Seigneur, je ne saurais regarder d’un bon oeil Seigneur, je ne saurais regarder d’un bon oeil
Ces vieux singes de cour, qui ne savent rien faire,
Sinon en leur marcher les princes contrefaire,
Et se vêtir, comme eux, d’un pompeux appareil.
Si leur maître se moque, ils feront le pareil,
S’il ment, ce ne sont eux qui diront du contraire,
Plutôt auront-ils vu, afin de lui complaire,
La lune en plein midi, à minuit le soleil.
Si quelqu’un devant eux reçoit un bon visage,
Es le vont caresser, bien qu’ils crèvent de rage
S’il le reçoit mauvais, ils le montrent au doigt.
Mais ce qui plus contre eux quelquefois me dépite,
C’est quand devant le roi, d’un visage hypocrite,
Ils se prennent à rire, et ne savent pourquoi
il y a 9 mois
J
Jules Delavigne
@julesDelavigne
Chien errant Il essaie des fois de défaire ce nœud
Essentiel, sa force, sa faiblesse
Une couronne imaginaire posée sur la tête,
Une brioche croquée dans la pénombre,
Loin du regard des autres
Le soleil brille sur lui
Il ne le voit pas
L’estragon de son hémisphère,
Il pourrait laisser ses bagages derrière lui
Et aller dans les roses de son enfance
Embrasser le sable des jours oubliés
Pourquoi se cache-t-il quand le vent se lève ?
Ses poches sont vides de toute façon.
Le chien errant en lui le suit depuis toujours
Mais n’a jamais la force pour le rattraper
Son ciel de l’absolu est entouré d’horizons
Mais il l’écarte, un mensonge démenti
Installé confortablement sur son canapé
Au milieu d’un champ de poussière
Il ne vit que la moitié de son existence
il y a 9 mois
L
Louise Ackermann
@louiseAckermann
L’amour et la mort A M. Louis de Ronchaud)
I
Regardez-les passer, ces couples éphémères !
Dans les bras l’un de l’autre enlacés un moment,
Tous, avant de mêler à jamais leurs poussières,
Font le même serment :
Toujours ! Un mot hardi que les cieux qui vieillissent
Avec étonnement entendent prononcer,
Et qu’osent répéter des lèvres qui pâlissent
Et qui vont se glacer.
Vous qui vivez si peu, pourquoi cette promesse
Qu’un élan d’espérance arrache à votre coeur,
Vain défi qu’au néant vous jetez, dans l’ivresse
D’un instant de bonheur ?
Amants, autour de vous une voix inflexible
Crie à tout ce qui naît : « Aime et meurs ici-bas ! »
La mort est implacable et le ciel insensible ;
Vous n’échapperez pas.
Eh bien ! puisqu’il le faut, sans trouble et sans murmure,
Forts de ce même amour dont vous vous enivrez
Et perdus dans le sein de l’immense Nature,
Aimez donc, et mourez !
II
Non, non, tout n’est pas dit, vers la beauté fragile
Quand un charme invincible emporte le désir,
Sous le feu d’un baiser quand notre pauvre argile
A frémi de plaisir.
Notre serment sacré part d’une âme immortelle ;
C’est elle qui s’émeut quand frissonne le corps ;
Nous entendons sa voix et le bruit de son aile
Jusque dans nos transports.
Nous le répétons donc, ce mot qui fait d’envie
Pâlir au firmament les astres radieux,
Ce mot qui joint les coeurs et devient, dès la vie,
Leur lien pour les cieux.
Dans le ravissement d’une éternelle étreinte
Ils passent entraînés, ces couples amoureux,
Et ne s’arrêtent pas pour jeter avec crainte
Un regard autour d’eux.
Ils demeurent sereins quand tout s’écroule et tombe ;
Leur espoir est leur joie et leur appui divin ;
Ils ne trébuchent point lorsque contre une tombe
Leur pied heurte en chemin.
