Le positivisme Il s’ouvre par-delà toute science humaine
Un vide dont la Foi fut prompte à s’emparer.
De cet abîme obscur elle a fait son domaine ;
En s’y précipitant elle a cru l’éclairer.
Eh bien ! nous t’expulsons de tes divins royaumes,
Dominatrice ardente, et l’instant est venu
Tu ne vas plus savoir où loger tes fantômes ;
Nous fermons l’Inconnu.
Mais ton triomphateur expiera ta défaite.
L’homme déjà se trouble, et, vainqueur éperdu,
Il se sent ruiné par sa propre conquête
En te dépossédant nous avons tout perdu.
Nous restons sans espoir, sans recours, sans asile,
Tandis qu’obstinément le Désir qu’on exile
Revient errer autour du gouffre défendu.
il y a 8 mois
L
Léopold Partisan
@leopoldPartisan
Août 14 De la rouille
Tant et tant de traces de rouille
Sur ces croix de bois flotté
Blanchies à la chaux et à la craie naturelle
Combien de dimanche vers de gris
À la prunelle de leurs yeux
Au petit vin blanc
Qu’on désossera sous les ombrelles
Eparses Éparges
Et sanglots longs
D’oiseaux moqueurs
Têtes blondes
Aux blés fauchés
Comme hier encore à
Gaza, Racca, Sinjar, Lougansk, Donetsk…
il y a 8 mois
M
Marianne Cohn
@marianneCohn
Je trahirai demain Je trahirai demain pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
Je trahirai demain.
il y a 8 mois
Nicolas Boileau
@nicolasBoileau
Au roy Grand roy, c’est vainement qu’abjurant la satire,
Pour toy seul desormais j’avois fait voeu d’écrire.
Dès que je prens la plume, Apollon éperdu
Semble me dire: arreste, insensé, que fais-tu?
Sçais-tu dans quels perils aujourd’ huy tu t’ engages?
Cette mer où tu cours est celebre en naufrages.
Ce n’ est pas qu’ aisément, comme un autre, à ton char
Je ne pûsse attacher Alexandre et César;
Qu’aisément je ne pûsse en quelque ode insipide,
T’exalter aux dépens et de Mars et d’ Alcide:
Te livrer le bosphore, et d’ un vers incivil
Proposer au sultan de te ceder le Nil.
Mais pour te bien loüer, une raison severe
Me dit, qu’ il faut sortir de la route vulgaire:
Qu’ après avoir joüé tant d’ auteurs differens,
Phébus mesme auroit peur, s’ il entroit sur les rangs;
Que par des vers tout neufs, avoüez du Parnasse,
Il faut de mes dégousts justifier l’ audace;
Et, si ma muse enfin n’ est égale à mon roi,
Que je preste aux cotins des armes contre moi.
Est-ce là cet auteur, l’effroy de la pucelle;
Qui devoit des bons vers nous tracer le modèle;
Ce censeur, diront-ils, qui nous reformoit tous?
Quoi? Ce critique affreux n’en sçait pas plus que nous.
N’ avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui, dans nos vers, pris Memphis et Byzance;
Sur les bords de l’Euphrate abbattu le turban,
Et coupé, pour rimer, les cedres du Liban?
De quel front aujourd’ hui vient-il sur nos brisées,
Se revestir encor de nos phrases usées?
Que repondrois-je alors? Honteux et rebuté,
J’ aurois beau me complaire en ma propre beauté,
Et de mes tristes vers admirateur unique,
Plaindre en les relisant l’ignorance publique.
Quelque orgeuil en secret dont s’aveugle un auteur,
Il est fâcheux, grand roi, de se voir sans lecteur;
Et d’aller du recit de ta gloire immortelle,
Habiller chez Francoeur le sucre et la canelle.
Ainsi, craignant toûjours un funeste accident,
J’imite de Conrart le silence prudent:
Je laisse aux plus hardis l honneur de la carriere,
Et regarde le champ, assis sur la barriere.
Malgré moy toutefois, un mouvement secret
Vient flatter mon esprit qui se tait à regret.
Quoi? Dis-je, tout chagrin, dans ma verve infertile,
Des vertus de mon roy spectateur inutile,
Faudra-t-il sur sa gloire attendre à m’exercer,
Que ma tremblante voix commence à se glacer?
Dans un si beau projet, si ma muse rebelle
N’ose le suivre aux champs de l’ Isle et de Bruxelle,
Sans le chercher aux bords de l’ Escaut et du Rhein,
La paix l’offre à mes yeux plus calme et plus serein.
Oui, grand roi, laissons là les sieges, les batailles.
Qu’un autre aille en rimant renverser des murailles,
Et souvent sur tes pas marchant sans ton aveu,
S’aille couvrir de sang, de poussiere et de feu.
À quoy bon d’ une muse au carnage animée,
Échauffer ta valeur, déja trop allumée?
