À l’amie Dans tes yeux les clartés trop brutales s’émoussent.
Ton front lisse, pareil à l’éclatant vélin,
Que l’écarlate et l’or de l’image éclaboussent,
Brûle de reflets roux ton regard opalin.
Ton visage a pour moi le charme des fleurs mortes,
Et le souffle appauvri des lys que tu m’apportes
Monte vers tes langueurs du soleil au déclin.
Fuyons, Sérénité de mes heures meurtries,
Au fond du crépuscule infructueux et las.
Dans l’enveloppement des vapeurs attendries,
Dans le soir énerve, je te dirai très bas.
Ce que fut la beauté de la Maîtresse unique…
Ah ! cet âpre parfum, cette amère musique
Des bonheurs accablés qui ne reviendront pas !
Ainsi nous troublerons longtemps la paix des cendres.
Je te dirai des mots de passion, et toi,
Le rêve ailleurs, longtemps, de tes vagues yeux tendres,
Tu suivras ton passé de souffrance et d’effroi.
Ta voix aura le chant des lentes litanies
Où sanglote l’écho des plaintes infinies,
Et ton âme, l’essor douloureux de la Foi.
il y a 9 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Le château de l’espérance Ta pâle chevelure ondoie
Parmi les parfums de ta peau
Comme folâtre un blanc drapeau
Dont la soie au soleil blondoie.
Las de battre dans les sanglots
L’air d’un tambour que l’eau défonce,
Mon coeur à son passé renonce
Et, déroulant ta tresse en flots,
Marche à l’assaut, monte, – ou roule ivre
Par des marais de sang, afin
De planter ce drapeau d’or fin
Sur ce sombre château de cuivre
– Où, larmoyant de nonchaloir,
L’Espérance rebrousse et lisse
Sans qu’un astre pâle jaillisse
La Nuit noire comme un chat noir.
il y a 9 mois
Théodore Agrippa d'Aubigné
@theodoreAgrippaDaubigne
Nos désirs sont d’amour Nos désirs sont d’amour la dévorante braise,
Sa boutique nos corps, ses flammes nos douleurs,
Ses tenailles nos yeux, et la trempe nos pleurs,
Nos soupirs ses soufflets, et nos sens sa fournaise.
De courroux, ses marteaux, il tourmente notre aise
Et sur la dureté, il rabat nos malheurs,
Elle lui sert d’enclume et d’étoffe nos coeurs
Qu’au feu trop violent, de nos pleurs il apaise,
Afin que l’apaisant et mouillant peu à peu
Il brûle d’avantage et rengrège son feu.
Mais l’abondance d’eau peut amortir la flamme.
Je tromperai l’enfant, car pensant m’embraser,
Tant de pleurs sortiront sur le feu qui m’enflamme
Qu’il noiera sa fournaise au lieu de l’arroser.
il y a 9 mois
Théodore Agrippa d'Aubigné
@theodoreAgrippaDaubigne
Quiconque sur les os des tombeaux effroyables… Quiconque sur les os des tombeaux effroyables
Verra le triste amant, les restes misérables
D’un cœur séché d’amour, et l’immobile corps
Qui par son âme morte est mis entre les morts,
Qu’il déplore le sort d’une âme à soi contraire,
Qui pour un autre corps à son corps adversaire
Me laisse examiné sans vie et sans mourir,
Me fait aux noirs tombeaux après elle courir.
Démons qui fréquentez des sépulcres la lame,
Aidez-moi, dites-moi nouvelles de mon âme,
Ou montrez-moi les os qu’elle suit adorant
De la morte amitié qui n’est morte en mourant.
Diane, où sont les traits de cette belle face ?
Pourquoi mon oeil ne voit comme il voyait ta grâce,
Ou pourquoi l’oeil de l’âme, et plus vif et plus fort,
Te voit et n’a voulu se mourir en ta mort ?
Elle n’est plus ici, ô mon âme aveuglée,
Le corps vola au ciel quand l’âme y est allée;
Mon cœur, mon sang, mes yeux, verraient entre les morts
Son cœur, son sang, ses yeux, si c’était là son corps.
Si tu brûle à jamais d’une éternelle flamme,
A jamais je serai un corps sans toi, mon âme,
Les tombeaux me verront effrayé de mes cris,
Compagnons amoureux des amoureux esprits.
il y a 9 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
La chanson de ma mie Or, voyez qui je suis, ma mie.
Alfred de Musset.
L’eau, dans les grands lacs bleus
Endormie,
Est le miroir des cieux :
Mais j’aime mieux les yeux
De ma mie.
