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Guerre

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Poésies de la collection guerre

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    Tahar Bekri

    @taharBekri

    De guerre en guerre La mer ne sait d’où lui vient toute cette eau Au large des déserts assoiffés de tant de fleuves Une aile toute seule ne peut suffire à la mouette Pour apaiser les brûlures de la vague et du sable Toutes ces feuilles qui tombent sous la tyrannie De l’hiver n’empêchent l’oiseau de se poser Sur les branches libre et indomptable Son chant nourri des neiges et du soleil Qu’a-t-elle donc la terre pour gémir ainsi Sous les décombres la palme percée par le tonnerre De tant de nuits déchirées par les éclairs Les primevères rasées par les bottes d’enfer Je vous reconstruis saisons des veines Des arbres, du sang de la lumière Par-delà les frontières par-delà les murs Si vous tremblez vous remuez ma poussière Comment peut-on laisser l’enfant se nourrir De galettes d’argile parmi les larmes du crocodile Visages d’ombre chiffres sans nombre Tours d’orgueil hippopotames lourds dans la boue J’ai de toi île la colère de l’orange verte Toutes ces failles dans la fêlure du vent Comme une fissure béante dans la césure À moi bourgeons contre tous ces cimetières.

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    Thomas Chaline

    @thomasChaline

    Dans le marbre des esprits innocents Et le soleil se couche, rouge de honte d’avoir illuminé des armées entières, d’avoir participé aux guerres. Rouge de trouille de devoir se lever à nouveau et réveiller les bombardements, creuser les torrents de larmes rouge-sang et des peurs gravées dans le marbre des esprits innocents.

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    Théodore Agrippa d'Aubigné

    Théodore Agrippa d'Aubigné

    @theodoreAgrippaDaubigne

    Bien que la guerre soit âpre Bien que la guerre soit âpre, fière et cruelle Et qu'un douteux combat dérobe la douceur, Que de deux camps mêlés l'une et l'autre fureur Perde son espérance, et puis la renouvelle, Enfin, lors que le champ par les plombs d'une grêle Fume d'âmes en haut, ensanglanté d'horreur, Le soldat déconfit s'humilie au vainqueur, Forçant à jointes mains une rage mortelle. Je suis porté par terre, et ta douce beauté Ne me peut faire croire en toi la cruauté Que je sens au frapper de ta force ennemie : Quand je te crie merci, je me mets à raison, Tu ne veux me tuer, ni m'ôter de prison Ni prendre ma rançon, ni me donner la vie.

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    Théodore Agrippa d'Aubigné

    Théodore Agrippa d'Aubigné

    @theodoreAgrippaDaubigne

    Ce qui a esgalé aux cheveulx de la terre Ce qui a esgalé aux cheveulx de la terre Les tours et les chasteaux qui transpercent les cieux, Ce qui a renversé les palais orgueilleux, Les sceptres indomptez eslevez par la guerre, Ce n’est pas l’ennemy qui un gros camp asserre, Menace et vient de loin redouté, furieux : Ce sont les citoyens, esmeuz, armés contr’eux, Le bourgeois mutiné qui soy mesme s’enferre. Tous mes autres haineux m’attaquans n’avoyent peu Consommer mon espoir, comme sont peu à peu Le débat de mes sens, mon courage inutile, Mes souspirs eschauffez, mes desirs insolents, Mes regrets impuissants, mes sanglots violents, Qui font de ma raison une guerre civile.

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    Théodore Agrippa d'Aubigné

    Théodore Agrippa d'Aubigné

    @theodoreAgrippaDaubigne

    Oui, mais ainsi qu’on voit en la guerre civile Oui, mais ainsi qu’on voit en la guerre civile Les débats des plus grands, du faible et du vainqueur De leur douteux combat laisser tout le malheur Au corps mort du pays, aux cendres d’une ville, Je suis le champ sanglant où la fureur hostile Vomit le meurtre rouge, et la scythique horreur Qui saccage le sang, richesse de mon coeur, Et en se débattant font leur terre stérile. Amour, fortune, hélas ! apaisez tant de traits, Et touchez dans la main d’une amiable paix : Je suis celui pour qui vous faites tant la guerre. Assiste, amour, toujours à mon cruel tourment ! Fortune, apaise-toi d’un heureux changement, Ou vous n’aurez bientôt ni dispute, ni terre.

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    Théodore Agrippa d'Aubigné

    Théodore Agrippa d'Aubigné

    @theodoreAgrippaDaubigne

    Les tragiques Je veux peindre la France une mère affligée, Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée. Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts Des tétins nourriciers ; puis, à force de coups D'ongles, de poings, de pieds, il brise le partage Dont nature donnait à son besson l'usage ; Ce voleur acharné, cet Esaü malheureux, Fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux, Si que, pour arracher à son frère la vie, Il méprise la sienne et n'en a plus d'envie. Mais son Jacob, pressé d'avoir jeûné meshui, Ayant dompté longtemps en son cœur son ennui, À la fin se défend, et sa juste colère Rend à l'autre un combat dont le champ et la mère. Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris, Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits ; Mais leur rage les guide et leur poison les trouble, Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble. Leur conflit se rallume et fait si furieux Que d'un gauche malheur ils se crèvent les yeux. Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte, Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ; Elle voit les mutins tout déchirés, sanglants, Qui, ainsi que du cœur, des mains se vont cherchant. Quand, pressant à son sein d'une amour maternelle Celui qui a le droit et la juste querelle, Elle veut le sauver, l'autre qui n'est pas las Viole en poursuivant l'asile de ses bras. Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine ; Puis, aux derniers abois de sa proche ruine, Elle dit : « Vous avez, félons, ensanglanté Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté ; Or vivez de venin, sanglante géniture, Je n'ai plus que du sang pour votre nourriture !