Joüissons à loisir du fruit de tes bien-faits,
Et ne nous lassons point des douceurs de la paix.
Pourquoi ces elephans, ces armes, ce bagage,
Et ces vaisseaux tout prests à quitter le rivage?
Disoit au roi Phyrrus un sage confident,
Conseiller tres sensé d’ un roi tres imprudent.
Je vais, lui dit ce prince, à Rome où l’ on m’ ppelle.
Quoi faire? -l’ assieger, -l’ entreprise est fort belle,
Et digne seulement d’ Alexandre ou de vous;
Mais, Rome prise enfin, seigneur, où courons-nous?
Du reste des latins la conqueste est facile.
Sans doute on les peut vaincre: est-ce tout? -la Sicile
De là nous tend les bras, et bien-tost sans effort
Syracuse reçoit nos vaisseaux dans son port.
Bornés-vous là vos pas? -dès que nous l’ aurons prise,
Il ne faut qu’ un bon vent et Carthage est conquise.
Les chemins sont ouverts: qui peut nous arrester?
-Je vous entens, seigneur, nous allons tout domter.
Nous allons traverser les sables de Libye,
Asservir en passant l’ égypte, l’ Arabie,
Courir delà le Gange en de nouveaux païs,
Faire trembler le scythe aux bords du Tanaïs;
Et ranger sous nos lois tout ce vaste hemisphere.
Mais de retour enfin, que pretendez-vous faire?
-Alors, cher Cineas, victorieux, contens,
Nous pourons rire à l’ aise, et prendre du bon temps.
-Hé, seigneur, dés ce jour, sans sortir de l’ Epire,
Du matin jusqu’ au soir qui vous défend de rire?
Le conseil estoit sage et facile à gouster.
Pyrrhus vivoit heureux, s’ il eust pû l’ écouter:
Mais à l’ ambition d’ opposer la prudence,
C’ est aux prelats de cour prescher la residence.
Ce n’ est pas que mon coeur, du travail ennemi,
Approuve un faineant sur le thrône endormi.
Mais quelques vains lauriers que promette la guerre,
On peut estre heros sans ravager la terre.
Il est plus d’ une gloire. Envain aux conquerans
L’ erreur parmi les rois donne les premiers rangs.
Entre les grands heros ce sont les plus vulgaires.
Chaque siecle est fecond en heureux temeraires.
Chaque climat produit des favoris de Mars.
La Seine a des Bourbons, le Tibre a des Césars.
On a veu mille fois des fanges moestides
Sortir des conquerans, goths, vandales, gepides.
Mais un roi vraiment roi, qui sage en ses projets,
Sçache en un calme heureux maintenir ses sujets;
Qui du bonheur public ayt cimenté sa gloire,
Il faut, pour le trouver, courir toute l’ histoire.
La terre conte peu de ces rois bien-faisans.
Le ciel à les former se prépare long-temps.
Tel fut cet empereur, sous qui Rome adorée
Vit renaistre les jours de Saturne et de Rhée:
Qui rendit de son joug l’ univers amoureux:
Qu’ on n’ alla jamais voir sans revenir heureux:
Qui soûpirait le soir, si sa main fortunée
N’ avoit par ses bienfaits signalé la journée.
Le cours ne fut pas long d’ un empire si doux.
Mais, où cherchay-je ailleurs ce qu’ on trouve chez nous?
Grand roi, sans recourir aux histoires antiques,
Ne t’ avons-nous pas vû dans les plaines belgiques,
Quand l’ ennemi vaincu desertant ses remparts,
Au-devant de ton joug couroit de toutes parts,
Toi-mesme te borner au fort de ta victoire,
Et chercher dans la paix une plus juste gloire?
Ce sont là les exploits que tu dois avoüer;
Et c’ est par là, grand roi, que je te veux loüer.
Assez d’ autres, sans moy, d’ un stile moins timide,
Suivront aux champs de Mars ton courage rapide;
Iront de ta valeur effrayer l’ univers,
Et camper devant Dôle au milieu des hyvers.
Pour moy, loin des combats, sur un ton moins terrible,
Je diray les exploits de ton regne paisible.
Je peindray les plaisirs en foule renaissans:
Les oppresseurs du peuple à leur tour gemissans.
On verra par quels soins ta sage prévoyance
Au fort de la famine entretint l’ abondance.
On verra les abus par ta main reformez,
La licence et l’ orgueil en tous lieux reprimez,
Du débris des traitans ton épargne grossie;
Des subsides affreux la rigueur adoucie,
Le soldat dans la paix sage et laborieux,
Nos artisans grossiers rendus industrieux;
Et nos voisins frustrez de ces tributs serviles,
Que payoit à leur art le luxe de nos villes.
Tantost je traceray tes pompeux bâtimens,
Du loisir d’ un heros nobles amusemens.
