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Les poésies les plus envoûtantes vous attendent...

Ne manquez plus jamais d'inspiration avec les poésies originales. Partagez l'émotion et la beauté des vers avec ceux qui vous entourent.

Poésies+7 000

Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

À Mademoiselle *** Oui, femmes, quoi qu'on puisse dire, Vous avez le fatal pouvoir De nous jeter par un sourire Dans l'ivresse ou le désespoir. Oui, deux mots, le silence même, Un regard distrait ou moqueur, Peuvent donner à qui vous aime Un coup de poignard dans le coeur. Oui, votre orgueil doit être immense, Car, grâce à notre lâcheté, Rien n'égale votre puissance, Sinon votre fragilité. Mais toute puissance sur terre Meurt quand l'abus en est trop grand, Et qui sait souffrir et se taire S'éloigne de vous en pleurant. Quel que soit le mal qu'il endure, Son triste rôle est le plus beau. J'aime encor mieux notre torture Que votre métier de bourreau.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

À Mademoiselle Augustine Brohan J'ai vu ton sourire et tes larmes, J'ai vu ton cœur triste et joyeux : Qui des deux a le plus de charmes ? Dis-moi ce que j'aime le mieux : Les perles de ta bouche ou celles de tes yeux ?

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

A mon ami Edouard B. Tu te frappais le front en lisant Lamartine, Edouard, tu pâlissais comme un joueur maudit ; Le frisson te prenait, et la foudre divine, Tombant dans ta poitrine, T’épouvantait toi-même en traversant ta nuit. Ah ! frappe-toi le coeur, c’est là qu’est le génie. C’est là qu’est la pitié, la souffrance et l’amour ; C’est là qu’est le rocher du désert de la vie, D’où les flots d’harmonie, Quand Moïse viendra, jailliront quelque jour. Peut-être à ton insu déjà bouillonnent-elles, Ces laves du volcan, dans les pleurs de tes yeux. Tu partiras bientôt avec les hirondelles, Toi qui te sens des ailes Lorsque tu vois passer un oiseau dans les cieux.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

À mon Frère, revenant d'Italie Ainsi, mon cher, tu t'en reviens Du pays dont je me souviens Comme d'un rêve, De ces beaux lieux où l'oranger Naquit pour nous dédommager Du péché d'Ève. Tu l'as vu, ce ciel enchanté Qui montre avec tant de clarté Le grand mystère ; Si pur, qu'un soupir monte à Dieu Plus librement qu'en aucun lieu Qui soit sur terre. Tu les as vus, les vieux manoirs De cette ville aux palais noirs Qui fut Florence, Plus ennuyeuse que Milan Où, du moins, quatre ou cinq fois l'an, Cerrito danse. Tu l'as vue, assise dans l'eau, Portant gaiement son mezzaro, La belle Gênes, Le visage peint, l'oeil brillant, Qui babille et joue en riant Avec ses chaînes.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

À Ninon Si je vous le disais pourtant, que je vous aime, Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ? L’amour, vous le savez, cause une peine extrême ; C’est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même ; Peut-être cependant que vous m’en puniriez. Si je vous le disais, que six mois de silence Cachent de longs tourments et des voeux insensés : Ninon, vous êtes fine, et votre insouciance Se plaît, comme une fée, à deviner d’avance ; Vous me répondriez peut-être : Je le sais. Si je vous le disais, qu’une douce folie A fait de moi votre ombre, et m’attache à vos pas : Un petit air de doute et de mélancolie, Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie ; Peut-être diriez-vous que vous n’y croyez pas. Si je vous le disais, que j’emporte dans l’âme Jusques aux moindres mots de nos propos du soir : Un regard offensé, vous le savez, madame, Change deux yeux d’azur en deux éclairs de flamme ; Vous me défendriez peut-être de vous voir. Si je vous le disais, que chaque nuit je veille, Que chaque jour je pleure et je prie à genoux ; Ninon, quand vous riez, vous savez qu’une abeille Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille ; Si je vous le disais, peut-être en ririez-vous. Mais vous ne saurez rien. – Je viens, sans rien en dire, M’asseoir sous votre lampe et causer avec vous ; Votre voix, je l’entends ; votre air, je le respire ; Et vous pouvez douter, deviner et sourire, Vos yeux ne verront pas de quoi m’être moins doux. Je récolte en secret des fleurs mystérieuses : Le soir, derrière vous, j’écoute au piano Chanter sur le clavier vos mains harmonieuses, Et, dans les tourbillons de nos valses joyeuses, Je vous sens, dans mes bras, plier comme un roseau. La nuit, quand de si loin le monde nous sépare, Quand je rentre chez moi pour tirer mes verrous, De mille souvenirs en jaloux je m’empare ; Et là, seul devant Dieu, plein d’une joie avare, J’ouvre, comme un trésor, mon cœur tout plein de vous. J’aime, et je sais répondre avec indifférence ; J’aime, et rien ne le dit ; j’aime, et seul je le sais ; Et mon secret m’est cher, et chère ma souffrance ; Et j’ai fait le serment d’aimer sans espérance, Mais non pas sans bonheur ; – je vous vois, c’est assez. Non, je n’étais pas né pour ce bonheur suprême, De mourir dans vos bras et de vivre à vos pieds. Tout me le prouve, hélas ! jusqu’à ma douleur même… Si je vous le disais pourtant, que je vous aime, Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

A Ulric G. Ulric, nul oeil des mers n’a mesuré l’abîme, Ni les hérons plongeurs, ni les vieux matelots. Le soleil vient briser ses rayons sur leur cime, Comme un soldat vaincu brise ses javelots. Ainsi, nul oeil, Ulric, n’a pénétré les ondes De tes douleurs sans borne, ange du ciel tombé. Tu portes dans ta tête et dans ton coeur deux mondes, Quand le soir, près de moi, tu vas triste et courbé. Mais laisse-moi du moins regarder dans ton âme, Comme un enfant craintif se penche sur les eaux ; Toi si plein, front pâli sous des baisers de femme, Moi si jeune, enviant ta blessure et tes maux.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