Toi-même, quand tes bois abritent leur délire,
Quand tu couvres de fleurs et d’ombre leurs sentiers,
Nature, toi leur mère, aurais-tu ce sourire
S’ils mouraient tout entiers ?
Sous le voile léger de la beauté mortelle
Trouver l’âme qu’on cherche et qui pour nous éclôt,
Le temps de l’entrevoir, de s’écrier : » C’est Elle ! »
Et la perdre aussitôt,
Et la perdre à jamais ! Cette seule pensée
Change en spectre à nos yeux l’image de l’amour.
Quoi ! ces voeux infinis, cette ardeur insensée
Pour un être d’un jour !
Et toi, serais-tu donc à ce point sans entrailles,
Grand Dieu qui dois d’en haut tout entendre et tout voir,
Que tant d’adieux navrants et tant de funérailles
Ne puissent t’émouvoir,
Qu’à cette tombe obscure où tu nous fais descendre
Tu dises : » Garde-les, leurs cris sont superflus.
Amèrement en vain l’on pleure sur leur cendre ;
Tu ne les rendras plus ! »
Mais non ! Dieu qu’on dit bon, tu permets qu’on espère ;
Unir pour séparer, ce n’est point ton dessein.
Tout ce qui s’est aimé, fût-ce un jour, sur la terre,
Va s’aimer dans ton sein.
III
Eternité de l’homme, illusion ! chimère !
Mensonge de l’amour et de l’orgueil humain !
Il n’a point eu d’hier, ce fantôme éphémère,
Il lui faut un demain !
Pour cet éclair de vie et pour cette étincelle
Qui brûle une minute en vos coeurs étonnés,
Vous oubliez soudain la fange maternelle
Et vos destins bornés.
Vous échapperiez donc, ô rêveurs téméraires
Seuls au Pouvoir fatal qui détruit en créant ?
Quittez un tel espoir ; tous les limons sont frères
En face du néant.
Vous dites à la Nuit qui passe dans ses voiles :
» J’aime, et j’espère voir expirer tes flambeaux. »
La Nuit ne répond rien, mais demain ses étoiles
Luiront sur vos tombeaux.
Vous croyez que l’amour dont l’âpre feu vous presse
A réservé pour vous sa flamme et ses rayons ;
La fleur que vous brisez soupire avec ivresse :
« Nous aussi nous aimons ! »
Heureux, vous aspirez la grande âme invisible
Qui remplit tout, les bois, les champs de ses ardeurs ;
La Nature sourit, mais elle est insensible :
Que lui font vos bonheurs ?
Elle n’a qu’un désir, la marâtre immortelle,
C’est d’enfanter toujours, sans fin, sans trêve, encor.
Mère avide, elle a pris l’éternité pour elle,
Et vous laisse la mort.
Toute sa prévoyance est pour ce qui va naître ;
Le reste est confondu dans un suprême oubli.
Vous, vous avez aimé, vous pouvez disparaître :
Son voeu s’est accompli.
Quand un souffle d’amour traverse vos poitrines,
Sur des flots de bonheur vous tenant suspendus,
Aux pieds de la Beauté lorsque des mains divines
Vous jettent éperdus ;
Quand, pressant sur ce coeur qui va bientôt s’éteindre
Un autre objet souffrant, forme vaine ici-bas,
Il vous semble, mortels, que vous allez étreindre
L’Infini dans vos bras ;
Ces délires sacrés, ces désirs sans mesure
Déchaînés dans vos flancs comme d’ardents essaims,
Ces transports, c’est déjà l’Humanité future
Qui s’agite en vos seins.
Elle se dissoudra, cette argile légère
Qu’ont émue un instant la joie et la douleur ;
Les vents vont disperser cette noble poussière
Qui fut jadis un coeur.
Mais d’autres coeurs naîtront qui renoueront la trame
De vos espoirs brisés, de vos amours éteints,
Perpétuant vos pleurs, vos rêves, votre flamme,
Dans les âges lointains.
Tous les êtres, formant une chaîne éternelle,
Se passent, en courant, le flambeau de l’amour.