Pour que l’ombre parfois
Nous sourie,
Un oiseau chante au bois :
Mais j’aime mieux la voix
De ma mie.
La rosée, à la fleur
Défleurie
Rend sa vive couleur :
Mais j’aime mieux un pleur
De ma mie.
Le temps vient tout briser.
On l’oublie :
Moi, pour le mépriser,
Je ne veux qu’un baiser
De ma mie.
La rose sur le lin
Meurt flétrie ;
J’aime mieux pour coussin
Les lèvres et le sein
De ma mie.
On change tour à tour
De folie :
Moi, jusqu’au dernier jour,
Je m’en tiens à l’amour
De ma mie.
Mars 1845.
il y a 9 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Le chasseur Je suis enfant de la montagne,
Comme l’isard, comme l’aiglon ;
Je ne descends dans la campagne
Que pour ma poudre et pour mon plomb ;
Puis je reviens, et de mon aire
Je vois en bas l’homme ramper,
Si haut placé que le tonnerre
Remonterait pour me frapper.
Je n’ai pour boire, après ma chasse,
Que l’eau du ciel dans mes deux mains ;
Mais le sentier par où je passe
Est vierge encor de pas humains.
Dans mes poumons nul souffle immonde
En liberté je bois l’air bleu,
Et nul vivant en ce bas monde
Autant que moi n’approche Dieu.
Pour mon berceau j’eus un nid d’aigle
Comme un héros ou comme un roi,
Et j’ai vécu sans frein ni règle,
Plus haut que l’homme et que la loi.
Après ma mort une avalanche
De son linceul me couvrira,
Et sur mon corps la neige blanche,
Tombeau d’argent, s’élèvera.
il y a 9 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Sérénade Sur le balcon où tu te penches
Je veux monter… efforts perdus !
Il est trop haut, et tes mains blanches
N’atteignent pas mes bras tendus.
Pour déjouer ta duègne avare,
Jette un collier, un ruban d’or ;
Ou des cordes de ta guitare
Tresse une échelle, ou bien encor…
Ôte tes fleurs, défais ton peigne,
Penche sur moi tes cheveux longs,
Torrent de jais dont le flot baigne
Ta jambe ronde et tes talons.
Aidé par cette échelle étrange,
Légèrement je gravirai,
Et jusqu’au ciel, sans être un ange,
Dans les parfums je monterai !
il y a 9 mois
Tristan Corbière
@tristanCorbiere
La cigale et le poète Le poète ayant chanté,
Déchanté,
Vit sa Muse, presque bue,
Rouler en bas de sa nue
De carton, sur des lambeaux
De papiers et d’oripeaux.
Il alla coller sa mine
Aux carreaux de sa voisine,
Pour lui peindre ses regrets
D’avoir fait — Oh : pas exprès ! —
Son honteux monstre de livre !…
— « Mais : vous étiez donc bien ivre ?
— Ivre de vous !… Est-ce mal ?
— Écrivain public banal !
Qui pouvait si bien le dire…
Et, si bien ne pas l’écrire !
— J’y pensais, en revenant…
On n’est pas parfait, Marcelle…
— Oh ! c’est tout comme, dit-elle,
Si vous chantiez, maintenant !
il y a 9 mois
Voltaire
@voltaire
À une jeune veuve Jeune et charmant objet à qui pour son partage
Le ciel a prodigué les trésors les plus doux,
Les grâces, la beauté, l’esprit, et le veuvage,
Jouissez du rare avantage
D’être sans préjugés, ainsi que sans époux !
Libre de ce double esclavage,
Joignez à tous ces dons celui d’en faire usage ;
Faites de votre lit le trône de l’Amour ;
Qu’il ramène les Ris, bannis de votre cour
Par la puissance maritale.
Ah ! ce n’est pas au lit qu’un mari se signale :
Il dort toute la nuit et gronde tout le jour ;
Ou s’il arrive par merveille
Que chez lui la nature éveille le désir,
Attend-il qu’à son tour chez sa femme il s’éveille ?
Non : sans aucun prélude il brusque le plaisir ;
Il ne connaît point l’art d’animer ce qu’on aime,
D’amener par degrés la volupté suprême :
Le traître jouit seul… si pourtant c’est jouir.
Loin de vous tous liens, fût-ce avec Plutus même !
L’Amour se chargera du soin de vous pourvoir.
Vous n’avez jusqu’ici connu que le devoir,
Le plaisir vous reste à connaître.
Quel fortuné mortel y sera votre maître !