A une fleur Que me veux-tu, chère fleurette, Aimable et charmant souvenir ? Demi-morte et demi-coquette, Jusqu’à moi qui te fait venir ? Sous ce cachet enveloppée, Tu viens de faire un long chemin. Qu’as-tu vu ? que t’a dit la main Qui sur le buisson t’a coupée ? N’es-tu qu’une herbe desséchée Qui vient achever de mourir ? Ou ton sein, prêt à refleurir, Renferme-t-il une pensée ? Ta fleur, hélas ! a la blancheur De la désolante innocence ; Mais de la craintive espérance Ta feuille porte la couleur. As-tu pour moi quelque message ? Tu peux parler, je suis discret. Ta verdure est-elle un secret ? Ton parfum est-il un langage ? S’il en est ainsi, parle bas, Mystérieuse messagère ; S’il n’en est rien, ne réponds pas ; Dors sur mon coeur, fraîche et légère. Je connais trop bien cette main, Pleine de grâce et de caprice, Qui d’un brin de fil souple et fin A noué ton pâle calice. Cette main-là, petite fleur, Ni Phidias ni Praxitèle N’en auraient pu trouver la soeur Qu’en prenant Vénus pour modèle. Elle est blanche, elle est douce et belle, Franche, dit-on, et plus encor ; A qui saurait s’emparer d’elle Elle peut ouvrir un trésor. Mais elle est sage, elle est sévère ; Quelque mal pourrait m’arriver. Fleurette, craignons sa colère. Ne dis rien, laisse-moi rêver.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Adieu Adieu ! je crois qu'en cette vie Je ne te reverrai jamais. Dieu passe, il t'appelle et m'oublie ; En te perdant je sens que je t'aimais. Pas de pleurs, pas de plainte vaine. Je sais respecter l'avenir. Vienne la voile qui t'emmène, En souriant je la verrai partir. Tu t'en vas pleine d'espérance, Avec orgueil tu reviendras ; Mais ceux qui vont souffrir de ton absence, Tu ne les reconnaîtras pas. Adieu ! tu vas faire un beau rêve Et t'enivrer d'un plaisir dangereux ; Sur ton chemin l'étoile qui se lève Longtemps encor éblouira tes yeux. Un jour tu sentiras peut-être Le prix d'un coeur qui nous comprend, Le bien qu'on trouve à le connaître, Et ce qu'on souffre en le perdant.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Adieux à Suzon Adieu, Suzon, ma rose blonde, Qui m'as aimé pendant huit jours ; Les plus courts plaisirs de ce monde Souvent font les meilleurs amours. Sais-je, au moment où je te quitte, Où m'entraîne mon astre errant ? Je m'en vais pourtant, ma petite, Bien loin, bien vite, Toujours courant. Je pars, et sur ma lèvre ardente Brûle encor ton dernier baiser. Entre mes bras, chère imprudente, Ton beau front vient de reposer. Sens-tu mon coeur, comme il palpite ? Le tien, comme il battait gaiement ! Je m'en vais pourtant, ma petite, Bien loin, bien vite, Toujours t'aimant. Paf ! c'est mon cheval qu'on apprête. Enfant, que ne puis-je en chemin Emporter ta mauvaise tête, Qui m'a tout embaumé la main ! Tu souris, petite hypocrite, Comme la nymphe, en t'enfuyant. Je m'en vais pourtant, ma petite, Bien loin, bien vite, Tout en riant. Que de tristesse, et que de charmes, Tendre enfant, dans tes doux adieux ! Tout m'enivre, jusqu'à tes larmes, Lorsque ton coeur est dans tes yeux. A vivre ton regard m'invite ; Il me consolerait mourant. Je m'en vais pourtant, ma petite, Bien loin, bien vite, Tout en pleurant. Que notre amour, si tu m'oublies, Suzon, dure encore un moment ; Comme un bouquet de fleurs pâlies, Cache-le dans ton sein charmant ! Adieu ; le bonheur reste au gîte, Le souvenir part avec moi : Je l'emporterai, ma petite, Bien loin, bien vite, Toujours à toi.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Aux artistes du Gymnase-Dramatique Ma pièce est jeune, et je suis vieux ; Enfants, je n'en suis pas la cause. Vous nous jouerez bien autre chose, Et tout aussi bien, mais pas mieux. Ne prenez pas, je vous en prie, Ces mots pour de la flatterie, Et mes regrets pour des adieux.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Béatrix Donato Béatrix Donato fut le doux nom de celle Dont la forme terrestre eut ce divin contour. Dans sa blanche poitrine était un coeur fidèle, Et dans son corps sans tache un esprit sans détour. Le fils du Titien, pour la rendre immortelle, Fit ce portrait, témoin d'un mutuel amour ; Puis il cessa de peindre à compter de ce jour, Ne voulant de sa main illustrer d'autre qu'elle. Passant, qui que tu sois, si ton coeur sait aimer, Regarde ma maîtresse avant de me blâmer, Et dis si, par hasard, la tienne est aussi belle. Vois donc combien c'est peu que la gloire ici-bas, Puisque tout beau qu'il est, ce portrait ne vaut pas (Crois-m'en sur ma parole) un baiser du modèle.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Cantate de Bettine Nina, ton sourire, Ta voix qui soupire, Tes yeux qui font dire Qu'on croit au bonheur, Ces belles années, Ces douces journées, Ces roses fanées, Mortes sur ton coeur... Nina, ma charmante, Pendant la tourmente, La mer écumante Grondait à nos yeux ; Riante et fertile, La plage tranquille Nous montrait l'asile Qu'appelaient nos voeux ! Aimable Italie, Sagesse ou folie, Jamais, jamais ne t'oublie Qui t'a vue un jour ! Toujours plus chérie, Ta rive fleurie Toujours sera la patrie Que cherche l'amour.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Chanson - J'ai dit à mon cœur J'ai dit à mon cœur, à mon faible cœur : N'est-ce point assez d'aimer sa maîtresse ? Et ne vois-tu pas que changer sans cesse, C'est perdre en désirs le temps du bonheur ? Il m'a répondu : Ce n'est point assez, Ce n'est point assez d'aimer sa maîtresse ; Et ne vois-tu pas que changer sans cesse Nous rend doux et chers les plaisirs passés ? J'ai dit à mon cœur, à mon faible cœur : N'est-ce point assez de tant de tristesse ? Et ne vois-tu pas que changer sans cesse, C'est à chaque pas trouver la douleur ? Il m'a répondu : Ce n'est point assez, Ce n'est point assez de tant de tristesse ; Et ne vois-tu pas que changer sans cesse Nous rend doux et chers les chagrins passés ?