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    Théophile Gautier

    Théophile Gautier

    @theophileGautier

    Vieux de la vieille Par l’ennui chassé de ma chambre, J’errais le long du boulevard : IL faisait un temps de décembre, Vent froid, fine pluie et brouillard ; Et là je vis, spectacle étrange, Échappés du sombre séjour, Sous la bruine et dans la fange, Passer des spectres en plein jour. Pourtant c’est la nuit que les ombres, Par un clair de lune allemand, Dans les vieilles tours en décombres, Reviennent ordinairement ; C’est la nuit que les Elfes sortent Avec leur robe humide au bord, Et sous les nénuphars emportent Leur valseur de fatigue mort ; C’est la nuit qu’a lieu la revue Dans la ballade de Zedlitz, Où l’Empereur, ombre entrevue, Compte les ombres d’Austerlitz. Mais des spectres près du Gymnase, A deux pas des Variétés, Sans brume ou linceul qui les gaze, Des spectres mouillés et crottés ! Avec ses dents jaunes de tartre, Son crâne de mousse verdi, A Paris, boulevard Montmartre, Mob se montrant en plein midi ! La chose vaut qu’on la regarde : Trois fantômes de vieux grognards, En uniformes de l’ex-garde, Avec deux ombres de hussards ! On eût dit la lithographie Où, dessinés par un rayon, Les morts, que Raffet déifie, Passent, criant : Napoléon ! Ce n’était pas les morts qu’éveille Le son du nocturne tambour, Mais bien quelques vieux de la vieille Qui célébraient le grand retour. Depuis la suprême bataille, L’un a maigri, l’autre a grossi ; L’habit jadis fait à leur taille, Est trop grand ou trop rétréci. Nobles lambeaux, défroque épique, Saints haillons, qu’étoile une croix, Dans leur ridicule héroïque Plus beaux que des manteaux de rois ! Un plumet énervé palpite Sur leur kolbach fauve et pelé ; Près des trous de balle, la mite A rongé leur dolman criblé ; Leur culotte de peau trop large Fait mille plis sur leur fémur ; Leur sabre rouillé, lourde charge, Creuse le sol et bat le mur ; Ou bien un embonpoint grotesque, Avec grand’peine boutonné, Fait un poussah, dont on rit presque, Du vieux héros tout chevronné. Ne les raillez pas, camarade ; Saluez plutôt chapeau bas Ces Achilles d’une Iliade Qu’Homère n’inventerait pas. Respectez leur tête chenue ! Sur leur front par vingt cieux bronzé, La cicatrice continue Le sillon que l’âge a creusé. Leur peau, bizarrement noircie, Dit l’Égypte aux soleils brûlants ; Et les neiges de la Russie Poudrent encor leurs cheveux blancs. Si leurs mains tremblent, c’est sans doute Du froid de la Bérésina ; Et s’ils boitent, c’est que la route Est longue du Caire à Wilna ; S’ils sont perclus, c’est qu’à la guerre Les drapeaux étaient leurs seuls draps ; Et si leur manche ne va guère, C’est qu’un boulet a pris leur bras. Ne nous moquons pas de ces hommes Qu’en riant le gamin poursuit ; Ils furent le jour dont nous sommes Le soir et peut-être la nuit. Quand on oublie, ils se souviennent ! Lancier rouge et grenadier bleu, Au pied de la colonne, ils viennent Comme à l’autel de leur seul dieu. Là, fiers de leur longue souffrance, Reconnaissants des maux subis, Ils sentent le coeur de la France Battre sous leurs pauvres habits. Aussi les pleurs trempent le rire En voyant ce saint carnaval, Cette mascarade d’empire Passer comme un matin de bal ; Et l’aigle de la grande armée Dans le ciel qu’emplit son essor, Du fond d’une gloire enflammée, Étend sur eux ses ailes d’or !

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    Tristan L'Hermite

    @tristanLhermite

    Consolation à idalie sur la mort d'un parent Puisque votre Parent ne s'est peu dispensé De servir de victime au Démon de la guerre : C'est, ô belle Idalie, une erreur de penser Que les plus beaux Lauriers soient exempts du tonnerre. Si la Mort connaissait le prix de la valeur Ou se laissait surprendre aux plus aimables charmes, Sans doute que Daphnis garanti du malheur, En conservant sa vie, eût épargné vos larmes. Mais la Parque sujette à la Fatalité, Ayant les yeux bandés et l'oreille fermée, Ne sait pas discerner les traits de la Beauté, Et n'entend point le bruit que fait la Renommée.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Bêtise de la guerre Ouvrière sans yeux, Pénélope imbécile, Berceuse du chaos où le néant oscille, Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons, Toute pleine du bruit furieux des clairons, Ô buveuse de sang, qui, farouche, flétrie, Hideuse, entraîne l'homme en cette ivrognerie, Nuée où le destin se déforme, où Dieu fuit, Où flotte une clarté plus noire que la nuit, Folle immense, de vent et de foudres armée, A quoi sers-tu, géante, à quoi sers-tu, fumée, Si tes écroulements reconstruisent le mal, Si pour le bestial tu chasses l'animal, Si tu ne sais, dans l'ombre où ton hasard se vautre, Défaire un empereur que pour en faire un autre ?