J’ entens déjà frémir les deux mers étonnées
De voir leurs flots unis au pié des Pyrenées.
Déja de tous costez la chicane aux abois
S’ enfuit au seul aspect de tes nouvelles lois.
Ô que ta main par là va sauver de pupilles!
Que de sçavans plaideurs desormais inutiles!
Qui ne sent point l’ effet de tes soins genereux?
L’ univers sous ton regne a-t-il des malheureux?
Est-il quelque vertu dans les glaces de l’ ourse,
Ni dans ces lieux brûlez où le jour prend sa source,
Dont la triste indigence ose encore approcher,
Et qu’ en foule tes dons d’ abord n’ aillent chercher?
C’ est par toy qu’ on va voir les muses enrichies,
De leur longue disette à jamais affranchies.
Grand roi, poursuy toûjours, asseure leur repos.
Sans elles un heros n’ est pas long-temps heros.
Bien-tost, quoy qu’ il ayt fait, la mort d’ une ombre noire,
Enveloppe avec lui son nom et son histoire.
Envain pour s’ exemter de l’ oubli du cercueil,
Achille mit vingt fois tout Ilion en deuil.
Envain malgré les vents aux bords de l’ Hesperie
Enée enfin porta ses dieux et sa patrie.
Sans le secours des vers, leurs noms tant publiez
Seroient depuis mille ans avec eux oubliez.
Non à quelques hauts faits que ton destin t’ appelle,
Sans le secours soigneux d’ une muse fidelle,
Pour t’ immortaliser tu fais de vains efforts.
Apollon te la doit: ouvre luy tes tresors.
En poëtes fameux rens nos climats fertiles.
Un auguste aisément peut faire des virgiles.
Que d’ illustres témoins de ta vaste bonté
Vont pour toy déposer à la posterité!
Pour moy, qui sur ton nom déja brûlant d’ écrire
Sens au bout de ma plume expirer la satire,
Je n’ ose de mes vers vanter ici le prix.
Toutefois, si quelqu’ un de mes foibles écrits
Des ans injurieux peut éviter l’ outrage,
Peut-estre pour ta gloire aura-t-il son usage:
Et comme tes exploits étonnant les lecteurs,
Seront à peine creus sur la foy des auteurs;
Si quelque esprit malin les veut traiter de fables,
On dira quelque jour, pour les rendre croyables
Boileau qui dans ses vers pleins de sincerité
Jadis à tout son siecle a dit la verité;
Qui mit à tout blâmer son étude et sa gloire,
A pourtant de ce roy parlé comme l’ histoire.
(Epître I)
il y a 8 mois
Nicolas Boileau
@nicolasBoileau
Odesur un bruit qui courut en 1656 Ode Sur Un Bruit Qui Courut, En 1656,
Que Cromwell Et Les Anglais Allaient
Faire La Guerre A La France.
Quoi! ce peuple aveugle en son crime,
Qui, prenant son roi pour victime,
Fit du trône un théâtre affreux,
Pense-t-il que le ciel, complice
D’un si funeste sacrifice,
N’a pour lui ni foudres ni feux?
Déjà sa flotte à pleines voiles,
Malgré les vents et les étoiles,
Veut maîtriser tout l’univers,
Et croit que l’Europe étonnée
A son audace forcenée
Va céder l’empire des mers.
Arme-toi, France; prends la foudre.
C’est à toi de réduire en poudre
Ces sanglants ennemis des lois.
Suis la victoire qui t’appelle,
Et va sur ce peuple rebelle
Venger la querelle des rois.
Jadis on vit ces parricides,
Aidés de nos soldats perfides,
Chez nous, au comble de l’orgueil, (1)
Briser tes plus fortes murailles;
Et par le gain de vingt batailles,
Mettre tous tes peuples en deuil.
Mais bientôt le ciel en colère,
Par la main d’une humble bergère, (2)
Renversant tous leurs bataillons,
Borna leurs succès et nos peines:
Et leurs corps pourris, dans nos plaines,
N’ont fait qu’engraisser nos sillons. (3)
(1) Pendant le règne de l’infortuné Charles VI.
(2) Jeanne d’Arc.
(3) Je n’avais que dix-huit ans quand je fit cette ode;
mais je l’ai raccommodée. Boileau.
il y a 8 mois
N
Nicolas Grenier
@nicolasGrenier
Cité de la muette Dans les murs de la cité de la Muette,
Des Français, des Juifs, des foules honnêtes.
Les uns rêvent de lointains paysages,
Les autres traînent devant le grillage.
Dans les bras, des enfants à l’agonie.
Les corps faméliques meurent d’ennui.
Au-delà du mur, la fraternité,
L’hiver, l’été, la vie, la liberté.
À la lumière d’un mirador,
Un cortège d’hommes à demi-morts.
L’étoile jaune greffée dans le cœur,
Ils s’éclipsent ni vaincu ni vainqueur.