Chacun rapidement prend la torche immortelle
Et la rend à son tour.
Aveuglés par l’éclat de sa lumière errante,
Vous jurez, dans la nuit où le sort vous plongea,
De la tenir toujours : à votre main mourante
Elle échappe déjà.
Du moins vous aurez vu luire un éclair sublime ;
Il aura sillonné votre vie un moment ;
En tombant vous pourrez emporter dans l’abîme
Votre éblouissement.
Et quand il régnerait au fond du ciel paisible
Un être sans pitié qui contemplât souffrir,
Si son oeil éternel considère, impassible,
Le naître et le mourir,
Sur le bord de la tombe, et sous ce regard même,
Qu’un mouvement d’amour soit encor votre adieu !
Oui, faites voir combien l’homme est grand lorsqu’il aime,
Et pardonnez à Dieu !
il y a 9 mois
M
Marie Krysinska
@marieKrysinska
Nature morte À Louis Forain
Un boudoir cossu :
Les meubles, les tentures et les œuvres d’art, ont la banalité requise.
Et la lampe — soleil à gage — éclaire les deux amants.
Elle est teinte en blonde, car Il n’aime que les blondes.
Lui, a les cheveux de la même nuance que son complet très à la mode
*
Par la fenêtre ouverte on voit un ciel bleu comme une flamme de soufre.
Et la lune, radieuse en ces voiles, flotte vers de fulgurants hymens.
*
Ayant achevé de lire le cours authentique de la Bourse, Il allume un cigare cher — et songe :
« C’est une heure agréable de la journée, celle où l’on SACRIFIE À L’AMOUR. »
Ils se sont rapprochés et causent
DE L’ÉGOÏSME À DEUX, DES ÂMES SŒURS. . .
Lui, bâillant un peu
Elle tâchant à éviter la cendre du cigare.
*
Par la fenêtre ouverte on voit un ciel bleu comme une flamme de soufre,
Et les arbres bercés de nuptiales caresses.
*
Lui, ayant fini son cigare, se penche pour donner un baiser à celle
Qu’au club il appelle « sa maîtresse ».
Il se penche pour lui donner un baiser — tout en rêvant :
« Pourvu que la Banque Ottomane ne baisse pas ! »
Elle, offre ses lèvres pensant à ses fournisseurs
Et leur baiser sonne comme le choc de deux verres vides.
*
Par la fenêtre ouverte on voit un ciel bleu comme une flamme de soufre
Et les oiseaux veilleurs chantent l’immortel Amour
Tandis que de la terre monte une vapeur d’encens
Et des parfums d’Extase.
*
— Si nous fermions — disent-ils — cette fenêtre qui gêne NOTRE EXTASE !
il y a 9 mois
M
Maurice Rollinat
@mauriceRollinat
La parole Avec le masque du mensonge
La parole suit son chemin,
Rampe aujourd'hui, vole demain,
Se raccourcit ou bien s'allonge.
Elle empoigne comme une main
Et se dérobe comme un songe.
Avec le masque du mensonge
La parole suit son chemin.
Cœurs de gaze et de parchemin,
Chacun la boit comme une éponge ;
Et jusqu'au fond du gouffre humain
Elle s'insinue et se plonge
Avec le masque du mensonge.
il y a 9 mois
Max Jacob
@maxJacob
Corpus mensonges Toi seule es ma
Société
ma gloire et ma banqueroute
jusqu'à honte et satiété
en coquille ou décoquillé
en liasse et goutte et goutte.
Toi
Seule ! et moi à
Sardanapale
que tout le reste est pâle.
L'église croule et tout l'argent
les dieux, l'art et les gens légendes !
Comment quitter l'appartement où s'embusque le faune !
Au moins le pneu, ce spécimen de toi ! le téléphone.
Or on m'ordonna de dîner c'est chez
M. le comte.
Et mes dix doigts tambourinaient.
Quand donc auront-ils terminé ?
Est-ce que tout cela compte ?
