splash screen icon Lenndi
splash screen name leendi

Ivresse

58 poésies en cours de vérification
Ivresse

Poésies de la collection ivresse

    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A la mi-carême I Le carnaval s’en va, les roses vont éclore ; Sur les flancs des coteaux déjà court le gazon. Cependant du plaisir la frileuse saison Sous ses grelots légers rit et voltige encore, Tandis que, soulevant les voiles de l’aurore, Le Printemps inquiet paraît à l’horizon. II Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire ; Bien que le laboureur le craigne justement, L’univers y renaît ; il est vrai que le vent, La pluie et le soleil s’y disputent l’empire. Qu’y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ; C’est sa première larme et son premier sourire. III C’est dans le mois de mars que tente de s’ouvrir L’anémone sauvage aux corolles tremblantes. Les femmes et les fleurs appellent le zéphyr ; Et du fond des boudoirs les belles indolentes, Balançant mollement leurs tailles nonchalantes, Sous les vieux marronniers commencent à venir. IV C’est alors que les bals, plus joyeux et plus rares, Prolongent plus longtemps leurs dernières fanfares ; À ce bruit qui nous quitte, on court avec ardeur ; La valseuse se livre avec plus de langueur : Les yeux sont plus hardis, les lèvres moins avares, La lassitude enivre, et l’amour vient au coeur. V S’il est vrai qu’ici-bas l’adieu de ce qu’on aime Soit un si doux chagrin qu’on en voudrait mourir, C’est dans le mois de mars, c’est à la mi-carême, Qu’au sortir d’un souper un enfant du plaisir Sur la valse et l’amour devrait faire un poème, Et saluer gaiement ses dieux prêts à partir. VI Mais qui saura chanter tes pas pleins d’harmonie, Et tes secrets divins, du vulgaire ignorés, Belle Nymphe allemande aux brodequins dorés ? Ô Muse de la valse ! ô fleur de poésie ! Où sont, de notre temps, les buveurs d’ambroisie Dignes de s’étourdir dans tes bras adorés ? VII Quand, sur le Cithéron, la Bacchanale antique Des filles de Cadmus dénouait les cheveux, On laissait la beauté danser devant les dieux ; Et si quelque profane, au son de la musique, S’élançait dans les choeurs, la prêtresse impudique De son thyrse de fer frappait l’audacieux. VIII Il n’en est pas ainsi dans nos fêtes grossières ; Les vierges aujourd’hui se montrent moins sévères, Et se laissent toucher sans grâce et sans fierté. Nous ouvrons à qui veut nos quadrilles vulgaires ; Nous perdons le respect qu’on doit à la beauté, Et nos plaisirs bruyants font fuir la volupté. IX Tant que régna chez nous le menuet gothique, D’observer la mesure on se souvint encor. Nos pères la gardaient aux jours de thermidor, Lorsqu’au bruit des canons dansait la République, Lorsque la Tallien, soulevant sa tunique, Faisait de ses pieds nus claquer les anneaux d’or. X Autres temps, autres moeurs ; le rythme et la cadence Ont suivi les hasards et la commune loi. Pendant que l’univers, ligué contre la France, S’épuisait de fatigue à lui donner un roi, La valse d’un coup d’aile a détrôné la danse. Si quelqu’un s’en est plaint, certes, ce n’est pas moi. XI Je voudrais seulement, puisqu’elle est notre hôtesse, Qu’on sût mieux honorer cette jeune déesse. Je voudrais qu’à sa voix on pût régler nos pas, Ne pas voir profaner une si douce ivresse, Froisser d’un si beau sein les contours délicats, Et le premier venu l’emporter dans ses bras. XII C’est notre barbarie et notre indifférence Qu’il nous faut accuser ; notre esprit inconstant Se prend de fantaisie et vit de changement ; Mais le désordre même a besoin d’élégance ; Et je voudrais du moins qu’une duchesse, en France, Sût valser aussi bien qu’un bouvier allemand.

    en cours de vérification

    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A Mademoiselle Oui, femmes, quoi qu’on puisse dire, Vous avez le fatal pouvoir De nous jeter par un sourire Dans l’ivresse ou le désespoir. Oui, deux mots, le silence même, Un regard distrait ou moqueur, Peuvent donner à qui vous aime Un coup de poignard dans le coeur. Oui, votre orgueil doit être immense, Car, grâce à notre lâcheté, Rien n’égale votre puissance, Sinon votre fragilité. Mais toute puissance sur terre Meurt quand l’abus en est trop grand, Et qui sait souffrir et se taire S’éloigne de vous en pleurant. Quel que soit le mal qu’il endure, Son triste rôle est le plus beau. J’aime encor mieux notre torture Que votre métier de bourreau.