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Ce siècle avait deux ans Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, Et du premier consul, déjà, par maint endroit, Le front de l’empereur brisait le masque étroit. Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole, Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; Si débile qu’il fut, ainsi qu’une chimère, Abandonné de tous, excepté de sa mère, Et que son cou ployé comme un frêle roseau Fit faire en même temps sa bière et son berceau. Cet enfant que la vie effaçait de son livre, Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre, C’est moi. — Je vous dirai peut-être quelque jour Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d’amour, Prodigués pour ma vie en naissant condamnée, M’ont fait deux fois l’enfant de ma mère obstinée, Ange qui sur trois fils attachés à ses pas Épandait son amour et ne mesurait pas ! Ô l’amour d’une mère ! amour que nul n’oublie ! Pain merveilleux qu’un Dieu partage et multiplie ! Table toujours servie au paternel foyer ! Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier ! Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse, Comment ce haut destin de gloire et de terreur Qui remuait le monde aux pas de l’empereur, Dans son souffle orageux m’emportant sans défense, À tous les vents de l’air fit flotter mon enfance. Car, lorsque l’aquilon bat ses flots palpitants, L’océan convulsif tourmente en même temps Le navire à trois ponts qui tonne avec l’orage, Et la feuille échappée aux arbres du rivage ! Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé, J’ai plus d’un souvenir profondément gravé, Et l’on peut distinguer bien des choses passées Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées. Certes, plus d’un vieillard sans flamme et sans cheveux, Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux, Pâlirait s’il voyait, comme un gouffre dans l’onde, Mon âme où ma pensée habite comme un monde, Tout ce que j’ai souffert, tout ce que j’ai tenté, Tout ce qui m’a menti comme un fruit avorté, Mon plus beau temps passé sans espoir qu’il renaisse, Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse, Et quoiqu’encore à l’âge où l’avenir sourit, Le livre de mon cœur à toute page écrit ! Si parfois de mon sein s’envolent mes pensées, Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ; S’il me plaît de cacher l’amour et la douleur Dans le coin d’un roman ironique et railleur ; Si j’ébranle la scène avec ma fantaisie ; Si j’entre-choque aux yeux d’une foule choisie D’autres hommes comme eux, vivant tous à la fois De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ; Si ma tête, fournaise où mon esprit s’allume, Jette le vers d’airain qui bouillonne et qui fume Dans le rhythme profond, moule mystérieux D’où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ; C’est que l’amour, la tombe, et la gloire, et la vie, L’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie, Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore Mit au centre de tout comme un écho sonore ! D’ailleurs j’ai purement passé les jours mauvais, Et je sais d’où je viens, si j’ignore où je vais. L’orage des partis avec son vent de flamme Sans en altérer l’onde a remué mon âme. Rien d’immonde en mon cœur, pas de limon impur Qui n’attendît qu’un vent pour en troubler l’azur ! Après avoir chanté, j’écoute et je contemple, À l’empereur tombé dressant dans l’ombre un temple, Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs, Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ; Fidèle enfin au sang qu’ont versé dans ma veine Mon père, vieux soldat, ma mère, vendéenne ! 23 juin 1830.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Cri de guerre du mufti En guerre les guerriers ! Mahomet ! Mahomet ! Les chiens mordent les pieds du lion qui dormait, Ils relèvent leur tête infâme. Ecrasez, ô croyants du prophète divin, Ces chancelants soldats qui s'enivrent de vin, Ces hommes qui n'ont qu'une femme ! Meure la race franque et ses rois détestés ! Spahis, timariots, allez, courez, jetez A travers les sombres mêlées Vos sabres, vos turbans, le bruit de votre cor. Vos tranchants étriers, larges triangles d'or, Vos cavales échevelées ! Qu'Othman, fils d'Ortogrul, vive en chacun de vous. Que l'un ait son regard et l'autre son courroux. Allez, allez, ô capitaines ! Et nous te reprendrons, ville aux dômes d'or pur, Molle Setiniah, qu'en leur langage impur Les barabares nomment Athènes ! Le 21 octobre 1828.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Guerre civile La foule était tragique et terrible ; on criait : À mort ! Autour d’un homme altier, point inquiet, Grave, et qui paraissait lui-même inexorable, Le peuple se pressait : À mort le misérable ! Et lui, semblait trouver toute simple la mort. La partie est perdue, on n’est pas le plus fort, On meurt, soit. Au milieu de la foule accourue, Les vainqueurs le traînaient de chez lui dans la rue. — À mort l’homme ! — On l’avait saisi dans son logis ; Ses vêtements étaient de carnage rougis ; Cet homme était de ceux qui font l’aveugle guerre Des rois contre le peuple, et ne distinguent guère Scévola de Brutus, ni Barbès de Blanqui ; Il avait tout le jour tué n’importe qui ; Incapable de craindre, incapable d’absoudre, Il marchait, laissant voir ses mains noires de poudre ; Une femme le prit au collet : « À genoux ! C’est un sergent de ville. Il a tiré sur nous ! — C’est vrai, dit l’homme. — À bas ! à mort ! qu’on le fusille ! Dit le peuple. — Ici ! Non ! Plus loin ! À la Bastille ! À l’arsenal ! Allons ! Viens ! Marche ! — Où vous voudrez », Dit le prisonnier. Tous, hagards, les rangs serrés, Chargèrent leurs fusils. « Mort au sergent de ville ! Tuons-le comme un loup ! — Et l’homme dit, tranquille : — C’est bien, je suis le loup, mais vous êtes les chiens. — Il nous insulte ! À mort ! » Les pâles citoyens Croisaient leurs poings crispés sur le captif farouche ; L’ombre était sur son front et le fiel dans sa bouche ; Cent voix criaient : « À mort ! À bas ! Plus d’empereur ! » On voyait dans ses yeux un reste de fureur Remuer vaguement comme une hydre échouée ; Il marchait poursuivi par l’énorme huée, Et, calme, il enjambait, plein d’un superbe ennui, Des cadavres gisants, peut-être faits par lui. Le peuple est effrayant lorsqu’il devient tempête ; L’homme sous plus d’affronts levait plus haut la tête ; Il était plus que pris, il était envahi. Dieu ! comme il haïssait ! comme il était haï ! Comme il les eût, vainqueur, fusillés tous ! « Qu’il meure ! Il nous criblait encor de balles tout à l’heure ! À bas cet espion, ce traître, ce maudit ! À mort ! c’est un brigand ! » Soudain on entendit Une petite voix qui disait : « C’est mon père ! » Et quelque chose fit l’effet d’une lumière. Un enfant apparut. Un enfant de six ans. Ses deux bras se dressaient suppliants, menaçants. Tous criaient : « Fusillez le mouchard ! Qu’on l’assomme ! » Et l’enfant se jeta dans les jambes de l’homme, Et dit, ayant au front le rayon baptismal : « Père, je ne veux pas qu’on te fasse de mal ! » Et cet enfant sortait de la même demeure. Les clameurs grossissaient : « À bas l’homme ! Qu’il meure ! À bas ! finissons-en avec cet assassin ! Mort ! » Au loin le canon répondait au tocsin. Toute la rue était pleine d’hommes sinistres. À bas les rois ! À bas les prêtres, les ministres, Les mouchards ! Tuons tout ! c’est un tas de bandits ! » Et l’enfant leur cria : « Mais puisque je vous dis Que c’est mon père ! — Il est joli, dit une femme, Bel enfant ! » On voyait dans ses yeux bleus une âme ; Il était tout en pleurs, pâle, point mal vêtu. Une autre femme dit : « Petit, quel âge as-tu ? Et l’enfant répondit : — Ne tuez pas mon père ! » Quelques regards pensifs étaient fixés à terre, Les poings ne tenaient plus l’homme si durement. Un de plus furieux, entre tous inclément, Dit à l’enfant : « Va-t’en ! — Où ? — Chez toi. — Pourquoi faire ? — Chez ta mère. — Sa mère est morte, dit le père. — Il n’a donc plus que vous ? — Qu’est-ce que cela fait ? » Dit le vaincu. Stoïque et calme, il réchauffait Les deux petites mains dans sa rude poitrine, Et disait à l’enfant : « Tu sais bien, Catherine ? — Notre voisine ? — Oui. Va chez elle. — Avec toi ? — J’irai plus tard. — Sans toi je ne veux pas. — Pourquoi ? — Parce qu’on te ferait du mal. » Alors le père Parla tout bas au chef de cette sombre guerre : « Lâchez-moi le collet. Prenez-moi par la main, Doucement. Je vais dire à l’enfant : À demain ! Vous me fusillerez au détour de la rue, Ailleurs, où vous voudrez. — Et, d’une voix bourrue : — Soit, dit le chef, lâchant le captif à moitié. Le père dit : — Tu vois. C’est de bonne amitié. Je me promène avec ces messieurs. Sois bien sage, Rentre. » Et l’enfant tendit au père son visage, Et s’en alla content, rassuré, sans effroi. « Nous sommes à notre aise à présent, tuez-moi, Dit le père aux vainqueurs ; où voulez-vous que j’aille ? » Alors, dans cette foule où grondait la bataille, On entendit passer un immense frisson, Et le peuple cria : « Rentre dans ta maison ! »

