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Titre : Le survivant

Auteur : Jules Supervielle

Lorsque le noyé se réveille au fond des mers et que son cœur Se met à battre comme le feuillage du tremble Il voit approcher de lui un cavalier qui marche l'amble Et qui respire à l'aise et lui fait signe de ne pas avoir peur. Il lui frôle le visage d'une touffe de fleurs jaunes Et se coupe devant lui une main sans qu'il y ait une goutte de rouge. La main est tombée dans le sable où elle fond sans un soupir Une autre main toute pareille a pris sa place et les doigts bougent. Et le noyé s'étonne de pouvoir monter à cheval. De tourner la tête à droite et à gauche comme s'rl était au pays natal, Comme s'il y avait alentour une grande plaine, la liberté, Et la permission d'allonger la main pour cueillir un fruit de l'été. Est-ce donc la mort cela, cette rôdeuse douceur Qui s'en retourne vers nous par une obscure faveur? Et serais-je ce noyé chevauchant parmi les algues Qui voit comme se reforme le ciel tourmenté de fables. Je tâte mon corps mouillé comme un témoignage faible Et ma monture hennit pour m'assurer que c'est elle. Un berceau bouge, l'on voit un pied d'enfant réveillé. Je m'en vais sous un soleil qui semble frais inventé. Alentour il est des gens qui me regardent à peine, Visages comme sur terre, mais l'eau a lavé leurs peines. Et voici venir à moi des paisibles environs Les bêtes de mon enfance et de la Création Et le tigre me voit tigre, le serpent me voit serpent, Chacun reconnaît en moi son frère, son revenant. Et l'abeille me fait signe de m'envoler avec elle Et le lièvre qu'il connaît un gîte au creux de la terre Où l'on ne peut pas mourir.