Nuit et jour, sous les cieux sang et or,
Les convois roulent jusqu’à Sobibor.
il y a 8 mois
N
Noël Garnier
@noelGarnier
Dans la tranchée La vieille vient, la vieille va…
la vieille eût pu s’arrêter là…
Elle a roulé toute la nuit
folle de sang, saoûle de bruit…
Baisé des bouches ci et là…
(la vieille vient, la vieille va)
Tapis derrière un pare-éclat
nous étions trois serrés en tas.
(La vieille eût pu s’arrêter là)
Elle est allée jusque…là-bas;
elle a tué d’autres soldats!…
Dans le boyau le plus profond
maintenant s’est couchée en rond.
(Pendant ce temps nous dormirons)
La vieille ronfle… un soldat mort
entre les bras (fait froid dehors…)
Guetteur au créneau,
officier qui veilles,
n’aie pas peur-la vieille
dort le cul dans l’eau!
Grince un fil de fer…
une souris pince
dans un sac ouvert
une tranche mince
de fromage (à vers)…
La vieille dort… les hommes rêvent,
tout le ciel crève
en pluie et suie
sur leur ennui…
Dormez! la vieille
trop tôt s’éveille…
dormez! la Mort
éreintée, dort!
Des fusées paraphent
lumineusement
le ciel de bourrasques
et la pluie d’argent…
Dormez les morts
entre les lignes…
L’Homme se signe,
la vieille dort!
Dans le boyau le plus profond
s’éveille et frotte son œil rond.
Guetteur au créneau,
officier qui veilles,
prends garde…S’éveille
la vieille au coeur chaud,
frotte son oeil louche
-trop froid est le Mort
pour chauffer sa couche
(fait trop froid dehors)-
étire ses membres
et grince des dents…
Les os des vivants
-fait froid en décembre…-
claquent dans le vent.
Allez, la gueuse!
saute, putain…
vieille amoureuse
de bon matin-
Le désir rôde
les reins tordus,
la bouche chaude
(l’heure du jus!)
Allez! c’est l’heure
en mal d’amour.
La chair meilleure
au petit jour…
Maintenant la pluie
se fond en lumière
sale, sur la terre
encore endormie…
Et de chaque trou il monte une plainte
et de chaque cœur il tremble une crainte.
C’est un bruit de pierres…
un corps qu’on descend
sans linceul, ni bière
dans un trou de sang…
c’est un bruit de larmes…
« Ah! m… » ou « maman, »
des mains tombent l’arme,
la pipe des dents…
C’est elle
la vieille
qui râle
qui court…
s’affale
d’amour!
Maintenant le jour
se dissout en pluie
sur des yeux de nuit…
À chacun son tour!
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Avis La nuit qui précéda sa mort
Fut la plus courte de sa vie
L’idée qu’il existait encore
Lui brûlait le sang aux poignets
Le poids de son corps l’écœurait
Sa force le faisait gémir
C’est tout au fond de cette horreur
Qu’il a commencé à sourire
Il n’avait pas UN camarade
Mais des millions et des millions
Pour le venger il le savait
Et le jour se leva pour lui.
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Bêtes et méchants Venant du dedans
Venant du dehors
C’est nos ennemis
Ils viennent d’en haut
Ils viennent d’en bas
De près et de loin
De droite et de gauche
Habillés de vert
Habillés de gris
La veste trop courte
Le manteau trop long
La croix de travers
Grands de leurs fusils
Courts de leurs couteaux
Fiers de leurs espions
Forts de leurs bourreaux
Et gros de chagrin
Armés jusqu’à terre
Armés jusqu’en terre
Raides de saluts
Et raides de peur
Devant leurs bergers
Imbibés de bière
Imbibés de lune
Chantant gravement
La chanson des bottes
Ils ont oublié
La joie d’être aimé
Quand ils disent oui
Tout leur répond non
Quand ils parlent d’or
Tout se fait de plomb
Mais contre leur ombre
Tout se fera d’or
Qu’ils partent qu’ils meurent
Leur mort nous suffit.
Nous aimons les hommes
Ils s’évaderont
Nous en prendrons soin
Au matin de gloire
D’un monde nouveau
D’un monde à l’endroit
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Chant nazi Le vol fou d’un papillon
La fenêtre l’évasion
Le soleil interminable
La promesse inépuisable
Et qui se joue bien des balles
Cerne les yeux d’un frisson
L’arbre est neuf l’arbre est saignant
Mes enfants c’est le printemps
La dernière des saisons
Hâtez-vous profitez-en
C’est le bagne ou la prison
La fusillade ou le front
Dernière fête des mères
Le cœur cède saluons
Partout la mort la misère
Et l’Allemagne asservie
Et l’Allemagne accroupie
Dans le sang et la sanie
Dans les plaies qu’elle a creusées
Notre tâche est terminée
Ainsi chantent chantent bien
Les bons maîtres assassins.