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Chanson de Barberine Beau chevalier qui partez pour la guerre, Qu'allez-vous faire Si loin d'ici ? Voyez-vous pas que la nuit est profonde, Et que le monde N'est que souci ? Vous qui croyez qu'une amour délaissée De la pensée S'enfuit ainsi, Hélas ! hélas ! chercheurs de renommée, Votre fumée S'envole aussi.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Chanson de Fortunio Si vous croyez que je vais dire Qui j'ose aimer, Je ne saurais, pour un empire, Vous la nommer. Nous allons chanter à la ronde, Si vous voulez, Que je l'adore et qu'elle est blonde Comme les blés. Je fais ce que sa fantaisie Veut m'ordonner, Et je puis, s'il lui faut ma vie, La lui donner. Du mal qu'une amour ignorée Nous fait souffrir, J'en porte l'âme déchirée Jusqu'à mourir. Mais j'aime trop pour que je die Qui j'ose aimer, Et je veux mourir pour ma mie Sans la nommer.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Conseils à une Parisienne Oui, si j'étais femme, aimable et jolie, Je voudrais, Julie, Faire comme vous ; Sans peur ni pitié, sans choix ni mystère, A toute la terre Faire les yeux doux. Je voudrais n'avoir de soucis au monde Que ma taille ronde, Mes chiffons chéris, Et de pied en cap être la poupée La mieux équipée De Rome à Paris. Je voudrais garder pour toute science Cette insouciance Qui vous va si bien ; Joindre, comme vous, à l'étourderie Cette rêverie Qui ne pense à rien. Je voudrais pour moi qu'il fût toujours fête, Et tourner la tête, Aux plus orgueilleux ; Être en même temps de glace et de flamme, La haine dans l'âme, L'amour dans les yeux. Je détesterais, avant toute chose, Ces vieux teints de rose Qui font peur à voir. Je rayonnerais, sous ma tresse brune, Comme un clair de lune En capuchon noir. Car c'est si charmant et c'est si commode, Ce masque à la mode, Cet air de langueur ! Ah ! que la pâleur est d'un bel usage ! Jamais le visage N'est trop loin du coeur. Je voudrais encore avoir vos caprices, Vos soupirs novices, Vos regards savants. Je voudrais enfin, tant mon coeur vous aime, Être en tout vous-même... Pour deux ou trois ans. Il est un seul point, je vous le confesse, Où votre sagesse Me semble en défaut. Vous n'osez pas être assez inhumaine. Votre orgueil vous gêne ; Pourtant il en faut. Je ne voudrais pas, à la contredanse, Sans quelque prudence Livrer mon bras nu ; Puis, au cotillon, laisser ma main blanche Traîner sur la manche Du premier venu. Si mon fin corset, si souple et si juste, D'un bras trop robuste Se sentait serré, J'aurais, je l'avoue, une peur mortelle Qu'un bout de dentelle N'en fût déchiré. Chacun, en valsant, vient sur votre épaule Réciter son rôle D'amoureux transi ; Ma beauté, du moins, sinon ma pensée, Serait offensée D'être aimée ainsi. Je ne voudrais pas, si j'étais Julie, N'être que jolie Avec ma beauté. Jusqu'au bout des doigts je serais duchesse. Comme ma richesse, J'aurais ma fierté. Voyez-vous, ma chère, au siècle où nous sommes, La plupart des hommes Sont très inconstants. Sur deux amoureux pleins d'un zèle extrême, La moitié vous aime Pour passer le temps. Quand on est coquette, il faut être sage. L'oiseau de passage Qui vole à plein coeur Ne dort pas en l'air comme une hirondelle, Et peut, d'un coup d'aile, Briser une fleur.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Derniers vers L'heure de ma mort, depuis dix-huit mois, De tous les côtés sonne à mes oreilles, Depuis dix-huit mois d'ennuis et de veilles, Partout je la sens, partout je la vois. Plus je me débats contre ma misère, Plus s'éveille en moi l'instinct du malheur ; Et, dès que je veux faire un pas sur terre, Je sens tout à coup s'arrêter mon coeur. Ma force à lutter s'use et se prodigue. Jusqu'à mon repos, tout est un combat ; Et, comme un coursier brisé de fatigue, Mon courage éteint chancelle et s'abat.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Fut-il jamais douceur de coeur Rondeau. Fut-il jamais douceur de coeur pareille À voir Manon dans mes bras sommeiller ? Son front coquet parfume l'oreiller ; Dans son beau sein j'entends son coeur qui veille. Un songe passe, et s'en vient l'égayer. Ainsi s'endort une fleur d'églantier, Dans son calice enfermant une abeille. Moi, je la berce ; un plus charmant métier Fut-il jamais ? Mais le jour vient, et l'Aurore vermeille Effeuille au vent son bouquet printanier. Le peigne en main et la perle à l'oreille, À son miroir Manon court m'oublier. Hélas ! l'amour sans lendemain ni veille Fut-il jamais ?

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

J'ai dit à mon cœur J'ai dit à mon cœur, à mon faible cœur : N'est-ce point assez d'aimer sa maîtresse ? Et ne vois-tu pas que changer sans cesse, C'est perdre en désirs le temps du bonheur ?

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Jamais Jamais, avez-vous dit, tandis qu'autour de nous Résonnait de Schubert la plaintive musique ; Jamais, avez-vous dit, tandis que, malgré vous, Brillait de vos grands yeux l'azur mélancolique. Jamais, répétiez-vous, pâle et d'un air si doux Qu'on eût cru voir sourire une médaille antique. Mais des trésors secrets l'instinct fier et pudique Vous couvrit de rougeur, comme un voile jaloux. Quel mot vous prononcez, marquise, et quel dommage ! Hélas ! je ne voyais ni ce charmant visage, Ni ce divin sourire, en vous parlant d'aimer. Vos yeux bleus sont moins doux que votre âme n'est belle. Même en les regardant, je ne regrettais qu'elle, Et de voir dans sa fleur un tel cœur se fermer.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Jeanne d’Arc Je cherche en vain le repos qui me fuit. Mon cœur est plein des douleurs de la France. Jusqu’en ces lieux déserts, dans l’ombre et le silence, De la patrie en deuil le malheur me poursuit. CHANT Sombre forêt, retraite solitaire, Muets témoins de mes secrets ennuis, À mes regards, de mon pauvre pays Cachez du moins la honte et la misère. Tristes rameaux, si nous sommes vaincus, Cachez le toit de mon vieux père ; Peut-être, hélas je ne le verrai plus ! RÉCITATIF Tout repose dans la vallée. Le rossignol chante sous la feuillée La mélancolie et l’amour. Déjà l’aurore éveille la nature ; Déjà brille sur la verdure La douce clarté d’un beau jour. Quel est ce bruit dans la campagne ? Le clairon sonne au pied de nos remparts ! De l’étranger je vois les étendards, Flotter au loin sur la montagne. CHANT Nous avez-vous abandonnés, Anges gardiens de la patrie ? Plaignez-nous si Dieu nous oublie ; S’il se souvient de nous, venez ! J’ai cru sentir trembler la terre. J’ai cru que le ciel répondait, Et, dans un rayon de lumière, Du fond des bois une voix m’appelait. Ce n’est pas une voix humaine : Il m’a semblé qu’elle venait des cieux. Mère du Christ, est-ce la tienne ? As-tu pitié des pleurs qui coulent de mes yeux ? Oui, l’Esprit-Saint m’éclaire ! Je sens d’un Dieu vengeur La force et la colère Descendre dans mon cœur. — En guerre !