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    Victor Hugo

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    @victorHugo

    Les canaris Lorsqu’un vaisseau vaincu dérive en pleine mer ; Que ses voiles carrées Pendent le long des mâts, par les boulets de fer Largement déchirées ; Qu’on n’y voit que des morts tombés de toutes parts, Ancres, agrès, voilures, Grands mâts rompus, traînant leurs cordages épars Comme des chevelures ; Que le vaisseau, couvert de fumée et de bruit, Tourne ainsi qu’une roue ; Qu’un flux et qu’un reflux d’hommes roule et s’enfuit De la poupe à la proue ; Lorsqu’à la voix des chefs nul soldat ne répond ; Que la mer monte et gronde ; Que les canons éteints nagent dans l’entre-pont, S’entre-choquant dans l’onde ; Qu’on voit le lourd colosse ouvrir au flot marin Sa blessure béante, Et saigner, à travers son armure d’airain, La galère géante ; Qu’elle vogue au hasard, comme un corps palpitant, La carène entr’ouverte, Comme un grand poisson mort, dont le ventre flottant Argente l’onde verte ; Alors gloire au vainqueur ! Son grappin noir s’abat Sur la nef qu’il foudroie ; Tel un aigle puissant pose, après le combat, Son ongle sur sa proie ! Puis, il pend au grand mât, comme au front d’une tour, Son drapeau que l’air ronge, Et dont le reflet d’or dans l’onde, tour à tour, S’élargit et s’allonge. Et c’est alors qu’on voit les peuples étaler Les couleurs les plus fières, Et la pourpre, et l’argent, et l’azur onduler Aux plis de leurs bannières. Dans ce riche appareil leur orgueil insensé Se flatte et se repose, Comme si le flot noir, par le flot effacé, En gardait quelque chose ! Malte arborait sa croix ; Venise, peuple-roi, Sur ses poupes mouvantes, L’héraldique lion qui fait rugir d’effroi Les lionnes vivantes. Le pavillon de Naple est éclatant dans l’air, Et quand il se déploie On croit voir ondoyer de la poupe à la mer Un flot d’or et de soie. Espagne peint aux plis des drapeaux voltigeant Sur ses flottes avares, Léon aux lions d’or, Castille aux tours d’argent, Les chaînes des Navarres. Rome a les clefs; Milan, l’enfant qui hurle encor Dans les dents de la guivre ; Et les vaisseaux de France ont des fleurs de lys d’or Sur leurs robes de cuivre. Stamboul la turque autour du croissant abhorré Suspend trois blanches queues ; L’Amérique enfin libre étale un ciel doré Semé d’étoiles bleues. L’Autriche a l’aigle étrange, aux ailerons dressés, Qui, brillant sur la moire, Vers les deux bouts du monde à la fois menacés Tourne une tête noire. L’autre aigle au double front, qui des czars suit les lois, Son antique adversaire, Comme elle regardant deux mondes à la fois, En tient un dans sa serre. L’Angleterre en triomphe impose aux flots amers Sa splendide oriflamme, Si riche qu’on prendrait son reflet dans les mers Pour l’ombre d’une flamme. C’est ainsi que les rois font aux mâts des vaisseaux Flotter leurs armoiries, Et condamnent les nefs conquises sur les eaux A changer de patries. Ils traînent dans leurs rangs ces voiles dont le sort Trompa les destinées, Tout fiers de voir rentrer plus nombreuses au port Leurs flottes blasonnées. Aux navires captifs toujours ils appendront Leurs drapeaux de victoire, Afin que le vaincu porte écrite à son front Sa honte avec leur gloire ! Mais le bon Canaris, dont un ardent sillon Suit la barque hardie, Sur les vaisseaux qu’il prend, comme son pavillon, Arbore l’incendie !