Ainsi parle étourdiment l'amant aux murs de l'enfer ses tourments sous le vocable d'une maîtresse.
Pardon deux fois, ô
Jésus-Christ c'est moi ! pour vous, ces vers écrits c'est à
Vous qu'ils s'adressent.
il y a 9 mois
M
Myriam Maltais
@myriamMaltais
Le mensongeur Telle une robe exquise,
De sa peau se déguise.
D'illusions nous berce ;
Comme une lame nous transperce.
De papier je l'ai lu ;
De ses mots je l'ai cru.
Babille, bafouille, bavarde tant que veux
Je crains chaque parole, mon malheureux.
Tandis que la fleur de mon printemps bourgeonne ;
Toi, la névasse de ton hiver détonne.
Aussi scabreuse noirceur restera,
Ton cœur infidèle, décevra.
il y a 9 mois
P
Patrice Cosnuau
@patriceCosnuau
Merci, mais sans moi Pour que la nostalgie ne soit plus douloureuse,
Mon désir erratique en désaxe les cibles ;
Je vous garde en mémoire, ô voeux inaccessibles
Qui font briller les yeux d’aveugles tubéreuses.
Mon royaume est criblé de dettes fabuleuses,
Ma couronne est futile et mon sceau peu crédible.
Mon coeur, sois libertaire et demeure infrangible
Quand la vie te délie des joies ensorceleuses !
Concurrence tueuse, ourlée de stratagèmes,
Cesseras-tu un jour tes pénibles baptêmes ?
Comme Orphée qui d’or fin surligna son regard,
Orphelin de lumière, exilé d’innocence,
Je vais en l’avenir, chercher réminiscence
De ce puissant sillon où, faible, je m’égare…
il y a 9 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Lettre Éloigné de vos yeux, Madame, par des soins
Impérieux (j’en prends tous les dieux à témoins),
Je languis et je meurs, comme c’est ma coutume
En pareil cas, et vais, le cœur plein d’amertume,
À travers des soucis où votre ombre me suit,
Le jour dans mes pensers , dans mes rêves la nuit,
Et la nuit et le jour, adorable Madame !
Si bien qu’enfin, mon corps faisant place à mon âme,
Je deviendrai fantôme à mon tour aussi, moi,
Et qu’alors, et parmi le lamentable émoi
Des enlacements vains et des désirs sans nombre,
Mon ombre se fondra pour jamais en votre ombre.
En attendant, je suis, très chère, ton valet.
Tout se comporte-t-il là-bas comme il te plaît,
Ta perruche, ton chat, ton chien ? La compagnie
Est-elle toujours belle, et cette Silvanie
Dont j’eusse aimé l’œil noir si le tien n’était bleu,
Et qui parfois me fit des signes, palsambleu !
Te sert-elle toujours de douce confidente ?
Or, Madame, un projet impatient me hante
De conquérir le monde et tous ses trésors pour
Mettre à vos pieds ce gage – indigne – d’un amour
Égal à toutes les flammes les plus célèbres
Qui des grands cœurs aient fait resplendir les ténèbres.
Cléopâtre fut moins aimée, oui, sur ma foi !
Par Marc-Antoine et par César que vous par moi,
N’en doutez pas, Madame, et je saurai combattre
Comme César pour un sourire, ô Cléopâtre,
Et comme Antoine fuir au seul prix d’un baiser.
Sur ce, très chère, adieu. Car voilà trop causer,
Et le temps que l’on perd à lire une missive
N’aura jamais valu la peine qu’on l’écrive.
il y a 9 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
L’adultère, celui du moins codifié L’adultère, celui du moins codifié
Au mépris de l’Église et de Dieu défié,
Tout d’abord doit sembler la faute irrémissible.
Tel un trait lancé juste, ayant l’enfer pour cible !
Beaucoup de vrais croyants, questionnés ici,
Répondraient à coup sûr qu’il en retourne ainsi.