    en cours de vérification

    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Bacchus Viens, ô divin Bacchus, ô jeune Thyonée, Ô Dionyse, Évan, Iacchus et Lénée ; Viens, tel que tu parus aux déserts de Naxos, Quand ta voix rassurait la fille de Minos. Le superbe éléphant, en proie à ta victoire, Avait de ses débris formé ton char d’ivoire. De pampres, de raisins mollement enchaîné, Le tigre aux lares flancs de taches sillonné, Et le lynx étoilé, la panthère sauvage, Promenaient avec toi ta cour sur ce rivage. L’or reluisait partout aux axes de tes chars. Les Ménades couraient en longs cheveux épars Et chantaient Évius, Bacchus et Thyonée, Et Dionyse, Évan, Iacchus et Lénée, Et tout ce que pour toi la Grèce eut de beaux noms. Et la voix des rochers répétait leurs chansons ; Et le rauque tambour, les sonores cymbales, Les hautbois tortueux, et les doubles crotales Qu’agitaient en dansant sur ton bruyant chemin Le faune, le satyre et le jeune sylvain, Au hasard attroupés autour du vieux Silène, Qui, sa coupe à la main, de la rive indienne, Toujours ivre, toujours débile, chancelant, Pas à pas cheminait sur son âne indolent. (inachevé)

    en cours de vérification

    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    L'inquiet désir Voici l'été encor, la chaleur, la clarté, La renaissance simple et paisible des plantes, Les matins vifs, les tièdes nuits, les journées lentes, La joie et le tourment dans l'âme rapportés. — Voici le temps de rêve et de douce folie Où le cœur, que l'odeur du jour vient enivrer, Se livre au tendre ennui de toujours espérer L'éclosion soudaine et bonne de la vie, Le cœur monte et s'ébat dans l'air mol et fleuri. — Mon cœur, qu'attendez-vous de la chaude journée, Est-ce le clair réveil de l'enfance étonnée Qui regarde, s'élance, ouvre les mains et rit ? Est-ce l'essor naïf et bondissant des rêves Qui se blessaient aux chocs de leur emportement, Est-ce le goût du temps passé, du temps clément, Où l'âme sans effort sentait monter sa sève ? — Ah ! mon cœur, vous n'aurez plus jamais d'autre bien Que d'espérer l'Amour et les jeux qui l'escortent, Et vous savez pourtant le mal que vous apporte Ce dieu tout irrité des combats dont il vient...

    en cours de vérification

    A

    Aristide Bruant

    @aristideBruant

    Philosophie Va, mon vieux, va comme j’te pousse, À gauche, à doit’, va, ça fait rien, Va, pierr’ qui roule amass’ pas mousse, J’ m’appell’ pas Pierre et je l’ sais bien. Quand j’étais p’tit j’ m’app’lais Émile, À présent on m’appelle Éloi ; Va, mon vieux, va, n’ te fais pas d’ bile, T’es dans la ru’, va, t’es chez toi. Va, mon vieux, pouss’-toi d’ la ballade En attendant l’ jour d’aujord’hui, Va donc, ya qu’ quand on est malade Qu’on a besoin d’ pioncer la nuit ; Tu t’ portes ben, toi, t’as d’ la chance, Tu t’ fous d’ la chaud, tu t’ fous d’ la foid, Va, mon vieux, fais pas d’ rouspétance, T’es dans la ru’, va, t’es chez toi. De quoi donc ?... on dirait d’un merle, Ej’ viens d’entende un coup d’ sifflet !... Mais non, c’est moi que j’ lâche eun’ perle, Sortez donc, Monsieur, s’i’ vous plaît... Ah ! mince, on prend des airs de flûte, On s’ régal’ d’un p’tit quant-à-soi... Va, mon vieux, pèt’ dans ta culbute, T’es dans la ru’, va, t’es chez toi. D’abord ej’ comprends pas qu’on s’ gêne, Ej’ suis ami d’ la liberté, J’ fais pas ma Sophi’, mon Ugène, Quand ej’ pète, ej’ dis : j’ai pété. Et pis nous somm’ en République, On n’est pus su’ l’ pavé du roi ; Va, va, mon vieux, va, pouss’ ta chique, T’es dans la ru’, va, t’es chez toi.

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Comédie de la soif 1. Les parents Nous sommes tes Grands-Parents Les Grands ! Couverts des froides sueurs De la lune et des verdures. Nos vins secs avaient du cœur ! Au Soleil sans imposture Que faut-il à l’homme ? boire. MOI – Mourir aux fleuves barbares. Nous sommes tes Grands-Parents Des champs. L’eau est au fond des osiers : Vois le courant du fossé Autour du Château mouillé. Descendons en nos celliers ; Après, le cidre et le lait. MOI – Aller où boivent les vaches. Nous sommes tes Grands-Parents ; Tiens, prends Les liqueurs dans nos armoires Le Thé, le Café, si rares, Frémissent dans les boulloires. – Vois les images, les fleurs. Nous rentrons du cimetière. MOI – Ah ! tarir toutes les urnes ! 2. L’esprit Éternelles Ondines, Divisez l’eau fine. Vénus, sœur de l’azur, Emeus le flot pur. Juifs errants de Norwège Dites-moi la neige. Anciens exilés chers Dites-moi la mer. MOI – Non, plus ces boissons pures, Ces fleurs d’eau pour verres ; Légendes ni figures Ne me désaltèrent ; Chansonnier, ta filleule C’est ma soif si folle, Hydre intime sans gueules Qui mine et désole. 3. Les amis Viens, les Vins vont aux plages, Et les flots par millions ! Vois le Bitter sauvage Rouler du haut des monts ! Gagnons, pèlerins sages L’Absinthe aux verts piliers… MOI – Plus ces paysages. Qu’est l’ivresse, Amis ? J’aime autant, mieux, même, Pourrir dans l’étang, Sous l’affreuse crème, Près des bois flottants. 4. Le pauvre songe Peut-être un Soir m’attend Où je boirai tranquille En quelque vieille Ville, Et mourrai plus content : Puisque je suis patient ! Si mon mal se résigne Si j’ai jamais quelque or, Choisirai-je le Nord Ou le Pays des Vignes ?… – Ah songer est indigne Puisque c’est pure perte ! Et si je redeviens Le voyageur ancien, Jamais l’auberge verte Ne peut bien m’être ouverte. 5 – Conclusion Les pigeons qui tremblent dans la prairie, Le gibier, qui court et qui voit la nuit, Les bêtes des eaux, la bête asservie, Les derniers papillons !… ont soif aussi. Mais fondre où fond ce nuage sans guide, – Oh ! favorisé de ce qui est frais ! Expirer en ces violettes humides Dont les aurores chargent ces forêts ? Mai 1872