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Courage Paris a froid Paris a faim
Paris ne mange plus de marrons dans la rue
Paris a mis de vieux vêtements de vieille
Paris dort tout debout sans air dans le métro
Plus de malheur encore est imposé aux pauvres
Et la sagesse et la folie
De Paris malheureux
C’est l’air pur c’est le feu
C’est la beauté c’est la bonté
De ses travailleurs affamés
Ne crie pas au secours Paris
Tu es vivant d’une vie sans égale
Et derrière la nudité
De ta pâleur de ta maigreur
Tout ce qui est humain se révèle en tes yeux
Paris ma belle ville
Fine comme une aiguille forte comme une épée
Ingénue et savante
Tu ne supportes pas l’injustice
Pour toi c’est le seul désordre
Tu vas te libérer Paris
Paris tremblant comme une étoile
Notre espoir survivant
Tu vas te libérer de la fatigue et de la boue
Frères ayons du courage
Nous qui ne sommes pas casqués
Ni bottés ni gantés ni bien élevés
Un rayon s’allume en nos veines
Notre lumière nous revient
Les meilleurs d’entre nous sont morts pour nous
Et voici que leur sang retrouve notre cœur
Et c’est de nouveau le matin un matin de Paris
La pointe de la délivrance
L’espace du printemps naissant
La force idiote a le dessous
Ces esclaves nos ennemis
S’ils ont compris
S’ils sont capables de comprendre
Vont se lever.
1942
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Les armes de la douleur A la mémoire de Lucien Legros fusillé pour ses dix-huit ans.
I
Daddy des Ruines
Hommes au chapeau trouvé
Homme aux orbites creuses
Homme au feu noir
Homme au ciel vide
Corbeau fait pour vivre vieux
Tu avais rêvé d’être heureux
Daddy des Ruines
Ton fils est mort
Assassiné
Daddy la Haine
Ô victime cruelle
Mon camarade des deux guerres
Notre vie est tailladée
Saignante et laide
Mais nous jurons
De tenir bientôt le couteau
Daddy l’Espoir
L’espoir des autres
Tu es partout.
II
J’avais dans mes serments bâti trois châteaux
Un pour la vie un pour la mort un pour l’amour
Je cachais comme un trésor
Les pauvres petites peines
De ma vie heureuse et bonne
J’avais dans la douceur tissé trois manteaux
Un pour nous deux et deux pour notre enfant
Nous avions les mêmes mains
Et nous pensions l’un pour l’autre
Nous embellissions la terre
J’avais dans la nuit compté trois lumières
Le temps de dormir tout se confondait
Fils d’espoir et fleur miroir oeil et lune
Homme sans saveur mais clair de langage
Femme sans éclat mais fluide aux doigts
Brusquement c’est le désert
Et je me perds dans le noir
L’ennemi s’est révélé
Je suis seule dans ma chair
Je suis seule pour aimer.
III
Cet enfant aurait pu mentir
Et se sauver
La molle plaine infranchissable
Cet enfant n’aimait pas mentir
Il cria très fort ses forfaits
Il opposa sa vérité
La vérité
Comme une épée à ses bourreaux
Comme une épée sa loi suprême
Et ses bourreaux se sont vengés
Ils ont fait défiler la mort
L’espoir la mort l’espoir la mort
Ils l’ont gracié puis ils l’ont tué
On l’avait durement traité
Ses pieds ses mains étaient brisés
Dit le gardien du cimetière.
IV
Une seule pensée une seule passion
Et les armes de la douleur.
V
Des combattants saignant le feu
Ceux qui feront la paix sur terre
Des ouvriers des paysans
Des guerriers mêlés à la foule
Et quels prodiges de raison
Pour mieux frapper
Des guerriers comme des ruisseaux
Partout sur les champs desséchés
Ou battant d’ailes acharnées
Le ciel boueux pour effacer
La morale de fin du monde
Des oppresseurs
Et selon l’amour la haine
Des guerriers selon l’espoir
Selon le sens de la vie
Et la commune parole
Selon la passion de vaindre
Et de réparer le mal
Qu’on nous a fait
Des guerriers selon mon coeur
Celui-ci pense à la mort
Celui-là n’y pense pas
L’un dort l’autre ne dort pas
Mais tous font le même rêve
Se libérer
Chacun est l’ombre de tous.
VI
Les uns sombres les autres nus
Chantant leur bien mâchant leur mal
Mâchant le poids de leur corps
Ou chantant comme on s’envole
Par mille rêves humains
Par mille voies de nature
Ils sortent de leur pays
Et leur pays entre en eux
De l’air passe dans leur sang
Leur pays peut devenir
Le vrai pays des merveilles
Le pays de l’innocence.
