoir
ou parmi les arbres
Je souffre au nom de tous ses frères inconnus
ne dispose que de mots pour couvrir
leurs corps grelottants
dans un pays où les manants
décapitèrent les nobles
pas l’hydre de l’Ignoble
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Exotisme Ils nous ont arrachés nus
aux bras de la forêt nourricière
pour nous exposer aux regards
de Blancs bien vêtus
Dans cette ville Paris
pourquoi ce froid
ces bruits
Une fillette de deux ans et demi
est morte
Nous l’avons enveloppée
dans des peaux
À présent elle dort
tout près du zoo
où nous attirons les foules
Bientôt leurs virus
nous aurons décimés
Le jour croit pouvoir
se passer de la nuit
et le Blanc du Noir
Sachez que votre double
de couleur
lui aussi
appartient au genre humain
et qu’un monstre vit
sous chaque masque blanc
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Hospitalité Ne soyez pas trop sévères
avec vos frères
Ils arrivent sur des bateaux de fortune
quelque part sur notre Terre
ne demandent pas la lune
juste le gîte
et le couvert
Nous sommes tous issus
du même père
et devons rendre des comptes
à la même messagère
qui nous rappelle
que nous sommes éphémères
Alors ce mépris et cette colère
de la part de ceux qui seront
la proie du feu ou des vers
demeurent un mystère
Ne soyez pas trop sévères
Demain peut-être
la misère et la mer
à la langue amère
vous parleront
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Héros Poussière du chemin,
tu connais ces silhouettes
dignes
sous les coups de fouet
du soleil
ou courbées sous la bise
et les rafales de neige
ces êtres solidaires
de leurs pareils
que l’on méprise
rebelles au piège
Poussière du chemin,
tu connais leurs vêtements
lacérés
de coups du sort
leurs yeux d’abîme
Pourtant leurs âmes bondissantes
fauves
à l’élan sublime
bravent la mort
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Liberté Ceux par qui
le scandale arrive
ceux qui écrivent
ceux qui dessinent
et qu’on assassine
Ceux qui préfèrent
leur plume
à leur enfer
et leur crayon
à leur bâillon
la postérité
de Voltaire
et de Montesquieu
qui n’a
ni cieux ni dieux
pauvres innocents
mes frères de sang
un 7 janvier
votre dernier matin
le rameau d’olivier
est tombé
de vos mains
car n’est-ce pas
être humain que de rire
des ténèbres
au nom
de la liberté de dire ?
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Lola Tu revenais du collège
âme légère de douze ans
Dans le hall de l’immeuble
ton martyr une femme
vingt quatre ans d’âge
agent d’un destin
aveugle
Qu’as-tu enduré durant
ce tragique tête-à-tête
dans cet appartement inconnu
avec cette créature
ô toi pauvre gosse ?
L’on raconte que ce fut
les noces
de la perversion et du sadisme
Tu revenais du collège
à peine éclose à la vie
qui sauvagement
te fut ravie
Des experts se pencheront
sur la part sombre
de cet être
pour tenter de comprendre
l’incompréhensible
qu’une enfant puisse être
la cible
d’un acte en apparence
gratuit
Et moi qui suis père
je songe pauvre Lola
à la souffrance de tes parents
en ce pays de France
devenu soudain leur calvaire
il y a 10 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Martyrs Vous faites vos adieux
à l’humanité
en demandant que l’on se souvienne de vous
soldats courageux
dans Marioupol dévastée
sans munitions sans nourriture
face à l’étau russe qui se resserre
pour vous broyer
Est-ce donc cela notre présent
des temps en proie aux fous
qui avec des corps déchiquetés
inaugurent
leur sanglante littérature ?
Et vous, notre Père,
en qui l’on croit
n’est-ce pas grande misère
que cette interminable ivresse de sang ?
Le poète ne peut se taire
Il crie au nom des innocents
parce qu’il pressent
que nous entrons dans l’ère
du terrestre enfer