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

L'espoir en Dieu Tant que mon pauvre cœur, encor plein de jeunesse, A ses illusions n'aura pas dit adieu, Je voudrais m'en tenir à l'antique sagesse, Qui du sobre Épicure a fait un demi-dieu Je voudrais vivre, aimer, m'accoutumer aux hommes Chercher un peu de joie et n'y pas trop compter, Faire ce qu'on a fait, être ce que nous sommes, Et regarder le ciel sans m'en inquiéter. Je ne puis ; — malgré moi l'infini me tourmente. Je n'y saurais songer sans crainte et sans espoir ; Et, quoi qu'on en ait dit, ma raison s'épouvante De ne pas le comprendre et pourtant de le voir. Qu'est-ce donc que ce monde, et qu'y venons-nous faire, Si pour qu'on vive en paix, il faut voiler les cieux ? Passer comme un troupeau les yeux fixés à terre, Et renier le reste, est-ce donc être heureux ? Non, c'est cesser d'être homme et dégrader son âme. Dans la création le hasard m'a jeté ; Heureux ou malheureux, je suis né d'une femme, Et je ne puis m'enfuir hors de l'humanité. Que faire donc ? « Jouis, dit la raison païenne ; Jouis et meurs ; les dieux ne songent qu'à dormir. — Espère seulement, répond la foi chrétienne ; Le ciel veille sans cesse, et tu ne peux mourir. » Entre ces deux chemins j'hésite et je m'arrête. Je voudrais, à l'écart, suivre un plus doux sentier. Il n'en existe pas, dit une voix secrète ; En présence du ciel, il faut croire ou nier. Je le pense en effet ; les âmes tourmentées Dans l'un et l'autre excès se jettent tour à tour, Mais les indifférents ne sont que des athées ; Ils ne dormiraient plus s'ils doutaient un seul jour. Je me résigne donc, et, puisque la matière Me laisse dans le cœur un désir plein d'effroi, Mes genoux fléchiront ; je veux croire et j'espère. Que vais-je devenir, et que veut-on de moi ? Me voilà dans les mains d'un Dieu plus redoutable Que ne sont à la fois tous les maux d'ici-bas ; Me voilà seul, errant, fragile et misérable, Sous les yeux d'un témoin qui ne me quitte pas. Il m'observer il me suit. Si mon cœur bat trop vite, J'offense sa grandeur et sa divinité. Un gouffre est sous mes pas si je m'y précipite, Pour expier une heure il faut l'éternité. Mon juge est un bourreau qui trompe sa victime. Pour moi, tout devient piège et tout change de nom L'amour est un péché, le bonheur est un crime, Et l'œuvre des sept jours n'est que tentation Je ne garde plus rien de la nature humaine ; Il n'existe pour moi ni vertu ni remord . J'attends la récompense et j'évite la peine ; Mon seul guide est la peur, et mon seul but, la mort On me dit cependant qu'une joie infinie Attend quelques élus. — Où sont-ils, ces heureux ? Si vous m'avez trompé, me rendrez-vous la vie ? Si vous m'avez dit vrai, m'ouvrirez-vous les cieux ? Hélas ! ce beau pays dont parlaient vos prophètes, S'il existe là-haut, ce doit être un désert Vous les voulez trop purs, les heureux que vous faites, Et quand leur joie arrive, ils en ont trop souffert. Je suis seulement homme, et ne veux pas moins être, Ni tenter davantage. — À quoi donc m'arrêter ? Puisque je ne puis croire aux promesses du prêtre, Est-ce l'indifférent que je vais consulter ? Si mon cœur, fatigué du rêve qui l'obsède, À la réalité revient pour s'assouvir, Au fond des vains plaisirs que j'appelle à mon aide Je trouve un tel dégoût, que je me sens mourir Aux jours même où parfois la pensée est impie, Où l'on voudrait nier pour cesser de douter, Quand je posséderais tout ce qu'en cette vie Dans ses vastes désirs l'homme peut convoiter ; Donnez-moi le pouvoir, la santé, la richesse, L'amour même, l'amour, le seul bien d'ici-bas ! Que la blonde Astarté, qu'idolâtrait la Grèce, De ses îles d'azur sorte en m'ouvrant les bras ; Quand je pourrais saisir dans le sein de la terre Les secrets éléments de sa fécondité, Transformer à mon gré la vivace matière Et créer pour moi seul une unique beauté ; Quand Horace, Lucrèce et le vieil Épicure, Assis à mes côtés m'appelleraient heureux Et quand ces grands amants de l'antique nature Me chanteraient la joie et le mépris des dieux, Je leur dirais à tous : « Quoi que nous puissions faire, Je souffre, il est trop tard ; le monde s'est fait vieux Une immense espérance a traversé la terre ; Malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux ! » Que me reste-t-il donc ? Ma raison révoltée Essaye en vain de croire et mon cœur de douter De chrétien m'épouvante, et ce que dit l'athée, En dépit de mes sens, je ne puis l'écouter. Les vrais religieux me trouveront impie, Et les indifférents me croiront insensé. À qui m'adresserai-je, et quelle voix amie Consolera ce cœur que le doute a blessé ? Il existe, dit-on, une philosophie Qui nous explique tout sans révélation, Et qui peut nous guider à travers cette vie Entre l'indifférence et la religion. J'y consens. — Où sont-ils, ces faiseurs de systèmes, Qui savent, sans la foi, trouver la vérité, Sophistes impuissants qui ne croient qu'en eux-mêmes ? Quels sont leurs arguments et leur autorité ? L'un me montre ici-bas deux principes en guerre, Qui, vaincus tour à tour, sont tous deux immortels ; L'autre découvre au loin, dans le ciel solitaire, Un inutile Dieu qui ne veut pas d'autels. Je vois rêver Platon et penser Aristote ; J'écoute, j'applaudis, et poursuis mon chemin Sous les rois absolus je trouve un Dieu despote ; On nous parle aujourd'hui d'un Dieu républicains. Pythagore et Leibniz transfigurent mon être. Descartes m'abandonne au sein des tourbillons. Montaigne s'examine, et ne peut se connaître. Pascal fuit en tremblant ses propres visions. Pyrrhon me rend aveugle, et Zénon insensible. Voltaire jette à bas tout ce qu'il voit debout Spinoza, fatigué de tenter l'impossible, Cherchant en vain son Dieu, croit le trouver partout. Pour le sophiste anglais l'homme est une machine. Enfin sort des brouillards un rhéteur allemand Qui, du philosophisme achevant la ruine, Déclare le ciel vide, et conclut au néant. Voilà donc les débris de l'humaine science ! Et, depuis cinq mille ans qu'on a toujours douté, Après tant de fatigue et de persévérance, C'est là le dernier mot qui nous en est rester Ah ! pauvres insensés, misérables cervelles, Qui de tant de façons avez tout expliqué, Pour aller jusqu'aux cieux il vous fallait des ailes ; Vous aviez le désir, la foi vous a manqué. Je vous plains ; votre orgueil part d'une âme blesses, Vous sentiez les tourments dont mon cœur est rempli Et vous la connaissiez, cette amère pensée Qui fait frissonner l'homme en voyant l'infini. Eh bien, prions ensemble,-abjurons la misère De vos calculs d'enfants, de tant de vains travaux ! Maintenant que vos corps sont réduits en poussière J'irai m'agenouiller pour vous sur vos tombeaux. Venez, rhéteurs païens, maîtres de la science, Chrétiens des temps passés et rêveurs d'aujourd'hui ; Croyez-moi' la prière est un cri d'espérance ! Pour que Dieu nous réponde, adressons-nous à lui, Il est juste, il est bon ; sans doute il vous pardonne. Tous vous avez souffert, le reste est oublié. Si le ciel est désert, nous n'offensons personne ; Si quelqu'un nous entend, qu'il nous prenne en pitié ! Ô toi que nul n'a pu connaître, Et n'a renié sans mentir, Réponds-moi, toi qui m'as fait naître, Et demain me feras mourir ! Puisque tu te laisses comprendre, Pourquoi fais-tu douter de toi ? Quel triste plaisir peux-tu prendre À tenter notre bonne foi ? Dès que l'homme lève la tête, Il croit t'entrevoir dans les cieux ; La création, sa conquête, N'est qu'un vaste temple à ses yeux. Dès qu'il redescend en lui-même, Il l'y trouve ; tu vis en lui. S'il souffre, s'il pleure, s'il aime, C'est son Dieu qui le veut ainsi. De la plus noble intelligence La plus sublime ambition Est de prouver ton existence, Et de faire épeler ton nom. De quelque façon qu'on t'appelle, Brahma, Jupiter ou Jésus, Vérité, Justice éternelle, Vers toi tous les bras sont tendus. Le dernier des fils de la terre Te rend grâces du fond du coeur, Dès qu'il se mêle à sa misère Une apparence de bonheur. Le monde entier te glorifie : L'oiseau te chante sur son nid ; Et pour une goutte de pluie Des milliers d'êtres t'ont béni. Tu n'as rien fait qu'on ne l'admire ; Rien de toi n'est perdu pour nous ; Tout prie, et tu ne peux sourire Que nous ne tombions à genoux. Pourquoi donc, ô Maître suprême, As-tu créé le mal si grand, Que la raison, la vertu même S'épouvantent en le voyant ? Lorsque tant de choses sur terre Proclament la Divinité, Et semblent attester d'un père L'amour, la force et la bonté, Comment, sous la sainte lumière, Voit-on des actes si hideux, Qu'ils font expirer la prière Sur les lèvres du malheureux ? Pourquoi, dans ton oeuvre céleste, Tant d'éléments si peu d'accord ? À quoi bon le crime et la peste ? Ô Dieu juste ! pourquoi la mort ? Ta pitié dut être profonde Lorsqu'avec ses biens et ses maux, Cet admirable et pauvre monde Sortit en pleurant du chaos ! Puisque tu voulais le soumettre Aux douleurs dont il est rempli, Tu n'aurais pas dû lui permettre De t'entrevoir dans l'infini. Pourquoi laisser notre misère Rêver et deviner un Dieu ? Le doute a désolé la terre ; Nous en voyons trop ou trop peu. Si ta chétive créature Est indigne de t'approcher, Il fallait laisser la nature T'envelopper et te cacher. Il te resterait ta puissance, Et nous en sentirions les coups ; Mais le repos et l'ignorance Auraient rendu nos maux plus doux. Si la souffrance et la prière N'atteignent pas ta majesté, Garde ta grandeur solitaire, Ferme à jamais l'immensité. Mais si nos angoisses mortelles Jusqu'à toi peuvent parvenir ; Si, dans les plaines éternelles, Parfois tu nous entends gémir, Brise cette voûte profonde Qui couvre la création ; Soulève les voiles du monde, Et montre-toi, Dieu juste et bon ! Tu n'apercevras sur la terre Qu'un ardent amour de la foi, Et l'humanité tout entière Se prosternera devant toi. Les larmes qui l'ont épuisée Et qui ruissellent de ses yeux, Comme une légère rosée S'évanouiront dans les cieux. Tu n'entendras que tes louanges, Qu'un concert de joie et d'amour Pareil à celui dont tes anges Remplissent l'éternel séjour ; Et dans cet hosanna suprême, Tu verras, au bruit de nos chants, S'enfuir le doute et le blasphème, Tandis que la Mort elle-même Y joindra ses derniers accents.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