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Larme Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises, Je buvais, accroupi dans quelque bruyère Entourée de tendres bois de noisetiers, Par un brouillard d’après-midi tiède et vert. Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise, Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert. Que tirais-je à la gourde de colocase ? Quelque liqueur d’or, fade et qui fait suer. Tel, j’eusse été mauvaise enseigne d’auberge. Puis l’orage changea le ciel, jusqu’au soir. Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches, Des colonnades sous la nuit bleue, des gares. L’eau des bois se perdait sur des sables vierges, Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares… Or ! tel qu’un pêcheur d’or ou de coquillages, Dire que je n’ai pas eu souci de boire ! Mai 1872

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Le coeur supplicié Mon triste cœur bave à la poupe … Mon cœur est plein de caporal! Ils y lancent des jets de soupe, Mon triste cœur bave à la poupe… Sous les quolibets de la troupe Qui lance un rire général, Mon triste cœur bave à la poupe, Mon cœur est plein de caporal! Ithyphalliques et pioupiesques Leurs insultes l’ont dépravé; À la vesprée, ils font des fresques Ithyphalliques et pioupiesques; Ô flots abracadabrantesques, Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé! Ithyphalliques et pioupiesques, Leurs insultes l’ont dépravé. Quand ils auront tari leurs chiques, Comment agir, ô cœur volé? Ce seront des refrains bachiques Quand ils auront tari leurs chiques! J’aurai des sursauts stomachiques Si mon cœur triste est ravalé! Quand ils auront tari leurs chiques, Comment agir, ô cœur volé?

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Matinée d'ivresse Ô mon Bien ! Ô mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! chevalet féerique ! Hourra pour l'œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendus à l'ancienne inharmonie. O maintenant, nous si digne de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés : cette promesse, cette démence ! L'élégance, la science, la violence ! On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit, — ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, — cela finit par une débandade de parfums. Rire des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d'ici, sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace. Petite veille d'ivresse, sainte ! quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifié. Nous t'affirmons, méthode ! Nous n'oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours. Voici le temps des Assassins.

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Oraison du soir Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier, Empoignant une chope à fortes cannelures, L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures. Tels que les excréments chauds d’un vieux colombier, Mille Rêves en moi font de douces brûlures : Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier Qu’ensanglante l’or jeune et sombre des coulures. Puis, quand j’ai ravalé mes rêves avec soin, Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes, Et me recueille, pour lâcher l’âcre besoin : Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes, Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin, Avec l’assentiment des grands héliotropes.

