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Titre : L’hyménée et l’amour

Auteur : Louise Ackermann Recueil : Premières poésies

Sur le seuil des enfers Eurydice éplorée S’évaporait légère, et cette ombre adorée A son époux en vain dans un suprême effort Avait tendu les bras. Vers la nuit éternelle, Par delà les flots noirs le Destin la rappelle ; Déjà la barque triste a gagné l’autre bord. Tout entier aux regrets de sa perte fatale, Orphée erra longtemps sur la rive infernale. Sa voix du nom chéri remplit ces lieux déserts. Il repoussait du chant la douceur et les charmes; Mais, sans qu’il la touchât, sa lyre sous ses larmes Rendait un son plaintif qui mourait dans les airs. Enfin, las d’y gémir, il quitta ce rivage Témoin de son malheur. Dans la Thrace sauvage Il s’arrête, et là, seul, secouant la torpeur Où le désespoir sombre endormait son génie, Il laissa s’épancher sa tristesse infinie En de navrants accords arrachés à son cœur. Ce fut le premier chant de la douleur humaine Que ce cri d’un époux et que sa plainte vaine ; La parole et la lyre étaient des dons récents. Alors la poésie émue et colorée Voltigeait sans effort sur la lèvre inspirée Dans la grâce et l’ampleur de ses jeunes accents. Des sons harmonieux telle fut la puissance Qu’elle adoucit bientôt cette amère souffrance; Un sanglot moins profond sort de ce sein brisé. La Muse d’un sourire a calmé le poëte ; Il sent, tandis qu’il chante, une vertu secrète Descendre lentement dans son cœur apaisé. Et tout à coup sa voix qu’attendrissent encore Les larmes qu’il versa, prend un accent sonore. Son chant devient plus pur ; grave et mélodieux, Il célèbre à la fois dans son élan lyrique L’Hyménée et l’Amour, ce beau couple pudique Qui marche heureux et fîer sous le regard des Dieux. Il les peint dans leur force et dans la confiance De leurs vœux éternels. Sur le Temps qui s’avance Ils ont leurs yeux fixés que nul pleur n’a ternis. Leur présence autour d’eux répand un charme austère ; Mais ces enfants du ciel descendus sur la terre Ne sont vraiment divins que quand ils sont unis. Oui, si quelque erreur triste un moment les sépare, Dans leurs sentiers divers bientôt chacun s’égare. Leur pied mal affermi trébuche à tout moment. La Pudeur se détourne et les Grâces décentes, Qui les suivaient, formant des danses innocentes. Ont à l’instant senti rougir leur front charmant. Eux seuls en l’enchantant font à l’homme éphémère Oublier ses destins. Leur main douce et légère Le soutient dans la vie et le guide au tombeau. Si les temps sont mauvais et si l’horizon semble S’assombrir devant eux, ils l’éclairent ensemble, Appuyés l’un sur l’autre et n’ayant qu’un flambeau. Pour mieux entendre Orphée, au sein de la nature Tout se taisait ; les vents arrêtaient leur murmure. Même les habitants de l’Olympe éthéré Oubliaient le nectar; devant leur coupe vide Ils écoutaient charmés, et d’une oreille avide, Monter vers eux la voix du mortel inspiré. Ces deux divinités que chantait l’hymne antique N’ont rien perdu pour nous de leur beauté pudique ; Leur front est toujours jeune et serein. Dans leurs yeux L’immortelle douceur de leur âme respire. Calme et pur, le bonheur fleurit sous leur sourire ; Un parfum sur leurs pas trahit encor les Dieux. Bien des siècles ont fui depuis l’heure lointaine Où la Thrace entendit ce chant ; sur l’âme humaine Plus d’un souffle a passé; mais l’homme sent toujours Battre le même cœur au fond de sa poitrine. Gardons-nous d’y flétrir la fleur chaste et divine De l’amour dans l’hymen éclose aux anciens jours. L’âge est triste ; il pressent quelque prochaine crise. Déjà plus d’un lien se relâche ou se brise. On se trouble, on attend. Vers un but ignoré Lorsque l’orage est là qui bientôt nous emporte, Ah ! pressons, s’il se peut, d’une étreinte plus forte Un cœur contre le nôtre, et dans un nœud sacré.