La nuit Quand la lune blanche S’accroche à la branche Pour voir Si quelque feu rouge Dans l’horizon bouge Le soir, Fol alors qui livre A la nuit son livre Savant, Son pied aux collines, Et ses mandolines Au vent ; Fol qui dit un conte, Car minuit qui compte Le temps, Passe avec le prince Des sabbats qui grince Des dents. L’amant qui compare Quelque beauté rare Au jour, Tire une ballade De son coeur malade D’amour. Mais voici dans l’ombre Qu’une ronde sombre Se fait, L’enfer autour danse, Tous dans un silence Parfait. Tout pendu de Grève, Tout Juif mort soulève Son front, Tous noyés des havres Pressent leurs cadavres En rond. Et les âmes feues Joignent leurs mains bleues Sans os ; Lui tranquille chante D’une voix touchante Ses maux. Mais lorsque sa harpe, Où flotte une écharpe, Se tait, Il veut fuir… La danse L’entoure en silence Parfait. Le cercle l’embrasse, Son pied s’entrelace Aux morts, Sa tête se brise Sur la terre grise ! Alors La ronde contente, En ris éclatante, Le prend ; Tout mort sans rancune Trouve au clair de lune Son rang. Car la lune blanche S’accroche à la branche Pour voir Si quelque feu rouge Dans l’horizon bouge Le soir.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

La nuit d'août La muse Depuis que le soleil, dans l'horizon immense, A franchi le Cancer sur son axe enflammé, Le bonheur m'a quittée, et j'attends en silence L'heure où m'appellera mon ami bien-aimé. Hélas ! depuis longtemps sa demeure est déserte ; Des beaux jours d'autrefois rien n'y semble vivant. Seule, je viens encor, de mon voile couverte, Poser mon front brûlant sur sa porte entr'ouverte, Comme une veuve en pleurs au tombeau d'un enfant.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

La nuit d'Octobre Le poète Le mal dont j'ai souffert s'est enfui comme un rêve. Je n'en puis comparer le lointain souvenir Qu'à ces brouillards légers que l'aurore soulève, Et qu'avec la rosée on voit s'évanouir.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