    en cours de vérification

    Auguste Barbier

    Auguste Barbier

    @augusteBarbier

    Le gin Sombre génie, ô dieu de la misère ! Fils du genièvre et frère de la bière, Bacchus du Nord, obscur empoisonneur, Écoute, ô Gin, un hymne en ton honneur. Écoute un chant des plus invraisemblables, Un chant formé de notes lamentables Qu’en ses ébats un démon de l’enfer Laissa tomber de son gosier de fer. C’est un écho du vieil hymne de fête Qu’au temps jadis à travers la tempête On entendait au rivage normand, Lorsque coulait l’hydromel écumant ; Une clameur sombre et plus rude encore Que le hourra dont le peuple Centaure, Dans les transports de l’ivresse, autrefois Épouvantait le fond de ses grands bois.   Dieu des cités ! à toi la vie humaine Dans le repos et dans les jours de peine, À toi les ports, les squares et les ponts. Les noirs faubourgs et leurs détours profonds, Le sol entier sous son manteau de brume ! Dans tes palais quand le nectar écume Et brille aux yeux du peuple contristé, Le Christ lui-même est un dieu moins fêté Que tu ne l’es : — car pour toi tout se damne, L’enfance rose et se sèche et se fane ; Les frais vieillards souillent leurs cheveux blancs, Les matelots désertent les haubans, Et par le froid, le brouillard et la bise, La femme vend jusques à sa chemise.   Du gin, du gin ! — à plein verre, garçon ! Dans ses flots d’or, cette rude boisson Roule le ciel et l’oubli de soi-même ; C’est le soleil, la volupté suprême, Le paradis emporté d’un seul coup ; C’est le néant pour le malheureux fou. Fi du porto, du sherry, du madère, De tous les vins qu’à la vieille Angleterre L’Europe fait avaler à grands frais, Ils sont trop chers pour nos obscurs palais ; Et puis le vin près du gin est bien fade ; Le vin n’est bon qu’à chauffer un malade, Un corps débile, un timide cerveau ; Auprès du gin le vin n’est que de l’eau : À d’autres donc les bruyantes batailles Et le tumulte à l’entour des futailles, Les sauts joyeux, les rires étouffants, Les cris d’amour et tous les jeux d’enfants ! Nous, pour le gin, ah ! nous avons des âmes Sans feu d’amour et sans désirs de femmes ; Pour le saisir et lutter avec lui, Il faut un corps que le mal ait durci. Vive le gin ! au fond de la taverne, Sombre hôtelière, à l’œil hagard et terne, Démence, viens nous décrocher les pots, Et toi, la Mort, verse-nous à grands flots.   Hélas ! la Mort est bientôt à l’ouvrage, Et pour répondre à la clameur sauvage, Son maigre bras frappe comme un taureau Le peuple anglais au sortir du caveau. Jamais typhus, jamais peste sur terre Plus promptement n’abattit la misère ; Jamais la fièvre, aux bonds durs et changeants, Ne rongea mieux la chair des pauvres gens : La peau devient jaune comme la pierre, L’œil sans rayons s’enfuit sous la paupière, Le front prend l’air de la stupidité, Et les pieds seuls marchent comme en santé. Pourtant, au coin de la première rue, Comme un cheval qu’un boulet frappe et tue, Le corps s’abat, et sans pousser un cri, Roulant en bloc sur le pavé, meurtri, Il reste là dans son terrible rêve, Jusqu’au moment où le trépas l’achève. Alors on voit passer sur bien des corps Des chariots, des chevaux aux pieds forts ; Au tronc d’un arbre, au trou d’une crevasse L’un tristement accroche sa carcasse ; L’autre en passant l’onde du haut d’un pont Plonge d’un saut dans le gouffre profond. Partout le gin et chancelle et s’abîme, Partout la mort emporte une victime ; Les mères même, en rentrant pas à pas, Laissent tomber les enfants de leurs bras, Et les enfants, aux yeux des folles mères, Vont se briser la tête sur les pierres.

    en cours de vérification

    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    La chevelure Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d’autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum. J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève ! Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts : Un port retentissant où mon âme peut boire A grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur. Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé ! Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m’enivre ardemment des senteurs confondues De l’huile de coco, du musc et du goudron. Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?

    en cours de vérification

    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    La fontaine de sang Il me semble parfois que mon sang coule à flots, Ainsi qu’une fontaine aux rythmiques sanglots. Je l’entends bien qui coule avec un long murmure, Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure. À travers la cité, comme dans un champ clos, Il s’en va, transformant les pavés en îlots, Désaltérant la soif de chaque créature, Et partout colorant en rouge la nature. J’ai demandé souvent à des vins captieux D’endormir pour un jour la terreur qui me mine ; Le vin rend l’œil plus clair et l’oreille plus fine ! J’ai cherché dans l’amour un sommeil oublieux ; Mais l’amour n’est pour moi qu’un matelas d’aiguilles Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !

    en cours de vérification

    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Le mauvais vitrier Il y a des natures purement contemplatives et tout à fait impropres à l’action, qui cependant, sous une impulsion mystérieuse et inconnue, agissent quelquefois avec une rapidité dont elles se seraient crues elles-mêmes incapables. Tel qui, craignant de trouver chez son concierge une nouvelle chagrinante, rôde lâchement une heure devant sa porte sans oser rentrer, tel qui garde quinze jours une lettre sans la décacheter, ou ne se résigne qu’au bout de six mois à opérer une démarche nécessaire depuis un an, se sentent quelquefois brusquement précipités vers l’action par une force irrésistible, comme la flèche d’un arc. Le moraliste et le médecin, qui prétendent tout savoir, ne peuvent pas expliquer d’où vient si subitement une si folle énergie à ces âmes paresseuses et voluptueuses, et comment, incapables d’accomplir les choses les plus simples et les plus nécessaires, elles trouvent à une certaine minute un courage de luxe pour exécuter les actes les plus absurdes et souvent même les plus dangereux. Un de mes amis, le plus inoffensif rêveur qui ait existé, a mis une fois le feu à une forêt pour voir, disait-il, si le feu prenait avec autant de facilité qu’on l’affirme généralement. Dix fois de suite, l’expérience manqua ; mais, à la onzième, elle réussit beaucoup trop bien. Un autre allumera un cigare à côté d’un tonneau de poudre, pour voir, pour savoir, pour tenter la destinée, pour se contraindre lui-même à faire preuve d’énergie, pour faire le joueur, pour connaître les plaisirs de l’anxiété, pour rien, par caprice, par désœuvrement. C’est une espèce d’énergie qui jaillit de l’ennui et de la rêverie ; et ceux en qui elle se manifeste si opinément sont, en général, comme je l’ai dit, les plus indolents et les plus rêveurs des êtres. Un autre, timide à ce point qu’il baisse les yeux même devant les regards des hommes, à ce point qu’il lui faut rassembler toute sa pauvre volonté pour entrer dans un café ou passer devant le bureau d’un théâtre, où les contrôleurs lui paraissent investis de la majesté de Minos, d’Éaque et de Rhadamanthe, sautera brusquement au cou d’un vieillard qui passe à côté de lui et l’embrassera avec enthousiasme devant la foule étonnée. — Pourquoi ? Parce que… parce que cette physionomie lui était irrésistiblement sympathique ? Peut-être ; mais il est plus légitime de supposer que lui-même il ne sait pas pourquoi. J’ai été plus d’une fois victime de ces crises et de ces élans, qui nous autorisent à croire que des Démons malicieux se glissent en nous et nous font accomplir, à notre insu, leurs plus absurdes volontés. Un matin je m’étais levé maussade, triste, fatigué d’oisiveté, et poussé, me semblait-il, à faire quelque chose de grand, une action d’éclat ; et j’ouvris la fenêtre, hélas ! (Observez, je vous prie, que l’esprit de mystification qui, chez quelques personnes, n’est pas le résultat d’un travail ou d’une combinaison, mais d’une inspiration fortuite, participe beaucoup, ne fût-ce que par l’ardeur du désir, de cette humeur, hystérique selon les médecins, satanique selon ceux qui pensent un peu mieux que les médecins, qui nous pousse sans résistance vers une foule d’actions dangereuses ou inconvenantes.) La première personne que j’aperçus dans la rue, ce fut un vitrier dont le cri perçant, discordant, monta jusqu’à moi à travers la lourde et sale atmosphère parisienne. Il me serait d’ailleurs impossible de dire pourquoi je fus pris à l’égard de ce pauvre homme d’une haine aussi soudaine que despotique. « — Hé ! hé ! » et je lui criai de monter. Cependant je réfléchissais, non sans quelque gaieté, que, la chambre étant au sixième étage et l’escalier fort étroit, l’homme devait éprouver quelque peine à opérer son ascension et accrocher en maint endroit les angles de sa fragile marchandise. Enfin il parut : j’examinai curieusement toutes ses vitres, et je lui dis : « — Comment ? vous n’avez pas de verres de couleur ? des verres roses, rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de paradis ? Impudent que vous êtes ! vous osez vous promener dans des quartiers pauvres, et vous n’avez pas même de vitres qui fassent voir la vie en beau ! » Et je le poussai vivement vers l’escalier, où il trébucha en grognant. Je m’approchai du balcon et je me saisis d’un petit pot de fleurs, et quand l’homme reparut au débouché de la porte, je laissai tomber perpendiculairement mon engin de guerre sur le rebord postérieur de ses crochets ; et le choc le renversant, il acheva de briser sous son dos toute sa pauvre fortune ambulatoire qui rendit le bruit éclatant d’un palais de cristal crevé par la foudre. Et, ivre de ma folie, je lui criai furieusement : « La vie en beau ! la vie en beau ! » Ces plaisanteries nerveuses ne sont pas sans péril, et on peut souvent les payer cher. Mais qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance ?

    en cours de vérification

    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Le parfum Lecteur, as-tu quelquefois respiré Avec ivresse et lente gourmandise Ce grain d’encens qui remplit une église, Ou d’un sachet le musc invétéré ? Charme profond, magique, dont nous grise Dans le présent le passé restauré ! Ainsi l’amant sur un corps adoré Du souvenir cueille la fleur exquise. De ses cheveux élastiques et lourds, Vivant sachet, encensoir de l’alcôve, Une senteur montait, sauvage et fauve, Et des habits, mousseline ou velours, Tout imprégnés de sa jeunesse pure, Se dégageait un parfum de fourrure.

    en cours de vérification

    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Le poison Le vin sait revêtir le plus sordide bouge D’un luxe miraculeux, Et fait surgir plus d’un portique fabuleux Dans l’or de sa vapeur rouge, Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux. L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes, Allonge l’illimité, Approfondit le temps, creuse la volupté, Et de plaisirs noirs et mornes Remplit l’âme au delà de sa capacité. Tout cela ne vaut pas le poison qui découle De tes yeux, de tes yeux verts, Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers… Mes songes viennent en foule Pour se désaltérer à ces gouffres amers. Tout cela ne vaut pas le terrible prodige De ta salive qui mord, Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord, Et, charriant le vertige, La roule défaillante aux rives de la mort !