D’autre part le mondain, qui n’y voit pas un crime,
Pour qui tous mauvais tours sont des bons coups d’escrime,
Rit du procédé lourd, préférant, affrontés,
Tous risques et périls à ces légalités
Abominablement prudentes et transies
Entre ces droits divers et plusieurs fantaisies,
Enfin juge le cas boiteux, piteux, honteux.
Le Sage, de qui l’âme et l’esprit vont tous deux,
Bien équilibrés, droit, au vrai milieu des causes,
Pleure sur telle femme en route pour ces choses.
Il plaide l’ignorance, elle donc ne sachant
Que le côté naïf, c’est-à-dire méchant,
Hélas ! de cette douce et misérable vie.
Elle plait et le sait, et ce qu’elle est ravie
Mais son caprice tue, elle l’ignore tant !
Elle croit que d’aimer c’est de l’argent comptant,
Non un fonds travaillant, qu’on paie et qu’on est quitte,
Que d’aimer c’est toujours « qu’arriva-t-elle ensuite »,
Non un seul vœu qui tient jusqu’à la mort de nous.
Et certes suscité, néanmoins son courroux
Gronde le seul péché, plaignant les pécheresses,
Coupables tout au plus de certaines paresses,
Et les trois quarts du temps luxurieuses point.
Bêle orgueil, intérêt mesquin, voilà le joint,
Avec d’avoir été trop ou trop peu jalouses.
Seigneur, ayez pitié des âmes, nos épouses.
il y a 9 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Mort ! Les Armes ont tu leurs ordres en attendant
De vibrer à nouveau dans des mains admirables
Ou scélérates, et, tristes, le bras pendant,
Nous allons, mal rêveurs, dans le vague des Fables.
Les Armes ont tu leurs ordres qu’on attendait
Même chez les rêveurs mensongers que nous sommes,
Honteux de notre bras qui pendait et tardait,
Et nous allons, désappointés, parmi les hommes.
Armes, vibrez ! mains admirables, prenez-les,
Mains scélérates à défaut des admirables !
Prenez-les donc et faites signe aux En-allés
Dans les fables plus incertaines que les sables.
Tirez du rêve notre exode, voulez-vous ?
Nous mourons d’être ainsi languides, presque infâmes !
Armes, parlez ! Vos ordres vont être pour nous
La vie enfin fleurie au bout, s’il faut, des lames.
La mort que nous aimons, que nous eûmes toujours
Pour but de ce chemin où prospèrent la ronce
Et l’ortie, ô la mort sans plus ces émois lourds,
Délicieuse et dont la victoire est l’annonce !
il y a 9 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
Les caresses Les caresses ne sont que d'inquiets transports,
Infructueux essais du pauvre amour qui tente
L'impossible union des âmes par les corps.
Vous êtes séparés et seuls comme les morts,
Misérables vivants que le baiser tourmente !
Ô femme, vainement tu serres dans tes bras
Tes enfants, vrais lambeaux de ta plus pure essence :
Ils ne sont plus toi-même, ils sont eux, les ingrats !
Et jamais, plus jamais, tu ne les reprendras,
Tu leur as dit adieu le jour de leur naissance.
Et tu pleures ta mère, ô fils, en l'embrassant ;
Regrettant que ta vie aujourd'hui t'appartienne,
Tu fais pour la lui rendre un effort impuissant :
Va ! Ta chair ne peut plus redevenir son sang,
Sa force ta santé, ni sa vertu la tienne.
Amis, pour vous aussi l'embrassement est vain,
Vains les regards profonds, vaines les mains pressées :
Jusqu'à l'âme on ne peut s'ouvrir un droit chemin ;
On ne peut mettre, hélas ! Tout le cœur dans la main,
Ni dans le fond des yeux l'infini des pensées.
Et vous, plus malheureux en vos tendres langueurs
Par de plus grands désirs et des formes plus belles,
Amants que le baiser force à crier : « Je meurs ! »
Vos bras sont las avant d'avoir mêlé vos cœurs,
Et vos lèvres n'ont pu que se brûler entre elles.