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    Victor Hugo

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    @victorHugo

    L’enfant Les turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil. Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil, Chio, qu’ombrageaient les charmilles, Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois, Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois Un chœur dansant de jeunes filles. Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis, Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis, Courbait sa tête humiliée ; Il avait pour asile, il avait pour appui Une blanche aubépine, une fleur, comme lui Dans le grand ravage oubliée. Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux ! Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus Comme le ciel et comme l’onde, Pour que dans leur azur, de larmes orageux, Passe le vif éclair de la joie et des jeux, Pour relever ta tête blonde, Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner Pour rattacher gaîment et gaîment ramener En boucles sur ta blanche épaule Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront, Et qui pleurent épars autour de ton beau front, Comme les feuilles sur le saule ? Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ? Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus, Qui d’Iran borde le puits sombre ? Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand, Qu’un cheval au galop met, toujours en courant, Cent ans à sortir de son ombre ? Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois, Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois, Plus éclatant que les cymbales ? Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ? – Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus, Je veux de la poudre et des balles. 8-10 juillet 1828

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    Victor Hugo

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    @victorHugo

    L’expiation I Il neigeait. On était vaincu par sa conquête. Pour la première fois l’aigle baissait la tête. Sombres jours! l’empereur revenait lentement, Laissant derrière lui brûler Moscou fumant. Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche. Après la plaine blanche une autre plaine blanche. On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau. Hier la grande armée, et maintenant troupeau. On ne distinguait plus les ailes ni le centre. Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre Des chevaux morts; au seuil des bivouacs désolés On voyait des clairons à leur poste gelés, Restés debout, en selle et muets, blancs de givre, Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs, Pleuvaient; les grenadiers, surpris d’être tremblants, Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise. Il neigeait, il neigeait toujours! La froide bise Sifflait; sur le verglas, dans des lieux inconnus, On n’avait pas de pain et l’on allait pieds nus. Ce n’étaient plus des cœurs vivants, des gens de guerre: C’était un rêve errant dans la brume, un mystère, Une procession d’ombres sous le ciel noir. La solitude vaste, épouvantable à voir, Partout apparaissait, muette vengeresse. Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse Pour cette immense armée un immense linceul. Et chacun se sentant mourir, on était seul. – Sortira-t-on jamais de ce funeste empire? Deux ennemis! le czar, le nord. Le nord est pire. On jetait les canons pour brûler les affûts. Qui se couchait, mourait. Groupe morne et confus, Ils fuyaient; le désert dévorait le cortège. On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige, Voir que des régiments s’étaient endormis là. Ô chutes d’Annibal! lendemains d’Attila! Fuyards, blessés, mourants, caissons, brancards, civières, On s’écrasait aux ponts pour passer les rivières, On s’endormait dix mille, on se réveillait cent. Ney, que suivait naguère une armée, à présent S’évadait, disputant sa montre à trois cosaques. Toutes les nuits, qui vive! alerte, assauts! attaques! Ces fantômes prenaient leur fusil, et sur eux Ils voyaient se ruer, effrayants, ténébreux, Avec des cris pareils aux voix des vautours chauves, D’horribles escadrons, tourbillons d’hommes fauves. Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait. L’empereur était là, debout, qui regardait. Il était comme un arbre en proie à la cognée. Sur ce géant, grandeur jusqu’alors épargnée, Le malheur, bûcheron sinistre, était monté; Et lui, chêne vivant, par la hache insulté, Tressaillant sous le spectre aux lugubres revanches, Il regardait tomber autour de lui ses branches. Chefs, soldats, tous mouraient. Chacun avait son tour. Tandis qu’environnant sa tente avec amour, Voyant son ombre aller et venir sur la toile, Ceux qui restaient, croyant toujours à son étoile, Accusaient le destin de lèse-majesté, Lui se sentit soudain dans l’âme épouvanté. Stupéfait du désastre et ne sachant que croire, L’empereur se tourna vers Dieu; l’homme de gloire Trembla; Napoléon comprit qu’il expiait Quelque chose peut-être, et, livide, inquiet, Devant ses légions sur la neige semées: «Est-ce le châtiment, dit-il. Dieu des armées?» Alors il s’entendit appeler par son nom Et quelqu’un qui parlait dans l’ombre lui dit: Non. II Waterloo! Waterloo! Waterloo! morne plaine! Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine, Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons, La pâle mort mêlait les sombres bataillons. D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France. Choc sanglant! des héros Dieu trompait l’espérance; Tu désertais, victoire, et le sort était las. O Waterloo! je pleure et je m’arrête, hélas! Car ces derniers soldats de la dernière guerre Furent grands; ils avaient vaincu toute la terre, Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin, Et leur âme chantait dans les clairons d’airain! Le soir tombait; la lutte était ardente et noire. Il avait l’offensive et presque la victoire; Il tenait Wellington acculé sur un bois. Sa lunette à la main, il observait parfois Le centre du combat, point obscur où tressaille La mêlée, effroyable et vivante broussaille, Et parfois l’horizon, sombre comme la mer. Soudain, joyeux, il dit: Grouchy! – C’était Blücher. L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme, La mêlée en hurlant grandit comme une flamme. La batterie anglaise écrasa nos carrés. La plaine, où frissonnaient les drapeaux déchirés, Ne fut plus, dans les cris des mourants qu’on égorge, Qu’un gouffre flamboyant, rouge comme une forge; Gouffre où les régiments comme des pans de murs Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs Les hauts tambours-majors aux panaches énormes, Où l’on entrevoyait des blessures difformes! Carnage affreux! moment fatal! L’homme inquiet Sentit que la bataille entre ses mains pliait. Derrière un mamelon la garde était massée. La garde, espoir suprême et suprême pensée! «Allons! faites donner la garde!» cria-t-il. Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil, Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires, Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres, Portant le noir colback ou le casque poli, Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli, Comprenant qu’ils allaient mourir dans cette fête, Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête. Leur bouche, d’un seul cri, dit: vive l’empereur! Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur, Tranquille, souriant à la mitraille anglaise, La garde impériale entra dans la fournaise. Hélas! Napoléon, sur sa garde penché, Regardait, et, sitôt qu’ils avaient débouché Sous les sombres canons crachant des jets de soufre, Voyait, l’un après l’autre, en cet horrible gouffre, Fondre ces régiments de granit et d’acier Comme fond une cire au souffle d’un brasier. Ils allaient, l’arme au bras, front haut, graves, stoïques. Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques! Le reste de l’armée hésitait sur leurs corps Et regardait mourir la garde. – C’est alors Qu’élevant tout à coup sa voix désespérée, La Déroute, géante à la face effarée Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons, Changeant subitement les drapeaux en haillons, A de certains moments, spectre fait de fumées, Se lève grandissante au milieu des armées, La Déroute apparut au soldat qui s’émeut, Et, se tordant les bras, cria: Sauve qui peut! Sauve qui peut! – affront! horreur! – toutes les bouches Criaient; à travers champs, fous, éperdus, farouches, Comme si quelque souffle avait passé sur eux. Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux, Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles, Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles, Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil! Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient! – En un clin d’œil, Comme s’envole au vent une paille enflammée, S’évanouit ce bruit qui fut la grande armée, Et cette plaine, hélas, où l’on rêve aujourd’hui, Vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui! Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre, Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire, Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants, Tremble encor d’avoir vu la fuite des géants! Napoléon les vit s’écouler comme un fleuve; Hommes, chevaux, tambours, drapeaux; – et dans l’épreuve Sentant confusément revenir son remords, Levant les mains au ciel, il dit: «Mes soldats morts, Moi vaincu! mon empire est brisé comme verre. Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère?» Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon, Il entendit la voix qui lui répondait: Non! III Il croula. Dieu changea la chaîne de l’Europe. Il est, au fond des mers que la brume enveloppe, Un roc hideux, débris des antiques volcans. Le Destin prit des clous, un marteau, des carcans, Saisit, pâle et vivant, ce voleur du tonnerre, Et, joyeux, s’en alla sur le pic centenaire Le clouer, excitant par son rire moqueur Le vautour Angleterre à lui ronger le coeur. Évanouissement d’une splendeur immense! Du soleil qui se lève à la nuit qui commence, Toujours l’isolement, l’abandon, la prison; Un soldat rouge au seuil, la mer à l’horizon. Des rochers nus, des bois affreux, l’ennui, l’espace, Des voiles s’enfuyant comme l’espoir qui passe, Toujours le bruit des flots, toujours le bruit des vents! Adieu, tente de pourpre aux panaches mouvants, Adieu, le cheval blanc que César éperonne! Plus de tambours battant aux champs, plus de