    en cours de vérification

    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Le vin de chiffonniers Souvent à la clarté rouge d’un réverbère Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre, Au cœur d’un vieux faubourg, labyrinthe fangeux Où l’humanité grouille en ferments orageux, On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête, Butant, et se cognant aux murs comme un poète, Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets, Epanche tout son cœur en glorieux projets. Il prête des serments, dicte des lois sublimes, Terrasse les méchants, relève les victimes, Et sous le firmament comme un dais suspendu S’enivre des splendeurs de sa propre vertu. Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage Moulus par le travail et tourmentés par l’âge Ereintés et pliant sous un tas de débris, Vomissement confus de l’énorme Paris, Reviennent, parfumés d’une odeur de futailles, Suivis de compagnons, blanchis dans les batailles, Dont la moustache pend comme les vieux drapeaux. Les bannières, les fleurs et les arcs triomphaux Se dressent devant eux, solennelle magie ! Et dans l’étourdissante et lumineuse orgie Des clairons, du soleil, des cris et du tambour, Ils apportent la gloire au peuple ivre d’amour ! C’est ainsi qu’à travers l’Humanité frivole Le vin roule de l’or, éblouissant Pactole; Par le gosier de l’homme il chante ses exploits Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois. Pour noyer la rancœur et bercer l’indolence De tous ces vieux maudits qui meurent en silence, Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil; L’Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil !

    en cours de vérification

    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Le vin de l'assassin Ma femme est morte, je suis libre ! Je puis donc boire tout mon soûl. Lorsque je rentrais sans un sou, Ses cris me déchiraient la fibre. Autant qu'un roi je suis heureux ; L'air est pur, le ciel admirable... Nous avions un été semblable Lorsque j'en devins amoureux ! L'horrible soif qui me déchire Aurait besoin pour s'assouvir D'autant de vin qu'en peut tenir Son tombeau ; - ce n'est pas peu dire : Je l'ai jetée au fond d'un puits, Et j'ai même poussé sur elle Tous les pavés de la margelle. - Je l'oublierai si je le puis ! Au nom des serments de tendresse, Dont rien ne peut nous délier, Et pour nous réconcilier Comme au beau temps de notre ivresse, J'implorai d'elle un rendez-vous, Le soir, sur une route obscure. Elle y vint ! - folle créature ! Nous sommes tous plus ou moins fous ! Elle était encore jolie, Quoique bien fatiguée ! et moi, Je l'aimais trop ! voilà pourquoi Je lui dis : Sors de cette vie ! Nul ne peut me comprendre. Un seul Parmi ces ivrognes stupides Songea-t-il dans ses nuits morbides A faire du vin un linceul ? Cette crapule invulnérable Comme les machines de fer Jamais, ni l'été ni l'hiver, N'a connu l'amour véritable, Avec ses noirs enchantements Son cortège infernal d'alarmes, Ses fioles de poison, ses larmes, Ses bruits de chaîne et d'ossements ! - Me voilà libre et solitaire ! Je serai ce soir ivre mort ; Alors, sans peur et sans remord, Je me coucherai sur la terre, Et je dormirai comme un chien ! Le chariot aux lourdes roues Chargé de pierres et de boues, Le wagon enragé peut bien Ecraser ma tête coupable Ou me couper par le milieu, Je m'en moque comme de Dieu, Du Diable ou de la Sainte Table !

    en cours de vérification

    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Le vin des amants Aujourd’hui l’espace est splendide ! Sans mors, sans éperons, sans bride, Partons à cheval sur le vin Pour un ciel féerique et divin ! Comme deux anges que torture Une implacable calenture, Dans le bleu cristal du matin Suivons le mirage lointain ! Mollement balancés sur l’aile Du tourbillon intelligent, Dans un délire parallèle, Ma soeur, côte à côte nageant, Nous fuirons sans repos ni trêves Vers le paradis de mes rêves !

    en cours de vérification

    Charles Cros

    Charles Cros

    @charlesCros

    Conclusion J'ai rêvé les amours divins, L'ivresse des bras et des vins, L'or, l'argent, les royaumes vains, Moi, dix-huit ans, Elle, seize ans. Parmi les sentiers amusants Nous irons sur nos alezans. Il est loin le temps des aveux Naïfs, des téméraires voeux ! Je n'ai d'argent qu'en mes cheveux. Les âmes dont j'aurais besoin Et les étoiles sont trop loin. Je vais mourir saoul, dans un coin.

    en cours de vérification

    Charles Cros

    Charles Cros

    @charlesCros

    L'heure verte Comme bercée en un hamac La pensée oscille et tournoie, À cette heure où tout estomac Dans un flot d'absinthe se noie. Et l'absinthe pénètre l'air, Car cette heure est toute émeraude. L'appétit aiguise le flair De plus d'un nez rose qui rôde. Promenant le regard savant De ses grands yeux d'aigues-marines, Circé cherche d'où vient le vent Qui lui caresse les narines. Et, vers des dîners inconnus, Elle court à travers l'opale De la brume du soir. Vénus S'allume dans le ciel vert-pâle.

    en cours de vérification

    C

    Charles Le Goffic

    @charlesLeGoffic

    Lassitude Puisque le hasard m'y ramène, Pour mon malheur ou pour mon bien, Je veux que tu saches combien Ma maîtresse fut inhumaine. Pour l'oublier, j'ai tour à tour Tenté de noyer dans l'ivresse. Avec mon présent, ma détresse. Avec mon passé, mon amour. Et depuis trois mois je suis ivre, Et ces trois mois d'indignité, Hélas ! je n'en ai rapporté Qu'un immense dégoût de vivre.