Les caresses ne sont que d'inquiets transports,
Infructueux essais d'un pauvre amour qui tente
L'impossible union des âmes par les corps.
Vous êtes séparés et seuls comme les morts,
Misérables vivants que le baiser tourmente.
il y a 9 mois
R
Renee Vivien
@reneeVivien
Invocation à la lune Ô Lune chasseresse aux flèches très légères,
Viens détruire d’un trait mes amours mensongères !
Viens détruire les faux baisers, les faux espoirs,
Toi dont les traits ont su percer les troupeaux noirs !
Toi qui fus autrefois l’Amie et la Maîtresse,
Incline-toi vers moi, dans ma grande détresse !…
Dis-moi que nul regard n’est divinement beau
Pour qui sait contempler le grand regard de l’eau !…
Ô Lune, toi qui sais disperser les mensonges,
Éloigne le troupeau serré des mauvais songes !
Et, daignant aiguiser l’arc d’argent bleu qui luit,
Accorde-moi l’espoir d’un rayon dans la nuit !
Ô Lune, toi qui sais rendre l’âme à soi-même
Dans sa vérité froide, indifférente et blême !
Ô toi, victorieuse adversaire du jour,
Accorde-moi le don d’échapper à l’amour !
il y a 9 mois
R
Renee Vivien
@reneeVivien
Terreur du mensonge Oui, j’endure aujourd’hui le pire des tourments,
Tu m’as menti… Tu m’as trompé… Et tu me mens !…
Mensonge caressant qui glisse de ta bouche !
Ô serment que l’on croit, ô parole qui touche !
Ô multiples douleurs qui s’abattent sur vous
Ainsi qu’un petit vent pluvieusement doux !…
Comme un lilas ne peut devenir asphodèle,
Jamais tu ne seras ni franche ni fidèle.
Tu seras celle-là qui se dérobe et fuit
Plus sinueusement qu’un démon dans la nuit.
Ô toi que j’aime encor ! L’horreur de ton mensonge
Est dans mon cœur amer… Il me mord, il me ronge…
Je suis lasse d’avoir suivi les noirs chemins…
Col frêle qu’on voudrait prendre entre ses deux mains !
il y a 9 mois
R
Rhita Benjelloun
@rhitaBenjelloun
Aux premières loges Spectatrice, j’observe la scène de la vie
Où des personnages surgissent,
Dans les moments de joie ou de dépit
Où le rêve devient illusion et meurt avec mépris
Où le mensonge devient vrai et la vérité au fond du puits
Mais qui suis-je dans ce monde plein d’acteurs ?
Où chacun monte sur l’estrade,
Joue son rôle comme ses prédécesseurs
Qui suis-je quand moi-même j’ai un rôle dans cette scène ?
J’observe, je souffre
Mais j’applaudis tous ces mensonges réels
Que serait le monde s’il n’était pas une fiction
Si ces scènes étaient bien réelles et faites avec passion
Je jure devant Dieu que j’assisterais tous les jours
Je serais l’héroïne de la gaieté
De la confiance et de l’amour
J’applaudirais jusqu’à ne plus en pouvoir
Et j’appellerais les âmes chagrinées pour venir la voir
Mais hélas la scène de la vie demeure la même
Et je demeure aux premières loges
Avec ou sans mes applaudissements le rideau s’ouvre et se ferme
il y a 9 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Angoisse Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l'incurable ennui que verse mon baiser :
Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts :
Car le Vice, rongeant ma native noblesse,
M'a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité
Par un cœur que la dent d'aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.
il y a 9 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Éventail de Mademoiselle Mallarmé Ô rêveuse, pour que je plonge
Au pur délice sans chemin,
Sache, par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main.
Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque battement
Dont le coup prisonnier recule
L'horizon délicatement.
Vertige ! voici que frissonne
L'espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s'apaiser.
Sens-tu le paradis farouche
Ainsi qu'un rire enseveli
Se couler du coin de ta bouche
Au fond de l'unanime pli !