VII
Des réfractaires selon l’homme
Sous le ciel de tous les hommes
Sur la terre unie et pleine
Au-dedans de ce fruit mûr
Le soleil comme un coeur pur
Tous le soleil pour les hommes
Tous les hommes pour les hommes
La terre entière et le temps
Le bonheur dans un seul corps.
Je dis ce que je vois
Ce que je sais
Ce qui est vrai.
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Les belles balances de l’ennemi Des saluts font justice de la dignité
Des bottes font justice de nos promenades
Des imbéciles font justice de nos rêves
Des goujats font justice de la liberté
Des privations ont fait justice des enfants
Ô mon frère on a fait justice de ton frère
Du plomb a fait justice du plus beau visage
La haine a fait justice de notre souffrance
Et nos forces nous sont rendues
Nous ferons justice du mal.
il y a 8 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Mort ! Les Armes ont tu leurs ordres en attendant
De vibrer à nouveau dans des mains admirables
Ou scélérates, et, tristes, le bras pendant,
Nous allons, mal rêveurs, dans le vague des Fables.
Les Armes ont tu leurs ordres qu’on attendait
Même chez les rêveurs mensongers que nous sommes,
Honteux de notre bras qui pendait et tardait,
Et nous allons, désappointés, parmi les hommes.
Armes, vibrez ! mains admirables, prenez-les,
Mains scélérates à défaut des admirables !
Prenez-les donc et faites signe aux En-allés
Dans les fables plus incertaines que les sables.
Tirez du rêve notre exode, voulez-vous ?
Nous mourons d’être ainsi languides, presque infâmes !
Armes, parlez ! Vos ordres vont être pour nous
La vie enfin fleurie au bout, s’il faut, des lames.
La mort que nous aimons, que nous eûmes toujours
Pour but de ce chemin où prospèrent la ronce
Et l’ortie, ô la mort sans plus ces émois lourds,
Délicieuse et dont la victoire est l’annonce !
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Liberté Liberté de Paul Éluard est une œuvre marquante de la poésie engagée de la résistance. Écrit en 1942 pour protester contre l'occupation, il est composé de 21 quatrains suivis du mot Liberté. Des milliers de copies furent parachutées en France par des avions britanniques pour encourager les résistants.
Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nom
il y a 8 mois
Paul-Jean Toulet
@paulJeanToulet
C'etait longtemps avant la guerre Sur la banquette en moleskine
Du sombre corridor,
Aux flonflons d'Offenbach s'endort
Une blanche Arlequine.
... Zo' qui saute entre deux MMrs,
Nul falzar ne dérobe
Le double trésor sous sa robe
Qu'ont mûri d'autres cieux.
On soupe... on sort... Bauby pérore...
Dans ton regard couvert,
Faustine, rit un matin vert...
... Amour, divine aurore.
il y a 8 mois
Pierre Corneille
@pierreCorneille
Les imprécations de Camille Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore !
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés
Saper ses fondements encor mal assurés !
Et si ce n'est assez de toute l'Italie,
Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie ;
Que cent peuples unis des bouts de l'univers
Passent pour la détruire et les monts et les mers !
Qu'elle même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du Ciel allumé par mes vœux
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause et mourir de plaisir !
il y a 8 mois
Pierre Corneille
@pierreCorneille
Récit de Rodrigue Sous moi donc cette troupe s'avance,
Et porte sur le front une mâle assurance.
Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port,
Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,
Les plus épouvantés reprenaient de courage !
J'en cache les deux tiers, aussitôt qu'arrivés,
Dans le fond des vaisseaux qui lors furent trouvés ;
Le reste, dont le nombre augmentait à toute heure,
Brûlant d'impatience, autour de moi demeure,
Se couche contre terre, et sans faire aucun bruit
Passe une bonne part d'une si belle nuit.
Par mon commandement la garde en fait de même,
Et se tenant cachée, aide à mon stratagème ;
Et je feins hardiment d'avoir reçu de vous
L'ordre qu'on me voit suivre et que je donne à tous.
Cette obscure clarté qui tombe des étoiles
Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles ;
L'onde s'enfle dessous, et d'un commun effort
Les Maures et la mer montent jusques au port.
On les laisse passer ; tout leur parait tranquille ;
Point de soldats au port, point aux murs de la ville.
Notre profond silence abusant leurs esprits,
Ils n'osent plus douter de nous avoir surpris ;
Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent,
Et courent se livrer aux mains qui les attendent.
Nous nous levons alors, et tous en même temps
Poussons jusques au ciel mille cris éclatants.
Les nôtres, à ces cris, de nos vaisseaux répondent ;
Ils paraissent armés, les Maures se confondent,
L'épouvante les prend à demi descendus ;
Avant que de combattre ils s'estiment perdus.
Ils couraient au pillage, et rencontrent la guerre ;
Nous les pressons sur l'eau, nous les pressons sur terre,
Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang,
Avant qu'aucun résiste ou reprenne son rang.