    en cours de vérification

    D

    David Bunel

    @davidBunel

    Anges a part Part prise par les Anges ... Quelle bonne idée Que de nous en laisser ! Quoi ? Cela vous dérange ? Parbleu que c'est étrange cette ivresse reniée ! Depuis l'aube des hommes, en tous temps en tous lieux Passe-temps si précieux, sage besogne en somme, Petit homme sans vergogne, s'employant de son mieux Pour contacter les Dieux se fait reluire la trogne .

    en cours de vérification

    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Un matin Dès le matin, par mes grand’routes coutumières Qui traversent champs et vergers, Je suis parti clair et léger, Le corps enveloppé de vent et de lumière. Je vais, je ne sais où. Je vais, je suis heureux ; C’est fête et joie en ma poitrine ; Que m’importent droits et doctrines, Le caillou sonne et luit sous mes talons poudreux ; Je marche avec l’orgueil d’aimer l’air et la terre, D’être immense et d’être fou Et de mêler le monde et tout A cet enivrement de vie élémentaire. Oh ! les pas voyageurs et clairs des anciens dieux ! Je m’enfouis dans l’herbe sombre Où les chênes versent leurs ombres Et je baise les fleurs sur leurs bouches de feu. Les bras fluides et doux des rivières m’accueillent ; Je me repose et je repars, Avec mon guide : le hasard, Par des sentiers sous bois dont je mâche les feuilles. Il me semble jusqu’à ce jour n’avoir vécu Que pour mourir et non pour vivre : Oh ! quels tombeaux creusent les livres Et que de fronts armés y descendent vaincus ! Dites, est-il vrai qu’hier il existât des choses, Et que des yeux quotidiens Aient regardé, avant les miens, Se pavoiser les fruits et s’exalter les roses ! Pour la première fois, je vois les vents vermeils Briller dans la mer des branchages, Mon âme humaine n’a point d’âge ; Tout est jeune, tout est nouveau sous le soleil. J’aime mes yeux, mes bras, mes mains, ma chair, mon torse Et mes cheveux amples et blonds Et je voudrais, par mes poumons, Boire l’espace entier pour en gonfler ma force. Oh ! ces marches à travers bois, plaines, fossés, Où l’être chante et pleure et crie Et se dépense avec furie Et s’enivre de soi ainsi qu’un insensé !

    en cours de vérification

    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Le cabaret Dans le bouge qu’emplit l’essaim insupportable Des mouches bourdonnant dans un chaud rayon d’août, L’ivrogne, un de ceux-là qu’un désespoir absout, Noyait au fond du vin son rêve détestable. Stupide, il remuait la bouche avec dégoût, Ainsi qu’un bœuf repu ruminant dans l’étable. Près de lui le flacon, renversé sur la table, Se dégorgeait avec les hoquets d’un égout. Oh ! qu’il est lourd, le poids des têtes accoudées Où se heurtent sans fin les confuses idées Avec le bruit tournant du plomb dans le grelot ! Je m’approchai de lui, pressentant quelque drame, Et vis que dans le vin craché par le goulot Lentement il traçait du doigt un nom de femme.

    en cours de vérification

    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Le Père Il rentrait toujours ivre et battait sa maîtresse. Deux sombres forgerons, le Vice et la Détresse, Avaient rivé la chaîne à ces deux malheureux. Cette femme était chez cet homme – c’est affreux ! – Seulement par l’effroi de coucher dans la rue. L’ivrogne la trouvait toujours aigre et bourrue Le soir, et la frappait. Leurs cris et leurs jurons Faisaient connaître l’heure aux gens des environs. Puis c’était un silence effrayant dans leur chambre. – Un jour que par l’horreur, par la faim, par décembre, Ce couple épouvantable était plus assailli, Il leur naquit un fils, berceau mal accueilli, Humble front baptisé par un baiser morose, Hélas ! et qui n’était pas moins pur ni moins rose. L’homme revint encore ivre le lendemain, Mais, s’arrêtant au seuil, ne leva point la main Sur sa femme, depuis que c’était une mère. Le regard noir de haine et la parole amère, Celle-ci se tourna vers son horrible amant Qui la voyait bercer son fils farouchement, Et, raillant, lui cria : « Frappe donc ! Qui t’arrête ? Notre homme, j’attendais ton retour. Je suis prête. L’hiver est-il moins dur ? le pain est-il moins cher ? Dis ! et n’es-tu pas ivre aujourd’hui comme hier ? » Mais le père, accablé, ne parut point l’entendre, Et, fixant sur son fils un œil stupide et tendre, Craintif, ainsi qu’un homme accusé se défend, Il murmura : « J’ai peur de réveiller l’enfant ! »