Le sceptre des rivages roses
Stagnants sur les soirs d'or, ce l'est,
Ce blanc vol fermé que tu poses
Contre le feu d'un bracelet.
il y a 9 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Sosie décalqué L’autre de ton existence,
celui que tu voudrais être,
que tu ne seras jamais,
que tu ne peux pas faire exister.
Règles, conventions arbitraires
Façonnage de l’esprit invalidant
Altération du cerveau
Doublure négative
Miroir de notre société
Le blanc et le noir
s’entremêlent sans cesse,
ne te laissent aucun répit,
aucun choix.
Tu dois être autre
Un autre sosie décalqué par la raison
Comme moi
il y a 9 mois
Théodore Agrippa d'Aubigné
@theodoreAgrippaDaubigne
Un clairvoyant faucon en volant par rivière Un clairvoyant faucon en volant par rivière
Planait dedans le ciel, à se fondre apprêté
Sur son gibier blotti. Mais voyant à côté
Une corneille, il quitte une pointe première.
Ainsi de ses attraits une maîtresse fière
S’élevant jusqu’au ciel m’abat sous sa beauté,
Mais son vouloir volage est soudain transporté
En l’amour d’un corbeau pour me laisser arrière.
Ha ! beaux yeux obscurcis qui avez pris le pire,
Plus propres à blesser que discrets à élire,
Je vous crains abattu, ainsi que fait l’oiseau
Qui n’attend que la mort de la serre ennemie
Fors que le changement lui redonne la vie,
Et c’est le changement qui me traîne au tombeau.
il y a 9 mois
Tristan Corbière
@tristanCorbiere
Fleur d’art Oui — Quel art jaloux dans Ta fine histoire !
Quels bibelots chers ! — Un bout de sonnet,
Un cœur gravé dans ta manière noire,
Des traits de canif à coups de stylet. —
Tout fier mon cœur porte à la boutonnière
Que tu lui taillas, un petit bouquet
D’immortelle rouge — Encor ta manière —
C’est du sang en fleur. Souvenir coquet.
Allons, pas de pleurs à notre mémoire !
— C’est la mâle-mort de l’amour ici —
Foin du myosotis, vieux sachet d’armoire !
Double femme, va !… Qu’un âne te braie !
Si tu n’étais fausse, eh serais-tu vraie ?…
L’amour est un duel : — Bien touché ! Merci.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Billet du matin Si les liens des coeurs ne sont pas des mensonges,
Oh ! dites, vous devez avoir eu de doux songes,
Je n'ai fait que rêver de vous toute la nuit.
Et nous nous aimions tant ! vous me disiez : « Tout fuit,
Tout s'éteint, tout s'en va ; ta seule image reste. »
Nous devions être morts dans ce rêve céleste ;
Il semblait que c'était déjà le paradis.
Oh ! oui, nous étions morts, bien sûr ; je vous le dis.
Nous avions tous les deux la forme de nos âmes.
Tout ce que, l'un de l'autre, ici-bas nous aimâmes
Composait notre corps de flamme et de rayons,
Et, naturellement, nous nous reconnaissions.
Il nous apparaissait des visages d'aurore
Qui nous disaient : « C'est moi ! » la lumière sonore
Chantait ; et nous étions des frissons et des voix.
Vous me disiez : « Écoute ! » et je répondais : « Vois ! »
Je disais : « Viens-nous-en dans les profondeurs sombres ;
Vivons ; c'est autrefois que nous étions des ombres. »
Et, mêlant nos appels et nos cris : « Viens ! oh ! viens !
Et moi, je me rappelle, et toi, tu te souviens. »
Éblouis, nous chantions : « C'est nous-mêmes qui sommes
Tout ce qui nous semblait, sur la terre des hommes,
Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant ;
Nous sommes le regard et le rayonnement ;
Le sourire de l'aube et l'odeur de la rose,
C'est nous ; l'astre est le nid où notre aile se pose ;
Nous avons l'infini pour sphère et pour milieu,
L'éternité pour l'âge ; et, notre amour, c'est Dieu. »
Paris, juin 18...