Mais bientôt, malgré nous, leurs princes les rallient,
Leur courage renait, et leurs terreurs s'oublient :
La honte de mourir sans avoir combattu
Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu.
Contre nous de pied ferme ils tirent leurs alfanges ;
De notre sang au leur font d'horribles mélanges.
Et la terre, et le fleuve, et leur flotte, et le port,
Sont des champs de carnage où triomphe la mort.
Ô combien d'actions, combien d'exploits célèbres
Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres,
Où chacun, seul témoin des grands coups qu'il donnait,
Ne pouvait discerner où le sort inclinait !
J'allais de tous côtés encourager les nôtres,
Faire avancer les uns et soutenir les autres,
Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour,
Et ne l'ai pu savoir jusques au point du jour.
Mais enfin sa clarté montre notre avantage ;
Le Maure voit sa perte, et perd soudain courage :
Et voyant un renfort qui nous vient secourir,
L'ardeur de vaincre cède à la peur de mourir.
Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles,
Poussent jusques aux cieux des cris épouvantables,
Font retraite en tumulte, et sans considérer
Si leurs rois avec eux peuvent se retirer.
Pour souffrir ce devoir leur frayeur est trop forte ;
Le flux les apporta, le reflux les remporte ;
Cependant que leurs rois, engagés parmi nous,
Et quelque peu des leurs, tous percés de nos coups,
Disputent vaillamment et vendent bien leur vie.
À se rendre moi-même en vain je les convie :
Le cimeterre au poing ils ne m'écoutent pas ;
Mais voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats,
Et que seuls désormais en vain ils se défendent,
Ils demandent le chef ; je me nomme, ils se rendent.
Je vous les envoyai tous deux en même temps ;
Et le combat cessa faute de combattants.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Jamais hector aux guerres n'était lâche Jamais Hector aux guerres n'était lâche
Lorsqu'il allait combattre les Grégeois :
Toujours sa femme attachait son harnois,
Et sur l'armet (1) lui plantait son panache.
Il ne craignait la Péléenne (2) hache
Du grand Achille, ayant deux ou trois fois
Baisé sa femme, et tenant en ses doigts
Une faveur de sa belle Andromache.
Heureux cent fois, toi chevalier errant,
Que ma déesse allait hier parant,
Et qu'en armant baisait, comme je pense.
De sa vertu procède ton honneur :
Que plût à Dieu, pour avoir ce bonheur
Avoir changé mes plumes à ta lance.
1. L'armet est un casque.
2. La hache d'Achille, fils de Pélée.
il y a 8 mois
R
René Ghil
@reneGhil
Hymne de guerre Menez-les, les
Chevaux du vent du Sud, à la rivière
Menez-les !... Dans l'entame de leurs plaies
Pareilles au sexe des vierges, les
Guerriers sanglants éteignent des tisons
Et mettent les aromates pilés :
Lui qui de tout tient le Milieu -
L'Homme-des-Sorts sait le Mot-dieu
Qui dompte le sang noir et les
Esprits aigus dans les poisons :...
Menez-les, les
Chevaux du vent du Sud, à la rivière
Menez-les... Dans les grains aux grains mêlés -
Dans les grains de nuit point la verte pointe !
De verts pointements d'épaule et de torse
Noir ! liant les ventres, la ronde étreinte
De nos genoux - en avant et derrière
Ouvre et noue le temps du temps d'en-Haut :
L'Homme-des-Sorts a dit le Mot
Qui nous délie aussi loin qu'il est terre
Du serpent souple de l'entorse !...
Menez-les, les
Chevaux du vent du Sud, à la rivière
Menez-les... Il est ! qu'ils ont sous les pieds
L'eau verte et la prairie : il est le temps -
L'araignée entre les piques de guerre
Ne tisse pas sa toile ! il est le temps
De voir s'il est de l'eau ou de la moelle
Aux os des Hommes-loups - et dans les dents
Leur tuer les vieux mots qu'ils ont hurlés !
De même temps que durera
Ma lutte, sans nuit où le saut
Des Hommes-loups se perde en trot de rat
Que le Dieu-Haut se tienne haut !...
il y a 8 mois
Robert Desnos
@robertDesnos
Ce cœur qui haïssait la guerre… Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu'il bat pour le combat et la bataille !
Ce cœur qui ne battait qu'au rythme des marées, à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la nuit,
Voilà qu'il se gonfle et qu'il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine.
Et qu'il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent
Et qu'il n'est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne
Comme le son d'une cloche appelant à l'émeute et au combat.
Écoutez, je l'entends qui me revient renvoyé par les échos.
Mais non, c'est le bruit d'autres cœurs, de millions d'autres cœurs battant comme le mien à travers la France.
Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces cœurs,
Leur bruit est celui de la mer à l'assaut des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d'ordre :
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
Pourtant ce cœur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères
Et des millions de Français se préparent dans l'ombre à la besogne que l'aube proche leur imposera.