La nuit de Décembre Le poète Du temps que j’étais écolier, Je restais un soir à veiller Dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s’asseoir Un pauvre enfant vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Son visage était triste et beau : A la lueur de mon flambeau, Dans mon livre ouvert il vint lire. Il pencha son front sur sa main, Et resta jusqu’au lendemain, Pensif, avec un doux sourire. Comme j’allais avoir quinze ans Je marchais un jour, à pas lents, Dans un bois, sur une bruyère. Au pied d’un arbre vint s’asseoir Un jeune homme vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Je lui demandai mon chemin ; Il tenait un luth d’une main, De l’autre un bouquet d’églantine. Il me fit un salut d’ami, Et, se détournant à demi, Me montra du doigt la colline. A l’âge où l’on croit à l’amour, J’étais seul dans ma chambre un jour, Pleurant ma première misère. Au coin de mon feu vint s’asseoir Un étranger vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il était morne et soucieux ; D’une main il montrait les cieux, Et de l’autre il tenait un glaive. De ma peine il semblait souffrir, Mais il ne poussa qu’un soupir, Et s’évanouit comme un rêve. A l’âge où l’on est libertin, Pour boire un toast en un festin, Un jour je soulevais mon verre. En face de moi vint s’asseoir Un convive vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il secouait sous son manteau Un haillon de pourpre en lambeau, Sur sa tête un myrte stérile. Son bras maigre cherchait le mien, Et mon verre, en touchant le sien, Se brisa dans ma main débile. Un an après, il était nuit ; J’étais à genoux près du lit Où venait de mourir mon père. Au chevet du lit vint s’asseoir Un orphelin vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Ses yeux étaient noyés de pleurs ; Comme les anges de douleurs, Il était couronné d’épine ; Son luth à terre était gisant, Sa pourpre de couleur de sang, Et son glaive dans sa poitrine. Je m’en suis si bien souvenu, Que je l’ai toujours reconnu A tous les instants de ma vie. C’est une étrange vision, Et cependant, ange ou démon, J’ai vu partout cette ombre amie. Lorsque plus tard, las de souffrir, Pour renaître ou pour en finir, J’ai voulu m’exiler de France ; Lorsqu’impatient de marcher, J’ai voulu partir, et chercher Les vestiges d’une espérance ; A Pise, au pied de l’Apennin ; A Cologne, en face du Rhin ; A Nice, au penchant des vallées ; A Florence, au fond des palais ; A Brigues, dans les vieux chalets ; Au sein des Alpes désolées ; A Gênes, sous les citronniers ; A Vevey, sous les verts pommiers ; Au Havre, devant l’Atlantique ; A Venise, à l’affreux Lido, Où vient sur l’herbe d’un tombeau Mourir la pâle Adriatique ; Partout où, sous ces vastes cieux, J’ai lassé mon coeur et mes yeux, Saignant d’une éternelle plaie ; Partout où le boiteux Ennui, Traînant ma fatigue après lui, M’a promené sur une claie ; Partout où, sans cesse altéré De la soif d’un monde ignoré, J’ai suivi l’ombre de mes songes ; Partout où, sans avoir vécu, J’ai revu ce que j’avais vu, La face humaine et ses mensonges ; Partout où, le long des chemins, J’ai posé mon front dans mes mains, Et sangloté comme une femme ; Partout où j’ai, comme un mouton, Qui laisse sa laine au buisson, Senti se dénuder mon âme ; Partout où j’ai voulu dormir, Partout où j’ai voulu mourir, Partout où j’ai touché la terre, Sur ma route est venu s’asseoir Un malheureux vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Qui donc es-tu, toi que dans cette vie Je vois toujours sur mon chemin ? Je ne puis croire, à ta mélancolie, Que tu sois mon mauvais Destin. Ton doux sourire a trop de patience, Tes larmes ont trop de pitié. En te voyant, j’aime la Providence. Ta douleur même est soeur de ma souffrance ; Elle ressemble à l’Amitié. Qui donc es-tu ? – Tu n’es pas mon bon ange, Jamais tu ne viens m’avertir. Tu vois mes maux (c’est une chose étrange !) Et tu me regardes souffrir. Depuis vingt ans tu marches dans ma voie, Et je ne saurais t’appeler. Qui donc es-tu, si c’est Dieu qui t’envoie ? Tu me souris sans partager ma joie, Tu me plains sans me consoler ! Ce soir encor je t’ai vu m’apparaître. C’était par une triste nuit. L’aile des vents battait à ma fenêtre ; J’étais seul, courbé sur mon lit. J’y regardais une place chérie, Tiède encor d’un baiser brûlant ; Et je songeais comme la femme oublie, Et je sentais un lambeau de ma vie Qui se déchirait lentement. Je rassemblais des lettres de la veille, Des cheveux, des débris d’amour. Tout ce passé me criait à l’oreille Ses éternels serments d’un jour. Je contemplais ces reliques sacrées, Qui me faisaient trembler la main : Larmes du coeur par le coeur dévorées, Et que les yeux qui les avaient pleurées Ne reconnaîtront plus demain ! J’enveloppais dans un morceau de bure Ces ruines des jours heureux. Je me disais qu’ici-bas ce qui dure, C’est une mèche de cheveux. Comme un plongeur dans une mer profonde, Je me perdais dans tant d’oubli. De tous côtés j’y retournais la sonde, Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde, Mon pauvre amour enseveli. J’allais poser le sceau de cire noire Sur ce fragile et cher trésor. J’allais le rendre, et, n’y pouvant pas croire, En pleurant j’en doutais encor. Ah ! faible femme, orgueilleuse insensée, Malgré toi, tu t’en souviendras ! Pourquoi, grand Dieu ! mentir à sa pensée ? Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée, Ces sanglots, si tu n’aimais pas ? Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ; Mais ta chimère est entre nous. Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heures Qui me sépareront de vous. Partez, partez, et dans ce coeur de glace Emportez l’orgueil satisfait. Je sens encor le mien jeune et vivace, Et bien des maux pourront y trouver place Sur le mal que vous m’avez fait. Partez, partez ! la Nature immortelle N’a pas tout voulu vous donner. Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle, Et ne savez pas pardonner ! Allez, allez, suivez la destinée ; Qui vous perd n’a pas tout perdu. Jetez au vent notre amour consumée ; – Eternel Dieu ! toi que j’ai tant aimée, Si tu pars, pourquoi m’aimes-tu ? Mais tout à coup j’ai vu dans la nuit sombre Une forme glisser sans bruit. Sur mon rideau j’ai vu passer une ombre ; Elle vient s’asseoir sur mon lit. Qui donc es-tu, morne et pâle visage, Sombre portrait vêtu de noir ? Que me veux-tu, triste oiseau de passage ? Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image Que j’aperçois dans ce miroir ? Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse, Pèlerin que rien n’a lassé ? Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse Assis dans l’ombre où j’ai passé. Qui donc es-tu, visiteur solitaire, Hôte assidu de mes douleurs ? Qu’as-tu donc fait pour me suivre sur terre ? Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère, Qui n’apparais qu’au jour des pleurs ? LA VISION – Ami, notre père est le tien. Je ne suis ni l’ange gardien, Ni le mauvais destin des hommes. Ceux que j’aime, je ne sais pas De quel côté s’en vont leurs pas Sur ce peu de fange où nous sommes. Je ne suis ni dieu ni démon, Et tu m’as nommé par mon nom Quand tu m’as appelé ton frère ; Où tu vas, j’y serai toujours, Jusques au dernier de tes jours, Où j’irai m’asseoir sur ta pierre. Le ciel m’a confié ton coeur. Quand tu seras dans la douleur, Viens à moi sans inquiétude. Je te suivrai sur le chemin ; Mais je ne puis toucher ta main, Ami, je suis la Solitude.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