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Oh ! je sais qu'ils feront des mensonges I.
Oh ! je sais qu'ils feront des mensonges sans nombre
Pour s'évader des mains de la Vérité sombre,
Qu'ils nieront, qu'ils diront : ce n'est pas moi, c'est lui.
Mais, n'est-il pas vrai, Dante, Eschyle, et vous, prophètes ?
Jamais, du poignet des poètes,
Jamais, pris en collet, les malfaiteurs n'ont fui.
J'ai fermé sur ceux-ci mon livre expiatoire ;
J'ai mis des verrous à l'histoire ;
L'histoire est un bagne aujourd'hui.
Le poète n'est plus l'esprit qui rêve et prie ;
Il a la grosse clef de la conciergerie.
Quand ils entrent au greffe, où pend leur chaîne au clou,
On regarde le prince aux poches, comme un drôle,
Et les empereurs à l'épaule ;
Macbeth est un escroc, César est un filou.
Vous gardes des forçats, ô mes strophes ailées !
Les Calliopes étoilées
Tiennent des registres d'écrou.
II.
Ô peuples douloureux, il faut bien qu'on vous venge !
Les rhéteurs froids m'ont dit : Le poète, c'est l'ange,
Il plane, ignorant Fould, Magnan, Morny, Maupas ;
Il contemple la nuit sereine avec délices... -
Non, tant que vous serez complices
De ces crimes hideux que je suis pas à pas,
Tant que vous couvrirez ces brigands de vos voiles,
Cieux azurés, soleils, étoiles,
Je ne vous regarderai pas !
Tant qu'un gueux forcera les bouches à se taire,
Tant que la liberté sera couchée à terre
Comme une femme morte et qu'on vient de noyer,
Tant que dans les pontons on entendra des râles,
J'aurai des clartés sépulcrales
Pour tous ces fronts abjects qu'un bandit fait ployer ;
Je crierai : Lève-toi, peuple ! ciel, tonne et gronde !
La France, dans sa nuit profonde,
Verra ma torche flamboyer !
III.
Ces coquins vils qui font de la France une Chine,
On entendra mon fouet claquer sur leur échine.
Ils chantent : Te Deum, je crierai : Memento !
Je fouaillerai les gens, les faits, les noms, les titres,
Porte-sabres et porte-mitres ;
Je les tiens dans mon vers comme dans un étau.
On verra choir surplis, épaulettes, bréviaires,
Et César, sous mes étrivières,
Se sauver, troussant son manteau !
Et les champs, et les prés, le lac, la fleur, la plaine,
Les nuages, pareils à des flocons de laine,
L'eau qui fait frissonner l'algue et les goëmons,
Et l'énorme océan, hydre aux écailles vertes,
Les forêts de rumeurs couvertes,
Le phare sur les flots, l'étoile sur les monts,
Me reconnaîtront bien et diront à voix basse
C'est un esprit vengeur qui passe,
Chassant devant lui les démons !
Jersey, le 13 novembre 1852.
il y a 9 mois
Voltaire
@voltaire
À M. le duc de La Feuillade Conservez précieusement
L’imagination fleurie
Et la bonne plaisanterie,
Dont vous possédez l’agrément,
Au défaut du tempérament,
Dont vous vous vantez hardiment
Et que tout le monde vous nie.
La dame qui depuis longtemps
Connaît à fond votre personne,
A dit : hélas ! je lui pardonne
D’en vouloir imposer aux gens ;
Son esprit est dans son printemps,
Mais son corps est dans son automne.
Adieu, monsieur le gouverneur,
Non plus de province frontière,
Mais d’une beauté singulière,
Qui, par son esprit, par son cœur,
Et par son humeur libertine,
De jour en jour fait grand honneur
Au gouverneur qui l’endoctrine.
Priez le Seigneur seulement
Qu’il empêche que Cythérée
Ne substitue incessamment
Quelque jeune et frais lieutenant
Qui ferait sans vous son entrée
Dans un si beau gouvernement.