Car ces cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit.
il y a 8 mois
Robert Desnos
@robertDesnos
Demain Âgé de cent mille ans, j'aurais encor la force
De t'attendre, ô demain pressenti par l'espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent.
il y a 8 mois
R
Robert Tirvaudey
@robertTirvaudey
L’éffroi de l’oubli Ils s’assemblent souvent, pour combattre
Les affres de l’oubli tenace
Sur leur canne, dans un regard fugace
Nos vieillards se souviennent sans se battre
Elle est loin la bataille de Verdun
Nos poilus sans barbe viennent de loin
Et pourtant tout est là sans entrain
Ils auraient voulu battre le foin
Le frère n’est plus, le cousin non plus
Les Anciens ne peuvent tout raconter
Ils chuchotent des chansons qui leur ont plu
Les belles années défilent sans compter
Ils pleurent, ils savent, les morts sans mémoire
Qui se souviendra du capitaine
Fusillé, mutin, refus de gloire
Sur la croix blanche, son nom, sans haine
il y a 8 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Le chemin du guerrier Et tous invoquaient Dieu
Mon Dieu est grand
Dit le guerrier qui va-t-en guerre.
Je gagnerai la guerre.
Mon Dieu est juste
Dit le guerrier qui va-t-en guerre
Contre l’autre guerrier.
Le bon combat je gagnerai.
Mon Dieu est le plus fort
Dit le guerrier du Nord,
Il m’a promis la gloire.
Mon Dieu est tout-puissant
Dit le guerrier du Sud.
La victoire est à moi.
Vos dieux ? Mais il n’y a
– Dit le petit oiseau qui vole d’arbre en arbre –
Il n’y a qu’un seul Dieu,
Un seul Dieu dans les Cieux.
Et vous a-t-il promis, guerriers victorieux,
Qu’était gagné par le fer et le feu
Le salut de votre âme ?
il y a 8 mois
S
Sandrine Davin
@sandrineDavin
Champ de bataille L’herbe foulée
Par trop de va-et-vient
Se teinte de foncé.
Le bruit des grenades
Dégoupillées
Résonne dans la plaine.
Des habits rongés
Par les mites
Froissent la peau
De ces hommes.
…
Des douilles caressent
Le sol
Où dorment des buissons
En fil barbelé.
il y a 8 mois
S
Sandrine Davin
@sandrineDavin
En ruine Au milieu des ruines
Des morts jonchent
Un sol terreux.
De fines gouttes
Poussiéreuses
Flottent dans l’air
Légèrement humide.
…
Pendus à un mur :
Des fils de lierre
Reliant des trous
D’obus.
il y a 8 mois
S
Sandrine Davin
@sandrineDavin
Frontière de peau Trottoir gris
Bruit des bombes
En sourdine
Il est là seul
Ridé par les ans
Le froid
Les jours qui se répètent
Sans fin
Une seule idée
Fuir
S’exiler d’un pays
De son pays
De sa terre, sa patrie
Fuir
Il est là
Lui et sa valise
Pour unique compagne
Regard à droite
Regard à gauche
Ne pas savoir où aller
Ne plus savoir où regarder
Et attendre encore
Attendre … attendre
il y a 8 mois
S
Susy Desrosiers
@susyDesrosiers
Indicible Colombes et papillons
se sont envolés
paysages
plaines et rivières
que tu égares
au fond de ta poche
comme seuls bagages
tes origines
une peluche
des comptines d’enfant
derrière toi
ta mère
ton père
sang et cendres
te hantent
le cri des sirènes
les flammes
l’éphémère
tes petits pas
pèsent lourd
déjà trop de corbeaux
sur tes jeunes épaules
au bout de ton horizon
une terre une langue
inconnues
tu te perds
dans de nouveaux visages
des mains
se tendent vers toi
de nouvelles racines
poussent sous tes pieds
il y a 8 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Arrêt sur images Civilisation scarifiée
Géographie de l’intolérable
Impression de mort
Notre société sidérée bafouille sa vérité
Nos lèvres tremblantes parlent de dignité
les visages flottent
se noient
se ressemblent
notre monde se partage
quotas de vivants
quotas de morts
les anges gardiens sont en fuite
trébuchent sur la frontière de l’inconcevable
les rossignols ne chantent plus
figés à la bifurcation de la destinée
il y a 8 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Exécution La balle laboura son âme
Son regard transperçant ses bourreaux
Une rivière de sang abreuvant ses paroles
réveillées par la surprise
soudaine révélation
médiocrité humaine.
C’était au mois de mai,
un jour de printemps
Un oiseau se baigna dans la mare
érubescente
l’œil mouillé, il regarda les hommes
ivres
La beauté les avait quittés
Ils n’étaient que des marionnettes
de guerre