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Titre : Adieux à la poésie

Auteur : Alphonse de Lamartine

Il est une heure de silence Où la solitude est sans voix, Où tout dort, même l’espérance ; Où nul zéphyr ne se balance Sous l’ombre immobile des bois. Il est un âge où de la lyre L’âme aussi semble s’endormir, Où du poétique délire Le souffle harmonieux expire Dans le sein qu’il faisait frémir. L’oiseau qui charme le bocage, Hélas ! ne chante pas toujours : A midi, caché sous l’ombrage, Il n’enchante de son ramage Que l’aube et le déclin des jours. Adieu donc, adieu, voici l’heure, Lyre aux accords mélodieux ! En vain à la main qui t’effleure Ta fibre encor répond et pleure : Voici l’heure de nos adieux. Reçois cette larme rebelle Que mes yeux ne peuvent cacher. Combien sur ta corde fidèle Mon âme, hélas ! en versa-t-elle, Que tes soupirs n’ont pu sécher ! Sur cette terre infortunée, Où tous les yeux versent des pleurs, Toujours de cyprès couronnée, La lyre ne nous fut donnée Que pour endormir nos douleurs. Tout ce qui chante ne répète Que des regrets ou des désirs ; Du bonheur la corde est muette ; De Philomèle et du poëte Les plus doux chants sont des soupirs. Dans l’ombre auprès d’un mausolée, O lyre, tu suivis mes pas ; Et, des doux festins exilée, Jamais ta voix ne s’est mêlée, Aux chants des heureux d’ici-bas. Pendue aux saules de la rive, Libre comme l’oiseau des bois, On n’a point vu ma main craintive T’attacher, comme une captive, Aux portes des palais des rois. Des partis l’haleine glacée Ne t’inspira pas tour à tour ; Aussi chaste que la pensée, Nul souffle ne t’a caressée, Hormis le souffle de l’Amour. En quelque lieu qu’un sort sévère Fît plier mon front sous ses lois, Grâce à toi, mon âme étrangère A trouvé partout sur la terre Un céleste écho de sa voix. Aux monts d’où le jour semble éclore, Quand je t’emportais avec moi Pour louer celui que j’adore, Le premier rayon de l’aurore Ne se réveillait qu’après toi. Au bruit des flots et des cordages, Aux feux livides des éclairs, Tu jetais des accords sauvages, Et, comme l’oiseau des orages, Tu rasais l’écume des mers. Celle dont le regard m’enchaîne A tes accents mêlait sa voix, Et souvent ses tresses d’ébène Frissonnaient sous ma molle haleine, Comme tes cordes sous mes doigts. Peut-être à moi, lyre chérie, Tu reviendras dans l’avenir, Quand, de songes divins suivie, La mort approche, et que la vie S’éloigne comme un souvenir. Dans cette seconde jeunesse Qu’un doux oubli rend aux humains, Souvent l’homme, dans sa tristesse, Sur toi se penche et te caresse, Et tu résonnes sous ses mains. Ce vent qui sur nos âmes passe Souffle à l’aurore, ou souffle tard ; Il aime à jouer avec grâce Dans les cheveux qu’un myrte enlace, Ou dans la barbe du vieillard. En vain une neige glacée D’Homère ombrageait le menton ; Et le rayon de la pensée Rendait la lumière éclipsée Aux yeux aveugles de Milton. Autour d’eux voltigeaient encore L’amour, l’illusion, l’espoir, Comme l’insecte amant de Flore, Dont les ailes semblent éclore Aux tardives lueurs du soir. Peut-être ainsi… Mais avant l’âge Où tu reviens nous visiter, Flottant de rivage en rivage, J’aurai péri dans un naufrage, Loin des cieux que je vais quitter. Depuis longtemps ma voix plaintive Sera couverte par les flots, Et, comme l’algue fugitive, Sur quelque sable de la rive La vague aura roulé mes os. Mais toi, lyre mélodieuse, Surnageant sur les flots amers, Des cygnes la troupe envieuse Suivra ta trace harmonieuse Sur l’abîme roulant des mers. Vingt-sixième méditation