couronne, Plus de rois prosternés dans l’ombre avec terreur, Plus de manteau traînant sur eux, plus d’empereur! Napoléon était retombé Bonaparte. Comme un romain blessé par la flèche du parthe, Saignant, morne, il songeait à Moscou qui brûla. Un caporal anglais lui disait: halte-là! Son fils aux mains des rois, sa femme au bras d’un autre! Plus vil que le pourceau qui dans l’égout se vautre, Son sénat, qui l’avait adoré, l’insultait. Au bord des mers, à l’heure où la bise se tait, Sur les escarpements croulant en noirs décombres, Il marchait, seul, rêveur, captif des vagues sombres. Sur les monts, sur les flots, sur les cieux, triste et fier, L’oeil encore ébloui des batailles d’hier, Il laissait sa pensée errer à l’aventure. Grandeur, gloire, ô néant! calme de la nature! Les aigles qui passaient ne le connaissaient pas. Les rois, ses guichetiers, avaient pris un compas Et l’avaient enfermé dans un cercle inflexible. Il expirait. La mort de plus en plus visible Se levait dans sa nuit et croissait à ses yeux, Comme le froid matin d’un jour mystérieux. Son âme palpitait, déjà presque échappée. Un jour enfin il mit sur son lit son épée, Et se coucha près d’elle, et dit: c’est aujourd’hui! On jeta le manteau de Marengo sur lui. Ses batailles du Nil, du Danube, du Tibre, Se penchaient sur son front; il dit: Me voici libre! Je suis vainqueur! je vois mes aigles accourir! – Et, comme il retournait sa tête pour mourir, Il aperçut, un pied dans la maison déserte, Hudson Lowe guettant par la porte entr’ouverte. Alors, géant broyé sous le talon des rois, Il cria: La mesure est comble cette fois! Seigneur! c’est maintenant fini! Dieu que j’implore, Vous m’avez châtié! – La voix dit: – Pas encore! IV Ô noirs événements, vous fuyez dans la nuit! L’empereur mort tomba sur l’empire détruit. Napoléon alla s’endormir sous le saule. Et les peuples alors, de l’un à l’autre pôle, Oubliant le tyran, s’éprirent du héros. Les poètes, marquant au front les rois bourreaux, Consolèrent, pensifs, cette gloire abattue. À la colonne veuve on rendit sa statue. Quand on levait les yeux, on le voyait debout Au-dessus de Paris, serein, dominant tout, Seul, le jour dans l’azur et la nuit dans les astres. Panthéons, on grava son nom sur vos pilastres! On ne regarda plus qu’un seul côté des temps, On ne se souvint plus que des jours éclatants Cet homme étrange avait comme enivré l’histoire La justice à l’œil froid disparut sous sa gloire; On ne vit plus qu’Eylau, Ulm, Arcole, Austerlitz; Comme dans les tombeaux des romains abolis, On se mit à fouiller dans ces grandes années Et vous applaudissiez, nations inclinées, Chaque fois qu’on tirait de ce sol souverain Ou le consul de marbre ou l’empereur d’airain! V Le nom grandit quand l’homme tombe; Jamais rien de tel n’avait lui. Calme, il écoutait dans sa tombe La terre qui parlait de lui. La terre disait: «La victoire A suivi cet homme en tous lieux. Jamais tu n’as vu, sombre histoire, Un passant plus prodigieux! » Gloire au maître qui dort sous l’herbe! Gloire à ce grand audacieux! Nous l’avons vu gravir, superbe, Les premiers échelons des cieux! » Il envoyait, âme acharnée, Prenant Moscou, prenant Madrid, Lutter contre la destinée Tous les rêves de son esprit. » À chaque instant, rentrant en lice, Cet homme aux gigantesques pas Proposait quelque grand caprice À Dieu, qui n’y consentait pas. » Il n’était presque plus un homme. Il disait, grave et rayonnant, En regardant fixement Rome C’est moi qui règne maintenant! » Il voulait, héros et symbole, Pontife et roi, phare et volcan, Faire du Louvre un Capitole Et de Saint-Cloud un Vatican. » César, il eût dit à Pompée: ‹ Sois fier d’être mon lieutenant!› On voyait luire son épée Au fond d’un nuage tonnant. » Il voulait, dans les frénésies De ses vastes ambitions, Faire devant ses fantaisies Agenouiller les nations, » Ainsi qu’en une urne profonde, Mêler races, langues, esprits, Répandre Paris sur le monde, Enfermer le monde en Paris! » Comme Cyrus dans Babylone, Il voulait sous sa large main Ne faire du monde qu’un trône Et qu’un peuple du genre humain, » Et bâtir, malgré les huées, Un tel empire sous son nom, Que Jéhovah dans les nuées Fût jaloux de Napoléon!» VI Enfin, mort triomphant, il vit sa délivrance, Et l’océan rendit son cercueil à la France. L’homme, depuis douze ans, sous le dôme doré Reposait, par l’exil et par la mort sacré. En paix! – Quand on passait près du monument sombre, On se le figurait, couronne au front, dans l’ombre, Dans son manteau semé d’abeilles d’or, muet, Couché sous cette voûte où rien ne remuait, Lui, l’homme qui trouvait la terre trop étroite, Le sceptre en sa main gauche et l’épée en sa droite, À ses pieds son grand aigle ouvrant l’œil à demi, Et l’on disait: C’est là qu’est César endormi! Laissant dans la clarté marcher l’immense ville, Il dormait; il dormait confiant et tranquille. VII Une nuit, – c’est toujours la nuit dans le tombeau, – Il s’éveilla. Luisant comme un hideux flambeau, D’étranges visions emplissaient sa paupière; Des rires éclataient sous son plafond de pierre; Livide, il se dressa; la vision grandit; Ô terreur! une voix qu’il reconnut, lui dit: – Réveille-toi. Moscou, Waterloo, Sainte-Hélène, L’exil, les rois geôliers, l’Angleterre