    en cours de vérification

    A

    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    À mon ami *** Tu sais l’amour et son ivresse Tu sais l’amour et ses combats ; Tu sais une voix qui t’adresse Ces mots d’ineffable tendresse Qui ne se disent que tout bas. Sur un beau sein, ta bouche errante Enfin a pu se reposer, Et sur une lèvre mourante Sentir la douceur enivrante Que recèle un premier baiser… Maître de ces biens qu’on envie Ton cœur est pur, tes jours sont pleins ! Esclave à tes vœux asservie, La fortune embellit ta vie Tu sais qu’on t’aime, et tu te plains ! Et tu te plains ! et t’exagères Ces vagues ennuis d’un moment, Ces chagrins, ces douleurs légères, Et ces peines si passagères Qu’on ne peut souffrir qu’en aimant ! Et tu pleures ! et tu regrettes Cet épanchement amoureux ! Pourquoi ces maux que tu t’apprêtes ? Garde ces plaintes indiscrètes Et ces pleurs pour les malheureux ! Pour moi, de qui l’âme flétrie N’a jamais reçu de serment, Comme un exilé sans patrie, Pour moi, qu’une voix attendrie N’a jamais nommé doucement, Personne qui daigne m’entendre, A mon sort qui saigne s’unir, Et m’interroge d’un air tendre, Pourquoi je me suis fait attendre Un jour tout entier sans venir. Personne qui me recommande De ne rester que peu d’instants Hors du logis ; qui me gourmande Lorsque je rentre et me demande Où je suis allé si longtemps. Jamais d’haleine caressante Qui, la nuit, vienne m’embaumer ; Personne dont la main pressante Cherche la mienne, et dont je sente Sur mon cœur les bras se fermer ! Une fois pourtant – quatre années Auraient-elles donc effacé Ce que ces heures fortunées D’illusions environnées Au fond de mon âme ont laissé ? Oh ! c’est qu’elle était si jolie ! Soit qu’elle ouvrit ses yeux si grands, Soit que sa paupière affaiblie Comme un voile qui se déplie Éteignit ses regards mourants ! – J’osai concevoir l’espérance Que les destins moins ennemis, Prenant pitié de ma souffrance, Viendraient me donner l’assurance D’un bonheur qu’ils auraient permis : L’heure que j’avais attendue, Le bonheur que j’avais rêvé A fui de mon âme éperdue, Comme une note suspendue, Comme un sourire inachevé ! Elle ne s’est point souvenue Du monde qui ne la vit pas ; Rien n’a signalé sa venue, Elle est passée, humble, inconnue, Sans laisser trace de ses pas. Depuis lors, triste et monotone, Chaque jour commence et finit : Rien ne m’émeut, rien ne m’étonne, Comme un dernier rayon d’automne J’aperçois mon front qui jaunit. Et loin de tous, quand le mystère De l’avenir s’est refermé, Je fuis, exilé volontaire ! – Il n’est qu’un bonheur sur la terre, Celui d’aimer et d’être aimé.

    en cours de vérification

    G

    Gaston Couté

    @gastonCoute

    Dans vos yeux Dans vos yeux J’ai lu l’aveu de votre âme En caractères de flamme Et je m’en suis allé joyeux Bornant alors mon espace Au coin d’horizon qui passe Dans vos yeux. Dans vos yeux J’ai vu s’amasser l’ivresse Et d’une longue caresse J’ai clos vos grands cils soyeux. Mais cette ivresse fut brève Et s’envola comme un rêve De vos yeux. Dans vos yeux Profonds comme des abîmes J’ai souvent cherché des rimes Aux lacs bleus et spacieux Et comme en leurs eaux sereines J’ai souvent noyé mes peines Dans vos yeux. Dans vos yeux J’ai vu rouler bien des larmes Qui m’ont mis dans les alarmes Et m’ont rendu malheureux. J’ai vu la trace des songes Et tous vos petits mensonges Dans vos yeux. Dans vos yeux Je ne vois rien à cette heure Hors que l’Amour est un leurre Et qu’il n’est plus sous les cieux D’amante qui soit fidèle A sa promesse… éternelle Dans vos yeux.

    en cours de vérification

    Guillaume Apollinaire

    Guillaume Apollinaire

    @guillaumeApollinaire

    Nuit rhénane Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme Écoutez la chanson lente d’un batelier Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds Debout chantez plus haut en dansant une ronde Que je n’entende plus le chant du batelier Et mettez près de moi toutes les filles blondes Au regard immobile aux nattes repliées Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter La voix chante toujours à en râle-mourir Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’été Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire

    en cours de vérification

    Guillaume Apollinaire

    Guillaume Apollinaire

    @guillaumeApollinaire

    Schinderhannes Dans la forêt avec sa bande Schinderhannes s’est désarmé Le brigand près de sa brigande Hennit d’amour au joli mai Benzel accroupi lit la Bible Sans voir que son chapeau pointu À plume d’aigle sert de cible À Jacob Born le mal foutu Juliette Blaesius qui rote Fait semblant d’avoir le hoquet Hannes pousse une fausse note Quand Schulz vient portant un baquet Et s’écrie en versant des larmes Baquet plein de vin parfumé Viennent aujourd’hui les gendarmes Nous aurons bu le vin de mai Allons Julia la mam’zelle Bois avec nous ce clair bouillon D’herbes et de vin de Moselle Prosit Bandit en cotillon Cette brigande est bientôt soûle Et veut Hannes qui n’en veut pas Pas d’amour maintenant ma poule Sers-nous un bon petit repas Il faut ce soir que j’assassine Ce riche juif au bord du Rhin Au clair de torches de résine La fleur de mai c’est le florin On mange alors toute la bande Pète et rit pendant le dîner Puis s’attendrit à l’allemande Avant d’aller assassiner

    en cours de vérification