La nuit de Mai Poète, prends ton luth et me donne un baiser ; La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore, Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ; Et la bergeronnette, en attendant l’aurore, Aux premiers buissons verts commence à se poser. Poète, prends ton luth, et me donne un baiser. LE POÈTE Comme il fait noir dans la vallée ! J’ai cru qu’une forme voilée Flottait là-bas sur la forêt. Elle sortait de la prairie ; Son pied rasait l’herbe fleurie ; C’est une étrange rêverie ; Elle s’efface et disparaît. LA MUSE Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse, Balance le zéphyr dans son voile odorant. La rose, vierge encor, se referme jalouse Sur le frelon nacré qu’elle enivre en mourant. Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée. Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux. Ce soir, tout va fleurir : l’immortelle nature Se remplit de parfums, d’amour et de murmure, Comme le lit joyeux de deux jeunes époux. LE POÈTE Pourquoi mon coeur bat-il si vite ? Qu’ai-je donc en moi qui s’agite Dont je me sens épouvanté ? Ne frappe-t-on pas à ma porte ? Pourquoi ma lampe à demi morte M’éblouit-elle de clarté ? Dieu puissant ! tout mon corps frissonne. Qui vient ? qui m’appelle ? – Personne. Je suis seul ; c’est l’heure qui sonne ; Ô solitude ! ô pauvreté ! LA MUSE Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. Mon sein est inquiet ; la volupté l’oppresse, Et les vents altérés m’ont mis la lèvre en feu. Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle. Notre premier baiser, ne t’en souviens-tu pas, Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile, Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ? Ah ! je t’ai consolé d’une amère souffrance ! Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d’amour. Console-moi ce soir, je me meurs d’espérance ; J’ai besoin de prier pour vivre jusqu’au jour. LE POÈTE Est-ce toi dont la voix m’appelle, Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ? Ô ma fleur ! ô mon immortelle ! Seul être pudique et fidèle Où vive encor l’amour de moi ! Oui, te voilà, c’est toi, ma blonde, C’est toi, ma maîtresse et ma soeur ! Et je sens, dans la nuit profonde, De ta robe d’or qui m’inonde Les rayons glisser dans mon coeur. LA MUSE Poète, prends ton luth ; c’est moi, ton immortelle, Qui t’ai vu cette nuit triste et silencieux, Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle, Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux. Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ; Quelque amour t’est venu, comme on en voit sur terre, Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur. Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées, Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ; Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu, Éveillons au hasard les échos de ta vie, Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie, Et que ce soit un rêve, et le premier venu. Inventons quelque part des lieux où l’on oublie ; Partons, nous sommes seuls, l’univers est à nous. Voici la verte Écosse et la brune Italie, Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux, Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes, Et Messa la divine, agréable aux colombes, Et le front chevelu du Pélion changeant ; Et le bleu Titarèse, et le golfe d’argent Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire, La blanche Oloossone à la blanche Camyre. Dis-moi, quel songe d’or nos chants vont-ils bercer ? D’où vont venir les pleurs que nous allons verser ? Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière, Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet, Secouait des lilas dans sa robe légère, Et te contait tout bas les amours qu’il rêvait ? Chanterons-nous l’espoir, la tristesse ou la joie ? Tremperons-nous de sang les bataillons d’acier ? Suspendrons-nous l’amant sur l’échelle de soie ? Jetterons-nous au vent l’écume du coursier ? Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre De la maison céleste, allume nuit et jour L’huile sainte de vie et d’éternel amour ? Crierons-nous à Tarquin :  » Il est temps, voici l’ombre ! «  Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ? Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ? Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ? Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ? La biche le regarde ; elle pleure et supplie ; Sa bruyère l’attend ; ses faons sont nouveau-nés ; Il se baisse, il l’égorge, il jette à la curée Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant. Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée, S’en allant à la messe, un page la suivant, Et d’un regard distrait, à côté de sa mère, Sur sa lèvre entr’ouverte oubliant sa prière ? Elle écoute en tremblant, dans l’écho du pilier, Résonner l’éperon d’un hardi cavalier. Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France De monter tout armés aux créneaux de leurs tours, Et de ressusciter la naïve romance Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ? Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ? L’homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie, Et ce qu’il a fauché du troupeau des humains Avant que l’envoyé de la nuit éternelle Vînt sur son tertre vert l’abattre d’un coup d’aile, Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ? Clouerons-nous au poteau d’une satire altière Le nom sept fois vendu d’un pâle pamphlétaire, Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli, S’en vient, tout grelottant d’envie et d’impuissance, Sur le front du génie insulter l’espérance, Et mordre le laurier que son souffle a sali ? Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ; Mon aile me soulève au souffle du printemps. Le vent va m’emporter ; je vais quitter la terre. Une larme de toi ! Dieu m’écoute ; il est temps. LE POÈTE S’il ne te faut, ma soeur chérie, Qu’un baiser d’une lèvre amie Et qu’une larme de mes yeux, Je te les donnerai sans peine ; De nos amours qu’il te souvienne, Si tu remontes dans les cieux. Je ne chante ni l’espérance, Ni la gloire, ni le bonheur, Hélas ! pas même la souffrance. La bouche garde le silence Pour écouter parler le coeur. LA MUSE Crois-tu donc que je sois comme le vent d’automne, Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau, Et pour qui la douleur n’est qu’une goutte d’eau ? Ô poète ! un baiser, c’est moi qui te le donne. L’herbe que je voulais arracher de ce lieu, C’est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu. Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure Que les noirs séraphins t’ont faite au fond du coeur : Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur. Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète, Que ta voix ici-bas doive rester muette. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux, Ses petits affamés courent sur le rivage En le voyant au loin s’abattre sur les eaux. Déjà, croyant saisir et partager leur proie, Ils courent à leur père avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux. Lui, gagnant à pas lents une roche élevée, De son aile pendante abritant sa couvée, Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux. Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ; En vain il a des mers fouillé la profondeur ; L’Océan était vide et la plage déserte ; Pour toute nourriture il apporte son coeur. Sombre et silencieux, étendu sur la pierre Partageant à ses fils ses entrailles de père, Dans son amour sublime il berce sa douleur, Et, regardant couler sa sanglante mamelle, Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle, Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur. Mais parfois, au milieu du divin sacrifice, Fatigué de mourir dans un trop long supplice, Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ; Alors il se soulève, ouvre son aile au vent, Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage, Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu, Que les oiseaux des mers désertent le rivage, Et que le voyageur attardé sur la plage, Sentant passer la mort, se recommande à Dieu. Poète, c’est ainsi que font les grands poètes. Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ; Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes Ressemblent la plupart à ceux des pélicans. Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées, De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur, Ce n’est pas un concert à dilater le coeur. Leurs déclamations sont comme des épées : Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant, Mais il y pend toujours quelque goutte de sang. LE POÈTE Ô Muse ! spectre insatiable, Ne m’en demande pas si long. L’homme n’écrit rien sur le sable À l’heure où passe l’aquilon. J’ai vu le temps où ma jeunesse Sur mes lèvres était sans cesse Prête à chanter comme un oiseau ; Mais j’ai souffert un dur martyre, Et le moins que j’en pourrais dire, Si je l’essayais sur ma lyre, La briserait comme un roseau.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Le chant des amis De ta source pure et limpide Réveille-toi, fleuve argenté ; Porte trois mots, coursier rapide : Amour, patrie et liberté ! Quelle voile, au vent déployée, Trace dans l'onde un vert sillon ? Qui t'a jusqu'à nous envoyée ? Quel est ton nom, ton pavillon ? — J'ai porté la céleste flamme En tous lieux où Dieu l'a permis. Mon pavillon, c'est l'oriflamme ; Mon nom, c'est celui des amis. Fils des Saxons, fils de la France, Vous souvient-il du sang versé ? Près du soleil de l'Espérance Voyez-vous l'ombre du passé ? — Le Rhin n'est plus une frontière ; Amis, c'est notre grand chemin, Et, maintenant, l'Europe entière Sur les deux bords se tend la main. De ta source pure et limpide Retrempe-toi, fleuve argenté ; Redis toujours, coursier rapide ! Amour, patrie et liberté.