hautaine Sur ton lit accoudée à ton dernier moment, Sire, cela n’est rien. Voici le châtiment: La voix alors devint âpre, amère, stridente, Comme le noir sarcasme et l’ironie ardente; C’était le rire amer mordant un demi-dieu. – Sire! on t’a retiré de ton Panthéon bleu! Sire! on t’a descendu de ta haute colonne! Regarde. Des brigands, dont l’essaim tourbillonne, D’affreux bohémiens, des vainqueurs de charnier Te tiennent dans leurs mains et t’ont fait prisonnier. À ton orteil d’airain leur patte infâme touche. Ils t’ont pris. Tu mourus, comme un astre se couche, Napoléon le Grand, empereur; tu renais Bonaparte, écuyer du cirque Beauharnais. Te voilà dans leurs rangs, on t’a, l’on te harnache. Ils t’appellent tout haut grand homme, entre eux, ganache. Ils traînent, sur Paris qui les voit s’étaler, Des sabres qu’au besoin ils sauraient avaler. Aux passants attroupés devant leur habitacle, Ils disent, entends-les: – Empire à grand spectacle! Le pape est engagé dans la troupe; c’est bien, Nous avons mieux; le czar en est mais ce n’est rien, Le czar n’est qu’un sergent, le pape n’est qu’un bonze Nous avons avec nous le bonhomme de bronze! Nous sommes les neveux du grand Napoléon! – Et Fould, Magnan, Rouher, Parieu caméléon, Font rage. Ils vont montrant un sénat d’automates. Ils ont pris de la paille au fond des casemates Pour empailler ton aigle, ô vainqueur d’Iéna! Il est là, mort, gisant, lui qui si haut plana, Et du champ de bataille il tombe au champ de foire. Sire, de ton vieux trône ils recousent la moire. Ayant dévalisé la France au coin d’un bois, Ils ont à leurs haillons du sang, comme tu vois, Et dans son bénitier Sibour lave leur linge. Toi, lion, tu les suis; leur maître, c’est le singe. Ton nom leur sert de lit, Napoléon premier. On voit sur Austerlitz un peu de leur fumier. Ta gloire est un gros vin dont leur honte se grise. Cartouche essaie et met ta redingote grise On quête des liards dans le petit chapeau Pour tapis sur la table ils ont mis ton drapeau. À cette table immonde où le grec devient riche, Avec le paysan on boit, on joue, on triche; Tu te mêles, compère, à ce tripot hardi, Et ta main qui tenait l’étendard de Lodi, Cette main qui portait la foudre, ô Bonaparte, Aide à piper les dés et fait sauter la carte. Ils te forcent à boire avec eux, et Carlier Pousse amicalement d’un coude familier Votre majesté, sire, et Piétri dans son antre Vous tutoie, et Maupas vous tape sur le ventre. Faussaires, meurtriers, escrocs, forbans, voleurs, Ils savent qu’ils auront, comme toi, des malheurs Leur soif en attendant vide la coupe pleine À ta santé; Poissy trinque avec Sainte-Hélène. Regarde! bals, sabbats, fêtes matin et soir. La foule au bruit qu’ils font se culbute pour voir; Debout sur le tréteau qu’assiège une cohue Qui rit, bâille, applaudit, tempête, siffle, hue, Entouré de pasquins agitant leur grelot, – Commencer par Homère et finir par Callot! Épopée! épopée! oh! quel dernier chapitre! – Entre Troplong paillasse et Chaix-d’Est-Ange pitre, Devant cette baraque, abject et vil bazar Où Mandrin mal lavé se déguise en César, Riant, l’affreux bandit, dans sa moustache épaisse, Toi, spectre impérial, tu bats la grosse caisse! – L’horrible vision s’éteignit. L’empereur, Désespéré, poussa dans l’ombre un cri d’horreur, Baissant les yeux, dressant ses mains épouvantées. Les Victoires de marbre à la porte sculptées, Fantômes blancs debout hors du sépulcre obscur, Se faisaient du doigt signe, et, s’appuyant au mur, Écoutaient le titan pleurer dans les ténèbres. Et lui, cria: «Démon aux visions funèbres, Toi qui me suis partout, que jamais je ne vois, Qui donc es-tu? – Je suis ton crime», dit la voix. La tombe alors s’emplit d’une lumière étrange Semblable à la clarté de Dieu quand il se venge Pareils aux mots que vit resplendir Balthazar, Deux mots dans l’ombre écrits flamboyaient sur César; Bonaparte, tremblant comme un enfant sans mère, Leva sa face pâle et lut: – Dix huit Brumaire! 25-30 novembre. Jersey.

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    Werner Lambersy

    @wernerLambersy

    Guerre un peu partout Famines tortures Fanatismes Haines Par amour d’une cause Et la vengeance borgne L’aveugle épidémie Des droits Du sol Du sang ou du plus fort Et l’argent qui tue sans Regarder Malheur Aux gens trop heureux ! Mais Nos corps ne voulaient Rien savoir Ils parlaient de soleils Très anciens Et de mondes tellement Habitables Que la moindre caresse Soulevait Des océans de plumes Sur la peau douce De l’âme Où la paix Peut se poser comme Se repose Sur la houle Le vol têtu des oiseaux Migrateurs

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    Winston Perez

    @winstonPerez

    La guerre est là La guerre est là et nous n’y pouvons plus rien Elle est dans nos maisons et plus aucun de nous ne respire La guerre est là et nous n’y pouvons plus rien Nous contemplons sans bruit l’horreur, l’indicible, le pire La guerre est là et nous n’y pouvons plus rien Elle vient comme vient la mort, vient au dernier soupir La guerre est là et nous n’y pouvons plus rien On pense à ceux qui sont là, aux autres peut-être, au pire La guerre est là et nous n’y pouvons plus rien…

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