Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
La chauve-souris le buisson et le canard Le buisson, le canard et la chauve-souris, Voyant tous trois qu’en leur pays Ils faisaient petite fortune, Vont trafiquer au loin, et font bourse commune. Ils avaient des comptoirs, des facteurs, des agents Non moins soigneux qu’intelligents, Des registres exacts de mise et de recette. Tout allait bien; quand leur emplette, En passant par certains endroits, Remplis d’écueils, et fort étroits, Et de trajet très difficile, Alla tout emballée au fond des magasins Qui du Tartare sont voisins. Notre trio poussa maint regret inutile; Ou plutôt il n’en poussa point; Le plus petit marchand est savant sur ce point Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte. Celle que, par malheur, nos gens avaient soufferte Ne put se réparer le cas fut découvert. Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressource, Prêts à porter le bonnet vert. Aucun ne leur ouvrit sa bourse. Et le sort principal, et les gros intérêts, Et les sergents et les procès, Et le créancier à la porte Dès devant la pointe du jour, N’occupaient le trio à chercher maint détour Pour contenter cette cohorte. Le buisson accrochait les passants à tous coups. « Messieurs, leur disait-il, de grâce, apprenez-nous En quel lieu sont les marchandises Que certains gouffres nous ont prises.» Le plongeon sous les eaux s’en allait les chercher. L’oiseau chauve-souris n’osait plus approcher Pendant le jour nulle demeure Suivi de sergents à toute heure, En des trous il s’allait cacher. Je connais maint detteur qui n’est ni souris-chauve, Ni buisson, ni canard, ni dans tel cas tombé, Mais simple grand seigneur, qui tous les jours se sauve Par un escalier dérobé.