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Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

Le mie prigioni On dit : " Triste comme la porte D'une prison. " Et je crois, le diable m'emporte ! Qu'on a raison. D'abord, pour ce qui me regarde, Mon sentiment Est qu'il vaut mieux monter sa garde, Décidément. Je suis, depuis une semaine, Dans un cachot, Et je m'aperçois avec peine Qu'il fait très chaud. Je vais bouder à la fenêtre, Tout en fumant ; Le soleil commence à paraître Tout doucement. C'est une belle perspective, De grand matin, Que des gens qui font la lessive Dans le lointain. Pour se distraire, si l'on bâille, On aperçoit D'abord une longue muraille, Puis un long toit. Ceux à qui ce séjour tranquille Est inconnu Ignorent l'effet d'une tuile Sur un mur nu. Je n'aurais jamais cru moi-même, Sans l'avoir vu, Ce que ce spectacle suprême A d'imprévu. Pourtant les rayons de l'automne Jettent encor Sur ce toit plat et monotone Un réseau d'or. Et ces cachots n'ont rien de triste, Il s'en faut bien : Peintre ou poète, chaque artiste Y met du sien. De dessins, de caricatures Ils sont couverts. Çà et là quelques écritures Semblent des vers. Chacun tire une rêverie De son bonnet : Celui-ci, la Vierge Marie, L'autre, un sonnet. Là, c'est Madeleine en peinture, Pieds nus, qui lit ; Vénus rit sous la couverture, Au pied du lit. Plus loin, c'est la Foi, l'Espérance, La Charité, Grands croquis faits à toute outrance, Non sans beauté. Une Andalouse assez gaillarde, Au cou mignon, Est dans un coin qui vous regarde D'un air grognon. Celui qui fit, je le présume, Ce médaillon, Avait un gentil brin de plume A son crayon. Le Christ regarde Louis-Philippe D'un air surpris ; Un bonhomme fume sa pipe Sur le lambris. Ensuite vient un paysage Très compliqué Où l'on voit qu'un monsieur très sage S'est appliqué. Dirai-je quelles odalisques Les peintres font, A leurs très grands périls et risques, Jusqu'au plafond ? Toutes ces lettres effacées Parlent pourtant ; Elles ont vécu, ces pensées, Fût-ce un instant. Que de gens, captifs pour une heure, Tristes ou non, Ont à cette pauvre demeure Laissé leur nom ! Sur ce vieux lit où je rimaille Ces vers perdus, Sur ce traversin où je bâille A bras tendus, Combien d'autres ont mis leur tête, Combien ont mis Un pauvre corps, un coeur honnête Et sans amis ! Qu'est-ce donc ? en rêvant à vide Contre un barreau, Je sens quelque chose d'humide Sur le carreau. Que veut donc dire cette larme Qui tombe ainsi, Et coule de mes yeux, sans charme Et sans souci ? Est-ce que j'aime ma maîtresse ? Non, par ma foi ! Son veuvage ne l'intéresse Pas plus que moi. Est-ce que je vais faire un drame ? Par tous les dieux ! Chanson pour chanson, une femme Vaut encor mieux. Sentirais-je quelque ingénue Velléité D'aimer cette belle inconnue, La Liberté ? On dit, lorsque ce grand fantôme Est verrouillé, Qu'il a l'air triste comme un tome Dépareillé. Est-ce que j'aurais quelque dette ? Mais, Dieu merci ! Je suis en lieu sûr : on n'arrête Personne ici. Cependant cette larme coule, Et je la vois Qui brille en tremblant et qui roule Entre mes doigts. Elle a raison, elle veut dire : Pauvre petit, A ton insu ton coeur respire Et t'avertit Que le peu de sang qui l'anime Est ton seul bien, Que tout le reste est pour la rime Et ne dit rien. Mais nul être n'est solitaire, Même en pensant, Et Dieu n'a pas fait pour te plaire Ce peu de sang. Lorsque tu railles ta misère D'un air moqueur, Tes amis, ta soeur et ta mère Sont dans ton coeur. Cette pâle et faible étincelle Qui vit en toi, Elle marche, elle est immortelle, Et suit sa loi. Pour la transmettre, il faut soi-même La recevoir, Et l'on songe à tout ce qu'on aime Sans le savoir.

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Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

Le Rhin Ô Rhin, sais-tu pourquoi les amants insensés, Abandonnant leur âme aux tendres rêveries, Par tes bois verdoyants, par tes larges prairies S’en vont par leur folie incessamment poussés ? Sais-tu pourquoi jamais les tristes railleries, Les exemples d’hier, ni ceux des temps passés, De tes monts adorés, de tes rives chéries, Ne les ont fait descendre et ne les ont chassés ? C’est que, dans tous les temps, ceux que l’homme sépare Et que Dieu réunit iront chercher les bois, Et des vastes torrents écouteront les voix. L’homme libre viendra, loin d’un monde barbare, Sur les rocs et les monts, comme au pied d’un autel, Protester contre l’homme en regardant le ciel.

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