Ah ! lorsque, d’amour enivré,
Dans le sein du plaisir il vous fera renaître,
Lui-même trouvera qu’il l’avait ignoré.
il y a 9 mois
Walt Whitman
@waltWhitman
Je chante le soi-même Je chante le soi-même, une simple personne séparée,
Pourtant je prononce le mot démocratique, le mot En Masse,
C’est de la physiologie du haut en bas, que je chante,
La physionomie seule, le cerveau seul, ce n’est pas digne de la Muse;
je dis que l’Ëtre complet en est bien plus digne.
C’est le féminin à l’égal du mâle que je chante,
C’est la vie, incommensurable en passion, ressort et puissance,
Pleine de joie, mise en oeuvre par des lois divines pour la plus libre action,
C’est l’Homme Moderne que je chante.
il y a 9 mois
W
William Braumann
@williamBraumann
Absence J’ai rêvé de m’éteindre auprès de vous
Avec encore des braises plein la tête
De m’étendre, comme une bougie muette
Dans l’entrelacs de vos cheveux roux
Nos corps épuisés auraient puisé
Toutes les laves carminées du volcan
La nuit se serait écoulée, fleuve bouillant
Et nous aurait semé sa passion en passant
J’aurais voulu que ces heures me transpercent
Comme ces boucles de nacre à vos oreilles,
Qu’elles laissent des marques à mon réveil
Mais ce matin j’ai regardé sur ma peau,
Nul trace de vos tendres morsures
Rien
Que nos impalpables souvenirs en gerçures.
il y a 9 mois
W
William Braumann
@williamBraumann
Duo maritime Ton regard froid a emporté mes foulées incertaines
Jusqu’à tes pieds où je me noie,
Le phare de la cote, repu d’oxygène
Envoie des s.o.s à tes chiens qui aboient
Je chancelle sous le choc de ton au revoir,
Cognées par ton indifférence, coups du sort
Mes pensées se défont sur la jetée du port
Et le temps se répand sur les miroirs
Brisés, tranchant comme des rasoirs
De cette fin de jour aux doux baisers d’alligators
Tes silences, impénétrables fumées de verglas
Étouffent ma soif d’amour carnassière,
Quand le cœur serré sous la muselière
J’aboie que je ne peux plus aimer, si tu n’es plus là
J’ai perdu la trace de tes promesses saoules
Elles m’oublient sur je ne sais quel comptoir,
Alors je chante avec la mer
Pour ne pas y plonger,
La balade décapitée
D’un bateau renversé sur le débarcadère.
il y a 9 mois
W
Winston Perez
@winstonPerez
Licorne de la liberté Licorne de la Liberté
animal au coeur sublime
ouvre moi les portes de la Vérité
Licorne de la Vérité
animal au souffle de Vie
laisse mon exil devenir oubli
Quand deviendrons nous purs ?
Quand deviendrons nous beaux ?
Quand est-ce que l’Idéal que nous avions voulu
transformera cette eau
que nous n’avons jamais bue ?
Licorne, tu es la source
Licorne, tu es le jeu
Licorne, tu es l’équilibre
J’irai marcher dans la forêt
J’irai tout droit vers la cascade
Je te retrouverai là bas
fixant l’éternité en flamme
il y a 9 mois
W
Winston Perez
@winstonPerez
L’aventure est d’abord humaine L’aventure est d’abord humaine
Océan de vie, océan de paix
L’aventure est d’abord humaine
Cris de temps passé aux lisières des prés
L’aventure est d’abord humaine
Comme tous les solstices qui ont précédé
L’aventure est d’abord humaine
Fleuve d’harmonie, fleuve d’éternité
L’aventure est d’abord humaine
Alchimie d’amour, désirs d’Absolu
L’aventure est d’abord humaine
Désespoirs palpables, vifs, jaunes, crus
L’aventure est d’abord humaine
Désirs d’Olympe paraissant fanés
L’aventure est d’abord humaine
Riches, pourpres, exilés
L’aventure est d’abord humaine
Des anciens temps aux nouveaux essors
L’aventure est d’abord humaine
D’absurde éclipses de sommeils morts
L’aventure est d’abord humaine
C’est la réalité qu’un jour les Dieux ont convoité
L’aventure est d’abord humaine
Absence de funambule, de rythmes sots, brusques, ancrés
L’aventure est d’abord humaine
Dans une église ou bien un Mausolée
L’aventure est d’abord humaine
Symbôle d’obélisques qui arrachent le ciel
L’aventure est d’abord humaine
Lames coupantes et dures, face à l’Eternel
L’aventure est d’abord humaine
Comme si un jour nous obtenions le Feu
L’aventure est d’abord humaine
Ne restera qu’un chiffre pur, ce sera Deux